Texte intégral
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
C'est le ministre de l'Education nationale, Jean-Michel BLANQUER, qui est sur ce plateau. Oui, sur le plateau de Good Morning Business ! Alors c'est sans doute un symbole. Bonjour Jean-Michel BLANQUER.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Bonjour Christophe JAKUBYSZYN.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Parce qu'on se souvient tous de nos cours d'économie en 2nde, d'économie marxiste je devrais dire. J'ai fait un petit sondage dans la rédaction auprès de gens qui ont encore des enfants en âge d'être au lycée et ils nous disent que ça n'a pas beaucoup changé encore. On apprend toujours l'économie de manière un peu particulière à l'école.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Non. Si, ç'a beaucoup changé. On a changé tous les programmes de lycée en 2018, de l'économie comme du reste. D'ailleurs, c'est l'ensemble des programmes qui ont été révisés. Il y a eu un groupe d'experts sous la responsabilité de Philippe AGHION qui a donc recomposé complètement les programmes. Aujourd'hui c'est des programmes équilibrés entre les enjeux économiques et les enjeux sociaux et puis entre les enjeux macro-économiques et les enjeux microéconomiques. Donc on parle plus de l'entreprise, on parle plus de la formation d'un prix sur un marché et des formules de ce type donc il y a eu une évolution.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Ce n'est plus des gros mots de parler à l'école d'entreprise, d'entrepreneuriat, de prix de marché ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Non, pas plus que c'est un gros mot de parler de enjeux de société dans ce cadre-là, parce que c'est sciences économiques et sociales et donc c'est équilibré. C'est à la fois de l'économie et de la sociologie. Et puis, nous sommes attachés à avoir une formation initiale et continue des professeurs qui leur permet d'être à la page de ce qui évolue si rapidement dans notre monde tout simplement.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Oui. Si je vous pose ces questions, c'est qu'évidemment on sait – c'est Elisabeth BORNE, votre collègue, qui l'a dit il y a quelque temps - il y a près d'un million de jeunes qui sont aujourd'hui sans emploi et sans formation. Il y a 10 % d'une classe d'âge qui sort chaque année de nos écoles sans véritable formation et sans bagage pour aborder le monde de l'économie et de l'entreprise. Il y a encore du travail. D'ailleurs vous aurez à partir de demain à Poitiers la première université Ecole-entreprise. Ça veut dire que vous voulez qu'il y ait encore plus de passerelles entre ces deux mondes ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Oui, bien sûr. Il faut dire que ce que vous venez de dire est juste et, en même temps, la pente - je tiens à le souligner - est bonne au sens où, par exemple, il y a des décrocheurs en France mais on il y en a moins qu'il y a quatre ans. Et même l'année 2020 qui était l'année du confinement a vu moins de décrocheurs qu'en 2019. On était le mauvais élève de l'Europe il y a dix ans, nous sommes maintenant le plutôt bon élève en matière de lutte contre le décrochage. Et on sera encore meilleur si on réussit à avoir des élèves mieux orientés qui se posent des questions sur à la fois leur parcours mais aussi sur les métiers d'avenir et donc si, en effet, les entreprises sont plus proches de l'école pour présenter les métiers. Or il y a eu plusieurs changements qu'on a menés d'ailleurs souvent avec la ministre du Travail ensemble, Education nationale et Travail ensemble, comme par exemple le fait que les régions désormais ont une compétence pour l'orientation des élèves. Autrement dit c'est elles qui est, au plus près du terrain, peuvent avec les entreprises monter ce qu'on appelle des printemps de l'orientation, des moments où les élèves font connaissance avec l'entreprise. Il y a le fameux stage de 3ème qui est un moment non négligeable, mais c'est toute une série d'expériences dès la classe de 4ème qui doivent exister dans le futur. C'est le sens de ces rencontres école-entreprise qu'on fait à Poitiers demain et après-demain pour permettre aux deux mondes de se rencontrer.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Alors vous y avez convié à cette université école-entreprise des grands patrons, des DRH. Qu'est-ce que vous attendez d'eux ? Parce qu'il y a plein de choses dans ce que vous avez dit sur lesquelles on va revenir. Vous dites par exemple : les régions ont désormais des compétences, on rapproche les entreprises et les écoles, il y a ces fameux 40 campus un peu pilotes qui ont bénéficié d'ailleurs de l'argent…
