Texte intégral
Q - Bonjour, Clément Beaune.
R - Bonjour, Caroline Roux.
Q - Je le disais, depuis hier soir, minuit, il n'y a plus de vols en provenance du Brésil. Vous expliquiez le matin même que cela n'avait pas de sens en raison des liaisons internes en Europe, et vous aviez raison. Du coup, est-ce que vous avez obtenu que toute l'Europe suspende les liaisons avec le Brésil ?
R - Pas toute l'Europe, mais plusieurs pays, et notamment les pays qui ont beaucoup de liens, de liaisons aériennes avec le Brésil. C'est le cas du Portugal, c'est le cas de l'Espagne ; peut-être dans les heures ou jours qui viennent l'Italie va-t-elle renforcer son dispositif, nous avons quelques signaux de cette nature. Pour être clair, en Europe aujourd'hui, il y a partout des dispositifs très, très restrictifs à l'égard du Brésil. Avec deux cas : des pays qui ont complètement suspendu - c'est ce que nous avons fait hier, c'était aussi l'avis des scientifiques de renforcer le dispositif- ; et puis des pays comme l'Allemagne, par exemple, ou comme l'Italie, encore aujourd'hui, qui n'ont pas suspendu de liaisons mais qui interdisent l'entrée ou mettent en place des dispositifs de quarantaine très durs, ce qui est assez proche de ce que nous faisons.
Q - En clair, vous reposant la question autrement, est-ce que ça a du sens de prendre cette autre, ce genre de mesure si on n'est pas aligné à 27 ?
R - Oui, cela a du sens, parce que cela réduit, quand même, les liaisons, et ce que nous disaient les scientifiques, c'est qu'il fallait aller vers un durcissement. On ne partait pas de rien, il ne faut quand même pas dire qu'on était tout ouvert au Brésil. Depuis plusieurs semaines, depuis le mois de janvier, nous avions imposé, pour le Brésil et un certain nombre d'autres pays, en fait, tous les pays non-européens, un motif impérieux pour voyager, un test PCR négatif, vérifié à l'arrivée.
Q - Oui, vous vous êtes pris une volée de bois vert quand vous avez expliqué qu'il n'y avait que mille personnes qui arrivaient par semaine, cela reste beaucoup.
R - Oui, mais parce que maintenant on nous dit : mais qu'allez-vous faire pour vos ressortissants ? Donc, vous le voyez, il n'y a aucune, moi, je l'assume, il n'y a aucune solution parfaite, et il n'y a aucune solution sans inconvénient. Vous suspendez les vols, vous avez quelques risques de contournement, on les a limités parce que beaucoup de pays européens, je le disais, prennent des mesures. Et puis, il y a nos ressortissants, c'est ce que nous expliquions, à qui on doit trouver des solutions parce qu'ils ont un droit constitutionnel à rentrer sur notre territoire, et ça, c'est normal, c'était d'ailleurs les passagers qui arrivaient encore, ces derniers jours.
Q - Et il va falloir l'organiser pour ceux qu'ils veulent rentrer, dans les jours qui viennent j'imagine.
R - Absolument, c'est ce que nous essayons de faire avec nos ambassades, nos consulats, pour trouver des solutions ad hoc. Il faut qu'il y ait une bonne raison. Mais nos ressortissants ont un droit de rentrer sur le territoire, et cela peut se faire par des vols particuliers ou par des vols indirects.
Q - Si on pousse cette logique plus loin, l'Inde, par exemple, voit l'épidémie bondir de manière exponentielle. Rémi Salomon craint un variant indien ; il est très inquiet. Est-ce que vous pensez qu'il va falloir songer à suspendre les vols en provenance d'autres pays à risques, comme par exemple l'Inde ?
R - D'abord, je le rappelle, c'est très important, pour tous les pays non-européens, cela vaut donc pour l'Inde, on ne peut pas rentrer en France, sauf quand on est français, sans un motif impérieux vérifié à l'embarquement par la compagnie aérienne, et en plus un test PCR négatif à l'embarquement, que l'on vérifie aussi à l'arrivée. C'est très important, parce qu'on a considérablement réduit les flux. S'il y a des variants, - nous vivons malheureusement au rythme de ce virus aussi, et nous nous adaptons -, nous pourrons prendre des mesures supplémentaires.
