Extraits d'un entretien de M. Clément Beaune, secrétaire d'Etat aux affaires européennes, à RTL le 30 juin 2021, à propos du passe sanitaire européen et de la loi sur l'homosexualité en Hongrie.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

Q - Bonjour Clément Beaune.

R - Bonjour.

Q - Le pass sanitaire européen entre en vigueur demain. Concrètement, cela veut dire quoi, pour nous ?

R - Cela veut dire qu'à partir du 1er juillet, tous les pays européens vont reconnaître le pass, que des millions de Français ont déjà dans leur téléphone ou sur le papier, pour voyager en Europe, au sein de l'Union européenne.

Q - On devra présenter l'application Anti-Covid ou un papier ?

R - Exactement. Vous aurez, pour ceux qui ont été vaccinés, ou qui vont faire un test s'ils n'ont pas encore été vaccinés, quand vous faites le test par exemple, vous avez un code et si vous suivez le lien, pour être très concret, vous aurez, dans TousAntiCovid, un QR Code comme on l'appelle, un code qui sera reconnu partout en Europe. C'est le même format qui protège vos données, qui reconnaît si vous êtes vacciné complètement ou si vous avez fait un test à défaut d'être complètement vacciné.

Q - Alors ça, on nous le demande où ? A l'aéroport ? A la frontière ?

R - On vous le demande à l'embarquement. Si vous faites un vol Paris-Madrid, par exemple, on vous le demandera à Paris, à l'embarquement, pour le vérifier. Ce format est harmonisé. On dit "c'est une contrainte" ; je veux être précis, c'est, au contraire, de la liberté supplémentaire, parce qu'aujourd'hui en Europe, parce qu'on a dû le faire pour se protéger, il y a des restrictions pour voyager. Ce qu'on fait avec ce pass, c'est qu'on a un même format simple que vous avez sur votre téléphone ou sur une feuille de papier si vous n'avez pas de smartphone, comme on dit, et cela vous permet d'avoir la même chose, le même format, partout en Europe, pour cet été.

Q - Compte tenu de la propagation du variant Delta, le variant indien très contagieux, on se dit que les pays vont être obligés de s'adapter.

R - C'est pour cela, d'abord, indépendamment même du variant Delta mais ça conforte notre prudence, qu'on n'a pas rouvert complètement, dans le sens où vous avez justement besoin même en Europe, encore aujourd'hui, soit d'un test soit d'une preuve de vaccination pour voyager. Avec ce format, cela simplifie, mais cela ne lève pas cette contrainte sanitaire nécessaire qui est vaccination ou test.

Q - Voilà.

R - Ce qui veut dire que quand vous allez faire votre voyage pour une raison professionnelle ou touristique en Europe, on vérifie tout ça. Et ça veut dire aussi qu'on a des mesures de prudence. Je prends un exemple très concret, dans ce pass sanitaire qui est reconnu comme une vaccination, c'est si vous avez l'un des quatre vaccins qu'on utilise en France, l'un des quatre vaccins qui sont aujourd'hui reconnus par l'Agence européenne des médicaments ; parce qu'on pense que les autres qui n'ont pas été approuvés scientifiquement en Europe, ce n'est pas une question politique, c'est une question scientifique...

Q - Ça, c'est ce que fait la Grèce, par exemple. Elle accepte le vaccin chinois ou le vaccin russe.

R - Oui, il y a trois pays en Europe aujourd'hui qui sont plus laxistes, je crois qu'ils le sont trop, pour être honnête, et qui acceptent non seulement les quatre vaccins qu'on connaît en France, Pfizer, etc, mais aussi le vaccin russe ou le vaccin chinois. Nous ne le faisons pas en France, ce qui veut dire que quand vous êtes un touriste européen ou a fortiori étranger, même si vous voyagez au sein de l'Europe, si vous allez d'Athènes à Paris, par exemple, nous, quand on vérifie votre entrée sur le territoire français, on accepte uniquement un des quatre vaccins qui sont validés. Pas le russe, pas le chinois, pas parce qu'on a envie d'être agressif à l'égard des Russes et des Chinois, mais parce qu'on n'a pas la garantie que ces vaccins sont suffisamment protecteurs.

Q - Mais alors, pardonnez-moi d'insister sur le variant Delta puisqu'on en parle beaucoup.

R - Oui.

Q - Qu'est-ce qu'on fait avec un voyageur qui vient d'Angleterre ou du Portugal, par exemple, où le virus circule beaucoup en ce moment ? Et il est très contagieux, je le répète.

R - Ce sont deux cas différents. Le Royaume-Uni, notamment pour cette raison, on a continué à classer dans la catégorie orange. Concrètement, ça veut dire que même quand vous êtes vacciné, quand vous venez du Royaume-Uni, vous devez avoir, en plus, un test. On prend une sorte de précaution supplémentaire, et si vous n'êtes pas vacciné, vous pouvez faire un test mais vous devez avoir ce qu'on appelle un motif impérieux, c'est-à-dire une raison restrictive pour accéder au territoire français. Donc, on est plus restrictif avec le Royaume-Uni qu'avec les autres pays européens. Le Portugal, c'est un pays de l'Union européenne. A ce stade nous appliquons les mêmes règles qu'avec tous les autres pays de l'Union européenne, c'est-à-dire catégorie verte, vaccination ou test. On regarde la situation. On n'exclut pas que vis-à-vis de certains pays européens, on doive durcir les mesures si c'est sanitairement nécessaire. Pour l'instant, ce n'est pas encore le cas.

Q - Monsieur le Secrétaire d'Etat aux affaires européennes, est-ce que le test PCR va continuer d'être remboursé en France ?

