Entretien de M. Clément Beaune, secrétaire d'Etat aux affaires européennes, avec Europe 1 le 8 août 2021, sur le passe sanitaire, l'Union européenne face à l'épidémie de Covid-19, les incendies dans le sud de l'Europe, le plan de relance européen et la situation en Biélorussie.

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Média : Europe 1

Texte intégral

Q - Bonjour Clément Beaune.

R - Bonjour.

Q - Vous êtes secrétaire d'Etat aux affaires européennes. Vous seriez à l'aise de contrôler vous-même le pass sanitaire d'un collaborateur ou d'un visiteur du Quai d'Orsay ?

R - Il y a un certain nombre de contrôles dont je suis témoin chaque jour en prenant l'avion par exemple, encore hier. Je comprends que, puisque j'imagine que c'est le sens de la question, pour un restaurateur par exemple...

Q - Oui, est-ce chacun peut s'improviser contrôleur, un peu auxiliaire de police ?

R - Non, mais pas auxiliaire de police, je crois qu'il faut raison garder et regarder les choses telles qu'elles sont. Le pass sanitaire, ce n'est agréable pour personne, ni pour ceux qui l'utilisent, ni pour ceux qui le contrôlent, depuis quelques semaines dans le transport aérien, demain dans l'hôtellerie ou la restauration. C'est un moment désagréable, nécessaire pour éviter d'avoir des mesures plus dures de fermetures complètes non discriminées qui seraient je crois, une catastrophe, économique d'abord, sociale pour ces secteurs-là. Un équilibre a été trouvé dans la discussion parlementaire aussi pour que l'on clarifie bien les rôles. Un restaurateur n'est pas un policier : il vérifiera le pass sanitaire mais il ne vérifiera pas l'identité d'une personne qui se trouve à la terrasse de son café, à la terrasse de son restaurant. J'espère que l'on aura besoin le moins longtemps possible de cette contrainte collective, parce que ce qui nous pourrit la vie, ce n'est pas le pass sanitaire ; c'est le virus, c'est le variant et on doit s'en débarrasser par la vaccination.

Q - Ce matin dans "Le Parisien", le ministre de la santé Olivier Véran annonce des assouplissements : les tests négatifs seront valables 72 heures au lieu de 48 heures notamment, est-ce une réponse aux manifestations qui émaillent les samedis ?

R - Non, ce n'est pas une réponse aux manifestations spécifiquement, mais il y a d'abord du pragmatisme à chaque fois. On l'a vu dans le débat parlementaire, le dispositif qui a été annoncé a été précisé, il y a eu un peu de flexibilité qui a été donnée, on a aussi annoncé une semaine de rodage justement pour que les contrôles se mettent en place progressivement et que chacun s'habitue, les professionnels comme les clients, à ces nouvelles contraintes. Et puis il y a cette flexibilité supplémentaire sur les 72 heures qui est pragmatique là aussi parce que chacun doit faire des tests. Il y aura des tests massivement disponibles, je rappelle qu'en France ils sont gratuits, ce qui est très rare en Europe. Et il faut que chacun puisse s'adapter. Donc c'est une souplesse de fonctionnement, de mise en oeuvre de ce pass sanitaire.

Il ne s'agit pas d'opposer une forme de dogmatisme rigide à des manifestants qui eux défendraient la liberté. Je crois que cela ne se passe pas comme cela. Il faut entendre les messages, et depuis le départ, le gouvernement a été pragmatique. Nous cherchons à ne pas mettre de contraintes inutiles mais à répondre à cette quatrième vague de la manière la plus proportionnée possible.

(...)

Q - Emmanuel Macron prend la parole sur un thème toujours de la contrainte. Le pass sanitaire est vu comme une contrainte, quand - on a l'exemple britannique en face de nous, quand Boris Johnson lui parle de liberté, liberté retrouvée, "Freedom Day" -, on n'est pas sur le même registre. Qui a raison là-dedans ? Ne ferait-on pas mieux de donner plus d'espoir aux Français ?

R - Mais je le dis : le pass sanitaire, bien sûr c'est une contrainte, bien sûr c'est désagréable. Mais oui, c'est notre liberté garantie parce que ce n'est pas le pass sanitaire ou la liberté absolue malheureusement à ce stade, puisqu'il y a le virus qui circule, c'est le passe sanitaire ou de la contrainte supplémentaire. Alors moi j'assume en effet qu'il nous permet de la liberté, il nous permet de l'ouverture, il nous permet de trouver une activité normale, la plus normale possible dans ces semaines qui viennent.

Après, vous savez, la rhétorique repère quelques mots comme ça différents d'un pays à l'autre. Au Royaume-Uni, regardez les faits : il y a eu des mesures extrêmement strictes, extrêmement dures de confinement, de restriction d'activités, prenant parfois plus longtemps que nous... Des fermetures d'écoles par exemple, la liberté que l'on donne aux parents, aux écoliers, dans ce pays, plus qu'aucun pays d'Europe. Avoir l'accès à l'éducation, c'est une liberté qu'il faut revendiquer. Donc je crois que personne ne cherche à insister par plaisir sur la contrainte. Mais à expliquer pourquoi, tant que le virus est là, nous avons besoin de cet équilibre et nous avons besoin d'un outil - c'est le pass sanitaire aujourd'hui -, qui nous permet de garder cet équilibre entre liberté et protection.

Q - Puisqu'on parle du pass sanitaire et d'Europe, d'autres pays imposent un système similaire ou presque, le Danemark, l'Autriche, l'Italie... Est-ce que vous avez des discussions avec vos homologues - je rappelle que vous êtes secrétaire d'Etat aux affaires européennes -, est-ce que vous avez des discussions avec vos homologues pour essayer d'harmoniser cette question-là ?

