Déclaration de M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la relance, sur la lutte contre le réchauffement climatique et la politique de l'énergie, à Paris le 26 octobre 2021.

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Intervenant(s) : 
  • Bruno Le Maire - Ministre de l'économie, des finances et de la relance

Circonstance : Ouverture du Climate Finance Day 2021

Texte intégral

Bonjour,
Merci monsieur le Président, cher Augustin Romanet,
cher Thierry Déau,
Madame la Ministre, chère Olivia Gregoire, je suis ravi de te voir ici.


Maybe just a few words in English to start my speech, just to make to you a proposal: I think we should imagine a new name for the Climate Finance Day. And my proposal would be to adopt Climate Finance Generation because I think that the fight against climate change is not a matter of days, it is a challenge for a generation. So this would be my proposal to start my speech about the fight against climate change and the ties between finance and climate. As Augustin just said, I'm deeply convinced that either the finance will be a green finance or it will be useless and irrelevant for the 21st century.

Le climat, c'est bien le défi d'une génération et même le défi de plusieurs générations. Il demande donc de la cohérence, de la clarté et de l'ambition.

J'ai eu l'occasion de m'exprimer à plusieurs reprises sur ce sujet mais je voudrais profiter à la fois de ce Climate Finance Day et de la remise du rapport majeur de RTE qui a été remis hier pour vous donner mes convictions, les convictions du ministère de l'Économie, des Finances, de la Relance sur cette question du changement climatique et sur les choix qui s'offrent à nous.

Contrairement à ce que j'entends dire trop souvent, le ministère de l'Économie et des Finances, n'est pas contre le climat. Il est pour le climat. Il est engagé totalement dans la lutte contre le réchauffement climatique. Il apporte des solutions. Il prend des décisions et il prendra toute sa part, aux côtés du reste du Gouvernement et du président de la République, pour accélérer la lutte contre le réchauffement climatique, qui est une des priorités absolues du Gouvernement français et du Président de la République.

Mais ce défi climatique, il demande de la cohérence. Cette cohérence, c'est d'abord savoir répondre aux défis immédiats qui nous sont proposés.

Le premier, c'est la hausse des prix de l'énergie. Cela n'a échappé à personne, les prix de l'énergie ont bondi depuis plusieurs semaines. Ce mouvement de prix, nous le savons, il est d'abord lié à une reprise économique beaucoup plus forte que prévu.

Je rappelle les chiffres, le prix du gaz a été multiplié par six sur les marchés, le prix de l'électricité par trois depuis le début de la crise, quant au prix des carburants, il est en hausse de 20% depuis le début de l'année 2021 pour un prix à la pompe à la mi-octobre de 1,61 euro par litre pour l'essence et 1,56 euro par litre pour le diesel.

Cela représente très précisément une hausse de 10 centimes par litre par rapport à la moyenne de 2018 et de 2019 et cela pénalise terriblement un très grand nombre de nos compatriotes. Nous avons donc, avec le président de la République et le Premier ministre, réagi rapidement et fortement.

Nous avons augmenté le chèque énergie de 100 euros pour 6 millions de ménages. Nous avons mis en place un bouclier tarifaire sur les prix du gaz et sur les prix d'électricité en anticipant l'augmentation des prix d'électricité qui doit être fin janvier de +15%. Ce sera au maximum +4%, comme l'a annoncé Jean Castex. Nous allons verser une indemnité inflation de 100 euros pour 38 millions de Français.

En revanche, nous avons écarté une piste qui était pourtant recommandée par beaucoup dans les oppositions de baisse de la fiscalité. Je voudrais expliquer pourquoi nous avons écarté cette piste qui était une solution de facilité, mais pour le coup totalement incohérente par rapport à la lutte contre le réchauffement climatique. On ne baisse pas la fiscalité sur le prix d'un produit dont on veut réduire la consommation. On ne baisse pas la fiscalité sur un produit dont on estime qu'il est mauvais pour l'environnement et mauvais pour la planète. C'est une question de cohérence et je crois à la cohérence en politique.

On nous disait « Mais il suffisait de faire une baisse transitoire de taxes. » De qui se moque-t-on ? Qui peut penser que, une fois que la fiscalité aura été baissée sur les carburants, quelque gouvernement que ce soit la remontera ? Croyez en ma petite expérience en matière de fiscalité, le transitoire dure longtemps. Nous baissons facilement les taxes, nous les remontons bien plus difficilement.

