Texte intégral
Je suis désolé de ne pas pouvoir être présent parmi vous, je suis cas contact, mais je vais très bien. J'ai été testé négatif, mais je suis confiné encore jusqu'à jeudi. C'est un plaisir d'échanger avec vous, comme à chaque fois, et de répondre à vos questions. J'ai préféré ne pas reporter notre rendez-vous. De plus, la semaine prochaine est très chargée. Se tiendront le Conseil "affaires étrangères" de l'Union européenne et la réunion des ministres des affaires étrangères de l'OTAN à Bruxelles. Ceci aurait trop longuement retardé notre échange. Je pense qu'il est utile que nous nous parlions aujourd'hui, même si c'est moins facile dans cette configuration.
J'évoquerai d'abord la situation au Sahel, puisque la dernière fois que nous nous sommes vus, c'était lors d'un débat en séance publique que vous aviez initié, quelques jours avant le sommet qui s'est tenu à N'Djamena, dont les résultats ont été positifs. Les grands engagements de Pau ont ainsi été réactivés. Je rappelle qu'il y avait 4 piliers définis lors du sommet de Pau : la lutte contre le terrorisme, le renforcement des capacités des forces armées sahéliennes, le soutien au redéploiement des Etats, à la fois des administrations territoriales et des services de base, et, enfin, la stratégie de développement. Ce sommet a ouvert la voie à une amplification de la dynamique impulsée à Pau, d'abord sur le plan opérationnel. Un certain nombre de décisions fortes auront ainsi des effets sur le terrain, tels que le maintien en particulier de l'effort national dans le cadre de l'opération Barkhane, mais aussi l'activation de Takuba. La force conjointe du Sahel continue de se déployer ; les acteurs s'engagent de façon plus marquée, y compris pour mettre en place les financements de la force conjointe.
Le plus important, c'est que le sommet de N'Djamena a marqué, comme je le souhaitais et l'avais indiqué lors de notre échange en séance publique au Sénat, la volonté d'un sursaut civil, d'un sursaut politique et d'un sursaut en matière de développement, quand le sommet de Pau était axé sur le militaire, ce qui a d'ailleurs donné des résultats assez significatifs. Quelques jours avant le sommet de N'Djamena s'est tenue à Kidal une réunion du comité de suivi de l'accord de paix d'Alger, à laquelle j'ai assisté par visioconférence. Ce comité de suivi ne s'était pas réuni depuis longtemps et ne s'était jamais réuni à Kidal, lieu symbolique pour marquer la paix et la réconciliation au Mali. Nous sommes bien évidemment tout à fait convaincus que c'est la mise en oeuvre des dispositions de l'accord d'Alger qui permettra la stabilisation de la situation et une plus grande sérénité dans le nord du Mali. Vous m'avez souvent interrogé sur la place de l'Algérie dans ce processus et sur la volonté algérienne d'aboutir à une pacification au Mali et dans le Sahel. Le fait que ce comité se soit réuni sous présidence algérienne et à Kidal est un acte important et tout à fait symbolique pour marquer la paix et la réconciliation au Mali, auquel la France a participé par mon intermédiaire.
Ce sommet a aussi été marqué par la volonté de mobiliser l'ensemble des acteurs dans le domaine civil, en particulier pour faire revenir les services de l'Etat dans les zones les plus vulnérables et permettre une véritable mobilisation en faveur du développement. Le projet de loi de programmation relatif au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales, dont nous avons déjà beaucoup parlé, y contribuera lorsqu'il aura été définitivement adopté, car il permettra d'engager plus de financements. Mais d'ores et déjà, ce sommet de Kidal s'est caractérisé par la volonté de relancer le projet emblématique de la Grande Muraille verte. Ce projet, qui avait initialement été lancé par les Africains, était un peu à l'arrêt, il est relancé dans le cadre de ce sursaut de développement Nous allons le suivre avec beaucoup d'attention.
La mobilisation internationale en faveur du Sahel est forte, je l'avais souligné lors de notre débat précédent, c'est une réalité, à tel point que la coalition internationale pour le Sahel, mise en oeuvre après le sommet de Pau, se réunira à Berlin vendredi prochain, en format un peu "hybride". J'y vois le signe de la dimension européenne et internationale de notre action commune. Aujourd'hui, 60 pays et organisations sont membres de cette coalition. Je suis plutôt optimiste à la suite de ce sommet de N’Djamena, car on a senti une réelle volonté commune de permettre un véritable sursaut civil et politique au Sahel.
