Déclaration de Mme Florence Parly, ministre des armées, sur l'évacuation de Français et d'Afghans menacés après la prise du pouvoir par les talibans en Afghanistan et la présence militaire française au Sahel, à l'Assemblée nationale le 14 septembre 2021.

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Circonstance : Propos liminaire devant la commission de la défense nationale et des forces armées de l'Assemblée nationale

Texte intégral

Madame la Présidente,
Mesdames et messieurs les députés,


Je vous remercie de m'accueillir aujourd'hui pour ce temps d'échange au sujet de l'opération Apagan qui s'est déroulée entre Kaboul et Paris du 15 au 27 août 2021.

Cette opération, réalisée dans des conditions complexes, est une réussite. Mais avant de commencer, je voudrais avoir une pensée particulière pour les 13 soldats américains, les victimes civiles, ainsi que les blessés de l'attentat du 26 août aux abords de l'aéroport, en pleine opération d'évacuation. Je pense également à nos 90 militaires morts pour la France, et nos 700 militaires blessés en Afghanistan, lorsque nous y étions présents, entre 2001 et 2014. Je pense bien sûr à leurs familles, aux familles de ceux qui sont allés jusqu'à donner leur vie pour notre combat, celui de la lutte contre le terrorisme.

Mes pensées se tournent aussi vers le peuple afghan, vers ces femmes et ces hommes qui aujourd'hui font face à un tournant tragique de l'histoire de leur pays. Je tiens à exprimer avec beaucoup de force que nous continuerons de nous tenir à leurs côtés.

Il y a trois jours, nous commémorions tristement le 20ème anniversaire des attentats du 11 septembre 2001, qui constituent en quelque sorte le point de départ de notre engagement contre le terrorisme en Afghanistan. Par solidarité avec nos Alliés et parce que nous partageons la même conviction qu'il faut lutter contre le terrorisme, nous avons été présents aux côtés des Américains et de nos partenaires dès 2001, et cela pendant 13 ans, jusqu'en 2014.

Ainsi, 60 000 soldats français se sont succédés pour assurer la permanence de notre engagement. Notre présence a été terrestre, aérienne et maritime. Des forces conventionnelles et des forces spéciales ont contribué aux opérations sous deux volets : un volet « contre-terrorisme » et un volet d'assistance aux autorités afghanes – la Force internationale d'assistance à la sécurité ou ISAF en anglais, sous commandement de l'OTAN. Au plus fort de notre engagement au sein de l'OTAN en 2010, nous avons déployé jusqu'à près de 4 000 militaires sur le territoire afghan.

Nous pouvons être fiers de l'action militaire de nos Armées en Afghanistan. Elle a permis de porter des coups sévères à Al-Qaïda et d'affaiblir durablement son organisation. Elle a rendu possible l'élimination d'Oussama Ben Laden en 2011. Elle a aussi permis de créer un espace pour l'émancipation de la société civile et pour l'acquisition des libertés. En 2012, nous avons estimé que ce combat avait pris fin et c'est dans ce contexte que nous avons donc engagé le retrait de nos troupes en Afghanistan.

Cependant la fin de notre intervention militaire n'a pas signifié la fin de notre présence en Afghanistan. Depuis 2014, nous avons oeuvré auprès du peuple afghan, par le biais d'actions civiles mais aussi au travers de formations militaires, dans le cadre du Traité d'Amitié et de coopération, signé en 2012.

J'en viens maintenant à l'opération Apagan elle-même.

Le 15 août, après le départ à l'étranger du président Ashraf Ghani, les Talibans s'emparent en quelques heures de Kaboul. Les Américains demandent alors un repli de toutes les représentations diplomatiques à l'aéroport et confirment leur retrait total le 31 août. Les conditions sécuritaires sont alors très fragiles et les capacités de l'aéroport international sont réduites. C'est donc une sorte de compte à rebours qui commence.

Il s'agit alors, pour nous, de garantir la sécurité et l'évacuation de nos ressortissants, ceux que nous n'avions pas encore rapatriés les mois précédents car, c'est un point majeur, à la différence de nos partenaires, nous avions anticipé ; mais il s'agissait aussi de mettre en sécurité des Afghans menacés en raison de leurs liens avec la France, ou bien menacés en raison de leurs engagements dans la société afghane. Il s'agissait aussi d'organiser le rapatriement de citoyens européens et des ressortissants d'autres pays partenaires. Dans ce contexte, à la demande du Président de la République, nous avons déclenché l'opération d'évacuation Apagan, en coordination étroite avec le Quai d'Orsay.

Cette opération, que je qualifierais d'opération de sauvetage, a constitué un défi opérationnel et logistique, qui a été relevé dans des délais contraints et surtout dans des conditions incroyablement complexes. Sur le plan militaire, je peux dire que c'est un véritable succès.

