Extraits d'un entretien de M. Clément Beaune, secrétaire d'Etat aux affaires européennes, avec France Inter le 23 juin 2021, sur l'Etat de droit en Hongrie et l'Union européenne face à l'épidémie de Covid-19.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : France Inter

Texte intégral

 

Q - Bonjour Clément Beaune.

R - Bonjour.

Q - Merci d'être avec nous ce matin. Il y a foot ce soir, l'équipe de France joue. Vous allez regarder ?

R - Absolument, France-Portugal.

Q - Mais ma question ne porte pas du tout sur les Bleus, mais sur le match Allemagne-Hongrie qui se joue, ce soir, à Munich. L'UEFA, l'organisation dirigeante du football européen, a dit non, elle a interdit à la ville de Munich qui souhaitait illuminer le stade de l'Allianz Arena aux couleurs de l'arc-en-ciel pour soutenir la communauté LGBT, menacée en Hongrie. L'UEFA estime que le foot, c'est le foot, et qu'elle ne fait pas de politique. Elle a raison ?

R - Non, je regrette sa décision. Je pense que l'UEFA s'est un peu pris les pieds dans le tapis, parce qu'en fait sa décision de refus est aussi une décision politique. Si elle pensait que tout cela était neutre, cela ne susciterait pas l'émotion et la polémique qu'on voit depuis 24 heures. Je veux saluer d'ailleurs, y compris dans l'équipe de France, l'engagement de certains joueurs, comme Antoine Griezmann.

Et je pense aussi qu'il faut être très clair : défendre l'égalité, ce n'est pas attaquer telle ou telle loi du gouvernement hongrois, ce n'est pas une opinion politique, c'est, je crois, des valeurs fondamentales qui sont dans les chartes sportives, qui sont dans les traités européens ; l'UEFA s'engage régulièrement, comme la FIFA, pour des causes, de lutte contre le racisme, etc... Tant mieux, et donc...

Q - Oui, c'est vrai, mais elle dit que ce n'est pas son rôle, elle dit que l'UEFA, de par ses statuts, est une organisation politiquement et religieusement neutre. Illuminer le stade de Munich ce soir, quand la Hongrie joue, elle dit : ce serait mener une action politique. Peut-être qu'il y a des supporters pro-Orban, ce soir, qui viendront voir le match de leur pays, à Munich, et qui n'ont pas forcément besoin d'un message politique, ce soir-là. Est-ce que cela n'a pas de sens de dire ça ?

R - Mais c'est leur droit, d'abord, d'être pro-Orban. Et ce n'est pas l'UEFA à qui on a demandé de mener une action ; c'est la ville de Munich et les autorités du stade qui ont dit : on veut illuminer le stade. Et l'UEFA a dit non. Il y a aussi sans doute des supporters racistes dans le stade. Est-ce que c'est pour autant que l'UEFA va suspendre ses campagnes de lutte contre le racisme ? Moi, je trouve cela dommage, ce n'était pas extrêmement compliqué, ce n'était pas extrêmement coûteux. On ne demandait pas à l'UEFA de rentrer dans un débat politique pour M. Orban ou contre M. Orban. Mais de quoi on parle? On parle d'une loi...

Q - Alors, justement, on parle d'une loi hongroise qui a été passée et qui prévoit, je le cite, que les contenus qui promeuvent la déviation de l'identité de genre, le changement de sexe et l'homosexualité, ne doivent pas être accessibles aux moins de 18 ans.

R - Oui, absolument. Moi, j'ai avec moi le communiqué même du gouvernement hongrois, je peux vous le dire, c'est exactement : "Les parents sont en droit d'attendre que les contenus regardés par leurs enfants ne contiennent pas d'images pornographiques ou homosexuelles". Et donc, je pense qu'on n'est pas là dans l'opinion. Quand on considère que montrer une image d'un couple homosexuel, gay ou lesbien, c'est une forme de pornographie, il y a un problème, et un problème qui dépasse largement la question du match, qui est symbolique.

