Texte intégral
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Enfin ! Cette loi, maintes fois repoussée, était attendue. Les budgets successifs ont certes précédé ce projet de loi, mais il convenait de structurer nos priorités. Je tiens à remercier tous ceux qui, depuis trois ans, ont travaillé à l'aboutissement de ce texte. La convergence de ce projet de loi avec la crise que nous traversons en démontre toute la pertinence.
Nous vivons dans un monde de compétition exacerbée, où l'influence est devenue un enjeu de puissance majeur. L'aide au développement ne fait pas exception : elle est devenue un enjeu d'influence dans la conflictualité des modèles et des valeurs.
La France est revenue dans le jeu : notre aide publique au développement (APD) a dépassé les 10 milliards d'euros par an, atteignant 12,8 milliards d'euros en 2020. Il s'agit d'un véritable changement de braquet, conformément à l'engagement pris par le Président de la République au début de son mandat. Notre aide publique au développement, qui représentait 0,38% de notre richesse nationale en 2016, s'établit actuellement à 0,48% du PIB et notre objectif est d'atteindre 0,55% en 2022. Dans la crise, nous avons tenu à maintenir notre engagement en volume, avec une augmentation de 18% entre 2019 et 2020 et de 33% entre 2020 et 2021. Nous devrions dépasser le Royaume-Uni en 2021, pour nous classer au quatrième rang mondial des bailleurs d'APD.
Il fallait faire plus, mais il faut aussi faire mieux. C'est pourquoi ce projet de loi propose un changement de méthode, en profondeur, dans le sillage des efforts de rénovation engagés depuis le Cicid de février 2018.
Nos priorités sont clairement définies, à commencer par nos priorités géographiques, avec une concentration de nos dons sur les pays les plus vulnérables ; il s'agit des19 pays prioritaires appartenant à la catégorie des pays les moins avancés - Haïti et dix-huit pays d'Afrique subsaharienne. Ces pays seront destinataires de la moitié de l'aide projet mise en oeuvre par mon ministère, soit 70 millions d'euros, et de deux tiers de l'aide projet mise en oeuvre par l'AFD, qui s'élève à 816 millions d'euros en 2021 ; à cela s'ajoute une augmentation de 10 % de notre contribution à l'association internationale de développement de la Banque mondiale.
Nous réaffirmons aussi nos priorités thématiques. Nous voulons investir dans l'avenir et les biens communs mondiaux, selon le triptyque que vous avez rappelé : "nourrir, former, soigner."
C'est ainsi que nous contribuons au renforcement des systèmes de santé primaire des pays les plus fragiles, au travers notamment de l'initiative "Santé en commun", qui a permis d'améliorer la prise en charge des malades au Sénégal, en Guinée, au Burkina Faso et en République centrafricaine.
Nous agissons également en faveur de la préservation du climat et de la biodiversité. Notre contribution au Fonds vert pour le climat a doublé depuis 2017, pour passer de 750 millions à 1,5 milliard d'euros, ce qui nous permet de renforcer notre crédibilité diplomatique dans les enceintes multilatérales. Cinq ans après les accords de Paris, l'urgence environnementale est une urgence absolue et elle prend un relief particulier en cette année du Congrès de l'union internationale pour la conservation de la nature qui se tiendra à Marseille, de la COP26 qui aura lieu à Glasgow et de la COP15 sur la biodiversité qui est prévue à Kunming. Tous les financements de l'AFD sont bien entendu compatibles avec l'accord de Paris, mais pour moitié d'entre eux ils présentent même un co-bénéfice climat. Le gigantesque projet de la Grande Muraille verte, qui va du Sénégal à Djibouti, a été relancé par le One Planet Summit de janvier dernier qui a permis de mobiliser 14 milliards de dollars pour lutter notamment contre la désertification.
Nous menons également des actions en Chine et en Turquie et je tiens à préciser d'emblée qu'il ne s'agit pas de prêts de faveur : ils sont réalisés aux taux de marché.