Quelle cohérence y aurait-il eu également à plaider dans les enceintes européennes, à plaider au G20 en faveur d'un prix carbone pour faire évoluer nos habitudes de consommation tout en baissant en France une taxe sur les carburants ? Je connais là aussi l'adage vérité en-deçà des Pyrénées, erreur au-delà. Mais je crois que cela ne vaut pas en matière climatique et cela ne vaut pas en matière de choix politique.

Nous ne pouvons pas défendre une position au G20 et à la Commission européenne et auprès de nos partenaires européens pour avoir un juste prix du carbone et à l'intérieur de nos frontières défendre exactement la position inverse.

Je pense qu'il est compliqué également de défendre l'approche qui est proposée dans l'excellent rapport d'Olivier Blanchard et de Jean Tirole sur la taxation du carbone tout en l'écartant dans la pratique parce que nous trouverions cela trop difficile.

Je pense enfin qu'il n'y aurait pas de cohérence à baisser de 20 centimes d'euro le prix du litre à la pompe en nous privant de 10 milliards d'euros de recettes dont nous aurons besoin, j'y reviendrai, pour les investissements dans les énergies renouvelables et dans le nucléaire.

Nous avons donc, avec le président de la République et le Premier ministre, choisi une voie différente, et je pense que c'est la voie du courage et la voie de la raison, celle qui consiste non pas à baisser la fiscalité et à rendre plus attractif les énergies fossiles, mais celle qui consiste à soutenir les ménages les plus modestes, les Français les plus en difficulté.

C'est bien cela le défi qui nous attend demain. C'est la voie de la justice, c'est la voie de la cohérence, c'est la voie de l'efficacité. Accepter que les énergies fossiles aient un prix, accepter que ce prix soit élevé, mais ne pas faire payer le prix à ceux qui sont les plus modestes. C'est bien cela, la question de long terme qui va tous nous concerner.

Quand je dis « de long terme », ce n'est pas pour le mois qui vient. Ce n'est pas pour l'année qui vient. C'est pour les décennies qui viennent.

Comment faisons-nous pour financer la transition écologique et s'assurer que ce ne sont pas les plus modestes qui payent ? Comment les accompagner dans cette transition écologique ? Comment faire pour que le poids économique de la transition écologique ne pèse pas sur les épaules des plus modestes ? C'est la question politique la plus difficile qui nous est aujourd'hui posée.

Nous devons maintenant tirer les leçons de long terme de cette augmentation des prix de l'énergie, maintenant que nous devons apporter une réponse qui est nécessairement une réponse de court terme mais qui ne sera pas suffisante.

D'abord, nous devons le faire avec une nouvelle politique européenne sur le marché de l'énergie. Je sais bien que le marché européen d'électricité a un avantage que tout le monde met en avant la sécurité d'approvisionnement à tout moment pour tout État. C'est un avantage important.

Mais ce marché européen, il a aussi un défaut. L'alignement des prix de l'électricité sur le coût de production de la centrale marginale et donc sur les prix du gaz. Pour faire simple, quand il y a une période de tension énergétique, quand il y a un manque de gaz ou un manque d'énergie, les centrales à gaz doivent rouvrir pour fournir de l'énergie supplémentaire dont les États européens ont besoin. Immédiatement le prix de l'électricité est aligné, sur le prix de production du gaz dans ces centrales que nous sommes obligés de rouvrir. L'électricité est donc alors payée par le consommateur au prix du gaz dans toute l'Europe, alors même que nous avons un mix électrique en France, mais aussi en Espagne et dans d'autres États, qui est bien moins coûteux.

Nous payons donc une énergie, à un tarif qui ne correspond pas à notre coût de production en France. Je le dis très simplement c'est inacceptable. Nous ne continuerons pas dans cette voie-là. Cela pénalise les ménages qui ne comprennent pas pourquoi, tout d'un coup, le prix de l'énergie flambe, alors même que ces mêmes ménages vont participer par leurs impôts au financement de l'entretien des centrales nucléaires, au financement du déploiement de nouvelles énergies renouvelables.

Nous n'allons pas demander aux ménages de payer deux fois pour les énergies renouvelables et pour les centrales nucléaires d'un côté et puis de l'autre pour l'ouverture des centrales à gaz en Europe de l'Est. C'est incompréhensible et inacceptable pour les ménages. Cela pénalise également les entreprises qui se retrouvent avec un prix de l'énergie qui est trop élevé et enfin, cela pénalise les investissements nécessaires pour la transition écologique.

