Texte intégral
DIMITRI PAVLENKO
Bonjour Clément BEAUNE.
CLEMENT BEAUNE
Bonjour.
DIMITRI PAVLENKO
Vous êtes secrétaire d'Etat auprès du ministre de l'Europe et des Affaires étrangères, chargé des Affaires européennes. Plus de 100 morts hier disait Elise DANJEAN à l'instant dans ce double attentat survenu aux abords de l'aéroport Hamid Karzaï de Kaboul, c'est la dernière porte de sortie d'Afghanistan, il faut bien le comprendre, qui doit bientôt se refermer, 31 août disent les Américains. D'abord, très factuellement, avez-vous un bilan mis à jour des victimes à éventuellement nous communiquer ce matin, est-ce qu'on est sûr qu'aucun Français ne figure dans la liste ?
CLEMENT BEAUNE
Alors, on a vécu une tragique journée avec cet attentat terrible, je suis prudent parce que la chose est encore à établir, on sait que nous avons des dizaines de morts, mais je ne peux pas vous dire les choses plus précisément car nous ne savons pas encore toute la réalité de cette horreur, on sait qu'il n'y a pas de victimes françaises, heureusement, il y a, vous le savez, 13 soldats américains qui sont morts et sans doute beaucoup plus d'Afghans qui ont perdu la vie dans cet attentat, dans une situation tragique, où des gens qui essayaient de fuir, de regagner l'aéroport pour être évacués, ont souvent perdu la vie. Donc, je ne peux pas vous dire plus précisément ce matin, mais on a une attaque absolument tragique.
DIMITRI PAVLENKO
Les militaires américains sont convaincus que cette attaque d'hier n'est que la première d'une série, jusqu'au 31, jusqu'à ce qu'ils partent définitivement, on imagine à quel point cela perturbe et complique les opérations d'évacuation. Le Premier ministre, Jean CASTEX, disait hier matin que ces opérations seraient achevées au plus tard ce soir, est-ce que vous nous le confirmez, ou est-il possible que cela dure un petit peu plus longtemps compte tenu du contexte ?
CLEMENT BEAUNE
Ecoutez, là aussi on doit être prudent, les opérations vont finir prochainement, elles ont été évidemment interrompues, perturbées hier par cette attaque terroriste terrible, et donc on est sur des opérations qui vont s'achever rapidement, la date du 31 août est maintenue, et ça peut aller peut-être au-delà de ce soir, mais enfin nous devons rester prudents sur ce sujet.
DIMITRI PAVLENKO
Nous aurons rapatrié tout le monde à cette date ?
CLEMENT BEAUNE
Le président de la République l'a dit, d'abord nous allons continuer les opérations, l'attaque terroriste ne doit pas empêcher ces opérations parce qu'il y a un certain nombre de ressortissants français, européens, et d'Afghans qui ont travaillé pour nous, que nous cherchons encore à évacuer au maximum. Tout le monde, qu'est-ce que cela veut dire exactement, est-ce que ça veut dire que toutes les personnes qui ont travaillé en Afghanistan, qui sont Afghanes souvent, pour des alliés, pour les Européens, pourront quitter l'aéroport ? sans doute non, et donc nous aurons au-delà de cette opération d'urgence, et ça c'est ce que nous devons construire au niveau international, des solutions à apporter pour que des gens qui sont menacés, même quand ils n'ont pas forcément travaillé pour nous, mais qui sont directement menacés par le régime taliban, des femmes, des militants de la liberté, des artistes, des journalistes, qu'on puisse essayer de trouver des solutions au-delà de cette opération d'urgence, nous faisons, pour être concret, le maximum, dans les heures qui viennent, pour évacuer le maximum de monde. Je tiens à dire que ce sont les Américains qui donc tiennent l'aéroport, et au total nous avons sans doute autour de 100.000 personnes qui, depuis la mi-août, ont pu être évacuées…
DIMITRI PAVLENKO
2500 vers la France.
CLEMENT BEAUNE
Plus de 2500 vers la France, nous sommes plus proches maintenant des 3000, dont une très grande majorité, dans notre cas, d'Afghans, je le dis aussi parce que nous avions anticipé, pour nos ressortissants, avec encore des vols mi-juillet, et depuis le mois de mai, des opérations d'évacuation de personnes qui avaient travaillé pour nous en Afghanistan, on nous l'avait reproché à ce moment-là, on voit bien que cette anticipation a sauvé des vies, et nous continuerons jusqu'à la dernière seconde possible.
DIMITRI PAVLENKO
L'ambassadeur de France en Afghanistan, David MARTINON justement, il va rentrer en France, est-ce que cela signifie que l'on rompt les relations diplomatiques avec l'Afghanistan tenu par les talibans, Clément BEAUNE ?
