Entretien de M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'État au tourisme, aux Français de l'étranger et à la francophonie, à LCI le 25 août 2021, sur l'évacuation des Français et des Afghans menacés après la prise du pouvoir des talibans en Afghanistan et le bilan du tourisme estival.

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  • Jean-Baptiste Lemoyne - Secrétaire d'État au tourisme, aux Français de l'étranger et à la francophonie

Média : La Chaîne Info

Texte intégral

Q - Vous êtes secrétaire d'Etat chargé du tourisme, des Français de l'étranger et de la Francophonie, merci d'avoir accepté l'invitation de LCI. Nous évoquerons ensemble, plutôt à la fin de cet entretien, les grandes tendances du tourisme puisque les vacances, hélas ou tant mieux, je ne sais pas, sont en train de se terminer, vivent leurs derniers feux. Mais avant, puisque vous êtes aussi en charge des Français de l'étranger, je voulais évoquer avec vous la situation de l'Afghanistan. Reste-t-il beaucoup de Français à rapatrier depuis Kaboul, le savez-vous ?

R - Alors, nous avons, vous savez, anticipé et rapatrié un certain nombre de nos compatriotes, également des auxiliaires qui nous ont aidés, puisque dès le mois d'avril dernier nous avions incité à revenir en France. Et dans l'opération qui est conduite depuis le 16 juillet, 115 de nos compatriotes ont pu être rapatriés. Et, naturellement, nous continuons, c'est une noria incessante...

Q - Est-ce qu'il y en a encore beaucoup à rapatrier ? Parce qu'on a compris que les Etats-Unis c'est terminé. 31 août, ils arrêtent, ils ont peur, a expliqué Joe Biden, d'actions terroristes, donc la sécurité ne sera plus assurée. Et du coup, puisque nous sommes dépendants des Etats-Unis, nous n'avons plus que 48 heures, 72 heures, pour évacuer les derniers Français. Combien en reste-t-il aujourd'hui, est-ce qu'on le sait ?

R - Oui, il y en a quelques dizaines, nous sommes en contact avec eux. D'ailleurs certains se sont signalés encore ces derniers jours, n'étaient pas forcément inscrits sur les listes consulaires, mais c'est un travail qui est fait, très minutieux. Je veux rendre un hommage, vraiment appuyé, non seulement à l'ambassadeur Martinon, aux équipes présentes sur place, désormais dans l'aéroport de Kaboul, et puis également au centre de crise et de soutien du Quai d'Orsay, qui justement est en contact avec ces Français, avec leurs familles. Et, vous l'avez dit, tout est maintenant très minuté, chaque heure compte, chaque minute compte, pour pouvoir poursuivre, continuer, l'évacuation de nos derniers ressortissants. Et puis aussi de celles et ceux qui nous ont aidés, de celles et ceux qui se sentent menacés. Enormément de personnes nous ont signalé des cas d'Afghans qui se sentaient menacés parce que défenseurs des libertés, des droits de l'homme, des droits des femmes, on en a plusieurs milliers. Et donc, vous voyez, c'est une opération logistique, de très grande ampleur, dans des conditions qui sont des conditions extrêmes.

Q - Je comprends que vous vouliez adresser des félicitations, ou des remerciements, à ceux qui s'impliquent dans ce dossier parce que, vous le dites, les conditions sont épouvantables, mais pour être précis, tous les Français seront évacués ou, hélas, il ne sera pas possible de tous les évacuer ? Vous dites qu'il en reste quelques dizaines.

R - Oui, tout à fait. On est en contact...

Q - Vous faites le maximum, mais est-ce qu'il y a une hypothèse où des Français ne pourront pas être rapatriés ?

R - On fait tout pour ramener tout le monde à la maison. Voilà. Je ne peux pas être plus clair, après ce sont des conditions sur le terrain, vous savez, très chaotiques...

Q - Oui, oui, on a compris.

R - Pour rejoindre l'aéroport jusqu'à Kaboul, c'est compliqué...

Q - Oui, on a compris que c'était très difficile jusqu'à Kaboul.

R - Et donc, nous on fait tout, on fait des opérations encore aujourd'hui, etc..., pour rapatrier...

Q - Jusqu'à quand ? Combien ? 48 heures ? Quel temps il reste pour faire tout ce travail ?

R - Alors, on dépend, pour le calendrier, en réalité, des décisions américaines...

Q - Bien sûr.