R - Alors il y a une chose qu'on a harmonisée, je crois qu'il faut le souligner, c'est le pass sanitaire européen...

Q - Pour les voyages...

R - Que vous avez sur votre téléphone pour un certain nombre d'activités sociales au coin de votre rue. C'est aussi un pass sanitaire qui vous permet de vous déplacer en Europe. Pour le tourisme cet été, c'était particulièrement important. On l'a harmonisé au niveau européen depuis le 1er juillet. Cela on l'a concerté effectivement avec tous nos voisins et nos homologues européens. Je rappelle qu'aux Etats-Unis, entre Etats américains, entre Etats au sein des Etats-Unis d'Amérique, il n'y a pas d'harmonisation. Donc parfois, vous pouvez ne pas circuler au sein du même pays. En Europe, on a réussi cela.

Après, toutes les mesures ne sont pas exactement les mêmes ; les situations sanitaires ne sont pas les mêmes. Quand la Catalogne s'est trouvée en situation extrêmement difficile, quand le Portugal s'est trouvé en situation extrêmement difficile, ils ont pris des mesures, par exemple le couvre-feu qu'on a réussi - parce qu'on a réagi vite, notamment avec le pass sanitaire - à éviter. Mais quand la France a décidé le pass sanitaire, il y a quelques jours, l'Italie a emboîté le pas, parce qu'elle a vu aussi que c'était un des outils de réponse à cette quatrième vague.

Q - Quelques questions rapides sur votre dossier européen. L'actualité en Europe, ce sont les terribles feux en Grèce. La France envoie des moyens. L'Europe est au rendez-vous ?

R - Je crois que l'Europe est au rendez-vous. C'était une des propositions que nous avions faites d'avoir un mécanisme européen de protection civile pour répondre justement à ces terribles incendies...

Q - Combien d'avions est-ce que l'on envoie ? Est-ce que la France envoie des avions ?

R - On envoie très précisément aujourd'hui trois Canadairs en Grèce. On a engagé aussi deux Canadairs en Italie, qui est confrontée à des feux de forêt. Il y a quatre-vingt sauveteurs et pompiers français qui sont aujourd'hui à pied d'oeuvre en Grèce. La solidarité européenne, c'est très concret. C'est comme cela que ça s'incarne aussi avec cette solidarité au coeur des intempéries et des incendies.

Q - Le déblocage du plan de relance de l'Union européenne : on en est où ? Quel est le calendrier ?

R - Là aussi, je crois qu'il faut le rappeler, c'est un grand succès européen, parce que notre réponse économique est solidaire et très forte. Et nous avons les premiers décaissements qui arrivent en ce moment-même, pour la France, et sans doute la semaine prochaine, en tout cas dans les prochains jours, les premiers milliards d'euros européens arriveront pour booster, pour accompagner ce plan de relance français...

Q - Combien de milliards ?

R - Ce sont cinq milliards d'euros. C'est une somme importante qui va arriver dans un premier versement pour nous soutenir dans les prochains jours.

Q - Des fonds que la France a en réalité déjà engagés...

R - Oui, bien sûr, mais si nous n'avions pas pu compter sur ces fonds européens, notre plan de relance serait beaucoup plus limité. Et donc les 40 milliards d'euros au total que nous recevrons de l'Europe dans les prochains mois, à partir de la semaine prochaine et dans les prochains jours en tout cas, cela a gonflé notre plan de relance et cela a permis cette réponse, très forte, partout en France.

Q - Il se passe quelque chose aux portes de l'Europe. Le Belarus s'est lancé dans un jeu un peu malsain : depuis quelques semaines, le régime proche de Moscou fait venir des migrants irakiens par avion pour les déposer ensuite à la frontière européenne en Lituanie. Alors c'est une information qui semble un peu loin, mais ce sont des milliers de personnes concernées. Une réunion de crise est prévue pour dans dix jours. Quelle réaction de l'Europe ?

R - Là aussi, c'est la puissance et la solidarité de l'Europe qui sont testées. On a une dictature - quand les gens utilisent des mots, je crois qu'il faut comprendre ce que c'est - c'est une dictature. On tue des gens. On réprime des opposants. Cela fait un an exactement qu'une élection présidentielle - si l'on peut dire - totalement frauduleuse - a été organisée qui a muselé l'opposition. Il y a des centaines de morts, des milliers de prisonniers. C'est ça la dictature biélorusse aujourd'hui. Donc cette dictature biélorusse, non contente de réprimer ses propres opposants, organise, parce que c'est malheureusement un commerce immonde, l'arrivée de migrants, en général d'Irak, qui arrivent en Biélorussie et qui ensuite sont incités par les autorités biélorusses qui les conduisent elles-mêmes, à passer la frontière vers l'Union européenne, vers la Lituanie en l'occurrence. Cela paraît loin, mais là aussi nous sommes solidaires parce que c'est l'Europe qui est en jeu.

Q - Il va falloir fermer sa frontière ?

R - La Lituanie est en train de mieux contrôler sa frontière, parce que c'est nécessaire. Et puis il y a un besoin humanitaire, parce qu'il y a des milliers de personnes qui sont déjà passés du côté lituanien, par la Biélorussie. Nous envoyons là aussi dans les prochains jours des tentes, des kits d'hygiène, pour accompagner de manière humanitaire nos amis lituaniens et ces migrants qui sont malheureusement instrumentalisés par cette dictature soviétique - pardon, post-soviétique - qui continue à sévir à nos portes.


Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 11 août 2021