Je dirai à présent quelques mots sur le Moyen-Orient. Il y a dix ans débutait la crise syrienne, après les manifestations de Deraa. J'aborde ce sujet avec beaucoup de gravité car après une décennie de chaos et d'atrocités, la situation en Syrie reste extrêmement incertaine. Malgré la reconquête territoriale progressive, systématique par Bachar el-Assad, la Syrie connaît l'une des crises humanitaires les plus graves depuis la Seconde Guerre mondiale. Au total, 400 000 personnes ont perdu la vie. Et aujourd'hui, plus de la moitié des Syriens, soit 13 millions de personnes, sont réfugiés ou déplacés.
Deux zones échappent aujourd'hui encore à l'influence de Bachar el-Assad. La province d'Idlib au nord-ouest est divisée entre le régime et des groupes d'opposition, en partie terroristes, en particulier le groupe Hayat Tahrir al-Cham. Une partie de ces groupes sont contrôlés par la Turquie, dans une zone où vivent près de 4 millions d'habitants, ce qui n'est pas rien, sachant qu'une grande partie de la population syrienne a quitté le pays. Par ailleurs, la zone nord-est reste pour l'essentiel sous le contrôle des forces démocratiques syriennes, dominées par les Kurdes du PYD (Parti de l'Union démocratique). Cette région est une zone d'influence entre la Turquie, qui conserve une zone tampon le long de sa frontière, le régime de Bachar el-Assad et la Russie, qui y effectuent des patrouilles. C'est aussi une zone extrêmement sensible puisque Daech essaie de reprendre pied dans les zones de peuplement arabe de ce secteur.
Soyons clairs : après dix ans, la victoire du régime est en trompe-l'oeil. Dans toutes les zones placées sous son contrôle règnent l'instabilité, la criminalité, la prédation des milices, et dans certains endroits plane la menace d'une résurgence du terrorisme. Force est de constater que le dispositif initié à Genève, dans le cadre du comité constitutionnel, est lui aussi en trompe-l'oeil. On le voit, le processus électoral sera biaisé, puisque les conditions posées dans la résolution 2254 du Conseil de sécurité de l'ONU ne seront pas réunies, à savoir la tenue de "vraies" élections, le retour sûr et volontaire des réfugiés et la libération des prisonniers détenus arbitrairement. Ce sont les conditions d'une véritable transition politique en Syrie, mais nous sommes loin du compte aujourd'hui.
Pour notre part, nous sommes engagés dans des actions afin que les crimes les plus graves commis en Syrie ne demeurent pas impunis. Nous soutenons la commission d'enquête internationale, dite commission Pinheiro, qui a été mise en place par le Conseil des droits de l'homme en 2011 et le mécanisme international, impartial et indépendant, créé par la résolution de l'Assemblée générale des Nations unies. Nous continuons d'apporter une aide humanitaire et de soutenir, au Conseil de sécurité, la mise en oeuvre de la résolution 2254.
J'évoquerai à présent la Libye, qui est l'une de nos priorités, car les conséquences potentielles de cette crise pour la France et pour l'Union européenne sont majeures en matière de sécurité comme en matière migratoire. Ses conséquences sont également majeures pour la stabilité au Sahel, en Afrique du Nord et en Méditerranée.
Pour une fois, les nouvelles sont bonnes : la Libye a désormais un gouvernement, dirigé par Abdelhamid Dbeibah, dont la désignation a été validée par un vote de confiance de la Chambre des représentants. C'est un succès sans précédent de l'initiative prise par les Nations unies dans le cadre du forum politique qui s'est réuni à Genève et que nous avons nous-mêmes fortement soutenue. Nous avons eu de nombreux entretiens, tant le Président de la République que moi-même, avec les nouveaux responsables libyens afin d'aboutir à cette légitimation. Les Allemands et les Italiens ont également joué un rôle très important à cet égard. Cela faisait longtemps qu'il ne s'était pas produit quelque chose d'aussi positif en Libye, même s'il est peut-être encore trop tôt pour parler de moment historique.