JEAN-MICHEL BLANQUER
80 campus.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
80 campus aujourd'hui. Du coup dans ces campus on a l'impression – et c'est ce que vous disent vos détracteurs peut-être – qu'on va orienter le parcours scolaire des enfants dans ces régions en fonction des besoins des entreprises de ces régions.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Il y a toutes sortes de possibilités parce qu'il y a aussi des internats dans les campus donc on peut venir de loin si on veut faire une spécialité qui est à l'autre bout de la France, mais on a conçu 80 campus, ce qu'on appelle des campus des métiers et des qualifications. Je les ai appelés des Harvard du Pro quand il y avait ce projet pour bien signifier que l'objectif c'est d'avoir du prestige, de la qualité de vie, de l'internat justement mais aussi un mélange d'institutions. Pas seulement le lycée professionnel mais souvent le centre d'apprentissage, un incubateur d'entreprises, un laboratoire, des structures d'enseignement supérieur et le tout articulé à la carte de réindustrialisation de la France - ça c'est plus avec le ministère de l'Economie - de façon à ce que par exemple à Lyon on a un campus des Lumières par exemple sur les sujets d'électricité. Dans un autre endroit ça va être sur l'automobile électrique. À Toulouse, c'est évidemment autour de l'aéronautique. Donc on essaye d'avoir aussi une proximité physique entre les grands campus de formation et nos grands centres industriels d'aujourd'hui ou de demain.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Il n'y a pas encore un peu des réticences dans l'Education nationale sur le fait effectivement de rapprocher autant les besoins ? Par exemple L'OREAL par exemple qui veut des laborantins, il va financer un campus près de ses usines pour former ses futurs salariés.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Alors ce n'est pas forcément aussi direct que ça mais ça peut être ça. L'OREAL fait d'ailleurs partie des entreprises qui seront à Poitiers comme AXA, comme VEOLIA et donc c'est des grandes entreprises qui ont évidemment à parler avec l'école. Vous savez nous ce qu'on veut, c'est un bon avenir pour nos lycéens et notamment nos lycéens professionnels. Vous savez il y a 700 000 lycéens professionnels en France qui s'ajoutent aux apprentis. Comme vous le savez, on a réussi à faire monter l'apprentissage. L'apprentissage se passe aussi de plus en plus non seulement dans les CFA, c'est-à-dire les centres d'apprentissage, mais aussi dans les lycées professionnels. On rapproche ces mondes, on ne les oppose pas parce qu'un parcours d'élève ça doit être très pragmatique. À un moment il est en apprentissage, à un moment il ne l'est pas. Très souvent c'est le niveau bac + 2 sur le plan technique qui va être à un bon niveau en BTS ou en DUT donc on encourage ça et pour ça, on est en train aussi de modifier les parcours d'orientation de nos élèves. Et il faut que ces voix-là soient tout aussi prestigieuses que les autres, comme c'est le cas en Allemagne par exemple, où de nombreux PDG sont venus par la voie de l'apprentissage, ce qui serait la voie pro chez nous.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Et ça commence de plus en plus en France, vous l'avez dit, le développement de l'apprentissage avec la reconduction des primes d'ailleurs pour recruter des apprentis jusqu'à la fin 2022. On voit aussi que de plus en plus de jeunes - alors c'est vrai pour les diplômés : ils veulent créer une entreprise plutôt que d'être salarié – et j'ai vu ce chiffre : 40 % des jeunes envisagent aujourd'hui de créer ou de reprendre une entreprise dans le futur plutôt que d'être salarié. Comment on les accompagne ? Il y a ce rapport parlementaire qui vient de sortir qui propose par exemple de faire une sorte de modules d'entrepreneuriat y compris au lycée. C'est quelque chose que vous pourriez envisager ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Oui. D'ailleurs l'expression ‘entrepreneuriat' est la bonne parce que c'est entreprendre. Entreprendre, ce n'est pas forcément créer une entreprise, c'est entreprendre dans la vie et c'est ce qu'on doit aussi à nos élèves. Donc dès l'entrée au collège ce qui est important, c'est que nos