Extraits d'un entretien de M. Clément Beaune, secrétaire d'Etat aux affaires européennes, avec LCI le 4 novembre 2021, sur les tensions entre l'Union européenne et le Royaume-Uni concernant la pêche, les vaccins contre le coronavirus, la promotion du voile islamique par le Conseil de l'Europe et la question migratoire.

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Média : La Chaîne Info

Texte intégral

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R - Vous avez raison, cela fait partie des choses, on ne peut pas donner des preuves qu'on n'a pas. On doit avoir une licence de pêche si on a déjà pêché dans les eaux britanniques plusieurs années avant, ça c'est écrit dans l'accord. En revanche, dire : il faut un boîtier GPS pour des petits bateaux familiaux, artisanaux qui souvent ne l'ont pas ou l'ont seulement depuis quelques mois comme on l'a vu dans ce cas, on ne l'a pas. Donc, on ne peut pas demander des preuves qu'on n'a pas. On a toute une série de preuves. J'ai vu des dossiers de demande de pêche, ce sont des pages comme ça, mais on ne peut pas donner quelque chose que l'on ne sait pas produire et qui n'est pas prévue par l'accord. C'est pour cela que l'on a un désaccord avec les Anglais.

Q - David a eu une question pour vous : Macron, il dit que ce n'est pas uniquement un problème franco-britannique, mais que c'est carrément, suite au Brexit, un problème de toute l'Europe face à l'Angleterre qui, d'après lui, ne respecte pas le deal. (...)

R - Ce qui est dit par David, c'est très important parce qu'on a effectivement des mesures de pression sur les Britanniques. Quand on a évoqué ces mesures de pression, cela a débloqué le dialogue. Je suis prudent. Aujourd'hui, il y a eu une longue réunion avec mon homologue britannique. Il y aura demain une réunion à Bruxelles parce que c'est aussi un sujet européen. Il y a quelques problèmes en Belgique aussi, mais principalement français. On n'a aucune naïveté. On se donne quelques jours pour voir si ce dialogue est de façade ou s'il est réel. Mais moi, je ne veux pas que l'on engage des procédures de sanction s'il y a un espoir de dialogue, parce que c'est mieux pour tout le monde. Et si ce n'est pas le cas, nous en tirerons les conséquences. Nous avons dit que nous étions prêts à appliquer des mesures de pression. Ces mesures de pression, elles ont déjà permis de rouvrir le dialogue. Maintenant, je joue cette carte du dialogue et on ne sera pas naïfs, on va voir où cela nous mène rapidement.

Q - On a vu David, ici à Calais, écoutons un peu les paroles des pêcheurs anglais recueillies par TF1. (...)

Q - Et puis, on va finir avec le président LR de la région des Hauts-de-France - qui comme on le sait est également candidat au congrès LR - Xavier Bertrand qui a un message pour vous, Monsieur Beaune.

(...)

Q - Vous entendez Xavier Bertrand, il dit en gros, comme le pêcheur, il faudrait faire payer beaucoup plus cher l'électricité aux îles franco-anglaises. Il faudrait être aussi tatillon sur les exportations anglaises en France. Et puis, il faut bouger, il faut y aller.

R - Mais vous savez, on n'a pas attendu ce soir. Je ne veux pas faire de polémique inutile. Xavier Bertrand, il a raison. Je suis allé, le 1er janvier, voir Xavier Bertrand qui était là. Il a tout entendu. Il a participé à cette réunion, et tous les pêcheurs, qui ont été, je le dis - parce que c'est très précieux - ils ont été extrêmement responsables. Je sais ce qu'ils vivent. Je suis allé quatre fois à Boulogne depuis le début de l'année pour les rencontrer à chaque fois. Je sais que c'est très dur, avec cette discussion et cette pression. En même temps, on a obtenu plus de la moitié des licences, il faut quand même le dire aussi.

Q - Est-ce qu'on peut faire un point chiffré juste aujourd'hui ? Là, précisément, combien on en demande et combien on en a ?