Le nouvel envoyé spécial du secrétaire général en Libye, et chef de la Mission d'appui des Nations Unies en Libye (MANUL), Jan Kubis était à Paris la semaine dernière. Nous nous sommes entretenus sur la suite du processus qu'il faut maintenant surveiller attentivement. Ainsi, le gouvernement de transition doit préparer les élections, qui devraient avoir lieu le 24 décembre prochain, et mettre en oeuvre le cessez-le-feu conclu en octobre dernier afin que la route entre Syrte et Misrata puisse être ouverte et que les milices extérieures puissent retourner dans leurs pays d'origine, en particulier en Turquie et en Russie. Dans l'immédiat, il faut mettre en oeuvre des mesures de confiance, faire en sorte que la réforme de la gouvernance économique puisse être engagée et éviter les obstructions de la part de ceux qui voudraient un retour en arrière. La route est encore longue, mais une étape significative a été franchie et l'on peut faire preuve d'un espoir prudent. Manifestement, les acteurs libyens sont las de la période de conflictualité qu'a connue leur pays et sont conscients de la nécessité d'avoir un gouvernement légitime afin de mettre fin à la guerre civile grâce au processus électoral prévu pour la fin de l'année 2021.
Je dirai aussi quelques mots sur la crise avec l'Iran. Nous pensons qu'il faut saisir l'opportunité que constitue la volonté des Etats-Unis de revenir dans l'accord de Vienne, et cela même si aujourd'hui, les graves tensions dans le Golfe ne sont pas sans rappeler la crise que nous avions connue à l'été 2019. Les activités nucléaires iraniennes se développent en violation de l'accord nucléaire de Vienne : l'Iran a repris l'enrichissement de l'uranium à 20 %, renforcé son secteur de la recherche et du développement, suspendu l'application du protocole additionnel de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA). Parallèlement sont observées des attaques déstabilisatrices en Irak et en Arabie saoudite. Il est impératif d'engager une désescalade des tensions. Des rencontres informelles sont nécessaires pour permettre le retour des Etats-Unis dans l'accord de Vienne. L'Iran, pour sa part, doit renoncer aux désengagements qu'il a effectués depuis 2018.
Nous travaillons beaucoup sur cette approche avec nos partenaires allemands et britanniques, dans le cadre du groupe UE-3. Nous avons eu de nombreuses discussions en visioconférence sur ce sujet avec le secrétaire d'Etat Antony Blinken. C'est à la suite de l'une de ces discussions que les Etats-Unis ont fait savoir publiquement qu'ils avaient pour objectif de revenir dans le JCPoA. Les discussions se poursuivent et nous envoyons des signaux aux Iraniens. Au-delà du JCPoa, nous espérons également pouvoir avoir avec eux des discussions sur les risques de déstabilisation régionale, mais aussi sur l'ensemble des questions liées à la capacité missilière de l'Iran, mais nous n'en sommes pour l'instant qu'aux souhaits et aux intentions. Nous devons également tenir compte, au-delà de considérations tactiques, de la situation interne de l'Iran, où l'élection présidentielle aura lieu au mois de juin.
Plus largement, nous sommes dans une nouvelle donne transatlantique et nous sommes déterminés à avancer avec la nouvelle administration américaine. On assiste à un changement d'état d'esprit depuis l'entrée en fonction du président Biden. Nous allons pouvoir aller de l'avant ensemble et bâtir une nouvelle relation transatlantique entre une Europe qui assume sa puissance et des Etats-Unis qui assument leurs responsabilités. Les défis ne manquent pas. J'ai eu plusieurs entretiens avec mon homologue américain depuis son arrivée, le dernier ayant eu lieu dimanche dernier.
J'observe néanmoins que les premiers déplacements du secrétaire d'Etat américain ont eu lieu en Asie, au Japon et en Corée. Par ailleurs, Antony Blinken doit rencontrer notre homologue chinois dans quelques jours, avant de venir en Europe la semaine prochaine pour la réunion des ministres des affaires étrangères de l'OTAN.
Cela étant, j'ai reçu John Kerry la semaine dernière à Paris pour préparer la COP26 de Glasgow, qui sera décisive pour le respect de l'accord de Paris, car elle doit permettre d'aboutir à l'annonce de nouvelles contributions déterminées au niveau national (CDN), notamment de la part des grands émetteurs de gaz à effet de serre que sont la Chine, l'Inde et les Etats-Unis. Cette réunion devra aussi préserver la dynamique en matière de "finance climat" au-delà de 2025 de la part des pays développés. Enfin, elle permettra de finaliser les règles de mise en oeuvre de l'accord de Paris lié au marché carbone. Nous avons un grand chantier devant nous. Les Etats-Unis vont organiser un sommet préparatoire à la COP26 le 22 avril prochain. Ils devraient alors logiquement confirmer leur retour dans l'accord de Paris et annoncer des initiatives financières, mais aussi le niveau d'ambition qu'ils comptent proposer.