J'entends bien les réponses qui m'ont été faites par un certain nombre d'États européens qui disent « Circulez, il n'y a rien à voir. » Je n'ai jamais considéré que quand il y avait une crise politique, énergétique et économique, la bonne réponse était le " Circulez, il n'y a rien à voir. "

Je ne suis, pour tout vous dire, pas convaincu du tout par les arguments qui ont été avancés par les États européens opposés à la réforme du marché européen de l'énergie. Répondre aux Européens que tout va bien quand les prix de l'énergie explosent, que le marché européen de l'énergie est celui qui fonctionne le mieux au monde et qu'il ne faudrait pas y changer une virgule dans son fonctionnement et dans la fixation de ses prix, c'est un peu court comme réponse.

Je continuerai donc à porter l'idée d'une réforme européenne, du marché européen de l'énergie. Je continuerai à le faire comme je l'ai fait à la réunion des ministres des Finances de la zone euro, comme je l'ai fait à la réunion des ministres des Finances des 27 États membres de l'Union européenne, avec l'Espagne, avec la République tchèque, avec la Roumanie, avec la Grèce, avec un certain nombre d'États européens qui partagent notre avis le marché européen de l'énergie doit évoluer. Evoluer pour tenir compte de la réalité des prix, évoluer pour tenir compte de la nécessité d'un meilleur équilibre dans la définition des prix.

Je rappelle les deux propositions que nous avons faites. La première, c'est établir un lien entre le prix payé par le consommateur et le coût moyen de production de l'électricité. La deuxième, c'est la meilleure régulation des stocks de gaz. Je persiste et je signe. Nous avons besoin d'une réforme du marché européen de l'énergie et nous la porterons pendant la présidence française de l'Union européenne. C'est la première solution de long terme que j'ai proposée et que je vous confirme ce matin.

La deuxième solution de long terme est plus originale pour un ministre des Finances. Je crois être maintenant un des ministres des Finances français qui aura eu la plus longue longévité sous la Vème République. Durant ces années j'ai appris une chose, c'est qu'il y a un sujet qui n'est pas négociable en règle générale, pour un ministre des Finances, c'est le principe de non-affectation des recettes fiscales. Ce principe, je tiens à le dire, il est très simple il évite de flécher une recette fiscale vers une dépense budgétaire automatiquement parce que sinon vous n'avez plus de ressource collective et donc plus de capacité à financer des biens publics collectifs.

Je crois néanmoins, qu'il faut faire une exception pour la question du climat et je pense que si les dogmes sont bons, il faut parfois aussi s'affranchir de dogmes quand la nécessité fait loi.

En la matière, je pense que le climat justifie que nous réfléchissions à nous affranchir de cette règle de non-affectation des recettes. La transition écologique doit nous obliger à repenser nos habitudes. Elle doit nous obliger à revoir les dogmes les mieux établis.

Je pense qu'affecter les recettes fiscales sur les énergies fossiles au seul financement de la transition écologique serait un gage de transparence et d'efficacité. Si nous garantissons à nos compatriotes que chaque euro de recette fiscale sur l'essence, sur le diesel, sur le gaz, sur le fioul sera affecté, en toute transparence et à l'euro près, à la lutte contre le réchauffement climatique, je suis convaincu que cela facilitera le financement de la transition écologique et rendra la fiscalité actuelle plus acceptable.

Je crois à l'inverse que si nous ne fléchons pas, les recettes fiscales sur les énergies fossiles vers le financement de la transition écologique, nous nous heurterons à des résistances de plus en plus fortes. Je veux donc poser ce matin le débat de l'affectation des recettes fiscales sur les énergies fossiles à la lutte contre le réchauffement climatique, parce que je pense que c'est à la fois efficace, juste et transparent.

La troisième leçon de long terme, après celle du marché européen de l'énergie, celle du principe d'affectation des recettes fiscales fossiles à la lutte contre le réchauffement climatique, c'est la nécessité d'accompagner beaucoup plus fortement les ménages les plus modestes qui prennent de plein fouet la lutte contre le changement climatique et la transformation du climat.

