Entretien de M. Clément Beaune, secrétaire d'Etat aux affaires européennes, avec BFM TV le 26 octobre 2021, sur l'Union européenne face à la question migratoire et à l'Etat de droit en Pologne et en Hongrie.

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Média : BFM TV

Texte intégral

Q - Bonsoir Clément Beaune. Pour commencer, en fait, cette discussion, j'aurais envie de vous interroger sur ce qui s'est passé ce week-end. Puisque la Biélorussie, - on est aux confins de l'Union européenne - met en place une politique qui consiste à convoyer des migrants, à les entasser sur les frontières de l'Union européenne pour faire pression sur l'Union, et douze Etats membres de l'Union européenne ont donc demandé à ce que l'on puisse ériger des barbelés, mettre en place des frontières pour éviter que le président Loukachenko - qui n'est quand même pas un démocrate - instrumentalise ces pauvres gens, en faisant pression sur eux. Ursula von der Leyen, Présidente de la Commission, a expliqué que non. D'ailleurs vous-même avez dit : "on n'a pas fait l'Europe pour construire des murs." Alors on fait quoi ?

R - Vous avez complètement raison sur le fait qu'on protège nos frontières extérieures. Vous avez d'ailleurs raison de souligner simplement ce sujet qui est peu connu. Il y a un trafic de migrants organisé par le régime biélorusse contre la Lituanie, la Pologne aussi, et donc contre l'Union européenne, pour nous créer ce genre de divisions exprès. Je suis allé, je crois, le premier, à la frontière entre la Lituanie et la Biélorussie pour soutenir la Lituanie. Et la France a envoyé, la première aussi, du soutien matériel à la Lituanie. Ce que je dis, c'est évidemment, on doit tenir notre frontière extérieure. Quand la Grèce a été sous pression de la Turquie de manière organisée il y a un an, on a été aussi en faveur de cette maîtrise des frontières extérieures. Mais pour être très concret, je suis clair, l'Europe doit faire quelque chose de fort et de simple, qu'on est en train de faire monter en puissance, une police aux frontières européennes. J'assume qu'il y ait des policiers qui gardent une frontière. Ça ne me choque pas.

Q - Dix mille hommes supplémentaires, pour Frontex, ça va suffire ?

R - Ça ne va pas suffire. Et j'espère que sous présidence française on pourra accélérer ce calendrier, et amplifier Frontex - cette agence européenne de protection des frontières -. En revanche, le débat qu'il y a eu au Conseil européen et qu'a évoqué Mme. von der Leyen, ça j'assume, c'est de dire qu'on doit faire les frontières les plus infranchissables possibles avec des choses qui sont dans doute contraires au droit international, des lames de rasoir sur les barbelés, etc, ça je ne pense pas que ce soit la bonne façon de trouver le bon équilibre entre protection et humanité.

Q - Vous comprenez que des pays qui sont sous pression...

R - Bien sûr, qui se défendent...

Q - ...Aient l'impression d'être les seuls à gérer. C'était le cas de la Grèce puisqu'en effet de plus en plus d'autocrates ou de dictateurs utilisent les migrants comme une arme, et comme un effet de chantage.

R - Absolument. Je suis content de l'entendre, j'étais, je crois le premier à le dénoncer. Ça montre bien qu'on doit avoir une politique européenne, parce que quand la Lituanie est en difficulté, ça se répercute aujourd'hui même en Allemagne où l'on voit des migrants, plusieurs milliers, qui arrivent de Pologne ou de Lituanie parce qu'ils sont passés par la Biélorussie. Donc bien sûr qu'on doit se défendre. Bien sûr qu'il faut une politique européenne de fermeté.

En revanche ce que je dis, c'est que matériellement, concrètement, cette fermeté - oui à la police, oui au contrôle, oui au blocage de la frontière extérieure de l'Union européenne quand il y a un trafic organisé contre nous, oui au soutien aux pays qui sont en difficulté parce que ça nous concerne tous. C'est une politique européenne. Je suis content que des pays comme la Pologne parfois, qui nous disaient : ce n'est pas mon problème, quand il y a un problème en Grèce, aujourd'hui ils découvrent que c'est le problème de tout le monde. En revanche, les pays - c'est important car c'était ça le débat - les pays qui disent : moi je ne finance pas la solidarité, j'aide pas la Grèce, mais je voudrais quand même que l'Europe finance mes fils barbelés, ça, ce n'est pas équitable.