R - Je vais essayer de faire court, il y a trois zones de pêche. Il y en avait une dans laquelle, dès le 1er janvier, on a obtenu les licences. C'est à peu près 500 bateaux. Il en reste 500 autres qui sont à chaque fois un bateau, un bateau, une licence. Là-dessus, il y a en gros la moitié que l'on a obtenu, la moitié que l'on n'a pas obtenu.

Q - 250 à peu près...244.

R - Un peu moins, à peu près 200 qui restent demandées, qui sont manquantes aujourd'hui, qui sont principalement dans deux régions de France. C'est très concentré. Les Hauts-de-France autour de Boulogne, notamment, juste en face du Royaume-Uni, précisément, et puis les fameux îles Anglo-Normandes, notamment Jersey. C'est là-dessus que l'on se bat. Cela ne paraît pas beaucoup comme cela, mais ce sont 200 bateaux. C'est une filière. Ce sont des familles qui en vivent.

Q - Donc, on est encore sur les 200 ? C'est cela que je voulais dire. On n'a rien obtenu ?

R - Si, on a obtenu, ces derniers jours, par exemple, -c'est très important pour prévoir, investir-, des licences provisoires à Jersey. Il y en avait 50,- 49 exactement - qui étaient provisoires, et qui sont devenus définitives. Cela veut dire que pour les années qui viennent, au moins cinq années, les pêcheurs - c'est arrivé en tout début de semaine, après, la pression qu'on a mise - ont obtenu ces licences définitives. Mais au total - il y a 200 licences à peu près - certaines sont là, mais elles sont provisoires. On veut qu'elles deviennent définitives, durables. Certaines ne sont pas là du tout. C'est, je le vois, le cas de David, qu'on voyait au large des Hauts-De-France.

Et donc là, on se bat pour ces deux catégories : rendre définitives des licences, en obtenir d'autres, c'est à peu près 200 au total. Certaines sont plus urgentes que d'autres. On fait une liste priorisée, parce que c'est très concret, pour que ceux qui n'ont pas du tout pu pêcher depuis quelques mois dans les eaux britanniques soient traités en priorité. C'est là-dessus que j'ai mis la pression auprès de mon homologue, aujourd'hui. Et je le dis sans être trop technique, mais c'est important, les petits navires en particulier, comme nous l'avons vu, celui de David, moins de 12 mètres, ces bateaux-là, ils n'ont pas de données GPS parfois. Ils ne peuvent pas prouver que tel jour, telle heure, ils pêchaient dans les eaux britanniques avant.

Q - Avant le Brexit...

R - Avant le Brexit

Q - Parce que c'est ce que demandent les Anglais, Ils demandent de prouver qu'on y pêchait avant, et comme ça "on peut donner la licence".

R - Exactement on l'a fait avec les professionnels, c'est la ministre de la Mer qui a conduit ce travail, Annick Girardin, pour avoir les dossiers très précis et très détaillés. J'ai regardé quelques exemples. C'est énormément de paperasse qu'on demande aux pêcheurs qui n'avaient jamais pensé que ce problème se poserait. Mais on ne peut pas leur demander des preuves qui n'existent pas. Ça, ce n'est pas fair-play. Ce n'est pas dans l'accord et c'est là-dessus que l'on ne cédera pas, parce qu'on ne peut pas donner des choses qui, avec toute la bonne volonté du monde, on ne sait pas produire.

Q - Donc qu'est-ce qui se passe ? Vous avez rencontré votre homologue en anglais, David Frost aujourd'hui, et en fait, cela s'est mal passé où cela s'est bien passé ?

R - Ecoutez, moi je veux être d'un optimisme prudent parce que je ne vais pas raconter des sornettes aux pêcheurs qui attendent leur licence. Le but ce n'est pas d'avoir des mesures, c'est d'avoir les licences. Donc, c'est très simple. On a dit plusieurs fois, qu'on était prêts à mettre une forte pression, à prendre éventuellement des mesures de pression sur les Britanniques...

Q - Donc, par exemple vendre plus cher l'électricité ?

R - J'y viens tout de suite, mais c'est un échec si on arrive là et c'est un ultime recours. Mais on est prêt à le faire. Par cette pression, on a rouvert un dialogue. Depuis quelques jours, le Président de la République s'est entretenu avec le Premier ministre Johnson, ce week-end. J'ai donc rencontré [David Frost], il a accepté de venir à Paris, j'ai pris cela comme un signe de bonne volonté et d'ouverture sans être naïf, mais il faut aussi tenir compte de ce geste qu'ont fait les Britanniques en venant en discuter.