Nous investissons aussi dans l'éducation. Nous sommes le troisième bailleur mondial dans ce secteur, avec une multiplication par dix de notre contribution au Partenariat mondial pour l'éducation, qui atteint 200 millions d'euros sur 2018-2020. Les résultats en sont significatifs, avec le soutien à la scolarisation de plus de 22 millions d'enfants.
Nous travaillons enfin à la promotion de l'égalité de genre. Nous aborderons ces enjeux lors du Forum Génération Egalité se tiendra dans quelques mois à Paris.
Ces priorités géographiques et thématiques doivent être traitées ensemble et non pas en silo, car la crise de la covid a montré leur enchevêtrement et la nécessité de mettre en oeuvre une approche transversale.
Nous devons également refonder nos partenariats : il ne s'agit plus seulement de faire "pour" nos partenaires du sud, mais "avec" eux, dans une logique de codéveloppement, car nos responsabilités et nos intérêts sont communs. Il faut sortir d'une logique d'assistance ou de charité, pour entrer dans une logique de développement solidaire : en aidant nos partenaires du sud, nous nous aidons nous-mêmes, car les réponses aux grandes questions du XXIe siècle se trouvent à la fois chez nous et chez eux.
Pensons seulement au défi de l'immigration irrégulière et aux tragédies humaines qu'elle occasionne. Ce renforcement de la dimension partenariale de notre politique se joue aussi en France : les acteurs de la société civile française se verront reconnaître un droit d'initiative renforcé qui leur permettra de proposer eux-mêmes des projets - avec le doublement des financements prévus - et nous associerons à nos efforts les diasporas africaines en France.
Le pilotage de notre politique d'APD par l'Etat sera renforcé, avec une chaîne de commandement clarifiée, depuis le Conseil présidentiel du développement, jusqu'au plus près du terrain grâce à une implication renforcée de nos ambassades. C'est le sens de la création des conseils locaux de développement qui seront créés dans chaque poste. Présidés par l'ambassadeur, ils veilleront à la cohérence des efforts de l'ensemble des acteurs, y compris de l'AFD. À chacun de mes déplacements - comme je l'ai fait vendredi dernier à Niamey -, je présiderai moi-même ces conseils et je souhaite qu'y soient associés les autres acteurs du développement, y compris non français, qui sont parties prenantes dans les projets.
Depuis maintenant un an, j'organise désormais une réunion de cadrage avec le directeur général de l'AFD tous les deux mois, afin que les orientations votées par le Parlement soient concrètement mises en oeuvre sur le terrain : cela me permet de piloter l'Agence en temps réel.
Nous devons aussi mieux mesurer l'impact de nos projets avec une commission indépendante d'évaluation, comme il en existe au Royaume-Uni et en Allemagne, et comme l'avait proposé le Sénat. Cette commission devra évaluer les stratégies, les outils et les projets et formuler des recommandations. Elle effectuera une évaluation de l'opportunité et de l'efficacité de la politique menée ; il ne s'agit pas de vérifier les comptes, d'autres organismes existent pour cela ! Je souhaite que cette commission rapporte devant le Parlement, selon ce que l'on appelle désormais la redevabilité. Je suis très ouvert sur sa composition, mais je tiens à ce qu'elle reste indépendante.
Ce projet de loi comporte en outre un volet destiné à attirer en France les fondations et organisations internationales qui jouent un rôle majeur en matière de développement et de promotion des biens publics mondiaux. Les organismes multilatéraux dont nous avons été à l'initiative - Unitaid, le Fonds mondial, la Fondation Aliph, etc. - se sont installés à Genève où les procédures sont plus rapides : je propose donc que nous légiférions par ordonnance sur chaque demande d'implantation.
La France doit devenir un carrefour mondial de la coopération internationale et les trois premières éditions du Forum de Paris sur la paix ont montré que nous avions une vraie capacité de mobilisation.
Ce texte a été significativement enrichi lors de son examen par l'Assemblée nationale, qui y a notamment introduit trois dispositions majeures.