Il importe que nous puissions décliner la nouvelle donne transatlantique dans tous les domaines, en renforçant la souveraineté européenne. Cette nouvelle donne vaut également dans le domaine commercial, dans le conflit entre Airbus et Boeing, les droits de douane ayant été suspendus. Il s'agit d'une trêve pour l'instant, mais nous devons tout faire pour dépasser dans le délai imparti de quatre mois ce conflit, qui a pour effet induit de favoriser l'industrie aéronautique chinoise. Nous devons aussi profiter de cette trêve pour mettre sur la table les autres différends qui pèsent inutilement sur les relations commerciales transatlantiques. Je pense aux différends sur l'acier et l'aluminium ou sur la fiscalité du numérique. L'état d'esprit est plutôt positif même s'il est encore un peu tôt pour constater des avancées dans ces domaines.
Il faut constater que l'Europe qui discute aujourd'hui sur la refondation du lien transatlantique n'est plus la même qu'il y a quatre ans. Elle est plus déterminée à affirmer sa souveraineté, sa puissance, à être un partenaire des Etats-Unis. Nous avons dit à plusieurs reprises à Antony Blinken qu'il était préférable pour les Etats-Unis d'avoir un allié fort qu'un allié dépendant. Je le dis pour répondre à votre préoccupation, Monsieur le Président, lors de l'entretien qu'Antony Blinken a eu avec les ministres des affaires étrangères des Vingt-Sept en visioconférence, il a insisté particulièrement sur la nécessité d'avoir une Union européenne unie et partenaire, y compris dans le domaine stratégique. C'est un discours que nous n'avions pas entendu depuis longtemps, peut-être même jamais entendu, du moins avec cette force et cette détermination.
J'en viens à la Birmanie. Le récent coup d'Etat a marqué un arrêt brutal du processus de démocratisation que la France et l'Union européenne soutenaient depuis une décennie. La dégradation de la situation en Birmanie s'accélère. L'armée birmane se rend coupable de crimes contre la population du pays. Les violations des droits de l'homme se sont encore accentuées ces jours derniers. Les arrestations et le nombre de morts ne cessent de croître, dans un contexte de répression brutale. Face à cette situation inacceptable, l'Union européenne a réagi avec beaucoup de fermeté et d'unité. Nous avons ainsi solidairement condamné le coup d'Etat dès qu'il s'est produit, mais nous avons aussi adopté des sanctions fortes contre ses responsables. Ces sanctions seront validées lundi prochain lors du conseil des ministres des affaires étrangères et mises en oeuvre très rapidement. Elles comprennent évidemment la suspension de tout soutien budgétaire aux programmes gouvernementaux, en veillant à préserver la population civile, mais également des mesures visant très directement les responsables du coup d'Etat militaire et leurs propres intérêts économiques.
Nous faisons aussi en sorte que des prises de position soient actées par le Conseil de sécurité et le Conseil des droits de l'homme. Cela a abouti, lors de la réunion de l'Assemblée générale des Nations unies, le 26 février, à une prise de position très forte. Nous sommes également en relation avec les membres de l'Association des nations de l'Asie du Sud-Est (Asean) et je m'entretiens régulièrement avec mes homologues singapourien, indonésien et malaisien. Une pression internationale est nécessaire, en plus des sanctions.
Voilà ce que je tenais à vous dire pour commencer. Je comptais aborder d'autres sujets, mais j'ai déjà été très long. Aussi je vous propose d'évoquer maintenant les différents sujets qui vous préoccupent en répondant à vos questions.
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Je vais commencer par l'Afrique. Les processus électoraux y sont toujours extrêmement sensibles, et il faut veiller à ce que les élections se déroulent dans la transparence, ce qui n'est jamais simple, tant chaque pays a sa propre histoire ! Mais il y a tout de même, de temps en temps, de bonnes nouvelles. Je pense à la Côte d'Ivoire. Le décès du Premier ministre Bakayoko a fait suite à celui du Premier ministre Coulibaly en juillet dernier. Ces deux décès brutaux ont amené le président Ouattara à se représenter, reprenant l'étiquette du Rassemblement des Houphouëtistes pour la démocratie et la paix. Or ces élections se sont déroulées convenablement. Tout le monde y a participé, ce qui n'était pas arrivé depuis dix ans, qu'il s'agisse du Parti démocratique de Côte d'Ivoire-Rassemblement démocratique africain, du Front populaire ivoirien. Manifestement, les résultats ne font pas l'objet de trop de contestations, et tout s'est passé dans le calme, même si quelques tentatives de fraude ont été rapportées. L'enjeu sera de savoir si le président Ouattara fera de nouveaux gestes de réconciliation, notamment sur la question des exilés. Ce sujet est de la responsabilité des autorités ivoiriennes. Je tiens en tous cas à rendre hommage au Premier ministre Bakayoko qui vient de décéder. C'était un homme très populaire, et sa disparition est un coup dur, qui nous place dans une nouvelle situation d'incertitude. Mais la base démocratique a tenu, et la situation reste calme.
