Texte intégral
Q - Je le disais à l'instant le pass sanitaire a été rejeté à l'Assemblée hier soir, le MoDem demande davantage de dialogue sur ce sujet et pas un passage en force, alors il y aura une nouvelle délibération. Vous êtes un fidèle je le rappelle du Président, un fidèle de la première heure, est-ce que vous prenez, comment est-ce que vous expliquez ce coup de chaud dans la majorité ?
R - Je pense que ce n'est pas anormal que sur un sujet aussi sensible et important que le pass sanitaire, c'est-à-dire les questions d'accès, les questions de liberté qu'on va retrouver progressivement notamment grâce à ce pass pour les grands événements, il y ait un peu de débat. Il y a eu quelques nuances en réalité puisque quand on regarde la réalité des points de débat, c'était pour savoir jusqu'à quand il y avait des restrictions entre les mains du gouvernement. C'était le champ du pass sanitaire et puis c'était des questions très ponctuelles mais qui sont importantes, les discothèques, etc. Qu'il y ait ce débat parlementaire...
Q - Il fallait l'avoir avant le débat.
R - Moi, je faisais partie de ceux qui pensaient que depuis longtemps on aurait dû avoir peut-être une mission parlementaire, etc... On a ce débat maintenant. Je pense qu'on ne pouvait pas l'avoir en janvier, février - moi je l'avais dit, c'était prématuré parce que le pass sanitaire paraissait pour tout le monde un peu fou -. On avait la vaccination qui devait monter en puissance, qui devait accélérer. Aujourd'hui dans une autre phase, tant mieux, la vaccination accélère.
Q - Elle a pris un peu de retard.
R - Elle a pris un peu de retard au début, c'est vrai, mais elle accélère significativement. Tout le monde connaît maintenant une personne qui est vaccinée dans son entourage si on n'est pas vacciné soi-même. Et donc, on a envie de retrouver de la liberté. Et le pass sanitaire, c'est un outil. Et je veux le dire aussi, c'est très important, parce que c'est la préoccupation du MoDem, et je pense qu'ils ont raison sur les libertés. En France on n'aura pas un pass sanitaire pour la vie quotidienne.
Q - Et pourquoi pas ?
R - Je pense que ce serait excessif et qu'on créerait une société, pour le coup, à deux vitesses parce que même si la vaccination accélère, aujourd'hui tout le monde n'a pas accès à la vaccination.
Q - On pourrait faire un pass sanitaire et c'est même l'idée d'ailleurs avec un test PCR ou un test fait dans les 48 dernières heures qui pourrait permettre de rentrer, par exemple, dans une grande surface ou, que sais-je, dans un restaurant ? C'est ce que font notamment les Allemands.
R - C'est ce que font les Allemands, ce que font les Autrichiens ; je crois que ce n'est pas la mentalité de notre pays et j'y suis attaché moi aussi. Je pense qu'on a envie tous, là, d'être ensemble dans des protocoles stricts avec des jauges, etc... Mais on n'a pas envie que pour les activités comme le café, le restaurant, même faire ses courses, on ait une société à deux vitesses. Et je pense que c'est très bien comme cela parce qu'on est capable d'organiser les choses par ces jauges, par ces critères précis.
Pour les grands rassemblements, des festivals, des événements sportifs au-delà de mille personnes, comme l'a dit le Premier ministre, on a besoin d'organiser les choses différemment.
Q - Et on en parler au niveau européen. L'incident est clos avec le MoDem ? Cela ne traduit pas une crispation entre le MoDem et la majorité ? C'est ce qu'on a pu comprendre.
R - Je ne crois pas - vous savez il y a eu des épisodes, et j'ai soutenu François Bayrou d'ailleurs sur la proportionnelle - qu'il y ait des sensibilités différentes, qu'il y ait des moments où par conviction - et c'est un sujet de conviction - il y ait des nuances ou des difficultés.
Q - C'en est une.
R - C'en est une dans la vie parlementaire tant mieux. S'il n'y en a pas, on nous dit : tout le monde est godillot, il n'y a pas de débat.
Q - Il faudrait peut-être un peu plus de dialogue.
R - Je ne crois pas, et franchement il y en a.
Q - Il y en a ?