R - Ce sont des décisions souveraines, c'est une opération américaine, c'est un désengagement américain, ce sont les Etats-Unis qui sécurisent l'aéroport. Et donc en réalité notre calendrier il est, du coup, lié à celui-là. Hier le Président Biden a indiqué qu'il souhaitait s'en tenir à la date du 31 août, tout en précisant avoir demandé aussi à l'armée américaine de travailler sur des plans de secours au cas où, s'ils devaient aller au-delà...

Q - Du 31 août.

R - Mais à ce stade, on voit que c'est l'option la plus probable. Et donc ça veut dire que, encore une fois, les heures, aujourd'hui et demain, sont des heures qui comptent double pour pouvoir ramener tout le monde à la maison, non seulement les Français établis hors de France, encore quelques dizaines, et puis également ceux qui se sentent en danger.

Q - Quelques dizaines encore de Français, et combien d'Afghans ont été rapatriés en France depuis le début des opérations ?

R - Alors 2 000 depuis le 16 août. 2 000 Afghans, sachant que déjà depuis le printemps 600 d'entre eux avaient pu revenir, parce que nous avions anticipé, parce que dès que le retrait américain avait été confirmé par Joe Biden, nous avions anticipé un scénario, voilà, un peu catastrophe. Et hélas il s'est produit. Et donc, on en est aujourd'hui avec ces chiffres, sachant que par ailleurs, depuis plusieurs années, également nombre d'Afghans ont trouvé également asile auprès de la France, ce qui fait d'ailleurs qu'on a, je crois, aucune leçon à recevoir d'aucun dirigeant étranger sur des chiffres à atteindre...

Q - Vous pensez à qui ?

R - J'ai vu le dirigeant britannique annoncer 20 000 Afghans sur les cinq prochaines années ; nous, chaque année, déjà, c'est plusieurs milliers d'Afghans que nous avons protégés et cela mérite d'être dit. La France est à la hauteur des devoirs qu'elle se fixe.

Q - Et vous dites avoir identifié plusieurs milliers d'Afghans qui pourraient justifier d'un rapatriement, mais hélas ceux-là, on ne pourra peut-être pas les aider.

R - Alors c'est pour ça que, nous avons été très clairs, et le G7, qui s'est réuni hier, a été très clair : nous souhaitons que les Taliban, au-delà de la date de retrait définitive des Américains, quelle qu'elle soit, puissent laisser les personnes qui le souhaitent sortir du pays, et donc cela sera d'ailleurs...

Q - Oui, que vous le disiez, c'est normal. Mais ça risque d'être un voeu pieux, c'est ce que je veux dire.

R - On jugera sur les actes.

Q - Oui, mais les Taliban feront ce qu'ils voudront et on ne les imagine pas très conciliants.

R - Oui, sauf qu'on voit qu'ils souhaitent obtenir un certain nombre de buts, ils cherchent une forme de reconnaissance, de légitimation. Et donc je pense qu'ils vont... enfin en tous les cas ils voient bien quelles sont les conditions à réunir pour, en tous les cas...

Q - Pour ?

R - Non, mais les conditions à réunir tout simplement pour être à la hauteur des devoirs qui s'imposent à toute personne, individuelle ou morale, sur la scène internationale, voilà.

Q - Je vais essayer de conclure votre raisonnement : si ces conditions sont remplies, le gouvernement français pourrait reconnaître le gouvernement des Taliban.

R - Alors, je ne parle pas de ça, attendez, je ne parle vraiment pas de ça. Il y a un droit international, il y a un droit international humanitaire, il y a un droit international tout simplement des droits de l'homme. Et il s'impose à tout le monde, et donc c'est la première des choses, et donc c'est le message qui a été lancé par le G7 : laissez partir sans entraves les personnes qui le souhaitent, et donc on jugera sur les actes.

Q - Reconnaître le gouvernement des Taliban pour la France serait possible, au bout du processus ?

R - Mais vous savez, sur la scène diplomatique, on ne reconnaît pas des gouvernements, on reconnaît des Etats, c'est différent. Donc ce que je veux dire, c'est que...

Q - Reconnaître, enfin, nouer des relations diplomatiques avec l'Afghanistan dirigé par les Taliban, c'est possible ?

R - Pour l'instant on est dans l'urgence, on est dans les évacuations, et vous avez vu que...

Q - Il est trop tôt pour répondre à cette question.

R - Il y a énormément de conditions qui ont été posées par la communauté internationale, voilà.

Q - Trop tôt pour répondre à cette question.

