Extraits d'un entretien de M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'Etat au tourisme, aux Français de l'étranger et à la francophonie, avec Sud Radio le 19 octobre 2021, sur le bilan du tourisme confronté à la crise sanitaire, les stations de sports d'hiver et les aides aux entreprises du secteur.

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  • Jean-Baptiste Lemoyne - Secrétaire d'Etat au tourisme, aux Français de l'étranger et à la francophonie

Média : Emission La Tribune Le Point Sud Radio - Sud Radio

Texte intégral

Q - Beaucoup de questions sur la table. Le tourisme a été l'un des secteurs qui a le plus souffert de la crise liée au Covid.

R - C'est vrai.

Q - Où en est-on aujourd'hui avec la reprise, hôtels, restaurants et toutes les activités touristiques ?

R - Alors, écoutez, grâce à la vaccination qui est montée en puissance, grâce au pass sanitaire, on a pu passer une saison estivale, je dirais non seulement normale, avec des activités qui sont restées ouvertes etc..., mais avec un vrai retour des clientèles européennes de proximité. Je peux vous dire que l'on a eu finalement plus de Belges que d'habitude, pareil pour les Suisses, les Allemands. Bref, la France, par son emplacement géographique, fait que toutes ces clientèles qui cherchent aussi à voyager plus en circuit court, se sont tournées vers notre pays qui a, c'est vrai, qui en a sous le pied, qui a de la ressource, avec une diversité de paysages.

Q - Mais, alors, quand vous dites "la clientèle internationale est revenue", alors...

R - Européenne.

Q - Européenne. Européenne de proximité, c'est ça.

R - Exactement.

Q - Est-ce qu'on a des estimations et des chiffres sur la clientèle internationale, en règle générale, les Américains, les Asiatiques par exemple ?

R - Alors, les Américains - à la fois, Américains des Etats-Unis et Canadiens - ont commencé à revenir cet été. On l'a vu, parce qu'on a mis en place au Quai d'Orsay une cellule pour pouvoir convertir leur certificat de vaccination au pass sanitaire, parce que ces gens-là quand ils viennent, il faut qu'ils puissent avoir accès aux activités. Et on a vu que 70% de la demande pour ces pass venait du continent nord-américain.

Donc les Américains sont de retour et c'est d'ailleurs ce que me disent tous les capteurs dans l'hôtellerie qui accueille les clientèles internationales. En revanche, du côté de l'Asie, cela reste durablement entravé, parce que les conditions de retour en Asie sont très strictes, posées par les pays asiatiques eux-mêmes. Vous savez, un certain nombre d'entre eux ont ces stratégies dites zéro Covid. Et par conséquent, c'est vrai que, à mon avis, on en a encore pour plusieurs mois avant de pouvoir voir revenir ces clientèles.

Il y a néanmoins des signaux intéressants, de façon globale, c'est que le tourisme événementiel, le tourisme des salons, des foires, des séminaires, repart. C'est un moteur qui était à l'arrêt et qui notamment pénalise les métropoles, Paris, l'Ile-de-France. Et j'avoue que depuis le mois de septembre, ça y est, on inaugure un certain nombre d'événements qui font revenir des clientèles d'affaires, là aussi européennes ou internationales.

Q - Oui, bon, mais alors il n'y a pas de chiffres en fait sur la clientèle internationale ? Parce que d'habitude on a environ 80 millions de visiteurs par an...

R - Je peux vous donner la cible qu'on s'est assignée : on espère avoir entre 40 et 45 millions de touristes internationaux sur l'ensemble de l'année. Mais vous voyez que...

Q - On n'est pas loin là ?

R - Cela veut dire qu'on est quasiment... on divise par deux par rapport à ce qu'on faisait d'habitude. Mais parce que le tourisme, vous l'avez dit, a été touché de plein fouet, et donc c'est un retour progressif à la normale.

Alors, avec Atout France, notre opérateur, on met les bouchées doubles en termes de promotion sur les marchés internationaux. Par exemple là, la saison d'hiver arrive, on a mis 2 millions d'euros supplémentaires pour pouvoir attirer les skieurs chez nous. Voilà, donc on continue à être offensif et actif.