R - Le test PCR est aujourd'hui gratuit en France, le test antigénique aussi. Je le souligne, c'est une spécificité française. Il n'y a que deux pays en Europe qui le font : la France et le Danemark. Nous, c'est gratuit depuis le début. Cela reste gratuit.

Q - Mais ça pourrait pousser les gens à se faire vacciner s'il n'était pas gratuit.

R - Oui. Mais pour l'instant, je crois qu'on a aussi intérêt à dépister le plus possible pour détecter la circulation du virus, notamment du variant. Peut-être que cela évoluera, dans les prochaines semaines, notamment après l'été, parce qu'en effet, c'est d'abord coûteux et puis, surtout, il faut en effet inciter à la vaccination. Mais pour l'instant je veux être clair, les tests c'est un avantage, je crois, sanitaire pour la France, pour les Français. Ils restent gratuits. Quand on dit gratuit, attention, ça veut dire qu'il est pris en charge par la solidarité collective, parce que cela quand même un coût.

Q - Tout à fait. C'est bon de le rappeler. A terme, est-ce que c'est le vaccin seul qui pourrait constituer le pass sanitaire ?

R - Pour l'instant, non. On a été très clair sur le fait que ce n'est pas un pass vaccinal. Il y a eu beaucoup de débats où on nous a expliqué qu'on forçait les gens...

Q - On ne sera jamais interdit de voyager parce qu'on refuse de se faire vacciner.

R - Non, c'est très clair. C'est la règle européenne qu'on a définie qui est la même pour tout le monde : c'est test ou vaccin. Test ou vaccin. Et c'est normal parce que quand vous avez aujourd'hui moins de 18 ans, par exemple, vous n'avez pas, sauf cas assez rares, massivement accès à la vaccination parce qu'on a commencé plus tard. Donc on ne veut pas non plus empêcher les gens, pour des raisons professionnelles ou même touristiques, de se déplacer en Europe. Donc test ou vaccin.

Q - Test ou vaccin. Clément Beaune, le dernier Conseil européen a été quelque peu bousculé par une polémique, créée par Viktor Orban, le dirigeant hongrois, à propos de sa loi sur l'homosexualité jugée contraire aux valeurs de l'Europe. Ce n'est pas la première fois qu'Orban tente de se démarquer des Européens. Est-ce que cette fois il va y avoir des sanctions ?

R - Je l'espère.

Q - Financières ?

R - Je l'espère, oui.

Q - C'est-à-dire ?

R - Nous avons engagé des procédures juridiques contre la Hongrie. Je vais vous le dire franchement : c'est trop long et c'est trop faible, nos procédures européennes pour sanctionner, face à des lois de cette nature qui sont un scandale. Ce n'est pas une ingérence que je fais dans la vie politique hongroise, c'est leur droit, mais ils ont adhéré à l'Union européenne ; il y a des valeurs communes. Et là, c'est une discrimination, tout simplement.

Q - Mais il n'y a pas que la Hongrie. Il y a la Pologne...

R - Bien sûr il y a la Pologne, je l'ai dénoncée aussi.

Q - ...la Slovénie. D'ailleurs ils disent que les autres pays d'Europe sont en cours d'américanisation des valeurs. Ils disent cela de nous.

R - Non. Moi je crois que c'est une stratégie de diversion. Ces valeurs, elles sont profondément européennes. C'est écrit dans nos traités européens depuis 1957. On n'a pas inventé ça, la semaine dernière, l'égalité et la non-discrimination. Pourquoi on a des procédures qui sont longues et compliquées, aujourd'hui, en Europe ? Parce qu'on ne pensait pas qu'un pays qui rejoignait l'Union européenne dans un projet politique sur ces valeurs, qui avait connu le communisme et le joug soviétique, puisse avoir des reculs de cette nature.

Q - Mais alors, Orban a toute sa place en Europe ? Parce que certains disent que non.

R - Je vais vous dire, je ne suis pas pour l'exclusion de la Hongrie de l'Union européenne. Parce que d'abord ce serait, d'une certaine façon, trop facile : ils auraient gagné. Et il y a des millions de personnes en Hongrie, des associations - j'en rencontre régulièrement - qui se battent pour défendre ces valeurs. Ils ont le droit à ces valeurs européennes. Et donc moi, je préfère qu'on ait des sanctions, qu'on ait une très grande fermeté. C'est la première fois qu'au niveau des chefs d'Etat et de gouvernement, on a eu un débat aussi dur, violent, pour dire à M. Orban "c'est inacceptable."

Maintenant il faut passer aux actes. On peut avoir des sanctions dans les prochains mois, mais c'est trop long et les sanctions financières ne sont pas assez puissantes. Il faut le dire clairement. Je souhaite que sous la présidence française de l'Union européenne, qui commence l'année prochaine, début 2022, on rouvre ce débat. L'Etat de droit, comme on dit de manière un peu froide, c'est-à-dire les valeurs, c'est au coeur du projet politique européen.

Q - Sanctions puissantes, c'est quoi ?

R - Cela veut dire que je souhaiterais qu'on ait des outils qui permettent, quand il y a une loi de cette nature, que très vite, en quelques jours ou quelques semaines, on puisse avoir une suspension des financements européens. Moi, je ne peux pas expliquer aux Français qu'on paye la solidarité européenne, et c'est normal - je la défends tous les jours - solidarité budgétaire à l'égard de la Pologne et de la Hongrie par exemple, mais qu'ils se fichent de nos valeurs. Ça, ce n'est pas possible (...).


source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 1er juillet 2021