Entretien de M. Franck Riester, ministre du commerce extérieur et de l'attractivité, avec Sud Radio le 7 mai 2021, sur les brevets des vaccins contre le coronavirus, la politique commerciale européenne et les pêcheurs français confrontés au Brexit.

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  • Franck Riester - Ministre du commerce extérieur et de l'attractivité

Texte intégral

Q - Bonjour Franck Riester.

R - Bonjour Patrick Roger.

Q - Beaucoup de questions, c'est vrai, sur le commerce etc., les échanges alors qu'il y a la reprise qui arrive. Juste d'un mot avant, avec la crise du Covid aussi, le débat s'est ouvert sur les brevets des vaccins. La France était contre la levée des brevets, Joe Biden s'est prononcé pour une suspension afin de permettre l'accès au plus grand nombre dans le monde entier. C'est aussi un enjeu commercial important. Quelle est votre position, vous ?

R - Moi, la position de la France est claire, on veut absolument faire en sorte que le monde entier puisse accéder le rapidement possible aux vaccins, et c'est le président de la République lui-même qui était à la manoeuvre, à l'initiative, de notamment l'initiative COVAX, pour réunir des pays dans le monde, pour faciliter l'accès aux vaccins, pour mettre des moyens pour acheter des doses ou faire don de doses, pour permettre la production et la distribution des vaccins.

Q - C'est-à-dire que...

R - Et je voudrais dire que la question juridique des brevets est finalement un élément assez mineur par rapport au reste de la problématique des moyens mobilisés pour permettre la production des vaccins et leur distribution partout, et notamment en Afrique, en Asie, dans un certain nombre de pays qui n'ont pas aujourd'hui d'industrie pharmaceutique, d'industrie du médicament qui permette de prendre ce vaccin.

Q - Mais, elle se pose quand même cette question, non, suspension de...

R - Oui, alors elle est au coeur des discussions de l'OMC...

Q - Non, mais Franck Riester, d'un mot, ce n'est pas aussi clair que ça de la part du gouvernement, parce qu'il y a quelques semaines vous n'étiez pas forcément sur cette position, j'ai vu des votes à l'Assemblée nationale.

R - On dit depuis le départ qu'il y a dans les règles internationales, dans le droit international, la possibilité d'ores et déjà de faire des exceptions à la propriété intellectuelle, pour permettre la diffusion très large de vaccins et la production très large de vaccins. Et donc on peut créer spécifiquement quelque chose pour le Covid 19, mais encore une fois on a les moyens juridiques dans le droit international pour le faire d'ores et déjà.

Le problème n'est pas là. Le problème, c'est comment on fait par exemple pour avoir suffisamment de doses ? On a eu ce problème en début d'année, maintenant ça va beaucoup mieux. Hier on avait encore 600.000 doses qui ont été vaccinées en France, donc on voit que la capacité de produire augmente, et tant mieux, et cela va s'accélérer dans les mois qui viennent. Mais la vraie problématique c'est bien cette problématique de production et ensuite de distribution, parce que produire un vaccin c'est quelque chose de très complexe, et donc c'est pour ça que la France était mobilisée et continue à être mobilisée. Elle le sera encore plus demain, pour faire en sorte qu'on trouve les voies et moyens pour produire partout dans le monde, et distribuer partout dans le monde...

Q - Y compris avec SANOFI ?

R - Y compris avec SANOFI.

Q - Parce que bon, il y a eu du retard.

R - Non mais SANOFI par exemple est très impliqué dans une usine de vaccins en Afrique du Sud, j'ai moi-même quand je me suis rendu en Afrique du Sud, visité cette usine et donc on voit bien qu'il y a une volonté très forte de la France et des entreprises pharmaceutiques françaises, d'aller vers une production, une diffusion massives de ce vaccin.

Tant mieux si les Etats-Unis se joignent à cet effort collectif, leur puissance et leur leadership aidera.

Q - Franck Riester, la crise du Covid a aussi relancé les questions de dépendance commerciale et d'échanges. Il y a quelques semaines à ce même micro vous aviez dit: attention, face à la Chine il faut arrêter d'être naïf. Il y a toujours une forme de concurrence déloyale, comment comptez-vous limiter l'influence de la Chine aujourd'hui en Europe notamment ?

