Entretien de M. Clément Beaune, secrétaire d'Etat aux affaires européennes, avec CNews le 7 juin 2021, sur l'Union européenne face à l'épidémie de Covid-19.

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Média : CNews

Texte intégral

Q- D'abord, ce pass sanitaire européen, est-ce qu'il va être obligatoire pour se déplacer en Europe ?

R - Il sera en place à partir du 1er juillet. J'insiste, ce n'est pas une mesure de fermeture, c'est une mesure de réouverture. Aujourd'hui, en Europe, il n'y a aucun pays dans lequel vous pouvez aller sans faire un test, même quand vous êtes vacciné. Donc, ce pass va permettre d'élargir les options. Vous pourrez, soit faire un test si vous n'êtes pas vacciné, soit montrer la preuve de vaccination pour aller partout dans les pays européens. Il y a des pays qui pourraient faire encore plus simple et tout rouvrir, ce n'est pas le cas aujourd'hui, parce que tous les pays européens, comme la France, ont cette prudence de dire "on ne peut pas ouvrir complètement à la libre circulation, la situation sanitaire reste fragile". Donc, nous avons un QR code, soit sur une feuille de papier, soit sur son téléphone, qui sera le même dans toute l'Europe, pour cet été.

Q - Ma question est de savoir est-ce que cela va être obligatoire pour se déplacer ?

R - Si vous n'avez pas l'application, vous aurez une feuille de papier avec votre code. Mais vous devrez montrer soit que vous êtes vacciné, soit que vous fait un test, pour rentrer dans un autre pays européen.

Q - Sommes-nous tous fichés, du coup ?

R - Non, nous ne sommes pas fichés, c'est très important. Vous avez raison de poser cette question, elle se pose souvent. Nous avons l'application que nous connaissons, TousAntiCovid, en ce qui concerne la France. Les données qui sont stockées sont extrêmement limitées, j'insiste sur ce point, il y a eu un avis de la CNIL, l'organisme, la commission qui vérifie qu'on respecte bien les lois en matière de données. C'est compatible, là aussi c'est très important, avec le règlement européen de protection des données qui est le plus strict du monde. Je précise aussi, parce qu'il y a parfois un peu de paranoïa ou d'inquiétude là-dessus, si vous allez en Grèce ou si un touriste grec vient en France, vous montrez votre code sur votre téléphone ou sur une feuille de papier. Il est lu, scanné, c'est rouge ou c'est vert. Il n'y a pas, à part votre nom et votre prénom, d'information donnée au douanier ou à l'autorité qui vérifie, en détail, sur votre santé. Cela reste vraiment ancré dans le téléphone et cela n'est pas diffusable.

Q - Est-ce qu'avec ce QR code, nous n'avons plus de quarantaine ?

R - Nous n'avons plus de quarantaine.

Q - Quel que soit le pays ?

R - En Europe, oui. Alors, il y a encore des pays qui l'appliquent.

Q - Le Danemark, par exemple.

R - Oui, exactement, même l'Allemagne encore aujourd'hui. Nous sommes en train de démanteler progressivement ces mesures de quarantaine. L'idée du pass sanitaire européen est d'harmoniser et de simplifier, c'est-à-dire que nous avons le pass sanitaire européen, point barre, pas de mesures de restrictions supplémentaires. J'espère que cela va s'atténuer, s'effacer, dans les toutes prochaines semaines, pour qu'à partir du 1er juillet quand le pass sera vraiment en fonction, il n'y ait plus ces mesures supplémentaires.

Q - Cela va être valable pendant combien de temps, ces mesures et ce pass ? Cela commence le 1er juillet, mais jusqu'à quand ? C'est indéfini ?

R - Jusqu'à nouvel ordre, si je puis dire. Malheureusement, nous vivons avec ce virus, encore. On s'ouvre progressivement dans vos vies sociales, nos vies personnelles, nos vacances. Mais il y a encore une situation difficile, qu'il faut piloter, si je puis dire. Nous verrons jusqu'à quand nous avons besoin de ces restrictions aux frontières. Parfois, on nous a dit que nous ne faisions pas assez, en termes de restrictions aux frontières ; il ne faudrait pas qu'on nous dise le contraire aujourd'hui, les mêmes nous diraient que l'on n'ouvre pas assez.

Q - C'est vrai que pendant longtemps, vous n'avez pas fait assez. Pendant longtemps, les frontières ont été ouvertes à tous les avions qui arrivaient, sans contrôles. Il y a eu beaucoup de laisser-aller.