Q - Le gouvernement hongrois, le gouvernement Orban répond : fake news, il ne s'agit que d'une loi pour lutter contre les pédophiles. Voilà la réponse.

R - Alors, moi, j'ai eu des heures de débats, hier, au Conseil des ministres européens sur ce sujet. J'ai parlé avec mon homologue hongrois, parce que je veux toujours en discuter. Il est très clair, j'ai dû malheureusement le rappeler, je ne pensais pas avoir à faire ça un jour en Europe, actuellement, j'ai dû rappeler qu'un contenu homosexuel, une image homosexuelle d'un couple dans une publicité, ce n'est pas un contenu pornographique. Parce que c'est cela que dit le gouvernement hongrois.

Q - Alors, vous pouvez faire quoi ? Parce que protester c'est bien, faire, c'est mieux. Il y a un article, l'article 7 de la Commission européenne, qui peut permettre de suspendre les droits de vote d'un pays au Conseil européen, sauf qu'il faut l'unanimité et on voit difficilement la Bulgarie, par exemple, sanctionner la Hongrie amie. On peut faire quelque chose au niveau de l'Union européenne ?

R - Oui, on peut faire quelque chose. D'abord - et je vous remercie -, je pense qu'en parler, c'est déjà beaucoup, parce qu'il y a un an ou deux, c'était l'indifférence générale sur ces sujets. On parle de quelque chose qui a lieu, non pas dans les Emirats, etc... en Europe, aujourd'hui. On ne pensait pas qu'on aurait besoin de ces sanctions, et c'est pour cela que nos procédures sont très compliquées. On pensait qu'un pays qui rejoignait l'Union européenne avait envie de défendre les droits et l'égalité, pas le contraire.

Et donc, on renforce ces mesures. C'est long, c'est compliqué, on y arrive. On a aujourd'hui - je ne vais pas être trop technique -, mais on a aujourd'hui un règlement européen qui permet d'avoir des sanctions financières quand on porte des atteintes à l'Etat de droit...

Q - Il y en aura ? Il y aura des sanctions financières contre Orban ?

R - Je souhaite qu'on engage une procédure, oui. Et nous avons été, hier, près de 15 pays, 14 exactement, à demander à la Commission européenne d'engager ces procédures.

Q - Clément Beaune, on entend votre courroux contre la Hongrie d'Orban. Est-il le même contre le Qatar où se jouera la prochaine Coupe du monde ? Le Qatar où plus de 6500 travailleurs migrants sont morts sur des chantiers. Je ne parle pas de comment est traitée l'homosexualité dans ces pays-là. Vous appelez aussi au boycott de la Coupe du monde, l'an prochain, contre le Qatar, au nom des droits de l'homme et des droits humains ?

R - Je ne mêle pas tout. D'abord, je n'ai pas appelé à un boycott des matchs à Budapest pour la Hongrie. Moi, je l'assume, je suis plus choqué, je suis plus concerné par ce qui se passe au sein de l'Europe. On n'est pas, heureusement, dans la situation du Qatar, au sein de l'Europe, mais enfin on est dans un pays, où on a adhéré à un projet politique commun.

Que le monde entier ne se comporte pas comme l'Europe et comme nos valeurs françaises et européennes, je le regrette, et on peut réfléchir à des actions, parce qu'il y a effectivement des drames au Qatar. D'une certaine façon, cette Coupe du monde les a mis en lumière, il faut qu'on réfléchisse en termes de pressions politiques, diplomatiques, supplémentaires. Mais là, on parle d'un sujet...

Q - Pour vous, ce n'est pas la même chose, c'est ça ?

R - Non, parce qu'on a adhéré à un projet politique commun. L'Europe, ce n'est pas le marché et le tiroir-caisse pour la Hongrie ou la Pologne. Ce sont des valeurs. Personne n'est forcé d'adhérer à l'Union européenne ; quand on y est, on respecte ces choses minimales qui ne sont pas de la politique, qui sont des valeurs élémentaires.

