Entretien de M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l'Europe et des affaires étrangères, à RTL le 17 août 2021, sur l'évacuation des ressortissants français et des Afghans menacés après la prise du pouvoir par les talibans en Afghanistan.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

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Q - Bonsoir Jean-Yves Le Drian.

R - Bonsoir !

Q - Merci beaucoup d'être avec nous sur RTL et de vous être éclipsé un instant du Conseil européen auquel vous participez. Un Airbus A310 a atterri tout à l'heure à Roissy en provenance d'Abou Dabi avec, à son bord, 45 exfiltrés de Kaboul. Les premiers donc, des ressortissants français, je crois, mais pas seulement. D'abord, est-ce que vous pouvez nous dire qui sont ces 45, qui sont ces personnes ?

R - Je n'ai pas là l'identité de l'ensemble de nos ressortissants et de nos partenaires qui sont revenus par ce premier vol en provenance des Emirats arabes unis ; vous savez qu'il y a relativement peu de nos ressortissants en Afghanistan d'abord parce que nous n'étions plus depuis 2012 militairement partie prenante et ensuite, parce que nous avions déjà anticipé et organisé des vols spécifiques pour rapatrier nos compatriotes d'Afghanistan dès le mois de juillet.

Donc il y a encore en Afghanistan quelques dizaines de Français qui sont pour nous une urgence absolue. C'est le premier vol, ils étaient à proximité de l'aéroport et donc on a pu agir assez rapidement. Il y aura ce soir un autre vol d'A400 M qui va se poser à Kaboul, puisque désormais les conditions de sécurité sont rétablies sous l'autorité américaine à l'aéroport de Kaboul. Et nous allons continuer ainsi ces rotations pour permettre à la fois à nos propres ressortissants de revenir, mais pour permettre aussi aux agents de droit local qui ne seraient pas revenus jusqu'à présent de le faire. Permettre aussi à nos partenaires européens de revenir et permettre aussi à ce que des Afghans, menacés dans leurs engagements, qui sont menacés par l'arrivée des Taliban qu'ils ont besoin de protection, puissent aussi revenir.

Q - Est-ce qu'il y a encore des Français bloqués à Kaboul ? Pas à l'aéroport mais dans la capitale, des Français qui ne pourraient pas atteindre l'aéroport ?

R - Il y a surtout des Français qui sont à l'extérieur de Kaboul qui ont des difficultés de rejoindre l'aéroport ; nous sommes en relation avec eux. Notre ambassade qui était réduite au minimum déjà depuis quelque temps joue un rôle, je pense, tout à fait essentiel de manière très courageuse, avec les policiers qui les accompagnent et qui sont présents. Et nous essayons de les joindre pour qu'ils puissent progressivement rejoindre l'aéroport pour, à partir de là, rejoindre dans les navettes qui sont organisées les Emirats arabes unis, puis la France.

Q - Quel est le rôle des forces spéciales de l'armée française qui sont à Kaboul ? Elles participent évidemment à la sécurisation de l'aéroport et de ses vols mais, par exemple, est-ce qu'elles ont les moyens ou la possibilité d'aller chercher des personnes dans Kaboul ou à l'extérieur de la capitale afghane ?

R - On va voir ça au cas par cas en fonction des demandes que nous avons. Ces forces spéciales, elles ont d'abord pour objectif d'assurer la sécurité de notre ambassade qui, comme vous le savez, est maintenant sur l'aéroport de Kaboul et d'assurer aussi la sécurité de l'acheminement vers les avions des personnes, de nos compatriotes ou de nos partenaires que nous allons rapatrier en France. Donc elles ne sont pas là pour faire la guerre.

Q - On a vu évidemment ces images de chaos notamment à l'aéroport de Kaboul ; vous étiez ministre de la défense au moment du retrait français d'Afghanistan, comment expliquez-vous cette déroute, en tout cas ce sentiment d'impréparation totale ?

R - Il y avait deux grands objectifs dans l'action initiée par les Alliés après les attentats de New-York. Il y avait un premier objectif, c'était d'éradiquer Al-Qaïda et d'éradiquer aussi le gouvernement taliban de l'époque qui protégeait Al-Qaïda. Cet objectif-là, il a été atteint.