On n'a pas résolu nos désaccords. J'ai parlé très concrètement de ces cas, notamment la priorité pour les petits navires, parce que ce sont ceux qui sont les plus en difficulté. Il y en a notamment dans les Hauts-de-France, et on a une réunion demain à Bruxelles pour travailler techniquement avec la Commission européenne sur ces sujets et on se reparle en tout début de semaine, pour être très concret. Si, deux choses l'une : soit le dialogue porte ses fruits, il y a des premiers gestes, la méthode pour regarder ces licences évolue, c'est bon signe, on continue ; soit les Britanniques nous disent : " nous, en fait, nous ne sommes pas intéressés par le dialogue ", et on prendra une série de mesures de contrôle renforcé notamment pour se défendre.

Q - Par exemple, on a déjà bloqué des bateaux, on a déjà montré au Havre, en l'occurrence, quand on a bloqué des bateaux en anglais, qu'on était sérieux.

R - Absolument.

Q - Est-ce qu'on peut recommencer cela ? Est-ce que l'on peut s'en prendre à des camions qui exportent des matières et des produits britanniques ? Est-ce qu'on peut faire doubler, tripler l'électricité, de Jersey, de Guernesey ?

R - Nous avons annoncé quatre mesures possibles. Pour l'instant, elles ne sont pas mises en oeuvre puisque le dialogue a repris, sans doute parce qu'aussi on a haussé le ton. Ces mesures, ce sont des contrôles sanitaires et douaniers renforcés. Ce sont des contrôles de sécurité renforcés. Ce sont des contrôles pour les camions qui peuvent être renforcés. Tout cela, nous avons le droit de le faire. Il y a déjà des dispositifs de contrôle. On peut les rendre plus systématiques, plus tatillons, plus " enquiquinants ". Ça, c'est possible. Il y a des règles, évidemment, mais c'est tout à fait possible. C'est notre droit, et nous sommes coopératifs si l'on est coopératif avec nous, ce n'est pas intelligent ni satisfaisant de faire comme cela, il faut être très clair ; mais notre but n'est pas de prendre des mesures pour embêter les Britanniques. Notre but est d'avoir les licences et de se défendre. Si on le fait par le dialogue, c'est mieux pour tout le monde. D'abord, pour les Britanniques d'ailleurs, puisque c'est eux qui seront le plus embêtés s'il n'y a pas de coopération avec nous, si ce n'est pas le cas, on en aura moins de coopération, c'est clair. Et on a évoqué aussi les questions énergétiques. Il faut être très concret. Je l'ai évoqué moi-même. Cela peut être un outil parce qu'effectivement, cela montre aux Britanniques que, notamment en Jersey, ils sont dépendants de nous. Pour sortir de cette folie qui est le discours autour du Brexit sur le fait que nous n'avons pas besoin les uns des autres, "séparons-nous", etc... On voit l'absurdité. Les eaux, elles n'ont pas de frontières. Pendant des décennies, parfois avant même l'appartenance du Royaume-Uni, et de l'Union européenne, les pêcheurs ont partagé ces eaux. Et avec le Brexit, on dit : on coupe, on met une frontière au milieu de l'eau et on arrête de faire pêcher les gens du côté britannique.

Q - La menace, ce serait quoi, de couper l'électricité, de la rendre beaucoup plus chère ?

R - On a été très clair. Cela peut être une augmentation des tarifs. Cela pose un certain nombre de questions juridiques. Il n'y a pas de solution miracle. C'est pour ça que quand l'on entend. M. Bertrand, on a passé deux heures à discuter la semaine dernière et c'est très bien tout cela. Donc, sortons des postures. On a le même intérêt. Les associations de pêcheurs, -j'ai encore échangé avec eux hier-, elles sont responsables. Elles savent qu'on les aide, elles savent qu'on les défend. Elles savent qu'on les accompagne financièrement. Depuis le début de l'année, on a mis 100 millions sur la table pour aider des pêcheurs en difficulté, mais ils veulent vivre de leur travail, les pêcheurs français. Et donc, on les défend avec cette combinaison de fermeté et d'ouverture au dialogue. On sera aussi ferme que nécessaire, et aussi ouvert que possible.