Un nouvel article 1erA fixe désormais les grands objectifs de la politique d'APD et rappelle notamment que cette politique est un pilier de la politique étrangère de la France et qu'elle contribue à construire et à assurer la paix et la sécurité. Il y est également précisé que cette politique a pour objectif transversal la promotion de l'égalité entre les femmes et les hommes, dans le cadre de la diplomatie féministe de la France.
Avec mon accord, l'année 2025 a été retenue comme date cible pour l'atteinte de l'objectif onusien de 0,7% : c'est un bon objectif sur lequel nous devons nous mobiliser.
Le dispositif de restitution des produits de cession des biens dits mal acquis - sur lequel votre collègue Jean-Pierre Sueur a mené des travaux - a été amélioré : les produits de cession de ces biens donneront lieu à des ouvertures de crédits au sein d'un nouveau programme budgétaire afin de financer des actions de coopération et de développement. Il s'agit d'une grande innovation qui se fera dans une parfaite transparence à l'égard du Parlement.
L'Assemblée nationale a également apporté des avancées en termes de redevabilité : création d'une base de données ouverte, élargissement du champ du rapport annuel au parlement relatif à la politique de développement, positionnement de la nouvelle commission d'évaluation auprès de la Cour des comptes et possibilité de saisine par le parlement.
Elle a également prévu que la France prendrait désormais en compte l'exigence de responsabilité sociétale des acteurs publics et privés sur le devoir de vigilance des entreprises ; elle a renforcé notre exigence d'accès à un état civil fiable ; elle a prévu un rapport au Parlement sur les dispenses de criblage des destinataires finaux ; et elle a réduit les coûts de transaction de certains transferts de fonds et revu notre stratégie s'agissant des volontaires internationaux.
Après un long et très fructueux débat, ce projet de loi a été adopté à l'unanimité, une première depuis le début de ce quinquennat !
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Les critères de l'APD sont établis par l'OCDE. C'est ainsi que les frais d'écolage des étudiants chinois relèvent de l'APD : la Chine est donc toujours considérée comme un pays en développement...
La part dans l'APD liée à l'écolage des étudiants chinois signifie deux choses. Premièrement, la Chine est toujours considérée comme un pays en développement ; deuxièmement, de nombreux étudiants chinois viennent en France et nous les aidons avec des bourses et de l'accueil. Cela paraît peut-être une contradiction, mais explique une partie de cette interprétation.
L'aide pilotable a augmenté de manière significative ces dernières années ; elle correspond actuellement à un tiers de l'aide globale et devrait atteindre 40% en 2022. C'est un indice pour apprécier notre véritable aide au développement.
L'aide bilatérale ne cesse de croître ; nous sommes passés de 57% en 2015 à 61 % en 2019 et, en 2020, nous devrions frôler les 70%. J'ai toujours dit que l'aide bilatérale devait se renforcer par rapport à l'aide multilatérale.
L'APD est constituée à 81% de dons, auxquels s'ajoutent 14% de prêts et 5% d'appuis au secteur privé. Depuis mon arrivée aux responsabilités, la part de l'activité de l'AFD liée aux dons est passée de 4% à 13%.
Si votre interrogation porte sur les référentiels qui nous permettraient de juger les parts pilotable et non pilotable, je suis prêt à examiner des amendements sur le sujet. Ce n'est pas facile de fixer des critères, car, dans la part non pilotable, des éléments demeurent variables.
On peut se poser la question de la relation entre les prêts et les dons au sein de l'AFD. La part des dons dans l'APD, comme je l'ai dit précédemment, s'élève à 81%. Une part importante de ces dons est extérieure à l'AFD, mais nous avons souhaité que celle-ci oeuvre également en ce sens, et il importe que cela se poursuive. En 2021, la somme des dons de l'AFD représente 878 millions d'euros.