Q - Sauf que vous voyez bien qu'en fait c'est une réaction de la part de toute une partie des pays d'Europe de l'Est qui ont l'impression d'une inefficacité européenne, et qui ont l'impression que finalement l'Union européenne est très efficace quand il s'agit de dire à la Pologne : vous devez accepter le droit européen, et là on voit une levée de boucliers immédiate. Partout en Europe on voit des gens s'élever en disant "c'est un scandale, il faut que la Pologne sorte de l'Union européenne". En revanche quand il s'agit concrètement de répondre au problème, là il y a moins de fermeté. Alors, pourquoi cette fermeté sur des questions de droit, pourquoi donner cette impression d'une Europe qui en fait est là pour réprimer certaines velléités de libertés ?

R - Je ne pense pas que ce soit le cas. J'essaie d'être cohérent. Je ne pense pas qu'il y ait à choisir. Moi, j'assume de dire à la Hongrie ou la Pologne - on en reparlera peut-être - quand vous ne respectez pas des droits, qui n'ont rien à voir avec ce sujet des frontières, mais quand vous ne respectez pas certains droits, les droits des femmes, les droits des minorités, qui ne sont pas une ingérence de détail, qui sont des droits fondamentaux auxquels ils ont souscrit. Là-dessus je suis très ferme. Moi j'assume aussi qu'une Europe avec une politique commune doit défendre ses frontières extérieures. Je n'ai aucun problème avec ça. Et pour moi les deux sont la même chose, c'est ce que j'appelle la souveraineté européenne et les valeurs de l'Europe. Ce que je dis simplement c'est : pas les barbelés, et pas les lames coupantes sur les protections des frontières extérieures. Ça me parait le juste équilibre.

Q - Sur la question du droit, pour rappeler ce qui s'est passé, le tribunal constitutionnel polonais a expliqué que ce qui dans le droit européen était contraire à la constitution polonaise ne devait pas être pris en compte. La réaction de l'ensemble des autorités européennes a été de dire : si. Le droit européen s'impose à une constitution. Première question : est-ce que c'est vrai pour tout le monde ? La cour allemande de Karlsruhe explique qu'il y a un bloc constitutionnel. Quand ça touche aux intérêts fondamentaux de l'Allemagne, le droit européen ne s'impose pas. Donc ce qui est vrai pour les Polonais n'est pas vrai pour l'Allemagne.

R - Pas tout à fait, non

Q - Et deuxième question : une constitution, dans la hiérarchie des lois, ça a été voté par les peuples. Les peuples se sont rassemblés pour décider quelles allaient être leurs lois. Est-ce que, dans une démocratie, on peut considérer qu'il y a quelque chose qui s'impose au-dessus de la constitution ?

R - Je vais vous dire : ce qui s'est passé en Pologne est unique. Ce n'est pas vrai qu'il y a eu la même chose en Allemagne ou en France - vous avez cité l'Allemagne, on aurait pu citer la France, où nos juges ont parfois dit "je ne suis pas d'accord avec une règle ou une décision européenne."

Q - Le 15 octobre, le conseil constitutionnel a rendu une décision en rappelant qu'il existe donc, en gros, quelque chose qui relève du bloc de constitutionnalité de la France.