Le mouvement des gilets jaunes a marqué ce quinquennat et ce mouvement, il est né de la contestation de notre politique fiscale sur les carburants. Nous devons le reconnaître et nous ne devons jamais l'oublier.

Nous avons agi avec les meilleures intentions du monde, aligner la taxe de la fiscalité du diesel sur celle de l'essence et augmenter la taxe carbone à un rythme rapide, avec une fois encore cette intention tout à fait louable qui est d'accélérer la transition écologique et faire en sorte que la France soit leader dans ce domaine. Sauf que des millions de ménages nous ont dit « Nous ne suivrons pas. »

Cette voix de colère, cette voix de résistance, elle doit encore résonner à nos oreilles et elle doit nous amener à réfléchir à la manière dont nous accompagnons au quotidien, au jour le jour, dans la durée, tous ceux qui n'ont pas d'autres choix que d'utiliser leur voiture pour se rendre sur leur lieu de travail. Tous ceux qui malgré les dispositifs d'accompagnement que nous avons mis en place ont encore du mal à changer leurs voitures. Tous ceux qui paient trop cher pour se chauffer malgré une fois encore les dispositifs que nous avons mis en place.

Nous avons posé les premières pierres de cet accompagnement et je pense que la majorité actuelle, ma chère Olivia Grégoire, doit être fière de ce qui a commencé à être fait pour accompagner les ménages les plus modestes dans la transition écologique sans que cela pèse sur leur budget : MaPrimeRénov, les aides au changement de véhicule, les primes aux véhicules électriques même si ces véhicules restent coûteux, le soutien au changement de chaudières. Tout cela, ce sont les premières pierres, les premières briques d'une politique plus globale que nous devons mettre en place pour accompagner fortement, efficacement les ménages les plus modestes dans la voie de la transition écologique.

Le climat et la lutte contre le réchauffement climatique ne doivent pas conduire à des révolutions politiques. C'est notre responsabilité d'entendre ce qu'il s'est passé pendant la crise des gilets jaunes pour continuer à apporter des réponses les plus efficaces à ceux qui nous disent vous allez trop vite. Nous avons besoin d'aller vite. Nous avons besoin d'accélérer la lutte contre le réchauffement climatique.

Personne, je dis bien personne, ne doit être laissé derrière. Au bout du compte, vous le voyez, la question écologique doit nous amener à inventer un nouveau modèle économique. Ce nouvel modèle économique ne doit laisser, je le redis, personne de côté. Il demande aussi, au-delà de la cohérence dont je viens de parler, un deuxième principe, un deuxième maître mot, c'est celui de la clarté, de la cohérence, c'est ce qui nous a amenés à faire les choix que je viens d'indiquer sur la fiscalité, mais également de la clarté.

La clarté, c'est être capable, dans cette immense complexité de la transition écologique qui demande beaucoup, beaucoup, beaucoup de travail pour comprendre exactement quels sont les défis, de simplifier les choses. Quelle est dans le fond, parmi les défis qui se présentent devant nous, dans lesquels je dois dire que parfois, une chatte retrouverait pas ses petits tellement c'est compliqué, quelle est dans le fond, le défi principal ? C'est l'électrification des usages.

Le défi principal qui va se poser pour les gouvernements européens, pour les gouvernements partout à travers la planète, c'est le besoin massif d'électricité dans les années à venir. En tout cas, selon moi, c'est le défi principal qui va se poser à nous. Je le dis comme ministre de l'Economie et des Finances, je le dis aussi comme simple citoyen.

L'électricité va être partout, dans nos voitures, dans les avions, dans les batteries, dans nos iPhones, dans les 5G, dans les satellites, dans la robotique, dans la domotique, dans tout usage quotidien du matin au soir et nuit comprise. Nous allons avoir besoin massivement de l'électricité.

Le rapport de RTE que j'ai déjà cité, qui est un rapport solide, construit, instructif, donne les différents scénarios et explique que nous pourrions passer d'une consommation d'électricité annuelle de 430 térawattheures actuellement à 645 en 2050. 50 % d'augmentation de consommation d'électricité.

Ce n'est pas le scénario le plus ambitieux parce qu'il y a un autre scénario, celui qui correspond à notre volonté de réindustrialisation de la France portée par le président de la République, dans lequel l'augmentation serait de 75%. 430 térawattheures aujourd'hui, 750 térawattheures en 2050, 75% d'augmentation. C'est le schéma qui correspond à celui d'une augmentation de la part de l'industrie dans le PNB français. Personnellement, c'est l'option qui me convient puisque nous nous battons pour la réindustrialisation du pays, pour la reconquête industrielle et pour l'indépendance industrielle du pays.

