Interview de Mme Amélie de Montchalin, ministre de la transformation et de la fonction publiques, à France Inter le 31 mai 2021, sur la réforme de la haute fonction publique.

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Média : France Inter

Texte intégral

NICOLAS DEMORAND
Léa SALAME, votre invitée ce matin est la Ministre de la Transformation et de la Fonction publiques.

LEA SALAME
Oui. Bonjour Amélie de MONTCHALIN.

AMELIE DE MONTCHALIN
Bonjour.

LEA SALAME
Merci d'être avec nous ce matin. Il y a une réforme importante qui sera présentée ce mercredi en conseil des ministres, une des dernières réformes du quinquennat et elle suscite beaucoup d'inquiétude et de critiques : c'est la réforme de la Haute Fonction publique, la suppression de l'ENA mais aussi celle des grands corps des inspections générales et des corps préfectoraux. Et c'est là que le bât blesse, on va essayer de comprendre pourquoi. Vous allez donc réformer cette semaine l'ordonnance du général de GAULLE qui date de 1945. C'est un big-bang dans l'administration française. Pourquoi cette réforme et surtout pourquoi maintenant, après l'épidémie de Covid où les préfets, les grands fonctionnaires de l'Etat ont tenu le pays ? C'est une sanction ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Alors la première chose d'abord, c'est qu'on a beaucoup parlé de l'ENA mais cette réforme, c'est d'abord une réforme de l'Etat. L'Etat, vous l'avez dit, il a tenu pendant cette crise et les hommes et les femmes qui le tiennent ont mis beaucoup de leur personne, beaucoup de leur engagement. Mais on doit aussi regarder en face nos faiblesses, des faiblesses parfois qui remontent à loin, et des faiblesses que cette crise a rendues encore plus visibles.

LEA SALAME
Quelles sont nos faiblesses ? Quelles sont les faiblesses de l'administration française, de la Haute Fonction publique ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Il y en a trois principales sur lesquelles il faut aujourd'hui qu'on puisse agir. La première, c'est un manque de diversité, de méritocratie et cette incapacité pour beaucoup de jeunes qui viennent des territoires ruraux ou des territoires défavorisés de rejoindre cette Haute Fonction publique. La deuxième faiblesse, c'est un Etat qui a perdu sa proximité avec le terrain et les Français. Aujourd'hui on a 90 % des Hauts fonctionnaires qui sont à l'intérieur du périphérique alors que 90% des fonctionnaires sont, eux, dans tout le pays. Et ce manque de proximité, c'est un manque de bras, de jambes, d'oreilles là où sont les Français, là où sont les enjeux. Et puis la troisième faiblesse, c'est que notre Etat il n'est pas pleinement entré dans les enjeux du XXIème siècle sur le numérique, sur l'écologie et par ailleurs, ces outils à la fois de ressources humaines et de formation fait qu'aujourd'hui nous ne sommes pas toujours en capacité d'avoir les bonnes ressources dans des domaines où l'Etat doit être plus fort. Je pense par exemple à la santé, au domaine du ministère du Travail aujourd'hui face à la crise économique et sociale. Dès le mois d'octobre, nous allons avec cette réforme doubler le nombre de jeunes et de moins jeunes qui vont commencer leur carrière de Haut fonctionnaire dans ces ministères. Pendant des années, moi je ne suis pas fonctionnaire mais on m'a dit que quand on voulait faire une belle carrière, on ne commençait pas au ministère de la Santé et du Travail puisqu'on commençait dans les grands corps, on inspectait, on jugeait, on contrôlait, qui étaient mis au pinacle en fait de notre administration. Nous cette réforme, elle veut faire de l'Etat un Etat plus efficace et opérationnel.

LEA SALAME
Concrètement, qu'est-ce qui va changer Amélie de MONTCHALIN ? Vous utilisez des grands mots : il faut dynamiser les carrières en puisant dans un plus large vivier de candidats. Il faut passer de la logique du statut à celle de l'emploi. Ça veut dire quoi tout ça ? Vous voulez importer les méthodes du privé dans l'administration publique ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Non.

LEA SALAME
Vous vous voulez casser la spécificité de la Haute Fonction publique, en faire un métier comme un autre ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Aujourd'hui, il y a suffisamment à droite notamment de gens qui veulent tout contractualiser, tout passer au régime du privé. Moi j'y suis fermement opposée. Parce que d'abord le statut de la Fonction publique, il permet la permanence de l'Etat, il permet de respecter nos valeurs de neutralité, d'égalité de traitement. Donc ce n'est pas une réforme qui privatise en rien la Fonction publique.

LEA SALAME
Parce que c'est ce qu'on entend. Un Haut fonctionnaire, ce sera un job comme un autre dans la start-up nation, c'est le macronisme appliqué à l'administration.

AMELIE DE MONTCHALIN
Non. On garde le statut de la Fonction publique là où de COPE à WOERTH à encore hier PELTIER, tout le monde nous explique qu'il faut tout supprimer, tout bazarder. Cette réforme, qu'est-ce qu'on cherche à faire ? On cherche à créer un Etat efficace. Donc on garde les métiers les plus efficaces, évidemment les métiers de préfet, qui sont les métiers au coeur de l'efficacité de l'Etat, de sa proximité.