R - La souveraineté n'est pas mise en cause, contrairement à ce qu'on dit. Qu'un juge national dise : moi ma légitimité elle vient de ma constitution, qui dans une nation est le pacte fondamental et je mets au-dessus de tout la constitution. Aucun problème avec ça. Un juge européen, par définition, ce n'est pas parce qu'il est devenu fou ou qu'il est fédéraliste. Lui, il applique le traité. C'est son boulot, chacun son boulot. Il y a ce qu'on appelle, je ne rentre pas trop dans la technique, un dialogue des juges, quelque fois où il y a des frictions. C'est arrivé depuis 70 ans de construction européenne ; on a toujours trouvé une solution. Ce qui est très spécifique dans la décision polonaise, quand on la regarde bien, c'est qu'un tribunal constitutionnel a dit : il y a des articles du traité, ceux qui fondent l'Union européenne et ceux qui reconnaissent qu'il y a une cour de justice européenne, ceux-là je les écarte et donc j'écarte tout le droit européen potentiellement.

Q - Comment vous expliquez qu'aujourd'hui dans la campagne présidentielle française, tous les candidats éprouvent le besoin de dire qu'à un moment donné soit il faudra renégocier les traités, soit il faut contrevenir à la jurisprudence de ces juges dont vous parlez, qui disent tous - et ce ne sont pas des fous furieux, ce ne sont pas des anti-européens, Michel Barnier n'est pas anti-européen. Comment vous expliquez qu'ils aient besoin de dire aux Français : si on veut appliquer une politique, reprendre la main, on ne pourra pas faire autrement ?

R - Attention, il ne faut pas confondre. La souveraineté d'un Etat, elle n'est pas mise en cause par la primauté du droit européen. La primauté du droit européen, c'est quoi pour faire simple ? C'est le fait que quand vous avez décidé une règle en commun, elle s'applique. Parce que sinon, un agriculteur français ou un pêcheur français ne peut pas dire : le pays d'à côté ne respecte pas les règles sur lesquelles on s'est mis d'accord ; c'est ça la primauté, fondamentalement. Ce n'est pas un truc fou. C'est le respect des règles définies en commun. Donc il faut dire aux gens qui pensent par commodité, par facilité que c'est le bon moment dans la campagne électorale pour renier leurs convictions que s'ils disent ça, il faut être cohérent. Il ne peut pas y avoir de projet européen.

Q - Et si les règles ne sont pas bonnes.

R - On peut les changer...

Q - Et si des juges non élus, parce que les juges de la Cour de justice de l'Union européenne n'ont jamais été élus...

R - C'est comme les juges français qui n'ont pas été élus...

Q - S'ils imposent une jurisprudence, qui est en fait une lecture politique du droit, on fait comment ?

R - Mais vous trouveriez normal qu'un homme ou une femme politique française dise : je ne suis pas d'accord avec ce qu'a décidé un juge non-élu donc je n'applique pas la règle ? Pourquoi on fait ce procès-là sur ce point-là à la Cour de justice de l'Union européenne ? Que la Cour de justice de l'Union européenne parfois prenne une décision qui ne nous plaise pas, ou parfois même que nos juges contestent, cela arrive et on a toujours réglé ces conflits depuis soixante-dix ans de construction européenne. Mais remettre en cause tout l'édifice, c'est comme si l'on disait dans une copropriété dans laquelle certains de ceux qui nous écoutent vivent peut-être, il y a un règlement. Au lieu d'aller en assemblée générale et dire on va changer la règle parce que je ne suis pas d'accord - et on a le droit -, je déchire tout et je ne respecte pas, et je casse la boite aux lettres. Ça ne marche pas, sinon, vous ne vivez pas ensemble.

Q - Sauf que dans des institutions où on a fait en sorte que l'on ne puisse rien bouger, où l'on explique qu'on ne peut pas changer les traités, cela devient très compliqué.

R - Vous noterez que ce ne sont pas les pro-européens dans la filiation desquels j'assume de m'inscrire, qui ont rejeté des changements de traités. Moi je pense qu'on peut changer les traités. Je vais vous prendre un exemple.

Q - Emmanuel Macron a échoué systématiquement dans sa refondation de l'Europe ?

R - Non, je ne crois pas, mais il a dit qu'il n'y avait pas de tabou sur les traités. Mais prenez un exemple très simple puisqu'il a défrayé la chronique en France. On a dit, la Cour de justice l'Union européenne veut imposer des règles de temps de travail absurdes à nos militaires. Je n'aime pas cette décision de la Cour de justice. Je pense, si je devais la commenter politiquement - je m'abstiens de le faire trop en détail - qu'elle pose des gros problèmes.