Q - Alors, quelles seront les conditions justement pour les touristes étrangers qui vont venir, et pas que les touristes étrangers, mais pour les stations de sports d'hiver ? Parce que là on est à maintenant quelques semaines de l'ouverture, et il y a beaucoup d'interrogations des professionnels du secteur.

R - Alors, certaines d'ailleurs ont déjà ouvert, le week-end dernier...

Q - Tignes.

R - Tignes, le glacier de Tignes était skiable. Le week-end prochain du côté des Deux-Alpes, ils vont ouvrir pour les vacances de la Toussaint. Et donc si vous voulez, aujourd'hui les stations sont dans le droit commun national. C'est-à-dire que si vous allez dans un restaurant, dans une station, on vous demandera votre pass sanitaire ; si vous allez en boîte de nuit dans une station, on vous demandera votre pass sanitaire... Donc voilà, ils sont soumis aux mêmes règles...

Q - Mais pas pour les remontées mécaniques.

R - Pour les remontées mécaniques, à ce stade - je précise bien à ce stade -, et à Tignes cela a commencé sans le pass sanitaire, parce que pour l'instant il n'est pas prévu, mais il faut en tous les cas ne pas l'exclure. Parce que le pass, c'est ce qui permet de rester ouvert, quoi qu'il arrive. Vous voyez ce que je veux dire, on l'a vu cet été avec de nombreuses activités. Et il faut être attentif...

Q - Donc il n'est pas exclu que vous mettiez les pass sanitaires pour prendre des remontées mécaniques.

R - Non mais clairement, c'est une réflexion qui est en cours. On se pose la question, et on apportera la réponse prochainement, naturellement. Parce que regardez : il y a un marché très important pour le ski français, qui est le marché britannique. On voit qu'en Grande-Bretagne, le taux d'incidence et le nombre de cas est très élevé. On en est à entre 40 000 et 50 000 cas par jour. Et par ailleurs on voit aussi qu'en France, il y a une légère augmentation du taux d'incidence. Et donc par conséquent, je pense, en écoutant les professionnels du ski, ce qu'ils souhaitent c'est avoir l'assurance de rester ouverts. Et peut-être qu'avoir l'assurance de rester ouverts, c'est aussi mettre en place, le moment venu, ce pass sanitaire.

Les travaux sont en cours, on est en train de travailler au protocole avec ce que l'on appelle le CIC, pardonnez-moi d'être un peu technique...

Q - Donc il y en a qui vont dire "mais il n'y a plus de liberté, même pour aller faire du ski, pour aller dans les remontées mécaniques, et sur les pistes".

R - Aujourd'hui, 85% de la cible vaccinable est vaccinée. Et en réalité, la plupart des gens qui doivent se rendre en stations, eh bien ils prennent quoi ? Ils prennent un TGV, ceux qui viennent de l'étranger, ils prennent un avion : donc ils sont soumis de fait au pass sanitaire. Donc je crois qu'il ne faut pas se focaliser sur ces détails et ces modalités. C'est important pour les professionnels, mais le message pour les clientèles, il est simple : c'est que la montagne française veut leur dérouler le tapis rouge, les professionnels se sont préparés, on espère que la neige sera au rendez-vous pour pouvoir à nouveau retrouver les joies et sensations de la glisse.

Q - Jean-Baptiste Lemoyne, nous sommes à la veille des vacances de la Toussaint. Il y a des réservations qui marchent plutôt, je crois qu'on est à environ 40%. Est-ce que vous conseillez aux Français, vous les encouragez à aller sur les lieux de vacances là dans les jours qui viennent, ou est-ce qu'ils vont partir aussi un peu à l'étranger pour certains d'ailleurs, pour cette fin d'année ?