LEA SALAME
Ils ne le voient pas comme ça.

AMELIE DE MONTCHALIN
Ensuite, deuxième point…

LEA SALAME
Allez-y parce que je vais vous dire les oppositions. Là, elles sont nombreuses.

AMELIE DE MONTCHALIN
On cherche vraiment, on cherche profondément à nous dire qu'aujourd'hui tous ces postes sont nommés pas le pouvoir politique. Mais comment on nomme aujourd'hui ? On nomme soit des personnes qui sont proches de soi dans les cabinets ministériels ; soit on nomme des gens que les grands corps prestigieux vous apportent sur des plateaux. Nous devons faire une révolution copernicienne et culturelle. Nommer des gens qui ont des compétences, que l'on repère, que l'on forme tout au long de la vie.

LEA SALAME
Pardon. Les gens passent un concours pour être fonctionnaire. Or tout le monde peut passer un concours, que vous soyez fils de médecin ou fils d'agriculteur.

AMELIE DE MONTCHALIN
Oui.

LEA SALAME
C'est ça l'égalité des chances. C'est la méritocratie.

AMELIE DE MONTCHALIN
Vous passez un concours et on le garde. Et on passe un concours quand on a 23, 25 ans. On passe un concours interne. Et aujourd'hui, vous avez un système qui s'appelle l'ENA qui fait que pendant deux ans on ne vous forme pas un métier, on vous classe. On vous fait des bulletins de notes, on vous infantilise. On crée une ambiance d'angoisse qui fait que les gens au lieu de travailler ensemble, au lieu d'apprendre à prendre des risques, au lieu d'apprendre à être créatif - ce dont la France a besoin – on vous fait rentrer dans une carrière à vie.

LEA SALAME
Amélie de MONTCHALIN, tribunes de diplomates d'abord. Les tribunes de diplomates qui n'aiment pas votre réforme, ils se disent inquiets. Ils disent que cette réforme favorisera les nominations politiques, sapera la neutralité des agents de service public. Qui veut d'un ambassadeur ou d'un consul étiqueté politiquement ? Ils disent que votre réforme va entraîner la marchandisation et l'uberisation de la Haute Fonction publique. Vous leur répondez quoi ?

AMELIE DE MONTCHALIN
D'abord je leur réponds que depuis François Ier, les ambassadeurs ont toujours été nommés par le pouvoir politique et que depuis Napoléon, les préfets ont toujours été nommés par le pouvoir politique. Ce que nous voulons, c'est que les politiques qui nomment puissent nommer des hommes et des femmes dont on a repéré les compétences, qu'on a formés tout au long de la vie, qu'on n'a pas enfermés dans des corps. Ça veut dire quoi un corps ? C'est qu'aujourd'hui je peux vous dire, et c'est un gâchis humain que la ministre de la Fonction publique que je suis ne peut pas tolérer. Dans chaque ministère, dans chaque corps, vous avez des centaines d'hommes et de femmes très compétents qui sont enfermés dans leur corps et donc qui sont dans des placards dorés, que l'Etat n'utilise pas au meilleur de leurs compétences. Et donc casser ces silos, casser cette rigidité, sortir d'une logique qui enferme plus qu'elle permet aujourd'hui de repérer là où sont les compétences et de nommer…

LEA SALAME
Pourquoi vous n'accueillez pas, pourquoi les diplomates, pourquoi les préfets - les préfets qui disent : qu'est-ce qu'on a fait pour mériter ça - les préfets sont contre. Ils rappellent que les préfets, c'est le symbole de l'Etat dans les territoires. C'est une institution créée par BONAPARTE, confortée par de GAULLE. Pourquoi ils sont tous contre ?

AMELIE DE MONTCHALIN
La première chose d'abord, c'est qu'il y a des inquiétudes légitimes. Quand il y a un changement, c'est normal qu'il y ait des inquiétudes et c'est aussi normal que le pouvoir politique, le gouvernement à la fois regarde en détail, rassure et fasse une réforme qui soit un progrès. Et c'est l'engagement que je prends, c'est pour ça qu'il y a beaucoup de travail de consultation de mise en oeuvre.

LEA SALAME
Oui. Enfin la consultation, pardon, face à la bronca vous avez lancé une consultation des cadres de l'Etat la semaine dernière alors que vous proposez l'ordonnance cette semaine.

AMELIE DE MONTCHALIN
Non.

LEA SALAME
Vous auriez dû les consulter avant, non ? Honnêtement ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Cette réforme, elle est sur les rails depuis que le président de la République en 2017 a pris un engagement. Elle est aujourd'hui sur la table parce qu'il y a une ordonnance que le Parlement nous a habilités à prendre par une loi de 2019. Frédéric THIRIEZ a fait un énorme travail en 2019-2020.