Mais, aujourd'hui, je ne veux pas faire d'annonce sur des variants ou des évolutions de l'épidémie qu'on ne connaît pas encore. Mais ce qu'on a montré pour le Brésil, c'est qu'on est capable de prendre des mesures d'urgence et de précaution, supplémentaires, quand il y a un risque scientifique et sanitaire.
Q - Est-ce qu'il ne faut pas aller au-delà ? Il y a une chose que les gens ne comprennent pas : pourquoi on n'est pas capable d'imposer un isolement, comme le font certaines démocraties, pour des ressortissants étrangers qui arrivent de pays où l'épidémie a produit des variants, comme c'est le cas du Brésil ou de l'Inde, on vient d'en parler ? Pourquoi on n'est pas capable d'isoler, en arrivant sur le territoire français ?
R - D'abord c'est un des points sur lesquels on réfléchit, notamment pour le Brésil ou pour les pays qui seraient...
Q - Ça fait longtemps qu'on réfléchit.
R - Non, mais je vous explique parce qu'il faut...
Q - Oui, non, mais...
R - On le ferait si c'était si facile que ça. Il y a deux choses : d'abord, en France le Conseil constitutionnel - c'est notre Constitution - a dit dès mai 2020 qu'il y avait les conditions juridiques extrêmement strictes, vérifiées par le juge, pour imposer des quarantaines. Donc, les quarantaines volontaires, on peut le faire ; les quarantaines imposées, c'est très encadré. C'est ainsi. Et puis, même les pays qui le font, souvent ils n'arrivent pas à le vérifier, et donc, on peut le faire pour des petits volumes de passagers, de manière vérifiée, sur des arrêtés préfectoraux, et c'est ce qu'on regarde pour le Brésil et pour certains pays. On ne peut pas le faire de manière généralisée, on peut le faire pour un certain nombre de cas à grands risques, en complément de notre dispositif. Mais j'insiste, pardon d'être un peu détaillé, mais le dispositif "motif impérieux et de vérification des tests", c'est déjà une garantie que personne ne rentre sur notre sol sans une bonne raison et sans une vérification sanitaire.
Q - Sans un contrôle. Mais est-ce que vous dites ce matin : il va falloir quand même qu'on aille plus loin sur l'isolement des ressortissants étrangers qui arrivent sur le territoire ? Vous parlez de la loi et du Conseil constitutionnel, je rappelle que le Conseil d'Etat avait tranché, en expliquant qu'il n'était pas possible de suspendre les vols et d'empêcher des ressortissants français de rentrer sur le territoire. Et cela, vous vous en êtes affranchis pour les vols avec le Brésil. Donc, on peut faire la même chose ?
R - Non, pour être précis, pardon, ce que le Conseil d'Etat a dit, c'est que l'on devait toujours trouver une solution d'accès à nos ressortissants. C'est ce qu'on va faire, ces prochains jours, pour nos ressortissants qui ont une bonne raison de rentrer du Brésil. Et donc, on suspend les vols, c'est une mesure, je l'ai dit, d'urgence et de précaution. Et pour les pays les plus à risque, dont le Brésil, on regarde si on peut avoir, pour ne pas suspendre, pour avoir des cas, comme nos ressortissants qui seraient bloqués, dans la durée, des systèmes plus verrouillés que ce que l'on avait avant...
Q - D'accord, avec un isolement ?
R - Vous auriez le motif impérieux, le test PCR et possiblement l'isolement. Mais l'isolement, vous pouvez le faire, encore une fois, de manière sérieuse, vérifiée...
Q - C'est-à-dire, quatorze jours ?
R - Cela peut être une durée de dix jours ou de quatorze jours, c'est à déterminer. Mais surtout, la question, c'est de le vérifier, et pour le vérifier il n'y a pas un policier derrière chaque passager, il faut donc que ce soit sur des petits volumes de passagers.
Q - Pour boucler la boucle sur ce sujet-là, est-ce que vous souhaitez que l'Europe avance davantage groupée sur ce genre de sujet ?