CLEMENT BEAUNE
Non, alors il faut être précis. Nous garderons un ambassadeur auprès de l'Afghanistan, parce que nous aurons besoin, notamment pour ces opérations d'urgence et humanitaire dans la durée, d'avoir une forme de lien, ça ne veut pas dire validation, approbation, reconnaissance, des talibans, ça veut dire qu'il y a encore, et je crois que c'est notre devoir et notre honneur d'ailleurs, un lien avec la société afghane, avec l'Afghanistan…
DIMITRI PAVLENKO
Est-ce qu'il n'y a pas un lien…
CLEMENT BEAUNE
On ne reconnaît pas un régime, on reconnaît un pays, et donc notre ambassadeur en Afghanistan, je rappelle aussi que nos diplomates, nos policiers, nos militaires, ont été les derniers, dans Kaboul, puis à l'aéroport, à rester parmi les grandes puissances occidentales, à permettre ces évacuations, de beaucoup d'Afghans, et…
DIMITRI PAVLENKO
Mais n'a-t-on pas intérêt à nouer un dialogue aussi directement, Clément BEAUNE, avec les talibans, puisque l'attentat a été revendiqué par l'Etat islamique au Khorasan, on sait qu'ils sont des adversaires acharnés des talibans, les talibans les combattent avec le soutien des Russes, le soutien des Chinois, le soutien des Iraniens, la France n'aurait-elle pas intérêt à faire de même, devons-nous voir les talibans comme des alliés objectifs dans la lutte contre le terrorisme, Clément BEAUNE ?
CLEMENT BEAUNE
D'abord, on l'a dit…
DIMITRI PAVLENKO
Question difficile, je le conçois.
CLEMENT BEAUNE
Bien sûr, il faudra… vous savez, la vie diplomatique et les relations internationales c'est parfois choisir entre de mauvaises options pour défendre au mieux, ou le moins mal possible, des intérêts et des valeurs, il ne s'agit pas de reconnaître des talibans, et tous ceux qui pensent qu'on a une forme de " talibanisme " doux, je crois s'illusionnent, on a fait ces erreurs souvent dans la région, dans le passé, de croire qu'il y avait des solutions de facilité ou qu'on pouvait oublier le passé, on connaît le passé des talibans, ça doit nous servir aussi de leçon. On verra comment les choses se passent, parce qu'il y a une victoire militaire des talibans, il y a aussi un processus politique. Peut-être, peut-être, on se bat en ce sens, y aurait-il un gouvernement afghan, dans quelques semaines, dans quelques mois, qui inclura d'autres sensibilités politiques et pas seulement, je l'espère, les talibans, dans ce cas-là on pourrait avoir un certain nombre de contacts, aujourd'hui…
DIMITRI PAVLENKO
C'est le fameux gouvernement inclusif !
CLEMENT BEAUNE
Oui, mais je suis prudent parce que, ça a été instrumentalisé, quand le ministre des Affaires étrangères a précisé ce terme, il a raison de dire… un processus politique, et on l'espère, c'est l'intérêt je crois de tous, que les talibans ne confisquent pas le pouvoir, mais aujourd'hui ils l'ont, donc on ne va pas établir un dialogue politique avec eux, on espère que le processus politique, qui avait commencé avant, à Doha notamment, avec toutes les formations politiques afghanes qui discutent, permettra, je ne le sais pas aujourd'hui, qu'il y ait un gouvernement qui ne soit pas confisqués par des talibans qui eux sont, on le sait, brutaux, on le voit.
DIMITRI PAVLENKO
La reconnaissance de cet Emirat islamique d'Afghanistan passe par un partage du pouvoir par les talibans, c'est-ce que vous nous dites ce matin ?
CLEMENT BEAUNE
Il y a un certain nombre de conditions qui ont été posées par les ministres des Affaires étrangères notamment, sur le respect des droits, les droits des femmes en particulier, sur un processus politique, aujourd'hui cette situation est encore mouvante, ce que je veux dire c'est que la discussion politique avec les talibans, non. Rester dans toutes les options ouvertes pour essayer que l'Afghanistan s'en sorte le moins mal possible dans les mois qui viennent, oui, et nous verrons les actes de ce processus politique et des gouvernants de l'Afghanistan.
DIMITRI PAVLENKO
Clément BEAUNE, plus de 2000 Afghans sont arrivés en France, vous nous l'avez dit à l'instant, la perspective d'une seconde vague plus massive d'arrivée d'Afghans est dans tous les esprits, que fera la France si concrètement l'arrivée des talibans au pouvoir, si après le départ des Américains, cela se traduit par un afflux massif de migrants en France, que fera la France, Clément BEAUNE ?