élèves apprennent à s'engager. Par exemple il y a 250 000 éco-délégués maintenant en collège et au lycée sur les sujets environnementaux de proximité. Parfois pour que les élèves s'investissent dans le restaurant scolaire et ce qu'il y a à faire avec les agriculteurs de proximité. C'est un exemple d'engagement, c'est de l'entrepreneuriat. Et il faut que nos enfants puissent en 6ème aller au-delà d'eux-mêmes, se dépasser, avoir le sens de l'équipe, le sens de l'entrepreneuriat justement. Ça peut être de créer une association, ça peut être quand ils seront plus âgés de créer une entreprise. C'est pour ça qu'on renouvelle d'ailleurs plusieurs partenariats dans ces rencontres de Poitiers qui ont lieu demain et après-demain comme avec 100 000 entrepreneurs, un vieux partenaire si je puis dire de l'Education nationale, mais aussi avec l'Institut de l'entreprise qui nous aide d'ailleurs pour la formation des professeurs. Et donc il faut sortir des clichés où il y aurait une Education nationale fermée au monde de l'économie et puis une économie qui ne comprendrait rien à l'éducation. Il faut que les mondes se rapprochent, se comprennent. C'est deux logiques différentes, il faut assumer ça. On ne fait pas la même chose dans une école que dans une entreprise, on ne confond pas l'école avec l'entreprise, c'est certain, mais ça se parle. Et notamment moi j'ai une attention très forte au lycée professionnel pour que notamment chaque lycée professionnel ait plusieurs partenariats avec des entreprises de son environnement. Et c'est un peu aussi l'appel que je lance à ceux qui nous regardent : c'est que si vous avez une entreprise, si vous êtes responsable d'une entreprise, elle peut être partenaire notamment d'un lycée professionnel. Elle peut aussi dans le cadre de la région venir dans les lycées, les collèges montrer les métiers. Chaque membre de l'entreprise peut participer à cette dynamique. On vient de lancer 1 jeune 1 mentor au ministère de l'Education nationale, de la Jeunesse et des Sports avec le ministère du Travail. Et 1 jeune 1 mentor, c'est que tout un chacun peut mentorer un jeune souvent dans le sens de l'entrepreneuriat. L'entrepreneuriat de sa vie déjà.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Est-ce qu'on peut aussi revivifie un peu les stages en 3ème ? Parce qu'ils ont été très importants, ils ont fait prendre conscience à beaucoup d'élèves ce qu'était la réalité de l'entreprise. Mais souvent, en fonction des milieux où on est, c'est plus facile de décrocher un stage, on ne va pas se mentir. C'est beaucoup plus compliqué quand vous êtes dans une zone difficile de trouver un stage qui vous fait comprendre ce qu'est l'entreprise. Est-ce que là aussi, on ne peut pas demander un engagement supplémentaire des entreprises ? Comment vous les encouragez ? Qu'est-ce qu'on peut leur proposer ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Oui. Alors on a fait des choses dans ce sens. On a fait une base de données et un site Internet qui permet de trouver un stage quand on est justement issu d'une famille défavorisée ou d'un territoire où il n'y a pas de réseau d'entreprises suffisamment fort. Mais chaque entreprise peut se responsabiliser sur ce point et vous avez des entreprises qui ont commencé à le faire pour être partenaire d'un collège localement et proposer des stages aux élèves de 3ème. Il faut le faire a fortiori en direction des territoires les plus défavorisés.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Dans le rapport parlementaire dont je parlais, il y a aussi l'idée de faire une sorte de Vis ma vie, de permettre à des enseignants de vivre la journée d'un entrepreneur et inversement. C'est gadget ou c'est essentiel pour qu'il y ait la rencontre entre ces deux mondes ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
C'est important qu'il y ait une rencontre entre ces deux mondes parce qu'encore une fois, il existe des clichés même si c'est moins vrai aujourd'hui qu'hier et ce sera moins vrai demain. Chacun doit comprendre ce que c'est que la vie de l'autre et donc ça me paraît être une très bonne idée et de plus en plus. Aussi bien dans la formation initiale que dans la formation continue des professeurs, il y aura de toute façon des occasions d'aller en entreprise pour tout simplement partager des expériences.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Vous aussi, Jean-Michel BLANQUER, vous êtes un entrepreneur, vous êtes un grand patron. Vous avez la première entreprise de France donc vous êtes aussi le premier RH…