R - Alors, sur la Toussaint c'est plutôt traditionnellement des vacances qui sont en France et je dirais un peu familiales. Ce que l'on constate, c'est que, quelques chiffres, très bon taux de réservation du côté de l'hôtellerie de plein air. Ils sont à - tenez-vous bien - + 49 % en réservations sur la Toussaint par rapport à 2019, qui elle-même était un bon cru. Idem pour les Gîtes de France, sur octobre ils sont à + 8 points par rapport à leur moyenne traditionnelle. Donc on voit que l'envie de souffler est toujours là.

Et s'agissant des vacances de Noël, ce que je peux vous dire c'est que, puisque j'étais la semaine dernière aux côtés des professionnels du tourisme, au salon IFTM Top Résa, donc c'était l'occasion d'avoir toutes les destinations. Les réservations montent en flèche pour les destinations soleil, et notamment effectivement, parfois sur des destinations étrangères. Mais d'ailleurs le tourisme français, c'est faire venir en France, mais c'est également des professionnels français, les agents de voyage, qui s'occupent de faire en sorte que les séjours des Français se déroulent bien à l'étranger, et donc c'est vrai qu'un certain nombre de destinations aux Antilles, dans l'Océan Indien, rencontrent beaucoup de succès en ce moment.

Q - Un mot des aides, parce que certains disent : oui, mais ça n'arrive pas forcément aussi vite que prévu. Qu'est-ce que vous pouvez leur répondre ?

R - Alors, les aides, depuis le début, on a mis le paquet. Le Président de la République a été clair, il a voulu qu'on préserve les emplois, les talents, etc... On en est à 38 milliards sur le secteur du tourisme, je le dis, ce n'est pas rien, 38 milliards...

Q - 38 milliards ont été versés.

R - 38 milliards d'euros.

Q - Versés.

R - Entre les subventions, les fonds de solidarité, les prêts garantis par l'Etat, c'est un ensemble. Et s'il y a des problèmes, ça arrive parfois, que certains disent : ah la la, mon fonds de solidarité, pour moi il n'a pas été versé. Eh bien écoutez, je vais vous dire, c'est simple, je donne mon mail, vous m'envoyez ça directement...

Q - Ah bon !

R - jean-baptiste.lemoyne@diplomatie.gouv.fr parce qu'on s'occupe avec mon cabinet - avec celui d'Alain Griset, naturellement - que le versement se passe dans les meilleures conditions. C'est ça le service public, c'est aussi apporter des solutions.

Q - Bon, eh bien c'est cash "Parlons vrai", sur Sud Radio, vous nous donnez votre mail, c'est très bien, je pense que vous allez en avoir quelques-uns. Dites-moi, est-ce que vous êtes impuissants face aux plateformes comme Booking et Airbnb ? On a vu que finalement, c'est la Ville de Paris qui s'est attaquée à Booking, qui a été condamné. On a l'impression que l'Etat est impuissant.

R - Attendez, vous n'avez pas tout suivi là.

Q - Non.

R - Eh bien il y a une loi ELAN, qui a été adoptée en 2020...

Q - Oui, je l'ai vue, je l'ai vue.

R - Et cette loi ELAN, justement, elle met en place des sanctions, parce que par le passé, la loi a prévu d'obliger à ce que les meublés soient déclarés, mais ce n'était pas forcément assorti de sanctions. Nous on a mis des sanctions et c'est ce qui permet d'ailleurs aux juges aujourd'hui de sanctionner les plateformes qui soit mettent en ligne des annonces qui ne sont pas numérotées, qui n'ont pas reçu un numéro, soit parfois des annonces qui ont dépassé le seuil, le plafond de location de 120 jours par an.

Et donc tout ça, c'est ce gouvernement qui l'a fait, et donc on n'est pas en arrière de la main, et ce que...

Q - Non mais on a l'impression que ce sont les municipalités, les métropoles, qui elles-mêmes essaient d'encadrer en fait les choses localement.

R - Mais parce que tout cet enregistrement des meublés se fait au niveau local, et donc par conséquent lorsqu'il y a des manquements, c'est au niveau local qu'il est constaté. Maintenant vous savez, les plateformes sont des outils, il y en a qui peuvent mieux se comporter que d'autres. Et puis surtout, nous, on a fait le choix par exemple, avec la Banque des territoires, de lancer notre propre plateforme, alors non pas pour la dimension hébergement, mais pour mettre en avant les activités touristiques nationales, par exemple le petit site de canoë-kayak.