Dans beaucoup de cas, notamment dans les 19 pays concernés, il s'agit d'articuler à la fois les dons et les prêts. Les prêts, en général, sont dédiés aux infrastructures, et les dons s'orientent plutôt vers le fonctionnement ; mais nous sommes souvent amenés à lier les deux. Je pense à l'exemple de l'Institut Pasteur à Dakar, soutenu par l'AFD, qui combine les subventions - à hauteur de 2,7 millions d'euros - et les prêts pour aider à financer la construction d'une unité permettant de doubler la capacité de production des vaccins.
Il est désormais inscrit dans la loi que l'AFD soit sous la tutelle de l'Etat. Concernant le pilotage, le conseil présidentiel a pour vocation de se réunir une fois par an, avec les ministres concernés et le Premier ministre, afin de donner les orientations. La création de cette instance démontre que la politique de développement est un élément central de la politique étrangère de la France. Loin d'être un encombrement supplémentaire, cela donne l'impulsion nécessaire et contribue à l'accélération pour la mise en oeuvre de ce texte de loi.
Le Cicid a pour vocation, une fois par an, de définir les enjeux de la politique de développement, et ensuite il m'incombe de les mettre en oeuvre. Un rattachement théorique est prévu avec deux ministères, mais, de fait, j'assume la fonction de ministre du développement. Les responsabilités ne sont pas peut-être pas suffisamment clarifiées, mais, je vous rassure, cela n'entraîne aucune difficulté avec Bruno Le Maire sur ces sujets.
Concernant l'engagement de consacrer 0,7% de la richesse nationale à l'aide au développement d'ici à 2025, je m'interroge aujourd'hui sur la pertinence de présenter des chiffres. Quand on fixe un pourcentage, on ne tient pas compte de l'ensemble des facteurs, notamment le volume de financement auquel cela correspond. En 2021, nous allons atteindre 0,69% - soit un pourcentage supérieur à l'objectif fixé de 0,55% - pour une double raison : d'une part, avec la crise, le PIB baissant, cela favorise la hausse du pourcentage ; d'autre part, nous allons régler cette année la question de la dette soudanaise.
Mais, en 2022, ce pourcentage risque de baisser. Il serait opportun d'attendre la sortie de crise pour évaluer les engagements financiers permettant d'atteindre 0,7%. Malgré un PIB en récession, j'ai obtenu que l'on maintienne les engagements financiers de progression de nos dépenses de développement, ce qui n'est pas le cas de tous les pays ; je pense, notamment, au Royaume-Uni.
Au sujet de la TTF, le projet de loi prévoit 100 millions d'euros supplémentaires. Il ne faut surtout pas toucher au taux ni à l'assiette, mais je suis ouvert à vos propositions pour aller plus loin concernant la réaffectation d'une partie de la recette au développement.
De même, au sujet de la commission d'évaluation, je suis très ouvert à vos propositions. De manière générale, comme je l'ai dit à l'Assemblée nationale, il s'agit d'un texte de loi majeur pour la présence de la France dans le monde, et nous devons prendre en considération toutes les contributions pertinentes. Au préalable, je soumets trois principes de fond : premier principe, l'indépendance ; deuxième principe, cette commission devra rendre compte au Parlement ; troisième principe, elle pourra également être saisie par les parlementaires.
Le rattachement de cette commission à la Cour des comptes a été acté, ce qui me paraît un gage d'indépendance. Cette commission ne vérifie pas la justesse des comptes, mais celle de la politique menée. Faut-il y associer des parlementaires ? Est-ce un critère d'indépendance ? Lorsque la question m'a été posée à l'Assemblée, j'ai émis quelques réserves...
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Concernant le pilotage, Madame Carlotti, je ne vois pas en quoi il est compliqué. Le Président de la République est dans son rôle de réunir une fois par an les ministres directement concernés pour préciser ses orientations ; il l'a fait, par exemple, au mois de décembre, et cela a permis de débloquer beaucoup de choses. Il ne s'agit pas d'un organisme d'action, mais d'un lieu d'orientation stratégique. Le Cicid, de son côté, est le lieu de la mise en oeuvre de l'ensemble des politiques de développement, et je suis ensuite chargé de l'exécution. À côté de cela, le CNDSI et le CNCD formulent des conseils. Et enfin, il y a l'opérateur au niveau de chacun des pays concernés. Cela me paraît simple.