Au Niger, malgré des contestations et quelques violences, une commission électorale indépendante est en place et le processus s'est déroulé convenablement. C'était un engagement du président Issoufou, qui avait annoncé publiquement qu'il n'irait pas solliciter un troisième mandat, et qu'il respectait le principe des deux mandats, qui fait l'objet d'une forme de jurisprudence morale en Afrique. L'installation du nouveau président, M. Bazoum, aura lieu dans quelques jours. La France y sera évidemment représentée. C'est un bel exemple de ce à quoi l'on peut aboutir avec une discipline politique et morale suffisamment forte. Pour l'instant, la Cour constitutionnelle n'a pas donné les résultats officiels, mais tout laisse à penser qu'ils seront validés et que M. Bazoum succédera à M. Issoufou. C'est une avancée significative du processus électoral nigérien. Pendant cette période électorale, il y a eu à plusieurs reprises des offensives ethniques. Mais, pour l'instant, la situation semble stabilisée.
Au Tchad, les élections vont avoir lieu en avril. Il importe qu'elles se déroulent dans les mêmes conditions. Ces deux exemples positifs peuvent inspirer les autorités tchadiennes. Ils montrent que le processus peut se dérouler convenablement, à condition que le corps électoral soit bien mobilisé, que la transparence soit garantie et qu'aucune pression ne soit exercée. Le président Deby en est à son sixième mandat. Il y aura des élections législatives en octobre prochain. Nous souhaitons que le processus se déroule dans les meilleures conditions de transparence et de sécurité, singulièrement à N'Djamena, où se trouve l'Etat-Major de la force Barkhane, et où l'on a déploré, ces derniers jours certaines violences.
Quant au Sénégal, et à la poussée de fièvre autour de M. Ousman Sonko, je n'ai pas à me prononcer sur le processus judiciaire sénégalais dans lequel ce dernier est impliqué : c'est à la justice sénégalaise de mener à bien les poursuites qu'elle a engagées. La situation est un peu paradoxale. Car ce pays a plutôt bien géré la crise sanitaire, il affiche une croissance significative, et pourtant, on aboutit à ce mouvement très violent. Il s'est heureusement calmé après l'intervention publique du président Macky Sall et son annonce à l'égard de la jeunesse. Les frustrations occasionnées par les faibles débouchés sur le marché de l'emploi, alors que le taux de scolarisation augmente, entraînent une hausse du sentiment d'inégalité. Pourtant, le président Macky Sall avait obtenu le ralliement d'Idrissa Seck, second à la dernière présidentielle. M. Sonko, qui était arrivé troisième, devient le principal opposant à Macky Sall. Le sentiment anti-français s'est manifesté à plusieurs reprises, y compris par des actions contre la présence économique française à Dakar. Il convient néanmoins de noter que ce sentiment anti-français n'a pas été dominant ou exclusif : d'autres enceintes internationales ont été visées.
Tout cela renvoie à la question du développement de l'Afrique, et le sommet du 18 mai prochain sur le financement des économies africaines, initié par le Président de la République, sera un moment très important : il faudra donner des signes de confiance forts à l'égard des Africains. Après cette pandémie, il faut qu'ils puissent reprendre leur activité économique et renforcer leur capacité de développement. C'est aussi l'un des objectifs de la loi sur le développement, que le Sénat sera amené à étudier très prochainement.
Nous sommes aussi très préoccupés par la Corne de l'Afrique, et en particulier par l'Ethiopie.