R - En tous les cas aujourd'hui la question c'est l'évacuation, la mise en sécurité, à la fois de nos ressortissants, des Afghans qui ont travaillé avec nous, et des Afghans qui se sentent menacés.

Q - Evacuer des Afghans ne va pas sans problème parce qu'on évacue qui exactement, on ne le sait pas toujours, voilà. Donc il y a le cas de ces cinq Afghans, un mis en garde à vue parce qu'il n'a pas respecté son contrôle judiciaire : on les soupçonne d'être proches des Taliban. Ont-ils des projets particuliers ? Bien sûr ils se présentent comme pacifiques et désirant fuir le pays. Mais est-ce qu'ils viennent ici pour commettre des actes de terrorisme ? Il y a toujours cette incertitude. Avez-vous le sentiment que des imprudences peuvent être commises dans cette opération d'évacuation en urgence ?

R - Mais, je crois que, ce que vous évoquez, montre que justement nous avons un dispositif de criblage qui a fonctionné. Gérald Darmanin l'a précisé hier, c'est parce que justement nous avons eu les bonnes alertes, les bons criblages qui ont pu être faits...

Q - Un peu tard, parce que peut-être que le type qui était en photo avec les Taliban, il ne fallait peut-être pas le prendre, peut-être que vous l'avez eu un peu tard le criblage, l'information.

R - J'invite tout le monde...

Q - A la modestie.

R - Y compris un certain nombre de personnalités politiques, qui prétendent aux plus hautes fonctions dans le cadre de la primaire de la droite, ou d'autres d'ailleurs...

Q - Ou de l'élection présidentielle, il y en a un peu pour Marine Le Pen et un peu pour...

R - A un peu d'humilité parce que, pardon, mais regardez la situation sur le terrain. Je veux dire on ne peut pas faire comme si ce n'était pas le chaos. C'est le chaos, et donc, dans ces conditions-là, tout le monde, que ce soit les diplomates, les militaires, les policiers, les gendarmes, font le maximum. Et la preuve, c'est que nos systèmes d'alerte et de détection ont fonctionné. Donc il n'y a pas de failles et nous souhaitons concilier à la fois impératif humanitaire, et impératif sécuritaire, parce que c'est très clair...

Q - C'est possible de concilier les deux ?

R - Ah mais écoutez, justement...

Q - Parce qu'on ne sait pas trop à qui on a affaire dans le désordre...

R - Au bilan du président de la République, depuis le début du quinquennat, il y a ce réarmement aussi de nos services de sécurité, des services de sécurité intérieure, s'il y a une loi de programmation militaire qui a été votée, des crédits mis en place pour tous ces services. On a aussi réarmé une partie de ce qui avait été désarmé par...

Q - Par qui ?

R - La droite, il y a quelques années, et j'en suis issu, donc il faut savoir reconnaître aussi...

Q - Vous étiez dans les cabinets ministériels qui, dit-on...

R - Mais c'est pour ça.

Q - Ont un peu désarmé l'appareil de police.

R - Mais attendez, il faut savoir...

Q - C'est un mea culpa.

R - Non, non, non, parce qu'il se trouve que, vous savez, quand on est collaborateur on n'est pas en responsabilité directe. Et ce que je veux dire c'est que, en revanche, il y a bien eu des décisions qui ont été prises, il y a une dizaine d'années, et plus, pour baisser les effectifs, etc... Aujourd'hui on a vu à quoi cela pouvait conduire en termes aussi de renseignement et donc, depuis quelques années, on met le paquet là-dessus. Et c'est pour dire que, sur ces sujets de sécurité, on est le gouvernement qui investit, qui donne des moyens, qui donne aussi des conditions de travail, qui sont meilleures, à ces personnels.

Q - Xavier Bertrand, que vous connaissez bien sûr, a eu ce mot cruel pour Emmanuel Macron, "il est insouciant face au problème du terrorisme". Ça fait mal !

R - J'ai trouvé l'auteur de cette saillie indécent justement, indécent parce que, voilà, je crois que le Président de la République c'est aussi celui qui a, au-delà du discours des Mureaux, mis en place cette loi pour lutter contre le séparatisme, qui a mis en place un certain nombre d'outils pour lutter contre le terrorisme islamiste. Donc on n'est au contraire pas dans l'angélisme, on est véritablement dans la protection de nos concitoyens.