R - Je crois qu'entre notamment le Président et François Bayrou, le dialogue est assez fréquent.
Q - Alors, le pass sanitaire, c'est aussi un sujet - j'allais dire, presque surtout - un sujet européen. A la veille de ces vacances d'été, cela fait toujours l'objet de négociations politiques au sein de l'Union européenne. Déjà, est-ce qu'il sera prêt avant l'été ce pass sanitaire européen ?
R - Oui, il sera prêt au mois de juin. Il sera sans doute voté début juin, opérationnel dans la seconde quinzaine de juin. Et là aussi, il faut être clair, ce n'est pas un outil de restriction, c'est un outil d'ouverture. Parce qu'aujourd'hui en Europe, vous avez des exigences de tests - notamment PCR de moins de 72 heures en général - pour circuler. Et là, ce n'est pas un pass vaccinal, c'est un pass sanitaire, c'est très important. C'est-à-dire que comme aujourd'hui, vous pourrez faire un test, mais pour ceux qui sont vaccinés, qui ont deux doses de vaccin, cela vaudra preuve de circulation.
Q - Cela va changer quoi ?
R - Cela changera d'abord que vous aurez deux possibilités au lieu d'une pour prouver que vous êtes dans une situation de santé qui est bonne. Et puis cela permettra d'harmoniser. Parce que souvenez-vous l'été dernier, c'était la cacophonie en Europe. Et à juste titre, on avait dit : il y a aucune coordination européenne. Là on essaie d'anticiper et d'avoir le même outil partout, c'est-à-dire que le douanier ou la compagnie aérienne qui vérifiera votre petit QR-Code sur un papier ou sur votre téléphone en France, en Allemagne, en Espagne, ce sera le même système reconnu partout.
Q - Cela veut dire que ce sont des conditions qu'on va demander aux voyageurs issus de pays hors Union européenne ? Comment ça va se passer par exemple, des touristes américains qui veulent se rendre en France ?
R - La priorité, je vous le dis, c'est d'abord l'Europe parce que c'est notre espace de vie et donc au mois de juin on aura une circulation facilitée par ce pass sanitaire en Europe. Et puis, nous sommes en train de travailler, justement au niveau européen, ce sera prêt sans doute d'ici la fin du mois de mai, sur une liste de pays non-européens, peut-être les Etats-Unis. Et on prendra en compte plusieurs choses : leur situation sanitaire, les vaccins, sont-ils déployés ou pas. Et puis, il faudra qu'on vérifie de manière fiable - cette question se pose encore - si un touriste américain vient en Europe, qu'il est vacciné - on va le vérifier -. Il faut qu'on ait, là aussi, un système qui nous permette d'être sûr, compatible, et puis, qui permette d'être sûr, qu'il n'y ait pas de fraude au vaccin, qu'il n'y ait pas de fraude aux tests.
Q - Vous avez demandé de la réciprocité ? C'est aussi comme ça que cela va se discuter, c'est-à-dire, vous pouvez venir chez nous mais il faut qu'on puisse venir chez vous ?
R - Il faut une situation sanitaire solide dans un autre pays, preuve fiable de vaccination ou de test, et réciprocité, parce que là, je crois que c'est une question de justice et de bon sens : les Européens ne comprendraient pas qu'on fasse venir des touristes américains ou autres chez nous, et qu'on n'ait pas le droit d'y aller. Donc, il y a une négociation en ce moment entre la Commission européenne et les Etats-Unis, ainsi que d'autres pays à fort potentiel touristique, pour trouver ces accords.
Q - Est-ce que la voie de l'harmonisation, j'allais dire, peut être rapide ? Qu'est ce qui bloque encore sur la scène européenne sur ce sujet du pass sanitaire ?
R - Sur le pass sanitaire, entre Européens, je crois qu'il n'y a pas de blocage. On va le déployer début juin. Maintenant, il y a des réglages techniques. Avec les autres pays européens, on travaille sur cette liste commune pour qu'on ne se trouve pas dans une situation où il y a un pays qui autoriserait les Américains à venir et puis pas le voisin.
Q - On parle des Etats-Unis : Joe Biden a appelé à lever des brevets sur les vaccins pour en faire un bien public mondial, c'était aussi ce qu'avait dit le Président de la République. Le géant américain a pris l'Europe de vitesse sur ce sujet.