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Vous m'interrogez sur la prolifération des armes. Bien évidemment, il y a dans la région du Sahel des trafics qui existent depuis très longtemps : d'armes, de drogue, d'êtres humains, de candidats au départ, d'exilés... Tout cela rapporte de l'argent, et une partie des affrontements qu'on peut constater ont lieu entre groupes rivaux pour le contrôle de la manne de ces trafics. C'est pourquoi la stabilisation de la Libye est indispensable, tout comme l'accompagnement des Etats dans leur dispositif de contrôle, de douanes, de police, de justice. C'est ce que j'évoquais tout à l'heure en parlant de la reprise des compétences des Etats sur l'ensemble de leur territoire, sitôt ce dernier libéré de la présence de groupes terroristes.
Vous avez soulevé la question des frontières. Jean-Baptiste Lemoyne doit rencontrer demain les sénateurs représentant les Français de l'étranger. Le décret est suspendu, car le Conseil d'Etat a considéré qu'il portait une atteinte disproportionnée au droit fondamental, qu'a tout Français d'accéder au territoire national, essentiellement en raison du flux limité de voyageurs concernés. Nous en prenons acte, et prochainement, seront publiées, par le ministère de l'intérieur, de nouvelles attestations tirant les conséquences de la suspension des motifs impérieux pour les Français et leurs conjoints.
Il faut être vigilant sur le processus à venir en Libye. C'est la première fois qu'un gouvernement est légitimé par les Libyens, par une instance dont chacun reconnaît la représentativité. Le forum politique s'est constitué, et il a produit un gouvernement désormais validé par une Chambre des représentants. La responsabilité du Premier ministre est considérable. Il faut l'aider à mettre en oeuvre l'ensemble des dispositions nécessaires à la tenue d'élections d'ici la fin de l'année. La tâche est énorme, et certains seraient ravis de faire en sorte qu'il revienne en arrière ! Je l'ai eu au téléphone, et nous le soutenons, de concert avec les Allemands et les Italiens - et en concertation avec les Egyptiens. Tout le monde voit l'intérêt de sortir de la crise par ce gouvernement validé par la chambre des représentants, dite Parlement de Tobrouk mais qui s'est réunie à Syrte, ce qui est un signe politique supplémentaire d'unité. Le retrait progressif, prévu par le cessez-le-feu du 23 octobre dernier, des mercenaires, notamment syriens, et des sociétés militaires privées et forces militaires étrangères, notamment turques et russes doit avoir lieu rapidement.
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Vous connaissez l'attention particulière que nous portons aux chrétiens d'Orient, en particulier au Liban, mais aussi en Irak. L'importance du voyage du Pape en Irak, à cet égard, a été très significative. Nous continuons à assumer nos responsabilités. Lorsque je me suis rendu à Beyrouth au mois de septembre, j'ai annoncé une aide très substantielle pour les écoles du Liban. En Irak, nous avons une attention toute particulière pour les reconstructions, notamment à Mossoul et dans les zones chrétiennes qui ont été victimes des actions de Daech.
Au Liban, d'une manière générale, la situation devient épouvantable. Il faut maintenant 15 000 livres libanaises pour un dollar. Le niveau de pauvreté est insupportable, et la population commence à manifester. Aucune réforme n'est mise en oeuvre, évidemment, puisque le Premier ministre désigné Saad Hariri n'a toujours pas formé son gouvernement. J'y suis allé deux fois avec le Président de la République cet été, après l'explosion, et trois fois en tout. Les principaux responsables politiques nous faisaient part de leur volonté d'agir ensemble pour constituer un gouvernement d'union inclusif et pour faire les réformes sur le contenu desquelles toute la communauté internationale s'accorde. Personne n'aidera financièrement le Liban si ces réformes ne sont pas faites. Or, nous sommes au point mort. Voilà sept mois qu'on nous annonce un gouvernement, et sept mois que rien ne bouge. Un certain nombre d'acteurs semblent avoir la volonté de faire durer, en attendant des élections qui doivent se produire en 2022. Cela ne tiendra pas jusque-là, et le pays est en danger de mort. Je compte prendre des initiatives dans les jours qui viennent pour accroître fortement de la pression afin de pousser à sortir de cette impasse une classe politique aujourd'hui complètement déconsidérée.
Sur l'Afghanistan, je ne me prononcerai pas avant que nous n'ayons entendu M. Blinken la semaine prochaine à Bruxelles. Il doit nous faire part alors de ses intentions à l'égard de l'OTAN aussi. J'ai entendu des discours différents, à ce stade. Je me suis entretenu ce week-end avec M. Blinken sur ce sujet, et il m'a dit que pour l'instant, sa position n'était pas encore tout à fait clarifiée. Je reste prudent, donc, et toutes les options sont encore ouvertes.