LEA SALAME
Alors pourquoi vous les consultez ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Parce qu'aujourd'hui, après les principes que nous posons dans chaque ministère, pour chaque métier, il nous faut définir comment on va le mettre en oeuvre parce que ça concerne chacun individuellement. Mais ce que je veux répondre aux Français qui nous écoutent, parce qu'il faut qu'ils comprennent que c'est pour eux qu'on fait cette réforme, nous avons aujourd'hui besoin d'arrêter ce gâchis humain qui fait qu'on a des gens très compétents dans les placards, d'arrêter cette déconnexion du terrain. On va dès le mois d'octobre doubler le nombre de personnes qui seront dans ce qu'on appelle le service déconcentré, c'est-à-dire dans nos préfectures, dans nos sous-préfectures.

LEA SALAME
Ça veut dire quoi « doubler » ? Ça veut dire qu'il y aura de plus en plus de fonctionnaires ? C'est ce que vous annoncez ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Non. Ça veut dire que dans la sortie de l'ENA - qui existe toujours - du mois d'octobre, nous réduisons drastiquement tous les postes qui vont commencer ce qui était avant : les postes d'inspection, de contrôle, de jugement, parce que nous pensons que nous devons mettre d'abord nos compétences dans l'action, dans la proximité, dans la mise en oeuvre.

LEA SALAME
Donc les postes prestigieux, ceux qui sortent de l'ENA cette année, ils iront dans les postes les moins prestigieux.

AMELIE DE MONTCHALIN
Mais parce que le sujet ce n'est pas le prestige. Le sujet c'est comment notre Etat…

LEA SALAME
Ça peut être aussi ça.

AMELIE DE MONTCHALIN
C'est comment notre Etat fonctionne, comment les Français…

LEA SALAME
Ce n'est pas un peu démagogique ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Attendez, si rendre l'Etat efficace c'est être démagogique, alors je pense que le débat que nous avons est un débat majeur. C'est un débat hautement politique. Comment nous assurons aux Français après la crise des Gilets jaunes, après la crise sanitaire que sur les enjeux industriels, économiques, de formation, d'emploi, d'éducation qui sont des enjeux au coeur de leur vie quotidienne, ils ont en proximité là où ils vivent, dans les départements où ils sont, des Ardennes au Calvados des gens qui correspondent au terrain, aux enjeux et aux défis. Ça, ce n'est pas démagogique.

LEA SALAME
Amélie de MONTCHALIN, vous parlez de la politique. Du côté de l'échiquier politique, là vous allez me répondre que c'est une posture politique, mais enfin c'est l'unanimité contre. A droite, Xavier BERTRAND parle d'une grave erreur. Le LR Philippe BAS, sénateur LR, dit que vous voulez des préfets courtisans. Marine Le Pen aussi la conteste. A gauche, Bernard CAZENEUVE parle d'une triple faute de diagnostic historique et politique. La Haute Fonction publique doit être au service de l'Etat et pas à la disposition d'un clan dit-il. Les mots sont forts.

AMELIE DE MONTCHALIN
Les mots sont forts et je tiens juste à rappeler quelques actions des hommes et des femmes qui aujourd'hui critiquent. Bernard CAZENEUVE, il était Premier ministre. Il a demandé à sa ministre Annick GIRARDIN à l'époque de mener avec détermination une réforme de la Haute Fonction publique. Elle y a mis tout son coeur. Aujourd'hui, c'est une femme que je sais extrêmement engagée. Elle a été lâchée par son Premier ministre et par François HOLLANDE qui n'ont pas été au bout de la réforme. Xavier BERTRAND et ceux de la droite pour beaucoup d'entre eux, ils ont été ministre de Nicolas SARKOZY. Nicolas SARKOZY, il a essayé de faire cette réforme. Il s'est fait retoquer au Conseil d'Etat parce qu'elle n'était pas solide juridiquement.

LEA SALAME
Donc ce n'est que la posture politique ? A vous croire, ce que dit Bernard CAZENEUVE qui aujourd'hui est à côté de la politique, qui n'en fait plus, quand il fait une tribune comme il l'a fait où il fustige votre texte, pour vous c'est de la posture politique ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Mais ce que j'ai à vous dire, c'est que ça fait trente ans que les hommes et les femmes politiques pour être crédibles ont pris un micro, ont dit aux Français : on va réformer l'Etat. On ne réforme l'Etat que si on s'intéresse à cette Haute Fonction publique qui est le coeur de l'Etat. On s'y intéresse pour lui donner de l'attractivité, pour lui donner ces compétences nécessaires, cette proximité. Et donc les critiques que j'entends, il y a évidemment un contexte de politisation qui est le contexte d'avant 2022, et qu'il faut qu'on soit tous lucides pour expliquer que certains qui ont promu la réforme aujourd'hui la critiquent. Certains qui auraient voulu la faire et qui en ont été empêchés aujourd'hui la voient se faire et qu'il nous faut effectivement être très clair avec les Français. Oui nous voulons un Etat efficace et je ne crois pas que l'efficacité, ce soit de la démagogie.

LEA SALAME
Amélie de MONTCHALIN était notre invitée. Merci et belle journée.


Source : service d'information du gouvernement, le 1er juin 2021