Je crois à ce scénario. Je ne crois pas au scénario de la décroissance qui lui entraînera un appauvrissement des Français et une réduction du nombre d'emplois, notamment dans le secteur industriel.

A partir de là, mesurons bien ce que cette hausse représente. Elle suppose d'adopter une ligne économique cohérente par rapport à cette ambition qui doit garantir la neutralité carbone en 2050 tout en augmentant massivement la consommation d'électricité.

Premier élément de cette ligne politique l'indépendance. Nous ne devons pas dépendre des aléas du marché. Nous ne devons pas dépendre des soubresauts internationaux. Nous devons garantir notre sécurité d'approvisionnement au coût le plus limité possible. Voilà le premier principe si nous retenons ce scénario d'une forte augmentation de la consommation d'électricité en France, accompagnée d'une réindustrialisation de notre pays.

Deuxième principe, celui de la diversité. Je dois vous dire, je suis toujours très surpris quand j'allume ma radio le matin, que j'allume ma télévision, que j'écoute les émissions, que je consulte mon portable, de voir à quel point la politique en France est devenue conflictuelle. A quel point il faut absolument opposer systématiquement. Dresser des murs les uns contre les autres, aller vers la querelle, aller vers le buzz, aller vers l'affrontement, aller vers l'opposition d'éléments ou de politiques qui peuvent être complémentaires.

Il n'y a pas d'un côté le tout nucléaire qui aurait raison surtout, et de l'autre, le 100% renouvelable qui serait non négociable par rapport à toutes autres formes de production d'électricité.

Nous pouvons peut-être revenir à ce qu'est la France, un pays d'équilibre, un pays qui a toujours su tenir la balance égale entre différents aspects de l'économie. Nous sommes un pays agricole, mais nous sommes aussi un grand pays de services et nous pouvons en être fiers. Nous restons une nation industrielle qui, sous l'autorité du président de la République, a pris la décision de reconquérir son industrie, de mettre fin à trente années de délocalisations industrielles, qui sont le plus grand scandale économique qu'ait connu notre pays. Nous voulons retrouver la voie de l'équilibre économique service, industrie, agriculture, je le dis pour avoir été trois années, ministre de l'Agriculture, et industrie.

Pourquoi est-ce que nous ne ferions pas tout simplement la même chose en revenant à ce principe d'équilibre qui nous a toujours guidés en matière énergétique. Regardez ce qu'ont fait nos voisins. Pour une fois, vous savez qu'il n'y a pas plus germanophile que moi, mais être germanophile ne veut pas dire suivre systématiquement les choix allemands quand ces choix ne donnent pas les résultats attendus.

L'Allemagne a fait le choix d'un tournant énergétique brutal ; la France, au contraire, a maintenu un principe d'équilibre entre ses différentes productions d'énergie. Résultat la France émet en moyenne 60g de CO2 par kilowattheure produit ; l'Allemagne, plus de 400. Quel est le modèle vertueux ? Il me semble que notre modèle est plus vertueux du point de vue climatique.

Chacun, une fois encore, connaît mon attachement et ma proximité avec l'Allemagne, ce n'est pas pour autant que nous devons suivre aveuglément tous les choix faits en Allemagne, notamment en matière énergétique.

Je crois au principe d'équilibre français en matière énergétique. Je crois que nous devons continuer à nous appuyer sur le nucléaire, le renouvelable et l'hydroélectricité.

Je voudrais vraiment convaincre chacun dans cette salle opposer les énergies est un non-sens, opposer les productions d'énergie les unes entre les autres et mettre de l'idéologie là où il faut mettre du pragmatisme est une erreur pour les Français. La responsabilité politique, ce n'est pas de mettre de l'idéologie partout, c'est de mettre des solutions à chaque endroit. En tout cas, ce sera mon approche en matière énergétique.

La conclusion que je retiens du rapport de RTE que je viens de citer, c'est qu'il faut à la fois accélérer le développement des énergies renouvelables et accélérer la réalisation de réacteurs nucléaires. C'est la solution la plus raisonnable. C'est le meilleur rapport qualité/prix en matière énergétique. C'est bien cela l'équilibre français.