Fariba Adelkhah, à force de pressions des uns et des autres, a été mise en liberté provisoire, mais avec des conditions strictes de surveillance. Nous considérons que les motifs de poursuite - atteinte aux intérêts de l'Etat - ne sont pas admissibles, et nous continuerons à agir pour qu'elle retrouve sa liberté pleine et entière. Nous faisons régulièrement pression auprès des autorités iraniennes à cette fin.
Sur le projet socle, nous avons mobilisé de gros moyens financiers pour impulser un sursaut de développement dans le Sahel. L'objectif principal est d'éviter qu'on travaille en silos. Aujourd'hui, les projets de développement sont menés par tel ou tel organisme, international, européen, ou de tel ou tel pays. Il importe au contraire de promouvoir une gestion territoriale du développement. La grande décision prise à N'Djamena lors de la réunion de l'Alliance pour le Sahel a été de pousser à une territorialisation du développement sur les parties les plus fragiles du Sahel. Cela imposera de discipliner certaines susceptibilités...
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S'agissant de la Syrie, Londres sanctionne, seule, parce qu'elle est désormais hors de l'Union européenne. L'Union européenne, elle, sanctionne depuis longtemps le régime syrien, de manière très vigoureuse, par toute une série de mesures. Les entreprises qui travailleraient avec le régime syrien tomberaient sous le coup de sanctions de l'Union européenne, et nous participons au mécanisme qui identifiera les crimes commis par le régime, à la fois par la commission Pinheiro et par le mécanisme IIIM (Mécanisme international, impartial et indépendant) des Nations unies. Bref, nous documentons, et nous sanctionnons.
Sur l'Azerbaïdjan, nous suivons la situation avec attention, tout comme en Arménie. Il y a eu une crise interne qui n'est pas encore tout à fait réglée, avec la volonté du Premier ministre Pachinian d'aller aux élections anticipées, et ses difficultés intérieures avec l'armée. En Azerbaïdjan comme en Arménie, nous souhaitons faire en sorte que le cessez-le-feu soit respecté. Tout n'est pas réglé : la question des prisonniers de guerre, notamment, n'est pas résolue, malgré quelques progrès, comme la libération de Mme Maral Najarian par Bakou. Nous devons poursuivre sur la base de l'accord tripartite du 9 novembre dernier. Nous continuons à jouer notre rôle dans le cadre de la coprésidence du Groupe de Minsk de l'OSCE. Nous sommes surtout vigilants sur l'accès au Haut-Karabakh, où nous poussons pour le désenclavement, indispensable pour les populations. Nous parlons avec les uns et les autres, y compris avec les autorités d'Azerbaïdjan. Le secrétaire d'Etat Jean-Baptiste Lemoyne s'est rendu dans les deux pays, à ma demande, pour faire avancer le cessez-le-feu, retrouver la paix et commencer à faire en sorte que le développement soit au rendez-vous, dans une situation qui reste assez fragile.
Sur la situation au Liban, j'ai beaucoup échangé avec le patriarche Raï, car j'ai une grande considération pour sa stature morale dans le pays et sa volonté de préserver la souveraineté du Liban. Je comprends son impatience. Mais l'idée d'une conférence internationale soulève des questions : comment une telle conférence pourrait-elle régler les problèmes du pays, si celui-ci ne parvient même pas à se doter d'un gouvernement ? Tout doit commencer par là. Nous avons déjà organisé deux conférences internationales sur le Liban à Paris. Mais le point de départ reste que les responsables politiques libanais se rendent compte qu'ils doivent dépasser leur logique de clan et sortent de leur pré carré pour faire en sorte que l'intérêt collectif et l'intérêt du pays soient pris en compte. Nous allons le leur redire avec force. Les Libanais aussi doivent faire pression sur eux. Vous avez raison, par ailleurs, de souligner le rôle de l'armée libanaise, qui est actuellement la colonne vertébrale du pays. Elle tient le coup pour l'instant, même si des questions se posent sur les financements nécessaires pour payer ses soldats !
Vous avez évoqué l'AFE et les soutiens aux ressortissants français résidant à l'étranger. Je suis très attaché à la mobilisation des financements que nous avons obtenus l'année dernière et qui ont été prolongés cette année, par le versement notamment d'un secours occasionnel de solidarité aux ressortissants français résidant à l'étranger et en difficulté. Vous pouvez bien entendu faire vos propositions de répartition des financements à Jean-Baptiste Lemoyne.