Et c'est au moment où nous considérions que cet objectif était atteint que nous avons retiré nos forces parce que nous considérons qu'on ne peut pas militairement parlant imposer une démocratie à l'occidentale à tel ou tel pays ; il fallait que les Afghans eux-mêmes s'organisent. Et ce deuxième objectif qui était le maintien, le rétablissement de l'Etat de droit, le maintien de l'Etat de droit, celui-là, cet objectif-là n'a pas été atteint. Ce qui a engendré une décision américaine de retirer leurs forces lors d'accords qu'ils ont eus avec les Taliban en février 2020. Ils se sont engagés à se retirer et le Président Biden a poursuivi ces engagements parce qu'il y avait le constat qu'on ne pouvait pas de l'extérieur, par des armes, initier un dispositif d'Etat qui ne correspondait pas vraiment à ce que visait l'Afghanistan même si l'objectif numéro 1 avait été atteint.

Q - Mais vous-même, vous avez été surpris de la rapidité du retour des Taliban ?

R - Voilà, là où il y a une interrogation, parce que cette sortie américaine était prévue, mais elle était prévue plus tard. Et là, il y a eu une véritable accélération. Les Taliban ont mis tout le monde devant une réalité qui n'était pas envisagée aussi rapidement et il y a eu un vrai effondrement de l'Etat afghan que l'on n'imaginait pas à ce point fragile.

Q - Est-ce que la France dialogue d'ailleurs avec les Taliban pour sécuriser ces départs ?

R - Je ne rentrerai pas dans ces considérations-là maintenant ; nous sommes très pragmatiques sur la situation et on essaie de faire en sorte que les départs s'effectuent dans les meilleures conditions.

Q - Quelle sera la position de la France vis-à-vis de ce nouveau pouvoir ? Est-ce que vous trouvez comme les Chinois ou les Russes que le discours des Taliban a changé et qu'on peut peut-être dialoguer avec eux ?

R - C'est à eux de faire la preuve ! Pour l'instant, notre ambassade est toujours ouverte, elle a déménagé pour des raisons de sécurité mais elle est toujours ouverte. Nous, nous souhaitons simplement que ce nouveau pouvoir montre qu'il a changé par rapport aux Taliban de la fin des années 90, c'est-à-dire qu'il rejette le terrorisme, qu'il n'accueille pas Al-Qaïda et que ce gouvernement représente les aspirations de la population afghane et aussi qu'il respecte le droit, et en particulier le droit des femmes. C'est en fonction de tout cela que l'on pourra agir. Les Taliban nous disent publiquement qu'ils ont changé, que ce ne sont plus les mêmes, qu'ils veulent atteindre de la respectabilité, c'est à eux de faire la preuve.

Q - Dernière question, Jean-Yves Le Drian : Emmanuel Macron a annoncé hier soir une initiative européenne pour protéger contre des flux migratoires irréguliers en provenance d'Afghanistan. C'est une déclaration qui a provoqué de nombreuses réactions parfois même d'indignation à gauche au moment où les Afghans cherchent à sauver leur vie. Oui ?

R - Vous savez, la France n'a pas de leçon à recevoir en matière d'accueil à l'égard des Afghans. Il y a eu, en 2021, 7 000 demandes d'asile d'Afghans déposées en France et généralement les demandes d'asile d'Afghans en raison de la situation sont validées et sont retenues par la France. Il faut qu'au niveau européen - c'est ce sur quoi nous travaillons en ce moment même puisqu'il y a une réunion qui se déroule en ce moment -, nous puissions partager. Et puis avoir une politique commune concernant l'Afghanistan pour que la communauté internationale considère que l'accueil des Afghans est une nécessité qui doit être largement partagée.

Q - Voilà et c'est ce qui est sur la table de ce Conseil européen auquel vous allez de nouveau participer puisque vous vous en étiez éclipsé quelques minutes pour être avec nous sur RTL. Merci beaucoup Jean-Yves Le Drian.


source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 19 août 2021