Ne pas opposer, mais conjuguer les énergies renouvelables et le nucléaire pour un seul objectif qui doit nous rassembler la neutralité carbone en 2050.

Enfin, dernier choix après l'indépendance et la diversité, c'est celui de l'innovation. La France est un grand pays d'innovation. Le président de la République a fait le choix d'un investissement massif avec le plan France 2030.

L'innovation, c'est d'abord l'une des conditions de l'efficacité énergétique.

Si nous voulons, par exemple, investir dans des semi-conducteurs avec des gravures plus fines, de 2 à 10 nanomètres, c'est d'abord parce que ces semi-conducteurs consommeront moins d'électricité avec des performances supérieures.

Si nous voulons développer l'hydrogène, c'est parce qu'il permettra d'accélérer la décarbonation des usines, des cimenteries et des aciéries, qu'il nous permettra de stocker dans des piles à combustible l'énergie utile pour les transports collectifs comme les bus, les trains ou les avions.

Je vous confirme que nous voulons être l'un des premiers producteurs au monde d'hydrogène vert en nous appuyant à la fois sur de grands groupes comme Air Liquide ou sur de plus petites entreprises, des PME très performantes comme McPhy à Belfort ou d'autres qui viennent de se développer, notamment en Vendée. Mais pour porter ces choix, il faut que ces choix énergétiques soient appuyés par des orientations politiques tout aussi claires que les choix énergétiques que je viens d'annoncer.

D'abord, il faut que notre filière nucléaire retrouve sa force et son prestige. Cela suppose de former, de réhabiliter les métiers du nucléaire. C'est ce que j'ai annoncé en mettant en place l'Université des métiers du nucléaire.

Cela suppose aussi, comme l'a décidé le président de la République dans le plan d'investissement France 2030, d'investir dans la recherche, dans le développement de nouveaux réacteurs nucléaires. C'est ce que nous faisons avec le développement des réacteurs SMR dans le plan d'investissement.

La deuxième orientation, c'est le développement massif des énergies renouvelables. Je le redis, je crois à l'énergie solaire, je crois à l'éolien en mer, je crois à l'éolien flottant. Ces énergies renouvelables produisent une électricité décarbonée, elles créent des milliers d'emplois, par exemple à Saint-Nazaire, sur la côte Atlantique, et elles peuvent être redoutablement efficaces à partir du moment où nous les conjuguons avec la continuité d'approvisionnement que fournit l'énergie nucléaire.

Le rapport RTE établit d'ailleurs qu'il existe un écart de coût de 10 milliards d'euros par an entre une solution 100 % renouvelable et une solution équilibrée entre énergie renouvelable et énergie nucléaire. C'est bien la preuve que la solution d'équilibre que nous recommandons est la bonne pour la France. Elle est la plus efficace. Elle est aussi la plus économique du point de vue financier.

Enfin, pour valider ces choix, et je voudrais être aussi clair que je l'ai été sur le marché européen de l'énergie, il faut une taxonomie européenne. Je le dis à tous les investisseurs qui sont présents ici le nucléaire a toute sa place parmi les sources d'énergie décarbonée que nous voulons développer sur ce continent. La taxonomie européenne doit le reconnaître et elle doit rendre les financements dans le nucléaire possibles. Nous attendons donc de la Commission européenne qu'elle reconnaisse l'énergie nucléaire comme une énergie décarbonée dans la taxonomie et nous regrettons les délais en la matière. Nous souhaitons que les décisions se débloquent rapidement conformément aux engagements qui ont été pris par la Commission européenne auprès du Gouvernement français.

Le dernier point sur lequel je voudrais insister, il faut de la cohérence en matière de politique énergétique, il faut de la clarté, il faut également de l'ambition.

D'abord, et je le dis devant les investisseurs qui sont présents ici, il faut de l'ambition financière. Dans le fond, la question climatique va très vite aboutir à une autre question fondamentale qui va payer ? La somme est vertigineuse. Il faudra 1 000 milliards d'euros d'investissements dans les énergies en France d'ici à 2060. Qui va payer ?

C'est l'investissement le plus important que la France ait eu à faire depuis un siècle. Au risque de vous décevoir, l'Etat français ne paiera pas tout. Nous devons trouver un équilibre entre financement public et financement privé. L'Etat prendra sa part, mais il ne paiera pas tout.