Q - C'est pire que ça : ce serait catastrophique pour la défense française.

R - Exactement. Et très bien, et cela est une directive, ce qui veut dire que c'est un texte que l'on peut changer. Pas besoin d'aller changer de traité. Plutôt que de dire : le juge fait n'importe quoi, il n'est pas élu... avoir un discours populiste sur la justice, il ne faut pas se tromper. Si on le tient sur l'Europe, on le tiendra demain sur la justice française, et on n'aura plus de vie commune tout court. Et bien changeons les textes, parce que là, on peut le faire.

Q - On peut peut-être discuter tout de même de la jurisprudence, c'est-à-dire de l'interprétation du droit.

R - Bien sûr, mais pas de tout l'édifice. Et pardon, vous avez parlé de Michel Barnier. J'aime bien. Je pense qu'on est d'accord sur beaucoup de choses. Là je pense qu'il fait un propos de campagne, pour être très clair. Valérie Pécresse, Michel Barnier, vous dites tous : il y a juste un point commun. Ils se trouvent qu'ils sont en campagne et qu'ils font la course à l'échalote. Je le regrette parce que vous avez entendu Valérie Pécresse et Michel Barnier, il y a un an, dire qu'il y avait un problème avec ce principe de primauté que l'on découvre aujourd'hui ? Jamais !

Q - Certainement. Mais vous êtes en train d'envoyer le message aux citoyens français qu'en fait, l'impression d'impuissance des politiques qu'ils ont ne se réglera pas, et qu'il n'y a pas de solutions.

R - Non pas du tout. S'il y a des gens qui ont essayé de changer l'Europe en quatre ans, et je crois que l'on n'a pas beaucoup de leçons à recevoir de qui que ce soit... je crois que c'est nous. Le plan de relance européen, ce n'est pas tout à fait rien. La campagne de vaccination européenne, ce n'est pas tout à fait rien. Le fait que l'on ait fait un certain nombre d'étapes, premières étapes, en matière de défense, ce n'est pas rien. Et qu'aujourd'hui les grands projets industriels, on va les faire en commun avec les Allemands, c'est difficile, mais ce n'est pas rien. Mais c'est quoi l'alternative...

Q - L'Allemagne vient de refuser avec huit autres pays européens quelque chose qui était un élément fondamental de la politique européenne, c'est le refus de revenir sur le marché de l'électricité tel qu'il est organisé. C'est-à-dire qu'on avait Bruno Le Maire, il y a quelques jours qui nous disait : ce marché est absolument sans queue ni tête, absurde, c'est cela qui explique que les prix de l'électricité augmentent pour les Français, on va donc renégocier ; l'Allemagne vient de refuser.

R - Mais moi, je n'ai aucun problème à ce qu'il y ait un débat. L'Europe, c'est une chose politique. Il y a un cadre juridique, tout casser, je pense que c'est une mauvaise idée. Et il y a un débat politique. Il faut assumer d'avoir des désaccords politiques au sein de l'Europe. On n'est pas d'accord sur tout avec l'Allemagne ou avec l'Italie ou avec l'Espagne, et puis parfois, on trouve, souvent d'ailleurs, on trouve un accord et un bon accord. Mais il faut se poser - moi je suis très pragmatique - il faut se poser la question. Tous ceux qui disent : l'Europe c'est lent, l'Europe c'est ennuyeux, l'Europe ça n'avance pas vite...

Q - Ce n'est pas que c'est lent ou que c'est ennuyeux, ce n'est pas cela que l'on entend de la part des critiques...

R - Allons au bout du raisonnement. Quelle est l'option ? Vous avez ceux qui disent - les eurobéats par exemple - je n'en suis pas - "tout va bien, il n'y a jamais de problème, il n'y a jamais eu de problème avec la jurisprudence de la Cour, la Commission européenne est parfaite, etc... ". Vous en avez parfois quelques-uns qui trainent sur les plateaux.

Q - C'est ce que disait Emmanuel Macron pendant sa campagne de 2017 par exemple ?