Q - La vie est ainsi faite qu'on peut passer du très grave, du très anxiogène, à quelque chose qui est plus léger. Les vacances, voilà, on va passer de l'Afghanistan aux vacances. Bon, nos vies sont faites comme ça. Quelles sont les tendances de l'été qui se termine du point de vue du tourisme, Jean-Baptiste Lemoyne ?

R - Ecoutez, je crois qu'on a sauvé l'été, dans un contexte qui n'était pas évident, contexte du variant Delta qui, vous le savez, est très contagieux, etc...

Q - Et on a noté que dans les zones littorales, il s'était beaucoup répandu cet été.

R - Mais, on voit bien que, dans les zones, par exemple où le plan blanc a été déclenché, donc...

Q - Plan blanc pour les hôpitaux.

R - C'est quand même sérieux. Pour autant on a réussi à poursuivre la saison estivale, grâce aussi justement aux mesures de freinage qui ont été prises très tôt, grâce aussi au pass sanitaire, parce que le pass sanitaire c'est ce qui permet de continuer à vivre tout en combattant le virus...

(...)

Q - Un été sauvé disiez-vous, beaucoup de Français bien sûr en France... et peu d'étrangers.

R - Oui, alors beaucoup de Français en France, ils ont été 85%, de ceux qui sont partis, à rester en France, à redécouvrir nos terroirs, nos territoires, avec de très belles performances, par exemple pour les campings, pour les gîtes, les Gîtes de France sont à +10% par rapport à 2019, qui a même été une année record au mois de juillet. Et puis des valeurs sûres, le littoral, la montagne aussi, on a été sur du +24% dans les Pyrénées par exemple. C'est vous dire que la montagne a repris des couleurs après un hiver qui a été très compliqué, puisque les remontées mécaniques étaient fermées.

Et puis, attendez, on espère l'été indien. L'été indien veut dire encore des week-ends, et puis une arrière-saison qu'on espère positive avec une relance, petit à petit, de l'événementiel, très important pour Paris par exemple, des groupes seniors, qui n'avaient pas pu voyager à l'automne dernier. Donc on va tout faire pour, et pour ça on a besoin des meilleures conditions sanitaires et donc de la vaccination.

Q - Les chefs d'entreprise se réunissent à partir d'aujourd'hui sous l'égide du MEDEF pour ce qui ressemble à une université d'été, mais qui s'appelle autrement, j'ai oublié comment. Alors, Geoffroy Roux de Bezieux, qui dirige le MEDEF, donne une interview ce matin au "Figaro". Je l'ai trouvé assez sec quand même, il dit "il faut mettre un terme le plus rapidement possible au quoi qu'il en coûte", et il dit "on n'est pas entrepreneur pour vivre avec les aides de l'Etat". Pas très reconnaissant Geoffroy Roux de Bezieux.

R - Non, mais vous savez, moi hier je réunissais d'ailleurs mon comité filière tourisme, donc tous les entrepreneurs du secteur du tourisme étaient là. Ce qu'ils souhaitent, c'est pouvoir reprendre une activité normale. Et effectivement, ils le disent eux-mêmes, ils ne souhaitent pas vivre d'aides. Maintenant ils sont très heureux qu'on soit à leurs côtés parce que, on le sait, la reprise est progressive. Et donc il y a besoin de les accompagner dans cette reprise. On les recevra d'ailleurs, avec Bruno Le Maire, le 30 août, lundi prochain...

Q - Et on va couper les aides, c'est fini le "quoi qu'il en coûte" ?

R - Et on fera le point sur comment se sont passés les dernières semaines, les derniers mois. Est-ce qu'il y a des pertes de chiffre d'affaires, à quel niveau, et comment on fait pour aider dans cette reprise. Parce que, vous savez, je prends le secteur du tourisme : depuis le début de la crise on a mis 36 milliards d'euros sur la table, c'est du concret, c'est de la subvention, avec le Fonds de solidarité, les prêts garantis par l'Etat à 90 %...

Q - Ah c'est du concret, c'est dans la dette, il faudra bien payer tout cela un jour, comme vous dites, c'est du concret.

R - Mais, c'est assumé, parce qu'on veut préserver les emplois...

Q - Oui, ce n'est pas remboursé, mais c'est assumé.

R - Parce qu'on veut préserver les emplois, les talents, les entreprises. C'est comme ça qu'en 2008 les Allemands ont mieux rebondi, après la crise, que nous. Et donc le Président a été très clair depuis le début : on préserve le tissu économique français, c'est ça qui va permettre de performer l'année prochaine.


Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 26 août 2021