Pour que l'Etat prenne sa part, cela va évidemment poser la question de nos règles budgétaires et du Pacte de stabilité et de croissance.

Je ne vais pas anticiper sur le débat que nous avons ouvert avec le commissaire européen Paolo Gentiloni qui a fait un travail remarquable pour ouvrir la discussion sur ce sujet. Mais je tiens simplement à dire que le Pacte européen de stabilité et de croissance doit désormais prendre en compte les enjeux du financement de la transition écologique.

Le Pacte de stabilité ne doit pas être un obstacle à la lutte contre le réchauffement climatique. Il doit permettre le succès de la transition climatique que tous nos concitoyens européens attendent.

Cette ambition financière, elle suppose aussi cet engagement fort de l'Etat à travers différentes politiques que vous connaissez : le budget vert que nous avons mis en place, les premières obligations vertes qui ont fait de la France un leader dans ce domaine et un certain nombre de décisions sur les financements export.

Je voudrais juste m'arrêter une seconde sur cette question des financements export pour bien clarifier la position du Gouvernement français. Nous avons arrêté tout financement export pour le charbon. Nous avons donné un calendrier pour l'arrêt du financement export des exploitations pétrolières en 2025 et gazière en 2035.

La crise du gaz change la donne et elle montre que nous devons réduire plus rapidement que prévu notre dépendance au gaz. Nous avions donné une clause de rendez-vous sur les financements export gazier en 2023, nous avancerons cette clause de rendez-vous à 2022.

Par ailleurs, je veux être clair, nous n'accordons plus de financements aux projets gaziers qui ne respecteront pas rigoureusement et en toute transparence les meilleurs standards environnementaux internationaux.

Enfin, cette ambition financière, elle suppose l'engagement de l'Etat, je viens de le rappeler, l'engagement de l'Union européenne à travers le Pacte de stabilité et de croissance. Elle suppose aussi, cher Augustin de Romanet que la place de Paris s'engage davantage et nous avons eu l'occasion d'en reparler ensemble.

La place de Paris doit être à la hauteur de l'accord de Paris et je vais vous donner ma conviction personnelle, aujourd'hui, la place de Paris n'y est pas encore. Elle doit faire plus. Elle doit faire mieux et elle doit faire plus vite. Je sais que la place a pris des engagements. Les six plus grandes banques françaises se sont engagées à arrêter dès 2022 le financement des projets d'exploitation de pétrole de schiste, de gaz de schiste, de sables bitumineux. C'est très bien, mais ce n'est pas suffisant.

Vous devez vous engager dans une trajectoire de réduction de l'intensité carbone de vos investissements en lien avec l'accord de Paris. Cette trajectoire doit être crédible, elle doit être transparente avec un calendrier contraignant.

Je souhaite que nous puissions obtenir la définition d'une première trajectoire d'ici mars prochain pour l'événement Climat européen dans le cadre de la présidence française du Conseil de l'Union européenne. Mars prochain, c'est dans quelques mois. Cela va arriver très vite.

Je souhaite que nous obtenions de meilleurs résultats à cette occasion. J'ai donc demandé à l'ancien directeur général d'Amundi, Yves Perrier, de mener une mission pour permettre à la place de Paris d'être à la hauteur de l'accord de Paris. C'est indispensable.

Nous devons tous collectivement faire plus, faire mieux, faire plus vite. Nous devons saisir chaque rendez-vous international, chaque rendez-vous de la présidence française de l'Union européenne pour accélérer la mise en oeuvre de nos engagements et obtenir des résultats transparents, convaincants et ambitieux.

Je le dis parce que pour conclure, chacun voit bien que cette transition énergétique crée des peurs collectives considérables, que les gens se disent comment allons-nous suivre ? Que les autres se demandent si nous allons pouvoir arriver à réduire le réchauffement climatique dans des délais rapides ? Que beaucoup se posent la question des innovations technologiques, notre capacité à disposer des briques technologiques nécessaires pour véritablement réduire les émissions de CO2 et arriver à un traité carbone en 2050 ?

Soit nous nous y mettons tous, l'État, les grandes industries, le secteur financier, les citoyens, soit nous n'y arriverons pas et je considère que la finance a, de ce point de vue-là, une responsabilité historique à exercer.

Je compte sur vous. C'est avec votre soutien que nous arriverons aussi à réussir la transition écologique.


Merci à tous.


Source https://www.economie.gouv.fr, le 27 octobre 2021