Déclaration de M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l'Europe et des affaires étrangères, sur le Traité de Washington sur l'Antarctique et la protection de ce continent, à Paris le 15 juin 2021.

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Circonstance : 43e Réunion consultative du Traité sur l'Antarctique

Texte intégral

Merci, cher ami,

Mesdames les Ministres, Mesdames et Messieurs les chefs de délégation, Mesdames et Messieurs les Parlementaires, Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,


Le Premier ministre vient de le dire, c'est un très grand honneur pour la France que d'accueillir à nouveau les travaux de la Réunion consultative des Etats parties au Traité de Washington sur l'Antarctique.

Soixante ans après son entrée en vigueur, je crois que nous pouvons, aujourd'hui, mieux que jamais, mesurer la portée historique de cette décision collective, prolongée, trente ans plus tard, par le Protocole de Madrid.

Dans un monde divisé, dans un monde particulièrement tendu, ceux qui nous ont précédés ont reconnu, ensemble, la nécessité de placer l'Antarctique hors des compétitions de puissances, au nom de la paix et de la stabilité internationales, au nom du progrès de la connaissance scientifique et de la préservation de la biodiversité de notre planète. Avant l'heure, ils ont décidé d'en faire un bien commun.

Depuis, notre monde a bien changé, mais ces enjeux n'ont rien perdu de leur importance. Ils ont même acquis, nous le savons tous, une urgence nouvelle.

Voilà ce qui, à mes yeux, rend la réunion qui s'ouvre aujourd'hui absolument essentielle.

Essentielle, elle l'est d'abord parce que notre combat pour le climat et la biodiversité est le combat de notre siècle, et que cette année est cruciale avec des échéances majeures : le Congrès mondial de l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), la COP15, la COP26 sur le changement climatique, en novembre. Il est indispensable que tous les pays rehaussent leurs engagements climatiques d'ici la COP26 de Glasgow, comme l'accord de Paris nous le demande. Ce relèvement de l'ambition doit notamment passer par de nouveaux objectifs, d'ici à 2030. Nous aurons à livrer certaines batailles décisives de ce combat sur le continent austral et - c'est tout aussi crucial - dans les océans qui le bordent. Tout doit être fait pour préserver ces écosystèmes si précieux et cependant menacés par l'activité humaine. Il nous faut réagir, réagir vite, notamment en définissant des aires gérées ou protégées.

Cette réunion est essentielle aussi parce que les recherches scientifiques, Madame la Ministre, conduites dans l'Antarctique, sont elles-mêmes essentielles.

Et je veux profiter de cette occasion pour saluer tous les scientifiques présents ici, et en particulier nos chercheurs actuellement en mission dans nos deux bases : la base Dumont d'Urville et la base Concordia, que nous sommes très heureux de partager avec nos amis italiens.

Ces recherches doivent se poursuivre, dans le respect, évidemment, du caractère unique de ce continent.

Certaines des observations et expériences menées dans l'Antarctique ne sont envisageables nulle part ailleurs sur notre planète.

Elles sont pourtant déterminantes, notamment pour la lutte contre le changement climatique et la préservation de la biodiversité.

Je pense, bien sûr, aux études effectuées sous l'égide du Comité pour la protection de l'environnement (CPE), notamment dans le cadre du Programme de travail pour répondre au changement climatique en liaison avec le SCAR [Scientific Committee on Antarctic Research].

Et à l'occasion du trentième anniversaire du Protocole de Madrid, j'ai aussi le plaisir de vous annoncer que nous avons choisi de décerner une médaille spéciale au Professeur Steven Chown de l'Université Monash de Melbourne, que l'Institut Polaire Paul Emile Victor (IPEV) et le Comité National Français pour des recherches Arctiques et Antarctiques (CNFRA) ont voulu distinguer pour la qualité de ses travaux et marquer à son égard notre estime et notre reconnaissance.

C'est enfin le développement du tourisme en Antarctique qui rend cette réunion essentielle.

Bien que parfaitement compréhensible, cet intérêt nouveau est, pour nous tous, une source de préoccupation majeure. Un seul chiffre suffit à l'expliquer : en seulement deux décennies, le nombre de visiteurs a augmenté de 450% ! Je dis bien : 450% ! Nous devinons ce que cela peut signifier.

Notre responsabilité collective est donc de veiller à ce que cette tendance ne porte pas atteinte aux principes dont nous sommes les garants, ceux du Traité sur l'Antarctique et son Protocole relatif à la protection de l'environnement.

Ce sujet mérite donc toute l'attention des Parties, et je salue les efforts déjà engagés pour conduire ces débats, comme la conduite très raisonnable de certains croisiéristes polaires et maritimes.

Mesdames et Messieurs, si la crise pandémique ne permettait malheureusement pas que nous nous retrouvions tous à Paris, je veux néanmoins vous assurer que notre capitale et plusieurs de nos grandes villes se sont emparées de cette occasion pour célébrer le Continent blanc, à travers de très belles expositions et de nombreuses rencontres qui s'annoncent passionnantes, des rives de la Seine à celles de l'Atlantique, le Premier ministre vient d'y faire allusion. Nous sommes, en vérité, très fiers de cette saison culturelle et éducative baptisée "2021, un été polaire", qui permettra à des millions de personnes de découvrir, en même temps que les mille facettes de cet univers fascinant, la valeur du travail scientifique que nos chercheurs y accomplissent au quotidien. Nous considérons, en effet, que la défense de nos biens communs passe par une prise de conscience, aussi large que possible, de ce qui en fait la singularité et de ce qu'il est nécessaire de faire pour en assurer l'avenir.

L'engagement de la France en faveur de nos biens communs est également au coeur de notre propre diplomatie. C'est, bien sûr, le cas s'agissant de l'Antarctique, grâce à l'action de notre nouvel ambassadeur Olivier Poivre d'Arvor, qui, après un vote significatif, présidera vos travaux.

A ma demande, il s'est déjà rendu en mission auprès de nos partenaires étrangers pour évoquer nos priorités, en particulier la première d'entre elle : la création de nouvelles aires marines protégées autour de l'Antarctique, dont je rappelais la nécessité tout à l'heure. Cette ambition fait désormais l'objet d'un large consensus au sein de la communauté internationale. J'espère que les deux grands pays qu'il nous reste à convaincre en verront aussi bientôt tout le bien-fondé.

Et c'est bien sur la base de ces déplacements et de ces échanges, que nous préparons, comme l'a indiqué le Premier ministre, la première stratégie polaire française, qui nous sera présentée en septembre, et qui englobera notre politique arctique et antarctique et nous servira de feuille de route pour les années à venir.

L'Antarctique, mes chers amis, n'a plus rien aujourd'hui d'un horizon inaccessible ou d'une région hors du monde. Car nous savons qu'une part considérable de l'avenir de notre planète et donc de notre propre avenir va s'y jouer. Bien qu'inhabité, ce continent est à l'évidence un trésor pour l'humanité tout entière.

Et j'espère donc que, collectivement, nous serons à la hauteur des responsabilités immenses que nous portons ensemble.


Je vous remercie.


Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 16 juin 2021