R - Je ne crois pas du tout. Vous avez vu un discours où il a dit qu'il n'y avait rien à changer en Europe ? Je crois connaître un peu ses expressions.

Q - Pendant sa campagne de 2017, il trouvait par exemple que la directive "travailleurs détachés" était formidable, et en gros, une fois qu'il a été président, il a voulu la renégocier...

R - Non justement. Alors là, on peut prendre le texte précis parce que je crois que je l'ai suivi. Il a dit : la directive "travailleurs détachés", il faut la changer, c'est nous qui avons ouvert le débat, et cela tombe bien, on l'a réformée. Vous entendez aujourd'hui le Rassemblement national, qui a fait toute sa campagne en 2016-2017 contre le travail détaché et les délocalisations en Pologne, en parler ? Pourquoi ? Parce qu'on a résolu le problème juridique du travail détaché. C'est vrai. Et vous pouvez reprendre les déclarations je crois de mars 2017 d'Emmanuel Macron. Il dit : réformons la directive sur le travail détaché. On l'a fait.

Q - Il y a un truc que je ne comprends pas d'ailleurs.

R - Je veux bien que l'on n'aime pas l'Europe, mais il faut dire soit on sort, soit on la réforme, soit on l'accepte comme elle est.

Q - Il y a un truc que je ne comprends pas, par exemple. Là, par deux fois, le Gouvernement a voulu imposer de rétablir les chasses traditionnelles. Alors même que le Conseil d'Etat, par deux fois, explique que cela contrevient au droit européen. Mais là ce n'est pas grave, on s'en fiche, on contrevient au droit européen, on insiste. C'est-à-dire qu'en gros, on ne peut pas contrevenir au droit européen quand il s'agit de lutter contre le dumping fiscal, de défendre les services publics en France, etc... ça, on ne peut jamais, les flux migratoires... En revanche, pour les chasses traditionnelles, là on peut.

R - Pardon mais là on mélange des choses quand même un peu différentes. Entre respecter l'indépendance de la justice - c'est cela qui est en cause en Pologne - et avoir un débat sur la chasse traditionnelle, c'est autre chose. Mais d'abord, la preuve...

Q - Si le droit européen s'impose, il s'impose tout le temps.

R - Bien sûr il s'impose. La preuve, qu'on est dans un Etat de droit, et que le juge fait respecter les règles nationales ou européennes dans un certain nombre de cas, c'est que le Conseil d'Etat, par deux fois, a censuré le Gouvernement.

Q - Là on a senti tout de même une insistance farouche.

R - Il y a d'autres sujets non européens sur lequel le Conseil d'Etat censure une décision gouvernementale. C'est sain dans une démocratie. Ce n'est pas agréable quand vous êtes au Gouvernement, qu'on vous retoque votre copie, mais heureusement qu'on peut aller voir le juge et lui dire, Monsieur ou Madame le juge, nous pensons que c'est contraire à la loi ou à la directive européenne. Et si le juge dit que oui, et bien on applique la règle. C'est ce qu'on fera.

Q - Alors la France va à partir du 1er janvier exercer, vous l'avez dit tout à l'heure, la présidence du Conseil de l'Union européenne. C'est un moment qui revient tous les treize ans, qui est donc important. Le Président de la République, a priori, risque fort à ce moment-là d'être en campagne pour la présidentielle. Est-ce que c'est vraiment le bon moment. Est-ce qu'il n'aurait pas été plus judicieux pour qu'il soit en position de défendre les intérêts de la France, parce que c'est très important, il y a beaucoup de sujets à traiter, est-ce qu'il n'aurait pas été noble même, de demander le report, ce qui est parfaitement possible, de cette présidence, pour qu'elle échoit au président français nouvellement élu après l'élection ?

R - D'abord je précise qu'on ne l'a pas choisi.

Q - Oui, mais on peut reporter. Donc bien sûr que vous avez choisi. Bien sûr.

R - Non, non, c'était là. On n'a pas demandé à ce que cette présidence soit là.

Q - D'accord.