R - Oui, bien sûr, mais moi, je le dis en tant qu'Européen convaincu, c'est d'abord la santé. Donc, quand il y a besoin d'agir vite, on essaie de coordonner, on fait au mieux, mais on ne fait pas dépendre des 27 nos mesures sanitaires.
Q - Encore les 27, le vaccin Johnson & Johnson verra son déploiement retardé en Europe en raison de six cas de thromboses, notamment aux Etats-Unis, où le vaccin est suspendu, est-ce que cela va nous contraindre de bouger nos objectifs ? Est-ce que cela va ralentir la campagne de vaccination en Europe ?
R - J'espère que non. Pour être précis là-dessus, il y a quelques cas qui ont été recensés aux Etats-Unis. Je précise d'ailleurs que tous les cas qui ont été identifiés, ces publics, sont des cas de moins de 50 ans, et c'est une des raisons pour lesquelles, par précaution, nous avions ciblé ce vaccin sur les personnes de plus de 55 ans. Donc, il n'y a pas de cas au-delà qui ont été avérés. Premier point. Deuxième point, on a demandé une vérification commune à l'Agence européenne des médicaments, qui se réunit aujourd'hui même et qui va nous faire part d'éventuelles recommandations.
Q - Quand ?
R - Dans la journée, j'espère.
Q - D'accord.
R - Dans la journée. Et nous avons reçu, conformément aux objectifs, les 200.000 premières doses de Johnson qui ne sont pas encore administrées, en attendant cet avis.
Q - Et dans ce cas-là, précisément, on a l'air d'avancer groupé. Et puis, il y a d'autres situations dans lesquelles chacun fait ce qui lui plaît. Sur Spoutnik, avec la commande de la Bavière qui a commandé des vaccins russes, AstraZeneca, on prend des décisions communes quand il s'agit de les mettre sur le marché, mais ensuite on prend des décisions chacun de son côté quand il s'agit de les suspendre. Est-ce que là, vous avez un regret dans la gestion de cette crise-là et est-ce qu'il faudra en tirer les leçons, le moment venu ?
R - Bien sûr. J'ai un regret, c'est qu'il n'y avait pas d'Europe de la santé au début de la crise. Et d'ailleurs, je note le paradoxe que certains qui reprochent à l'Europe de pas faire assez, de ne pas faire de manière assez coordonnée, ne veulent pas lui donner les moyens d'agir plus. Moi, je suis pour qu'on ait une Europe de la santé, qui puisse sur des sujets comme cela - pas pour tout, sur des sujets comme ceux-là - donner des recommandations, parfois des décisions communes qui nous permettent de réagir vite et groupés. Ce n'est pas encore le cas, on le fait sur l'achat de vaccins, on le fait sur les recommandations scientifiques, je crois que c'est important, pas encore sur tous les sujets.
Q - Est-ce que vous pensez que Thierry Breton a parlé trop vite quand il a évoqué une immunité collective à la mi-juillet ?
R - Non, je ne crois pas, parce qu'il a fixé un objectif qui était à peu près dans ces eaux-là. Nous on préfère raisonner de manière plus simple et de manière plus maîtrisée. C'est le nombre d'injections qu'on fait. Les dix millions qu'on a dépassés, les vingt millions en mai, et les trente millions en juin.
Q - Est-ce que vous avez des nouvelles du plan de relance européen, des 750 milliards ?
R - Oui.
Q - Cela arrive ?
R - J'espère bien. Cela arrive. Nous attendons - sans entrer dans trop de détails, mais c'est important - nous attendons une décision de la Cour constitutionnelle allemande et nous attendons encore la ratification d'une dizaine de parlements. Je sais que c'est long...
Q - Clément Beaune, cela va trop lentement, vous le savez.
R - Je suis d'accord, mais là aussi, il faut qu'on soit cohérent. Moi, je suis pour une Europe plus rapide, mais il faut accepter que dans certains cas, elle ait donc plus de pouvoir pour être plus rapide. Il faudra aussi en tirer des leçons pour l'après-crise. Mais je tiens aussi à préciser qu'on a cent milliards de plan de relance français, qui intègre de l'argent européen, et là-dessus, on n'a pas pris un jour de retard, on a même commencé à décaisser pour 25 milliards ce plan français qui sera soutenu par l'Europe.
Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 19 avril 2021