R - Non. Ce n'est pas vrai. Il y a eu quelques cas, parfois il y a toujours des dérives.

Q - Au début de la crise, oui.

R - Non, parce que je vais vous dire exactement, c'est le 17 mars 2020 que l'on a fermé l'espace Schengen. On ne peut pas dire que c'est tard. Il y a eu un certain nombre de dérogations, les ressortissants français par exemple, c'est normal, c'est leur droit de rentrer sur le territoire national, on ne va pas fermer les frontières pour eux par exemple. Nous avons durci les systèmes de contrôles au fur et à mesure, c'est ce que nous faisons aujourd'hui, pour les pays qui ont des variants, les pays que nous appelons rouges et avec eux, pas de réouverture pour l'instant, car cela ne serait pas prudent. Nous sommes proportionnés, équilibrés, nous ouvrons quand c'est possible et nous restons fermés quand c'est nécessaire.

Q - Les Français ne pourront pas aller en Grande-Bretagne par exemple, cet été ?

R - J'insiste sur deux points mais pardon, c'est technique et concret. Les règles du pays vers lequel on va, c'est ce pays qui les définit. Donc, aujourd'hui, c'est la Grande-Bretagne, ce n'est pas nous qui décidons si les Français peuvent ou non aller en Grande-Bretagne. Aujourd'hui, les cas sont assez restrictifs pour aller en Grande-Bretagne. Ils vont revoir progressivement leur liste de pays "vert ", de pays avec lesquels ils s'ouvrent, d'ici le début de l'été. Donc, je pense qu'au cours de l'été, ce sera possible d'aller en Grande-Bretagne.

Q - Et dans l'autre sens ?

R - Et dans l'autre sens.

Q - Les Français qui veulent aller en Grande-Bretagne, est-ce qu'ils pourront rentrer en France ?

R - Les Français qui iraient en Grande-Bretagne et qui reviennent, cela, c'est nous qui le définissons. Effectivement, la Grande-Bretagne est un pays "orange", comme la plupart des pays du monde, comme les Etats-Unis, par exemple. C'est-à-dire qu'on peut venir de Grande-Bretagne en France ; si on est vacciné, on fait tout de même un test, parce que ce n'est pas un pays où la situation sanitaire est suffisamment bonne pour relâcher trop. Donc, vacciné, on fait tout de même un test PCR ou antigénique. Et si on n'est pas vacciné, on fait un test, et en plus, j'insiste, il faut un motif dit "impérieux", c'est-à-dire une convocation judiciaire, un motif professionnel vraiment urgent ou important. Mais nos ressortissants français, qui viennent de Grande-Bretagne ou d'ailleurs, ont toujours le droit de regagner le territoire national. Selon le pays d'où ils viennent, on leur impose des tests, voire des quarantaines, si c'est un pays "rouge", mais nos ressortissants ont toujours le droit de revenir en France, c'est normal.

Q - J'ai vu un article qui disait que les touristes qui avaient été vaccinés avec un vaccin russe ou chinois, en revanche, ce n'était pas reconnu.

R - Oui.

Q - C'était des vaccins qui n'étaient pas reconnus en France.

R - Oui, c'est très important : les vaccins qui sont reconnus dans ce pass sanitaire, ce sont quatre vaccins. Ceux qu'on a autorisés nous-mêmes en Europe - et là, on a coordonné les choses - : le vaccin Pfizer, le vaccin Moderna, le vaccin Johnson et Johnson et le vaccin AstraZeneca. Les autres, russes, chinois, ou autres, ne sont pas aujourd'hui reconnus par l'autorité européenne. Donc, on ne les reconnaît pas comme preuve de vaccination.

Q - Cela veut dire qu'on considère qu'ils ne sont pas efficaces ?

R - Cela veut dire que pour l'instant, l'autorité scientifique ne nous a pas effectivement dit qu'ils étaient efficaces. Peut-être que cela viendra. Ils ont déposé un dossier, il y a une procédure européenne, et l'agence européenne nous dit oui ou non. Pour l'instant, elle n'a pas encore dit oui.

Q - Donc quelle est la procédure pour les gens qui sont vaccinés avec un vaccin russe ou chinois ?

R - Ils font un test.

Q - C'est le test PCR qui sera valable ?

R - Exactement.

Q - On parle beaucoup des vaccins. Les vaccins, c'est quand même le grand échec de l'Europe.

R - Alors j'insiste : non.

Q - Vous qui êtes secrétaire d'Etat aux affaires européennes.