L'AFD est désormais tenue de répondre à un contrat d'objectifs et de moyens (COM). Dans ce contrat, je fixe 48 cibles à l'AFD - dont la question de l'égalité femmes/hommes -, qui me permettent de vérifier si, dans la globalité, l'organisme remplit bien son rôle. Je souhaite que ce contrat soit présenté aux deux assemblées. En revanche, je trouve prématurée l'idée d'une gestion décentralisée de l'AFD ; il convient d'abord de mettre en place les outils locaux.
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Il y a trois sujets concernant l'intervention. J'ai souhaité renforcer l'aide humanitaire et l'intervention en situation de crise ; cela va aboutir, en 2022, à 500 millions d'euros de mobilisation financière immédiate par le centre de crise du Quai d'Orsay - dont, par exemple, 50 millions d'euros pour le Nord-Ouest syrien.
Avec le développement, c'est obligatoirement plus long. Quand on lance des projets comme celui de l'Institut Pasteur à Dakar, cela suppose un certain temps ; il faut identifier les acteurs, respecter des normes, faire des études... Je souhaite que l'on accélère les procédures afin qu'un projet n'attende pas quatre ou cinq ans avant d'être mis en oeuvre ; cela vaut pour l'AFD comme pour les différents fonds, auquel vous avez fait référence, au niveau européen.
Et, pour moi, le sujet central est la phase intermédiaire, que l'on appelle également phase de stabilisation. Les acteurs du développement doivent être beaucoup plus réactifs dans cette phase qui, en général, intervient après des crises, des conflits, voire des guerres civiles. Nous avons donc décidé de mettre en place, dans ces pays, un outil d'accélération pour être au rendez-vous. Cela est valable pour l'ensemble des acteurs.
Concernant la trajectoire financière, nous avons fait une loi de programmation a posteriori. Elle a permis une mobilisation progressive des financements, qui se compte en milliards d'euros supplémentaires ; tous les acteurs du développement le reconnaissent.
Dans les pays les moins avancés parmi les 19 prioritaires, nous avons engagé 1 milliard d'euros supplémentaires en 2019 par rapport aux trois années précédentes. En faisant la comparaison au sein de l'ensemble de l'aide publique au développement, certains pourcentages, même en progression, ne sont pas satisfaisants. Mais, dans cette aide, il faut compter l'écolage des étudiants chinois, d'autres dimensions encore...
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Il y avait des raisons à cela. Par exemple, le financement des fonds permettant de soutenir les réfugiés - qui sont en Turquie - rentre dans ce budget. Nous devons clarifier ces chiffres, identifier ce qui relève directement de l'APD.
Monsieur Folliot, la francophonie est essentielle. Dans le projet de loi, il est rappelé, avec le contrat de partenariat, l'importance de la francophonie. Sur les 19 pays prioritaires, la grande majorité est francophone. Les fonds affectés dans les pays francophones pour le développement de l'éducation contribuent indirectement au développement de la francophonie. Il est essentiel de se battre pour la langue française ; c'est un élément d'influence considérable. Cette année, si la situation sanitaire et politique le permet, un sommet de la francophonie se tiendra en Tunisie.
Une des conséquences de ces orientations, c'est de revaloriser la filière développement au Quai d'Orsay. Je souhaite qu'elle soit mieux prise en compte et considérée, par les agents, comme une filière noble.
Cela implique que l'on renforce la formation des conseillers de coopération et d'action culturelle (Cocac) dans les postes. Il faut valoriser l'action de développement de notre pays et faire en sorte qu'elle soit conçue comme un élément de la diplomatie française. Auparavant, il n'avait jamais été dit que la politique de développement était un élément de la politique étrangère. Au reste, cette évolution peut présenter des inconvénients : elle implique une direction. La bataille d'influence est permanente.