Sur la Birmanie, M. Franck Riester, ministre délégué, vous répondra demain puisque je serai empêché. Vous connaissez notre fermeté à l'égard de la junte militaire et sur la question de la représentation du gouvernement. Nous sommes toujours en lien avec Mme Aung San Suu Kyi et les représentants du gouvernement élu.
Les Britanniques ont fait le choix souverain d'une montée en puissance de leur arsenal nucléaire, au regard de la dégradation du contexte international, dans le cadre de la révision de leur revue stratégique, qui a lieu régulièrement. Nous sommes souverains aussi, et le Président de la République a tenu un discours à l'Ecole de guerre sur ce sujet il y a quelques mois - chaque Président fait au cours de son quinquennat un discours sur l'enjeu nucléaire militaire de la France. Il a indiqué à plusieurs reprises que notre arsenal était dans la stricte suffisance, avec le seuil des 300 armes.
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On voit dans le monde les démocraties subir des revers considérables. Vous faites à bon droit le lien entre la Birmanie et la Russie : dans les deux cas, on observe un arrêt du processus démocratique, ou un renoncement démocratique, une dérive autoritaire. Au fond, nous sommes dans un affrontement de modèles, qui n'a jamais été aussi fort et qui peut ouvrir la voie aux pires dérives et aux pires régressions. Cet affrontement de modèles se caractérise par une information instrumentalisée, voire manipulée. Certains cherchent à imposer de nouvelles dépendances aux pays les plus fragiles. Et l'on constate des violations des Droits de l'Homme, ou le balayage d'élections par des coups de force. Les démocraties doivent se protéger de ces risques et étendre leur politique d'influence. Cela passe par le développement, la bataille de l'information, de la culture, mais aussi par l'unité de l'action de l'Europe dans les crises.
La Russie est dans une forme de dérive autoritaire, comme je l'ai déjà dit publiquement. Notre réponse, nos sanctions ne sont pas secondaires. Elles font suite à un autre train de sanctions pris en octobre dernier, qui comporte des interdictions de voyage, des gels d'avoirs, et une dénonciation publique. La Russie semble faire fi des conséquences de ces sanctions, parce que cette dérive autoritaire amène les responsables de la Russie à s'intéresser d'abord à leur situation intérieure, et à ne pas prêter attention à leur image extérieure et aux conséquences de leurs actes. Mais les sanctions posent des problèmes difficiles à certains responsables. Le gel d'actifs dans toute l'Union européenne n'est pas secondaire - on le voit bien aussi pour la Syrie. Je suis très déterminé à ce que des sanctions ciblent des individus, mais aussi des entités, pour manifester notre rejet et notre indignation, notamment dans le cas de l'affaire Navalny.
Nous avons des réserves connues sur le projet Nord Stream 2. Nous avons eu des discussions fortes avec les Allemands sur ce sujet car, car cela place l'Union européenne en dépendance et menace sa souveraineté stratégique et énergétique. Bien sûr, ce sujet concerne avant tout l'Allemagne et la Russie, mais nous disons très librement aux Allemands notre manière de voir sur ce sujet.
Dans la Corne de l'Afrique, ce qui est le plus préoccupant, c'est la situation humanitaire. Près de 4 millions de personnes ont besoin d'aide alimentaire. La pression internationale a enfin conduit les autorités éthiopiennes à faire des concessions sur l'accès humanitaire, mais ce n'est pas suffisant, et nous travaillons avec nos partenaires européens et américains pour obtenir l'accès humanitaire nécessaire pour secourir et seconder ces populations. Il faut aussi que les troupes érythréennes quittent le Tigré, et que des enquêtes indépendantes soient conduites pour faire toute la lumière sur la situation. Amnesty International a documenté des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité. Nous sommes donc extrêmement déterminés à faire avancer des enquêtes indépendantes. Nous avons des relations avec les autorités d'Ethiopie, et le Président de la République a fait valoir cette nécessité. Le Conseil de sécurité a déjà évoqué cette question il y a quelques jours, lors de sa réunion du 4 mars. Nous comptons continuer à mettre de la pression pour que des enquêtes soient diligentées le plus rapidement possible sur les crimes commis dans sa région, avec l'appui de la Haute-commissaire des Droits de l'Homme et de la Cour africaine des Droits de l'Homme. Nous sommes aussi très déterminés à faire aboutir l'aide humanitaire massive dont les populations de la région ont besoin.
Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 20 avril 2021