R - Moi je ne suis pas un Européen naïf, mais je vous le dis : non, je ne crois pas. D'abord, il y a eu des problèmes - il ne faut pas le cacher, les gens ont vu -, on a été plus lent que d'autres pays. Plus rapide que la plupart des pays du monde, même que la Chine, ou que la Russie qui essaient de nous vendre leurs vaccins. Mais on a été plus lent que les Américains, plus lent que les Britanniques, plus lent que les Israéliens, c'est vrai. Est-ce qu'on aurait été plus rapide si on avait fait tout seul dans notre coin ? Moi, je vais vous dire franchement le fond de ma pensée. Si on avait fait tout en national, je pense qu'on attendrait encore le vaccin français qui n'est pas encore là. Donc l'Europe...

Q - Mais on aurait pu acheter du Pfizer.

R - Oui, on aurait pu acheter du Pfizer. Est-ce qu'on serait allé plus vite ?

Q - Eh bien, Israël est allé plus vite.

R - Vous savez dans quelles conditions ils l'ont fait ?

Q - Ils ont payé plus cher. Et ils ont donné leurs données...

R - On ne sait pas combien ils ont payé ; ils ont donné leurs données médicales.

Q - Exactement.

R - De manière anonymisée, il faut être honnête, mais je pense que les Européens - vous vous souvenez des débats qu'on avait sur le vaccin au début - n'auraient pas accepté cela. Les Français n'auraient sûrement pas accepté cela. Donc, il faut que l'on soit honnête aussi.

Q - Ce n'est pas un modèle, la façon dont a géré la crise Israël ?

R - Regardez toute la crise. Comme pour la Grande-Bretagne, d'ailleurs. Ils ont pris plus de risques sur le vaccin. Ces risques en partie ont été payants en termes de vitesse, c'est vrai. Mais ils ont accepté des transferts de données qu'on n'aurait jamais acceptés en Europe. On peut avoir ce débat, mais j'en suis convaincu...

Q - On aurait pu payer plus cher. On aurait accepté de payer plus cher.

R - Peut-être qu'ils sont payé plus cher, mais je crois que ce n'était pas cela le sujet, franchement. Et ils n'ont pas au départ géré très bien la crise sanitaire. En nombre de morts par millier d'habitants, malheureusement, ils sont beaucoup plus mal placés que nous.

Q - Aujourd'hui, ils vont beaucoup mieux que nous, en tout cas.

R - Ils sont allés plus vite. On a beaucoup accéléré au niveau européen. Je précise : tout ce que l'on vient de décrire là, sur les vacances, sur l'accueil des touristes - qui est très important pour notre économie - européens chez nous, tout cela aurait été impossible si l'on avait fait du chacun pour soi. Parce que le miracle européen, tout de même, c'est qu'on a vacciné toute la population européenne au même rythme, à peu de choses près. Dans tous les pays d'Europe.

Q - Même si la France était souvent en retard.

R - Au début, maintenant ce n'est plus le cas.

Q - C'est clair, au début, on a ramé.

R - Au début nous avons ramé, c'est vrai. Mais nous avons accéléré. Est-ce que c'était la faute de l'Europe ? Je ne crois pas. Aujourd'hui, que se passerait-il si vous aviez la moitié des pays européens, qui sont moins riches que nous, moins développés que nous, qui n'avaient pas...

Q - Mais quand on disait au début "nous n'avons pas assez de vaccins", c'était la faute de l'Europe ?

R - Si nous n'avions pas eu pour tout le monde des vaccins, aujourd'hui, il y aurait des usines à variants en Europe. A 200 ou 300 kilomètres de la France, il y aurait des pays sans vaccin. Cela serait dramatique pour nous parce que c'est sûr que cela importerait des variants du virus. Nous avons commandé des vaccins, je pense que nous avons bien fait les commandes. La production a été un peu en retard, notamment avec AstraZeneca. Là où, je suis honnête, nous avons pris un peu de retard sur les Américains, trois ou quatre semaines, c'est au tout début, lorsque nous n'avons pas misé assez sur l'innovation et sur les dernières phases du développement du vaccin. Cela, c'est peut-être une erreur des Européens de ne pas avoir pris de risque, mais je crois que ce n'était pas lié au fait que nous sommes passés par l'Union européenne car à l'époque nous n'avions pas encore fait ce choix. Donc, pour être simple, prenons plus de risques parfois. Soyons plus rapides parfois comme Européens, c'est ce que nous ont montré les Américains. Mais notre sens de la prudence et de la protection, au total, cela a été dans la crise, je crois, plutôt un avantage.