JEAN-MICHEL BLANQUER
La troisième du monde.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Oui, la troisième du monde. Le premier RH. Est-ce que vous êtes un bon RH ? Quand on voit la crise des vocations dans l'enseignement, la difficulté de recruter au niveau du CAPES, qu'est-ce qu'il faudrait ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Ecoutez, le sujet que vous évoquez est un sujet mondial. Dans le monde entier, il y a presque - à part quelques rares pays -il y a un sujet d'attractivité du métier de professeur et pourtant ce métier est un des plus beaux métiers qui soit. Il y a d'ailleurs des gens qui souvent viennent de l'entreprise et qui deviennent professeur vers 40 ans – ça existe de plus en plus – et c'est un métier auquel on doit redonner tout son sens L'épidémie nous a montré à quel point c'était fondamental.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Il ne faut pas comme Anne HIDALGO doubler le salaire des profs ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Augmenter le salaire des profs, c'est ce que j'ai commencé à faire. On a fait le Grenelle de l'Education pour ça. Un pays qui va bien est un pays qui investit dans son éducation. C'est mon grand plaidoyer actuellement en France, en Europe et dans le monde. On aura des avancées lorsqu'on présidera l'Union européenne à partir de janvier ; je ferai avancer ce sujet. Je l'ai évoqué aussi dans le livre que je viens de sortir Ecole ouverte où dans la deuxième partie, je parle de ça, c'est-à-dire les pays qui vont bien investissent. Si vous regardez Singapour ou la Corée du Sud, c'est parce qu'ils ont investi dans l'éducation et la recherche qu'ils sont aujourd'hui à ce niveau économique. Nous devons faire pareil.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Elle a raison Anne HIDALGO de réclamer une augmentation des salaires des profs ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Non pas un doublement parce que ça, par contre, c'est de la démagogie. C'est impossible tout simplement et ça n'a pas de ce sens pour plein de raisons. Mais par contre, les augmenter pour que ce soit attractif, veiller à leur bien-être professionnel, avoir un management moderne qui permet à chacun de se sentir bien là où il travaille, ça oui et c'est le chemin que nous avons pris. Nous avons encore des progrès à faire mais on doit sortir des clichés aussi sur une institution qui serait immobile ou qui serait irréformable. Je rappelle que nous sommes au début de ce quinquennat ceux qui les premiers avons su bouger en créant le dédoublement des classes en CP et CE1. On l'a fait en trois mois. Il n'y a aucun pays au monde où vous avez un système éducatif qui peut faire ça comme ça.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Jean-Michel BLANQUER, vous le ministre de l'Education qui parle d'économie. On a aussi entendu beaucoup Bruno LE MAIRE, le ministre de l'Economie, parler d'éducation. Alors est-ce que c'est parce que vous voulez changer vos postes pour le second quinquennat ou est-ce que vous voulez tous les deux devenir Premier ministre ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Non, on veut tous les deux faire la paire. On l'a déjà fait d'ailleurs à l'Union européenne en allant ensemble une fois dans une conférence éducation économie. Nous parlons tous les deux de plus en plus effectivement de façon croisée parce qu'effectivement il faut investir dans l'éducation. C'est bon et pour la société et pour l'économie. Il faut que chacun voit que l'éducation, c'est le moteur de l'économie comme peut l'être la santé ou l'environnement. Je crois que ces trois piliers-là : environnement, santé, éducation ne doivent pas seulement être vus comme des sujets de société mais aussi comme des sujets des nouveaux moteurs de l'économie mondiale et française bien sûr.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Voilà, tout un programme. En tout cas, vous serez demain à Poitiers pour la première université Ecole-entreprise. Ce sera retransmis sur les réseaux sociaux et ne Net pour tous les DRH dont vous appelez à suivre, je crois, l'événement. Merci beaucoup.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Merci à vous.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Jean-Michel BLANQUER merci d'avoir été l'invité de Good Morning Business.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 7 octobre 2021