R - Mais on assume qu'elle soit là. Je n'ai aucun problème.

Q - Mais il est prévu, quand il y a des élections, qu'on puisse reporter. Or...

R - Non, ce n'est pas automatique du tout.

Q - Or une posture de candidature, cela fragilise ?

R - Non. D'abord c'est arrivé dans beaucoup de pays européens, pas des moindres, et c'est arrivé en France, en 1995, où on savait même de manière certaine en l'occurrence - il n'y avait pas de doute - que le Président de la République, François Mitterrand, ne serait pas réélu. On a changé de président en cours de route. On a réussi à porter un certain nombre d'idées. Donc ce que je veux dire, c'est que les règles de campagne, le fait qu'il y ait une alternance politique possible, c'est la vie démocratique, ou que ce soit la même personne, tout cela peut fonctionner. Si je devais choisir sur une page blanche, je choisirais peut-être un autre semestre de présidence, mais cela aurait été bizarre de dire : nous sommes pro-européens, nous assumons l'Europe et nous repoussons la balle.

Q - Cela ne va pas être utilisé juste comme une posture qui sert la campagne...

R - Vous ne manquerez pas de le souligner à mon avis si cela arrive.

Q - Non, en effet, je n'y manquerais pas.

R - Donc je pense que cela sera transparent, à ciel ouvert, des discussions, les réunions politiques, ministériels, tout cela est public. Donc vous le verrez bien. Mais que la France, fondamentalement - c'est une chance, une présidence française, vous l'avez dit ça revient tous les treize ans et demi, donc la prochaine, c'est 2035 - n'attendons pas. On a des choses formidables qu'on peut essayer d'accélérer. Vous preniez le travail détaché, essayer de lutter contre le dumping social, il y a un texte - je ne veux pas être trop technique - qui est très important pour imposer partout en Europe un salaire minimum. Il y a six pays - ceux qu'a célébrés Mme Le Pen en particulier comme la Hongrie - qui n'ont pas de salaire minimum. Avoir cette lutte contre le dumping social, utiliser la présidence pour le faire aboutir le plus vite possible, je crois que c'est utile. Et dire : on peut se payer le luxe d'attendre six mois ou un an ; parce qu'après on nous aurait dit : il faut que le nouveau gouvernement se mette en place, etc... je pense que c'est dommage.

Q - Emmanuel Macron, lors de cette présidence, ira à Budapest ? Ira en Hongrie rencontrer Viktor Orban ?

R - Alors c'est possible, je ne le sais pas. Il a déjà rencontré Viktor Orban, il l'a déjà reçu à l'Elysée.

Q - Dans un moment particulier.

R - Je ne sais pas. Je pense que ce ne serait pas inopportun d'aller faire un déplacement en Hongrie, mais cela lui appartient en fonction du contexte politique, de ses contraintes d'agenda.

Q - Dans la mesure où vous-même vous y êtes allé en octobre.

R - J'y suis allé.

Q - Et vous avez critiqué sur place les lois votées - lois contre la lutte contre l'homophobie - vous avez critiqué ces lois....

R - J'ai fait les deux. J'ai rencontré évidemment - parce que je ne suis pas une ONG, je suis un membre du Gouvernement, j'assume mon rôle - j'ai rencontré mon homologue, la ministre de la justice et de l'Europe, j'ai rencontré des collaborateurs de Viktor Orban, j'ai rencontré beaucoup d'officiels, le ministre des affaires étrangères. Et j'ai rencontré aussi - parce que je pense que l'Europe c'est un débat politique, on doit assumer que ce n'est pas un projet technocratique et figé, on a des débats sur des sujets graves, et donc j'assume aussi de voir, je ne le fais pas qu'en Hongrie d'ailleurs, des partis de l'opposition et des ONG quand je pense que le sujet le mérite. Parce que oui, je crois que, quand on est Européen, on croit au débat politique européen et aux valeurs de l'Europe, soutenir des ONG qui sont face depuis la loi hongroise à des pressions homophobes, à des attaques, c'est mon boulot de les soutenir aussi.


Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 2 novembre 2021