En moins de 48 heures, les Armées françaises ont mis en place un dispositif pour sécuriser et accueillir des réfugiés dans des zones dédiées à la fois à l'aéroport international, ainsi que sur la base aérienne 104 à Al-Dhafra, aux Emirats arabes unis. Un double-pont aérien a été établi : le premier entre Kaboul et Abou Dhabi grâce à des A400M et des C130, en réalisant 26 vols tactiques, le deuxième entre Abou Dhabi et Paris grâce à des Airbus A330 MRTT, en réalisant 16 vols stratégiques.

Au total, entre le 15 et le 27 août, nous avons évacué 2 834 personnes à Paris dont 142 Français, près de 20 Européens et plus de 2600 Afghans. Je voudrais rappeler quelques chiffres : avant la chute de Kaboul, la France avait accueilli sur son territoire, en plusieurs vagues puisque nous avions anticipé depuis notre retrait militaire, 1400 personnes, un peu moins de 800 qui correspondent aux PCRL et leurs familles, et un peu plus de 600 qui sont des personnes qui ont apporté leur soutien aux représentations diplomatiques ainsi qu'aux différents services français locaux.

Et comme je viens de le dire, avec cette opération Apagan, 2 600 Afghans ont été rapatriés, si bien qu'au total nous avons accueilli sur notre territoire 4 000 Afghans. Le 27 août, quelques dizaines de Français se trouvaient encore à Kaboul. Depuis ce week-end, 47 d'entre eux ont pu être évacués par nos partenaire qataris.

Ce succès est le résultat de l'engagement et de la réactivité de nos militaires, mais aussi des diplomates, policiers, et de l'ensemble des personnels qui ont été mobilisés rapidement à Kaboul, à Abou Dabi et évidemment à Paris.

Ce succès repose aussi sur la disponibilité et les performances du couple A400M - A330 MRTT et de leurs équipements. Ils nous ont donné la possibilité d'agir plus vite et plus loin avec des capacités de navigation et de transport qui leur ont permis de tenir leur place dans le ballet incessant des appareils alliés, tout ceci dans un contexte sécuritaire dégradé et des conditions de vol difficiles, à savoir à 1800m d'altitude et sans contrôle aérien. Les engagements que vous avez pris, mesdames et messieurs les députés, dans le cadre de la Loi de programmation militaire 2019 – 2025, s'illustrent concrètement ici. Ils ont permis de sauver des vies.

Une autre condition de cette réussite repose sur la pertinence de notre point d'appui aux Emirats arabes unis, qui a démontré toute son utilité. La cohérence de notre positionnement géostratégique ici, mais aussi plus largement à l'international, constitue un gage de notre crédibilité opérationnelle. La base aérienne 104, appuyée par l'état-major des Forces françaises des Emirats arabes unis ainsi que par le 5ème régiment de cuirassiers ont été des atouts considérables, tout comme nos insérés français au Combined Air Operations Center d'Al Udeid au Qatar.

Enfin, je voudrais souligner le travail et l'engagement des personnels du Centre de planification et de conduite des opérations ainsi que des aviateurs du Commandement de la défense aérienne et des opérations aériennes. En lien avec le Centre de crise et de soutien du MEAE, qui a joué un rôle tout à fait décisif. Ces centres de commandement ont joué un rôle majeur pour la conduite haute des opérations.

Durant toute la durée des opérations, nous avons agi en contact permanent avec nos partenaires. La coordination aérienne et la tenue de l'aéroport par nos alliés américains nous ont permis de mener à bien nos évacuations. De même, l'appui de nos alliés britanniques en charge de la sécurisation d'un des accès à l'aéroport (Abbey Gate) a été crucial pour permettre l'accès au site des Afghans que nous souhaitions protéger.

C'est aussi grâce à la solidarité européenne, que nous avons pu contribuer à l'exfiltration de membres de la délégation de l'Union européenne vers le site de l'aéroport, et à l'évacuation de citoyens européens de Kaboul.

Au cours de notre engagement en Afghanistan, et comme la plupart des autres Etats, nous avons eu recours à des personnels civils recrutés localement (PCRL). Environ un millier d'Afghans ont travaillé au profit des forces françaises entre 2001 et 2014.

Ces derniers mois face à la progression rapide des Talibans, nous nous sommes de nouveau mobilisés pour venir en aide aux PCRL demeurés en Afghanistan. Nous avons étudié toutes les demandes de personnes pour qui vivre en Afghanistan représentait, désormais, un risque pour leur vie.

L'opération APAGAN en tant que tel a ainsi permis à 31 ex-PCRL et une centaine de membres de leurs familles de quitter Kaboul.

Nous n'avions pas attendu les derniers événements pour nous préoccuper du sort des PCRL afghans. Entre 2013 et 2018, le ministère des Armées a organisé trois campagnes successives de délivrance de visas et d'accueil en France, qui ont permis l'accueil en France de près de 800 personnes, les PCLR et leurs familles.

Je précise que, sur ce millier d'Afghans qui ont travaillé au profit des forces françaises sur la période de présence, seuls 495 ex-PCRL avaient demandé à rejoindre notre pays. Nous avons donc accueilli près de 50% des candidats à une relocalisation sur notre sol, avant l'opération Apagan. A ce chiffre, il faut ajouter ceux qui ont été accueillis dans le cadre du droit commun depuis 2019.