R - Effectivement, il faut bâtir la politique commerciale européenne du XXIe siècle, pour ça il faut arrêter d'être naïf, il faut être beaucoup plus à la manoeuvre pour protéger nos entreprises, c'est tout ce que le Président de la République insuffle au niveau européen et qui commence à porter ses fruits. Vous avez vu que cette semaine la Commission européenne a présenté un projet d'instrument européen, qui permettra à l'Europe d'empêcher un certain nombre d'entreprises chinoises de racheter des entreprises européennes ou de participer à des marchés publics européens. S'ils sont subventionnés par les Etats, l'Etat chinois quand ce sont des entreprises chinoises, ou d'autres Etats, qui...

Q - C'est difficile de savoir, d'ailleurs, qui finance en Chine.

R - Eh bien nous aurons les moyens de pouvoir savoir ça et de bloquer ces investissements. Comme nous travaillons aussi à la possibilité de réagir tout de suite à des pays qui appliqueraient des tarifs douaniers d'une façon forte, contre l'Europe, alors même qu'aujourd'hui nous n'avons pas les moyens juridiques pour pouvoir réagir fortement. L'Europe doit affirmer sa souveraineté, l'Europe doit affirmer sa puissance. On a besoin d'échanges commerciaux, mais sûrement pas à n'importe quel prix et en défendant mieux nos entreprises. C'est ce qu'on fait concrètement à l'initiative, pardon de le dire, mais du président de la République, c'est grâce au leadership du Président Macron qu'on arrive à faire bouger les lignes en Europe.

Q - Tous les Européens ne sont pas forcément sur la même ligne ?

R - Je peux vous assurer que...

Q - C'est difficile. Les Allemands plutôt...

R - Le 20 mai j'ai un Conseil des ministres Commerce en Europe, on va avoir des discussions parfois un peu rudes, parce que c'est vrai qu'il y a un certain nombre de pays qui ont encore une vision très libérale de la politique commerciale européenne, qui refusent de peut-être mieux se défendre...

Q - Vous visez qui, quel pays ?

R - Un certain nombre de pays du Nord, d'Europe de l'Est, parfois on a des discussions comme celle-là avec l'Allemagne, et donc qui refuse peut-être de mettre plus de moyens et d'outil au service de la défense et la protection de nos entreprises, et puis on a besoin aussi de faire en sorte que des préoccupations autres que commerciales et économiques, soient partie prenante des politiques commerciales européennes, je veux parler par exemple du développement durable. Pourquoi la France refuse en l'état de signer l'accord de libre-échange avec le Mercosur, les pays d'Amérique du Sud ? Et bien parce qu'on ne peut pas augmenter les échanges avec ce pays-là, avec des conséquences sur la forêt, au moment où la forêt amazonienne brûle et au détriment du climat et du réchauffement, et au détriment du respect des normes sanitaires et phytosanitaires de produits par exemple agricoles, alors même qu'on demande beaucoup à nos agriculteurs, à nos producteurs français.

Q - Quand on voit des poulets qui viennent effectivement d'ailleurs et qui ne respectent pas les règles européennes, y compris dans les cantines scolaires en France...

R - Eh bien la France n'est pas seule, il y a les Pays-Bas, la Belgique, l'Autriche, un certain nombre d'autres pays qui suivent cette ligne-là, la France ne transigera pas, nous ne signerons pas le Mercosur en l'état.

Q - Le protectionnisme, ce n'est plus un mot tabou alors, en France et en Europe? R - Mais ce n'est pas du protectionnisme c'est de la protection...

Q - Non mais c'est une forme de protectionnisme.

R - Non, ce n'est pas du protectionnisme - le protectionnisme,c'est utiliser des moyens déloyaux ou des moyens disproportionnés pour se replier sur soi-même. C'est tout l'inverse, nous on veut continuer de développer les échanges commerciaux. Moi, en tant que ministre du Commerce extérieur, je veux réduire le déficit de la balance commerciale de notre pays, qu'on exporte davantage, et il y a des opportunités formidables à l'international...

Q - Oui, parce qu'il y a la peur de représailles, c'est ça ?