Q - Alors, sur l'Union européenne, d'autres questions, quelques questions sanitaires rapidement. D'abord, il y a ces derniers jours une accélération de la propagation du variant Delta dans plusieurs pays qui entourent la France, comme le Portugal ou le Royaume-Uni. La France ne bouge pas, pour l'instant ; pas de nouvelles mesures sanitaires aux frontières avec ces pays-là ?

R - Alors, on actualise régulièrement, on le fera encore sans doute, ce matin, au Conseil de défense, la liste des pays dits rouges, c'est-à-dire les pays où la circulation du variant est très forte. Et avec ces pays, je le rappelle, il faut des motifs extrêmement stricts, en gros être ressortissant français, pour rentrer sur le territoire, avec des tests à l'entrée, à l'arrivée.

Q - Cela va être le cas pour le Portugal ?

R - Non, cela ne va pas être le cas pour le Portugal, parce que ce n'est pas un pays qui est aujourd'hui au niveau international dans une situation sanitaire dégradée. Mais on ajoutera des pays, certainement dès aujourd'hui, à cette liste. Au sein de l'Union européenne, on n'a pas d'alarme, aujourd'hui, et je précise néanmoins que même un pays européen - et tous sont encore en situation sanitaire bonne - doit, pour ses ressortissants, soumettre à un test ou à un vaccin, avant d'entrer sur le territoire français.

Q - Le pass sanitaire est prêt, au 1er juillet. On va pouvoir voyager partout en Europe avec ce fameux QR Code, partout en Europe, Clément Beaune, mais pas aux Etats-Unis, en revanche. Les Américains ont le droit de venir chez nous, mais nous n'avons pas le droit d'aller chez eux.

R - Alors, partout en Europe, d'abord, vous avez quand même, insistons sur la bonne nouvelle, dès le 1er juillet, on peut circuler aujourd'hui, mais cela sera harmonisé, le même QR Code partout. Cela facilite les choses. On a dit qu'avec des pays, sur les critères sanitaires, où la situation était bonne, c'est le cas des Etats-Unis, on acceptait d'ouvrir nos frontières. C'est notre intérêt, touristique notamment, avec une situation qui est sûre et qui est protégée.

Q - Que les Américains viennent, bien entendu, mais la réciprocité ?

R - Moi je l'ai dit... Oui, je l'ai dit plusieurs fois, je souhaite la réciprocité.

Q - Et ils ne veulent pas.

R - Oui...

Q - Et on fait quoi ?

R - Eh bien, on va mettre la pression sur eux. On a discuté, la semaine dernière, il y a eu un sommet Union européenne-Etats-Unis, c'était à l'ordre du jour. Le Président de la République l'a dit à Joe Biden, lorsqu'ils ont eu un entretien, et j'espère, je crois que d'ici le début du mois de juillet les Américains feront évoluer leurs règles. On a besoin de cette réciprocité ; c'est effectivement plus logique et plus sain.

Q - Clément Beaune, est-ce qu'il y a un problème avec la livraison de Pfizer au mois de juillet ?

R - Non, alors, il y a des livraisons qui seront plus faibles en juillet qu'en juin, parce qu'au mois de juin, on a un mois exceptionnel. On avait demandé aux laboratoires aussi d'accélérer leurs cadences pour préparer l'été. Donc, il n'y a pas d'inquiétude à avoir. Et puis, l'Union européenne - parce qu'on a beaucoup critiqué ce cadre européen de vaccins -, s'équipe pour la suite, et hier encore on a signé un nouveau contrat avec Moderna, un des laboratoires qui nous livre, pour avoir 150 millions de doses supplémentaires de l'Union européenne.

Donc, il n'y a pas de problème, il n'y a pas de pénurie, mais on va accélérer aussi à la rentrée, parce qu'il faut se préparer à toutes les hypothèses. Il va falloir peut-être des rappels vaccinaux, se protéger contre les variants. Donc, on fait tout cela au niveau européen. (...).


source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 25 juin 2021