CLEMENT BEAUNE
Je veux être clair, il ne faut pas vivre dans le fantasme, je ne crois pas que nous soyons à l'aube d'une vague migratoire, d'une déferlante migratoire, comme certains le disent en jouant sur les peurs, d'Afghans sur l'Europe, d'abord parce que, malheureusement, quand vous voyez la situation des gens qui risquent leur vie, pour quitter l'Afghanistan aujourd'hui c'est très compliqué, après le 31 août ça sera malheureusement encore plus difficile, les frontières pour l'instant sont fermées.
DIMITRI PAVLENKO
…10.000 Afghans qui arrivent chaque année depuis 2 ans en France, c'était avant la prise de pouvoir des talibans.
CLEMENT BEAUNE
Oui, pardon, mais ça c'est l'asile que l'on octroie, j'y viens dans une seconde, mais la vague migratoire, le million d'Afghans, il ne faut pas faire peur aux Européens, aux Français, nous n'en sommes absolument pas là, et je crois qu'il y un risque plus grand, aujourd'hui, que des gens meurent parce qu'on ne les aide pas face au régime taliban.
DIMITRI PAVLENKO
Mais vous avez entendu Recep Tayyip ERDOGAN, le régime turc dire, anticiper cette vague migratoire.
CLEMENT BEAUNE
Bien sûr, c'est exactement ce qu'a dit le président la République quand il s'est adressé aux Français, solennellement, le 16 août, deux choses. D'abord il faut effectivement organiser le mieux possible l'accueil, et nous serons ouverts à un certain nombre, quelques milliers sans doute, d'Afghans en France et en Europe dans les mois qui viennent, vous l'avez dit, en temps normal, avant même la chute du régime précédent, il y avait environ 10.000 demandes d'asile afghanes en France et nous sommes le pays d'Europe qui protège le plus, qui octroie le plus l'asile aux Afghans, moi je suis…
DIMITRI PAVLENKO
Accepté à 80% !
CLEMENT BEAUNE
Oui, à peu près à 80%, entre 80 et 90%.
DIMITRI PAVLENKO
Donc 8000 Afghans qui obtiennent le droit d'asile chaque année en France depuis 2 ans.
CLEMENT BEAUNE
Oui, c'est vérifié, avec une procédure, y compris juridique, judiciaire parfois, et donc ce sont des gens, en termes de sécurité, en termes de dangers qu'ils courent dans leur pays, ce sont souvent des militants des droits de l'homme, des gens qui ont risqué leur peau, ce sont souvent d'ailleurs des gens qui parlent notre langue, qui reçoivent l'asile en France, ça c'est notre fierté, nous continuerons. Sans doute, sans doute, il y en aura un peu plus, évidemment, dans les mois qui viennent, la difficulté ce sera aussi pour ceux à qui on souhaiterait donner l'asile, qu'ils puissent rejoindre dans de bonnes conditions l'Europe et la France. Et puis, bien sûr, il faut qu'on évite que des millions de personnes, je crois que c'est d'abord dans l'intérêt de l'Afghanistan, quittent le pays dans les mois qui viennent, honnêtement, aujourd'hui ce n'est pas ça le risque principal, le pays est fermé et le risque principal c'est que des gens qui ont travaillé pour la France, qui ont travaillé pour l'Europe, qui sont en danger, des femmes en particulier, soient menacés, parfois tués, parfois violentés, dans leur pays, et pour ces personnes-là la France sera là.
DIMITRI PAVLENKO
Didier LESCHI, le directeur général de l'OFII, l'Office français de l'immigration et de l'intégration, a expliqué au micro Europe 1 mercredi, que la moitié des Afghans qui entrent en France, donc 5000 de ces 10.000 qui sont arrivés ces deux dernières années, chaque année, la moitié ont au préalable présentés une demande d'asile dans un autre pays européen, qui a été rejetée, notamment en Allemagne, l'Allemagne qui n'a accepté que 15% des demandes, versus 80% pour la France, je redonne le chiffre. Question toute simple Clément BEAUNE, l'Europe manque de solidarité sur ce dossier afghan, ce n'est même pas une question, là, c'est une affirmation que je vous fais, à la lumière des chiffres avancés par Didier LESCHI.
CLEMENT BEAUNE
…Solidarité, il y a à peu près 50.000 Afghans chaque année qui reçoivent l'asile en Europe, on peut sans doute réfléchir à notre degré de solidarité, mais l'Europe…
DIMITRI PAVLENKO
Oui, mais on a l'impression quand même que l'Allemagne est bien contente de les voir partir ensuite vers la France.