Depuis 2013, les gouvernements successifs ont donc agi avec humanité, avec un grand sens des responsabilités et avec le souci de tenir compte des situations individuelles. La France a assumé ses responsabilités, en faisant tout son possible pour permettre l'évacuation des Afghans qui nous avaient aidés en Afghanistan, qui étaient menacés et souhaitaient nous rejoindre.

Depuis le 31 août, les opérations militaires internationales sont terminées. La France a effectué son dernier vol le 27 août, celui qui a rapatrié nos diplomates, nos militaires, tous ceux qui étaient restés pour assurer jusqu'au bout la bonne fin de ces opérations. Les Etats-Unis ont achevé le retrait de leurs troupes d'Afghanistan, qui avait débuté le 1er mai. Les Talibans contrôlent aujourd'hui la quasi-totalité du territoire.

Dans ce contexte, nous craignons que la situation ne permette le renforcement d'Al-Qaïda par sympathie avec le régime taliban, mais aussi celui de Daech par opposition à ce même régime. Le risque que l'Afghanistan redevienne un sanctuaire terroriste existeet nous devons tout faire pour que ce pays ne se transforme pas à nouveau en trou noir.

La crise afghane porte un risque sécuritaire pour la France et pour l'Europe. La poursuite de la lutte contre le terrorisme est donc une de nos priorités.

L'enjeu principal sera de réussir à maintenir nos partenaires américains et européens dans ce combat, que ce soit en Afghanistan, comme au Levant ou au Sahel.

Plus largement, le retrait américain d'Afghanistan a démontré qu'il est impossible de négocier une sortie de crise honorable quand on a déjà cédé sur l'essentiel face à un adversaire qui a du temps devant lui et qui fait preuve de, ce que je qualifierais de « patience stratégique ».

La crise afghane souligne aussi qu'en cas de division au sein de la communauté internationale, l'Europe, les pays européens doivent être en mesure d'agir pour défendre leurs intérêts. C'est pourquoi la France souligne l'importance de renforcer l'autonomie stratégique de l'Europe pour défendre notre souveraineté et éviter de se voir imposer des choix. J'ai pu noter lors de notre dernière rencontre que bon nombre de mes homologues faisaient désormais un constat similaire. C'est nouveau. Et c'est un élan dont il faut profiter. Mais comme je l'ai dit hier dans mon intervention de rentrée, au-delà des intentions, ce sont des actes qu'il nous faut. Et ce sont des actes que nous jugerons.

Dans cette perspective, il est déterminant d'avoir une claire vision des objectifs des différentes parties prenantes de l'opération et de leurs capacités pour limiter tout risque d'incompréhension et donc de division entre les alliés. De cette crise afghane, nous retenons la nécessité de coordonner nos actions avec nos partenaires.

Enfin, et pour conclure mon propos : nombreux sont ceux qui nourrissent des inquiétudes sur la situation sécuritaire au Sahel, et établissent un parallèle entre l'Afghanistan et cette région d'Afrique.

Si des similitudes existent, par exemple les fragilités structurelles des armées sahéliennes, les dimensions politiques, stratégiques et tactiques sont différentes.

En effet, je voudrais insister devant vous sur ces quelques point :

Tout d'abord, notre intervention au Mali s'est faite à la demande des autorités maliennes souveraines et dans le cadre d'un fort engagement international (missions EUTM, MINUSMA, et Takuba). Nous ne sommes pas seuls au Sahel. Nos alliés, sahéliens comme européens, comptent sur nous.
Ensuite, la bande sahélo-saharienne est la frontière sud de l'Europe, porteuse d'enjeux sécuritaires directs pour la population française. Si nous ne prenons pas en compte les problèmes du Sahel, ils s'imposeront à nous d'une manière que nous n'aurons pas choisie. Puisqu'il faut combattre, choisissons au moins le terrain d'engagement.
Enfin, nous ne partons pas du Sahel. Nous poursuivons la lutte contre le terrorisme. Nous maintenons un dispositif militaire sur place pour continuer d'appuyer nos partenaires sahéliens ; ceci en nous adaptant à l'évolution de la menace. La transformation ordonnée par le Président de la République n'est en aucun cas un départ du Mali, mais bien une reconfiguration de nos forces pour les rendre encore plus opérantes et efficaces. Je rappelle que le dispositif final des troupes françaises au Sahel continuera de compter sur l'engagement permanent conséquent de soldats français en lien avec nos partenaires. Je puis vous dire que cela représentera un effort réel, conséquent et constant pour nos armées.

Gardons-nous donc des raccourcis réducteurs : il peut y avoir des similitudes, mais le Sahel n'est pas l'Afghanistan.

Avant de répondre à vos questions, je tiens à remercier et à féliciter, encore une fois, tous ceux qui ont été engagés dans cette opération qui a sauvé des vies.


Source https://www.defense.gouv.fr, le 23 septembre 2021