Et donc ça s'appelle "Alentour". Alors, ce n'est pas une application, mais "Alentour" va permettre à tous les offices de tourisme, aux hôtels etc..., d'avoir en marque blanche sur leur site toutes les activités qui sont alentour, c'est le cas de le dire.

Q - Mais, dites-moi, Jean-Baptiste Lemoyne, vous cherchez de l'argent, parce que vous en avez besoin, parce que le chéquier était quand même de sortie pendant la crise sanitaire. Et puis même au-delà, est-ce qu'il n'y a pas la possibilité de les taxer un petit peu plus quand même, ces plateformes, pour qu'il n'y ait pas aussi une concurrence faussée ? Il y a des collectifs qui sont montés dans le Pays basque que vous connaissez bien par exemple.

R - Bien sûr, mais alors plusieurs choses. Vous avez vu qu'il y a quelques jours, on a atteint enfin un accord, et la France a été - et cela fait trois ans que le Président de la République, Bruno Le Maire, sont très actifs là-dessus - pour mettre en place justement une taxation sur les fameux GAFA. Et ça, on y est arrivé. Alors nous on a porté le combat, non seulement national, après en européen, et maintenant on a eu ce consensus international. Donc pour la première fois, il va y avoir au moins cette taxation minimale. Donc c'est hyper important. Voyez qu'on ne reste pas les bras ballants.

Et ce qu'il faut, c'est que quand on voit une situation qui n'est pas satisfaisante, on s'en empare à bras-le-corps. Et tout ça, attendez c'est du boulot, il faut aller chercher les Etats, il faut faire des coalitions, etc... Eh bien on y est arrivé.

Q - Un mot sur les paysages et l'environnement, parce que c'est important évidemment quand on est en charge du tourisme. Que pensez-vous des éoliennes ? Il y a par exemple un auditeur qui nous dit : je voudrais bien connaître l'avis du ministre quand il voit des éoliennes par exemple dans notre beau département dans l'Aude et dans l'Ariège, qui défigurent ce paysage ?

R - Je vais vous dire, il en faut sûrement un peu, mais il faut bien choisir les endroits. Et surtout moi, je dois dire qu'il y a des endroits dans lesquels on en a mis trop. Enfin, moi je vois dans mon département de l'Yonne, je pense qu'on a suffisamment cotisé à l'impôt révolutionnaire éolien.

Q - Stop quoi.

R - Parce qu'il se trouve qu'à un moment, et voilà, certains gouvernements précédents portent une responsabilité, on a dessaisi, la loi a dessaisi les élus locaux de leurs compétences de ce point de vue-là. C'est uniquement le préfet qui décide, les avis ne sont que consultatifs, et donc je trouve que c'est problématique. Et on voit d'ailleurs que les énergies renouvelables c'est indispensable, mais il y a aussi de nouvelles formes qui se développent, l'hydrogène vert, le photovoltaïque, etc...

Q - Donc vous dites : attention quand même aux éoliennes.

R - Ah bien sûr. Ce qui fait la richesse de la France, c'est ses paysages. Regardez, on a des paysages de dingues, et donc il ne faut pas les abîmer.

(...)

Q - Un dernier mot parce qu'on a parlé en fait du bilan, 38 milliards de mis sur la table, ceux qui ont contracté des PGE, ils devront rembourser ou pas ? Ou s'ils sont dans la mouise...

R - Eh bien on essaie d'éviter toutes les faillites, tous les dépôts de bilan. Donc on travaille avec Alain Griset, avec Bruxelles, pour trouver éventuellement des solutions, éventuellement arriver à décaler, à "élonger les maturités". Mais on a mis en place des outils : le prêt tourisme, je signale à vos auditeurs, cela permet d'avoir une maturité plus longue, dix ans, un différé de paiement de deux ans. Donc voilà, cela fait partie des outils qu'on met en place.


Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 21 octobre 2021