CLEMENT BEAUNE
Je pense que ce n'est pas tellement un problème de solidarité, l'Europe peut-être doit faire plus, mais elle est solidaire, le problème c'est la coordination, et c'est ce qu'a dit le président de la République exactement, on lui a parfois reproché, le 16 août, il a insisté, il a raison, sur une coordination européenne. Quand vous avez un pays, comme la France, qui délivre plus facilement l'asile qu'un autre pays voisin, comme l'Allemagne, vous avez forcément des demandes d'asile qui parfois se multiplient, et ce n'est bon pour personne, pour la personne qui demande l'asile parce que ça veut dire qu'elle attend parfois 2, 3, 4 ans, dans différents pays, baladée de procédures administratives en procédures administratives, ce n'est pas bon pour nous parce que nous avons des gens qui errent et qui sont en difficulté, et on ne fait pas appliquer la loi le plus vite possible. Donc, ce qu'a dit le Président, c'est que, si je puis dire, utilisons cette crise et son drame, pour essayer de réagir, enfin, et d'avoir une coordination sur nos critères d'accueil en Europe.
DIMITRI PAVLENKO
Vous êtes en charge des Affaires européennes Clément BEAUNE, vous n'avez évidemment pas manqué cette déclaration de Janez JANSA, c'est le Premier ministre slovène, il assume actuellement la présidence tournante du Conseil de l'Union européenne, il disait dimanche dernier, donc on était vraiment au début de la crise, avant les attentats, etc., " l'Union européenne n'ouvrira aucun couloir de migration depuis l'Afghanistan. " Est-ce que c'est la position de l'Union européenne ça, Clément BEAUNE ?
CLEMENT BEAUNE
Oh le Premier ministre slovène est coutumier de déclarations, brutales ou à l'emporte-pièce, honnêtement, ce n'est pas la Slovénie qui a accueilli massivement des réfugiés ou des migrants, donc restons calmes et sérieux…
DIMITRI PAVLENKO
Mais j'ai entendu peu d'Etats membres s'ériger contre ces propos de Janez JANSA, et qui ne dit mot consent, vous connaissez l'adage.
CLEMENT BEAUNE
Non, parce que, pour nous, nous sommes très clairs, le président de la République l'a dit, comme la chancelière allemande d'ailleurs, nous serons dans l'accueil, nous serons au rendez-vous de l'asile, il y aura plusieurs milliers, probablement plusieurs dizaines de milliers de personnes dans l'Europe, au total, qui auront l'asile depuis l'Afghanistan. La question des couloirs humanitaires, il ne faut pas l'exclure, mais aujourd'hui l'urgence, et tous ceux qui disent " accueillons, accueillons ", il faut leur dire mais comment on le fait ? Pour l'accueil, oui, mais comment on le fait ? Parce que quand vous avez un pays où l'aéroport sera bientôt fermé, où les frontières seront fermées elles aussi, comment vous faites en sorte que les gens qui sont menacés arrivent en Europe ? Ça on doit l'organiser, et après il ne faut pas tout mélanger justement, ça ne veut pas dire que 40 millions d'Afghans ont vocation à venir en France et en Europe, ce serait d'ailleurs une folie pour l'Afghanistan et son avenir.
DIMITRI PAVLENKO
Et nous avons les capacités d'accueil, d'hébergement, parce qu'il y a cette crainte exprimée, par exemple à Strasbourg, qui s'est proposée pour accueillir un certain nombre d'Afghans, plus d'une centaine, il y a cette crainte exprimée par les Strasbourgeois, par exemple de les voir finir dans la rue, comme on l'a malheureusement vu tant de fois par le passé ?
CLEMENT BEAUNE
C'est exactement pour ça qu'il faut de la responsabilité, ça veut dire que l'accueil ce n'est pas un vain mot, ce sont des conditions d'accueil, c'est un travail que nous menons, avec des organisations non gouvernementales, avec des mairies. Les mairies qui ont dit " nous sommes prêtes à accueillir ", très bien, il y aura des gens à accueillir, mais qu'elles nous disent comment elles le font et l'Etat travaillera avec elle. Mais, on a beaucoup de postures, on a ceux qui vous disent «"c'est la submersion migratoire ", c'est un fantasme, c'est un mensonge, c'est une instrumentalisation aberrante des peurs, il y a ceux qui vous disent " accueillons ", et ils ne disent pas comment ils font. Nous nous essayons d'accueillir ceux qui ont droit à l'asile, ce seront des milliers de personnes, il faut le faire avec les communes dans de bonnes conditions, et les ONG.
DIMITRI PAVLENKO
Merci Clément BEAUNE, le secrétaire d'Etat auprès du ministre de l'Europe et des Affaires étrangères, chargé des Affaires européennes, invité d'Europe 1 ce matin.
CLEMENT BEAUNE
Merci à vous.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 27 août 2021