M. Le Nay m'a interrogé sur la concurrence. Oui, nous sommes trop timides. Nous ne sommes pas assez visibles. Ce n'est pas parce que l'on met quelques milliers de vaccins sur un tarmac en Afrique que l'on règle la question vaccinale africaine ! Cette question se réglera par l'initiative Covax, qui permettra de mobiliser 2 milliards de doses d'ici à la fin de l'année et de diffuser les vaccins dans les pays concernés - 100 pays en ont d'ores et déjà bénéficié. Il est indispensable de considérer que l'immunité sera globale ou ne sera pas.
À cet égard, donner l'illusion que les vaccins Sinopharm ou Spoutnik régleront la question vaccinale dans ces pays est une opération de propagande. C'est par une politique d'échantillons que certains mènent leur politique d'influence. Ce n'est pas notre manière de faire. Cela dit, nous ne savons sans doute pas communiquer suffisamment sur notre présence... L'ensemble de l'aide au développement souffre d'un problème de lisibilité globale, y compris au plan européen. Nous devons, sur ce plan, agir bien davantage.
Monsieur Yung, il est indispensable que nous puissions répondre à la demande d'un pays par une offre globale, associant une offre de prêt, une offre de don et une offre d'expertise, comme le font les acteurs dont a parlé Jacques Le Nay. C'est ce qui explique qu'Expertise France rejoigne le groupe AFD. Cependant, ce ne sera pas une filiale de l'AFD comme peut l'être Proparco, qui travaille avec les entreprises privées. Nous voulons qu'Expertise France garde une forme d'autonomie, de manière que l'on puisse lui passer des commandes directes sans passer automatiquement par l'AFD. Le dispositif proposé permet l'autonomie d'Expertise France dans le champ d'action de l'AFD, ce qui permettra de répondre très rapidement à des demandes ou d'identifier les projets réalisables en apportant la garantie technique nécessaire. C'est ce que nous faisons déjà, mais nous le ferons plus efficacement avec Expertise France.
J'ajoute que nous avons décidé de doubler le nombre d'experts techniques internationaux, qui sont aujourd'hui au nombre de 140, pour être en mesure de répondre à une demande immédiate entraînant la mobilisation de l'AFD. C'est une bonne manière de répondre à la pénétration d'autres acteurs, en particulier sur le territoire africain.
Monsieur Cadic, il y a dans le texte un dispositif qui consacre un devoir de vigilance des entreprises et de leurs filiales à l'égard d'acteurs qui ne respecteraient pas les principes fondamentaux des droits humains. Cette conditionnalité est prise en compte dans les orientations de notre politique de développement, en particulier pour éviter que des entreprises qui ne respectent pas ces principes fondamentaux ne puissent bénéficier de prêts que nous aurions consentis à des pays. Ce point est très important. Le fait qu'il y ait désormais un comité ad hoc par site autour des ambassadeurs, associant non seulement le responsable de l'AFD, le Cocac, mais aussi le responsable des services économiques, permettra aussi d'être vigilant sur cette question.
Madame Garriaud-Maylam, nous avons pris en considération les femmes dans le texte. Les enfants ont également fait l'objet d'une attention particulière.
La présence des conseillers des Français de l'étranger est prévue au sein du conseil local du développement.
Je n'ai pas bien compris la question de M. Guiol.
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Cela dépasse largement la question du développement. Nous avons un combat permanent à mener face à des acteurs très spécialisés, en particulier en Afrique, qui utilisent des fake news ou les réseaux sociaux pour détruire notre image. Nous avons mis en place des dispositifs de contre-influence, notamment sur les réseaux sociaux, pour éviter ces dérives. Certains affirment que les anciens colonialistes ne peuvent prétendre à être les acteurs du développement d'aujourd'hui. Un certain nombre de puissances qui veulent s'installer dans les pays où nous avons de l'influence reprennent parfois ce refrain.
Comme je l'ai affirmé tout à l'heure, l'influence est un outil de puissance, mais le développement est aussi un outil de développement des valeurs. Nous sommes aujourd'hui confrontés à une conflictualité des modèles dans le monde entier.
Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 19 avril 2021