R - Et on met des moyens dans le plan de relance pour que nos entreprises aillent plus à l'international. Pour autant, pour autant on veut que cette concurrence soit loyale, qu'on donne à nos entreprises les moyens de se battre à armes égales avec leurs compétiteurs internationaux. Et pour cela, il faut qu'il y ait une politique commerciale beaucoup plus ferme, beaucoup moins naïve qu'elle ne l'a été dans le passé.

Q - Oui, Franck Riester, parce qu'évidemment on est extrêmement quand même dépendants, où en est-on par exemple de la crise des livraisons des semi-conducteurs là? Ça bloque notamment pour la production de voitures, au ralenti, et d'autres secteurs qui sont aussi touchés, qui ont énormément de retard aujourd'hui.

R - La crise sanitaire a perturbé les chaînes de valeur, les chaînes d'approvisionnement, qui étaient réglées en flux tendu, et ça a déréglé ces chaînes d'approvisionnement, et avec on l'a vu, l'apparition de fragilités dans nos chaînes de valeurs, le fait qu'on était dépendant d'un certain nombre de pays pour des produits tout particuliers, les produits de santé, les masques par exemple...

Q - Oui, bien sûr.

R - Mais aussi on le voit aujourd'hui pour un certain nombre de composants de l'industrie, et notamment des semi-conducteurs électroniques.

Q - Les puces, etc.

R - Et donc il est absolument nécessaire, et c'est ce que porte le gouvernement français, en lien avec la Commission européenne, vous avez vu, entendu les propositions de Thierry Breton et le plan d'action de Thierry Breton qui est le commissaire en charge de l'économie européen, pour relocaliser un certain nombre de chaînes de valeur, pour investir, pour qu'en Europe nous puissions aussi avoir la production de semi-conducteurs, avoir la production d'un certain nombre de composants de médicaments, bref qu'on ne soit plus dépendants de zones géographiques qui nous mettent en risque pour notre industrie ou en risque pour nos consommateurs.

Q - Franck Riester, est-ce qu'on a frôlé la guerre des pêcheurs entre Français et Britanniques hier au large de Jersey? Que peut faire le gouvernement? Parce qu'évidemment tout n'était pas prévu dans l'accord du Brexit, c'est assez compliqué. R - Si si, c'était prévu, il y avait des règles qui ont été prévues, tant dans l'accord de retrait que dans l'accord de commerce et de coopération, c'est-à-dire l'accord de relations futures avec les Britanniques. Les Britanniques ne respectent pas l'accord, et donc on dit très clairement aux Britanniques: il faut qu'ils respectent l'accord. Il faut que ce qui était prévu en matière de pêche, comme d'ailleurs prévu pour tous les secteurs d'activité, soit respecté. Or là il ne s'est pas respecté, puisque des licences ont été accordées, en nombre bien insuffisant, avec des conditions qui n'ont été ni expliquées, et on n'a pas absolument consulté les autorités européennes pour définir au niveau britannique les conditions de ces licences de pêche. Donc c'est en contradiction avec...

Q - Donc, vous lancez un avertissement... ?

R - C'est en contradiction avec ce qu'est l'accord de coopération.

Q - À Londres. Vous lancez un avertissement ?

R - Et donc, ce n'est pas une histoire d'avertissement, c'est de dire il faut que l'accord soit respecté, on l'a dit très clairement à nos homologues. Moi j'ai rencontré mon homologue britannique, et je le dis très clairement : la commission, qui est en charge de la négociation et en charge de faire respecter l'accord, fait ce qu'il faut pour faire respecter cet accord. Nous ne transigerons pas, le droit est très clair: les conventions doivent être respectées dans le droit international, eh bien, cet accord de coopération et de commerce avec les Britanniques, notamment sur la partie pêche, sera respecté.

Q - Et il y a de nouveaux rendez-vous de prévus ou pas ?

R - Et les décisions qui ont été prises par les Britanniques, nous les considérons comme nulles et non avenues. Donc nous mettons beaucoup de fermeté, nous mettons bien évidemment aussi un état d'esprit de désescalade, ce n'est pas la peine d'aller prendre des risques inutiles...

Q - Eh bien, hier, c'était tendu.

R - Oui, eh bien, les pêcheurs, on peut comprendre leur colère, on peut comprendre leur incompréhension, ils peuvent compter sur les autorités françaises et les autorités européennes pour les défendre et faire respecter le droit.


Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 17 mai 2021