Q - Elle nous a apporté quoi l'Europe au fond dans cette affaire ? A quoi a-t-elle servi ?

R - Elle a acheté les vaccins.

Q - Nous aurions pu les acheter, nous.

R - Nous aurions pu les acheter, nous. Si nous avions eu le débat national sur quel vaccin on prend, est-ce que vous êtes sûr que l'on aurait acheté Pfizer et que nous n'aurions pas attendu Sanofi ? Je ne suis pas sûr. Si nous avions fait la compétition avec l'Allemagne, par exemple, est-ce que l'Allemagne n'aurait pas été plus vite que nous et acheté toutes les doses de vaccin ? Je ne sais pas, en tout cas, nous pouvons nous poser la question.

Q - L'Allemagne a acheté en plus, dans son coin. La France ne l'a pas fait.

R - Cela j'insiste, ce sont des fake news. L'Allemagne ne l'a fait pas. Elle l'a envisagé à un moment et l'Europe a accéléré son achat de vaccins. Mais elle ne l'a pas fait, l'Allemagne n'a pas fait de commandes dans son coin, c'est très important, car vous avez raison cela circule. Elle ne l'a pas fait et elle s'est mise dans le cadre européen aussi. Si nous n'avions pas eu le cadre européen d'achat des vaccins, je crois que nous ne serions allés plus vite sur aucun des problèmes que l'on a eus. Surtout, j'insiste beaucoup car cela paraît naïf et c'est de la solidarité un peu bisounours, vous auriez des pays européens qui auraient aujourd'hui zéro dose de vaccin. Que se passerait-il ? Vous me direz que c'est leur problème, admettons. Ils auraient des clusters géants.

Q - Regardez à quelle vitesse la Grande-Bretagne a vacciné. Ils sont en dehors de l'Europe et cela leur a servi parce qu'ils ont eu plus de vaccins beaucoup plus vite que nous.

R - Qu'ont fait les Britanniques, de plus rapide que nous si nous regardons le détail, avant de vacciner plus vite ? Ils ont autorisé plus vite le vaccin parce qu'ils ont accepté une procédure d'urgence d'autorisation des vaccins. Nous pouvions le faire, nous, l'Allemagne, tous les Européens. Nous pouvions le faire, mais nous ne l'avons pas fait parce qu'on estimait, et nous entendions toutes les oppositions politiques, au mois de novembre, décembre, nous dire "Vous êtes fous, vous allez beaucoup trop vite sur le vaccin, ce truc, l'ARN messager, nous ne savons pas ce que c'est, le Pfizer BioNTech vous êtes des malades". Maintenant, ils nous disent qu'il fallait l'autoriser beaucoup plus vite. Nous avons préféré prendre la procédure scientifique la plus rigoureuse, respecter toutes les préconisations scientifiques sur l'âge de vaccination d'AstraZeneca, sur l'espacement entre les doses. Les Britanniques ont pris un peu plus de risques que nous.

Q - Mais est-ce que nous n'avons pas vu les limites de l'Europe, au fond ? Nous avons été obligés de remettre nos frontières françaises, car nous avons eu besoin de nous protéger. Est-ce que nous n'avons pas vu, dans la santé, les limites de l'Europe ?

R - Quelles sont les limites ? C'est que l'Europe n'avait pas les compétences en matière de santé.

Q - C'était une erreur.

R - Oui, que l'Europe n'ait pas eu les moyens d'agir. Donc, nous disons la même chose, il faut que demain, en cas de crise sanitaire, l'Europe puisse acheter plus vite, financer plus vite l'innovation médicale, puisse donner des instructions sur les frontières pour ne pas que l'on se retrouve dans des situations mal coordonnées.

Q - Donc, il y a eu des problèmes et il faut en tirer les leçons.

R - Oui, je suis bien d'accord, mais je pense que nous avons besoin d'une action européenne coordonnée sur ces sujets.

Q - Pourquoi ne l'avons-nous pas eue ?

R - Parce que l'Europe de la santé n'existait pas, au début de la crise.

Q - Pourquoi lui avoir confié, à l'Europe, alors, tout à coup, cette responsabilité, si cela n'existait pas ?

R - Cela n'existait pas, nous l'avons construit. Je pense que nous avons bien fait d'acheter les vaccins au niveau européen et que nous ne serions pas allés plus vite si nous avions fait au niveau français, cela, je le dis, les yeux dans les yeux, à vos téléspectateurs.

Q - Merci beaucoup, Clément Beaune.


Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 8 juin 2021