R - Je ne crois pas, je crois qu'ils rattrapent l'Europe.
Q - Vraiment ?
R - Oui, parce que, je dis, il ne faut pas confondre "bien public mondial" et "levée des brevets". L'objectif, c'est "bien public mondial". Qu'est-ce que cela veut dire concrètement ? Cela veut dire l'accès pour tous aux vaccins, même dans les pays où il n'y a pas de vaccin produit, même dans les pays où il n'y a pas les moyens d'acheter un vaccin, notamment en Afrique.
Ça, le bien public mondial, nous le faisons depuis un an. C'est la France et l'Europe qui l'ont lancé, on attendait les Etats-Unis. Ils nous disent, maintenant, on veut aussi faire du vaccin public mondial, tant mieux ! La levée du brevet, c'est un outil pour le faire, mais je le dis très franchement, cela ne sert à rien aujourd'hui ; les levées de brevet, d'ailleurs, les Américains l'ont dit eux-mêmes, c'est un débat pour dans six mois. Donc, ce que je demande aux Américains, s'ils sont prêts à faire du vaccin un bien public mondial, c'est de lever l'interdiction d'exporter, parce que c'est cela qui bloque aujourd'hui. Les Américains n'exportent pas, les Britanniques n'exportent pas. Ce sont les Européens qui exportent des doses. On nous l'a parfois reproché et aujourd'hui on nous dit : vous êtes en retard et vous ne faites pas du vaccin un bien public mondial. C'est faux, c'est nous qui livrons, notamment les pays africains.
Q - Vous n'êtes pas très sensible à la "Biden-mania", visiblement.
R - Non, mais comme toutes les modes, il faut faire attention.
Q - Non, parce qu'il y a eu les impôts, il y a eu la levée sur les vaccins, on a l'impression qu'il fait la leçon à l'Europe.
R - Moi, je veux un mandat Biden, pas une "Biden-mania". On a besoin de Joe Biden et qu'il s'engage sur ces sujets, le climat, les taxes, les vaccins pour les quatre prochaines années. Une mania, ou une mode, cela dure en général quelques semaines. Donc moi, je préfère un partenariat avec M. Biden qu'une mode Biden qui pourrait passer. C'est quand même assez savoureux de voir l'extrême gauche française avoir fait d'un président démocrate américain qui en France serait traité de libéral et qui veut réformer l'assurance chômage, on n'oserait même pas y penser, comme une sorte de leader de la gauche mondiale.
Q - Est-ce que vous avez besoin de Joe Biden aussi pour s'investir davantage sur ce qui est en train de se passer au Proche-Orient, avec une escalade militaire entre Israël et le Hamas ? Selon l'ONU, on se dirige vers une guerre à grande échelle.
R - Oui, on a besoin, bien sûr, de l'engagement américain. Il est clair que ce sont eux qui ont, aujourd'hui encore, les principaux leviers diplomatiques, même si l'Europe doit être davantage présente. On est dans une situation dramatique, il faut qu'on s'implique, Européens et Américains, avec Israël et l'Autorité palestinienne, pour essayer de trouver une solution dans les prochains jours, parce que l'on voit, et je ne veux pas opposer, d'ailleurs, parce qu'on pourrait renvoyer les violences et les tensions des familles, les unes aux autres, on voit des images dramatiques des deux côtés. Et donc, ceux qui diraient que c'est une agression d'Israël contre la Palestine ou l'inverse se trompent. Je crois qu'on a une escalade qui est dramatique et il faut effectivement que Joe Biden, l'administration américaine, avec nous, soit impliquée.
Q - Mais d'abord les Etats Unis et après l'Europe ?
R - Il faut bien reconnaître que notre diplomatie européenne, sur ces sujets - moi, je le déplore, mais je vous dis la vérité - est encore faible. Et donc, oui, on a besoin des Américains au Proche-Orient. Et oui, pendant le mandat de Donald Trump, on a souffert du désengagement américain.
Q - Merci beaucoup, Clément Beaune, d'avoir été notre invité, ce matin.
R - Merci à vous.
Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 18 mai 2021