Q - Deux questions, rapidement : vous croyez que Boris Johnson fait cela pour nous embêter ? Enfin, je veux dire, c'est de la politique intérieure anglaise ; est-ce que vous diriez qu'il n'est pas fiable, ce soir ?

R - J'allais dire quelle que soit la raison, cela ne m'intéresse pas beaucoup. Le résultat, c'est que cela nous embête. Est-ce que c'est délibéré ? Est-ce que c'est contre la France ? Franchement, je n'en sais rien. Je sais qu'en tout cas, si on n'a pas de fermeté, on n'aura pas de résultat. On a été ferme. On joue cette carte du dialogue jusqu'où on peut, et dans les jours qui viennent. Et sinon...

Q - Il y a un ultimatum, genre, lundi, mardi ?

R - Là, il y a un dialogue qui a repris ; réunion demain, une nouvelle réunion en début de semaine. Donc, je ne vais pas casser le dialogue en lui laissant sa chance, au contraire, aujourd'hui.

Q - On a l'impression que vous dites : demain réunion à Bruxelles, mais, encore heureux. Cela fait depuis que cette crise a commencé...

R - Il y en a beaucoup d'ici là, heureusement.

Q - Il n'y a eu aucune réunion à Bruxelles...

R - Si, si, si...

Q - On a eu l'impression que la Commission nous a abandonné.

R - ...Ce n'est pas exact. Ce serait injuste. Il y a eu beaucoup de travail, beaucoup de réunions. Toutes les licences qu'on a obtenues, on les a obtenues conjointement avec la Commission européenne qui représente les intérêts européens. Mais là où vous avez raison, moi, j'assume, je suis un pro-européen, mais je dis les choses quand ça ne va pas, parce que c'est comme cela qu'on défend bien l'Europe : il y a eu trop de lenteur, il y a eu trop de bureaucratie, il n'y a pas eu assez de soutien, sans doute, à la France et aux pêcheurs français. Je crois que cela a changé, aussi parce que l'on a haussé le ton globalement à l'égard des Britanniques et avec la Commission européenne. Mais le but, c'est d'obtenir ces licences des Britanniques. Ce n'est pas de faire une guéguerre interne à l'Europe. D'accord. On va se défendre ensemble.

Q - On a l'impression que c'est nous qui défendons le Brexit, qui est un accord gigantesque entre tous les pays d'Europe et la Grande-Bretagne, et c'est nous, les seuls, qui devons en défendre les différents termes.

R - Non, mais là où vous avez raison, c'est que pour beaucoup de pays, surtout ceux qui sont loin des côtes, ils se disent : "le Brexit, c'était une mauvaise affaire, un mauvais souvenir, c'est derrière nous, et passons à autre chose". Mais la vérité, nous, nous aimerions bien passer à autre chose ; mais pour construire la confiance et construire une relation d'avenir, il faut d'abord respecter les accords que nous avons signés. C'est ce qu'a rappelé le Président de la République à Boris Johnson et publiquement, une grande démocratie, un grand voisin qui ne respecte pas sa signature, c'est un problème pour nous, en l'occurrence, et on ne se défendra, c'est un problème d'abord pour eux, je crois, et donc on les incite à dire : respectons les accords, c'est l'intérêt de tous.

Q - Michel Barnier, qui était le négociateur du Brexit et qui est candidat à la présidentielle, dit : ce gouvernement, il n'est pas de bonne foi, Johnson ne respecte pas sa signature, mais moi, j'ai tout fait, normalement, tout est nickel dans l'accord lui-même. C'est vrai ou pas ? Parce qu'on n'a pas pris de garantie pour prévoir ce type de situation ?

R - Si, d'abord je vais vous lire l'accord sur la pêche, il n'est pas bon pour le Royaume-Uni, parce qu'il avait dit " on reprendra le contrôle de tout ". On garde le contrôle, l'accès aux eaux Britanniques pendant cinq ans et demi. Il y a ce système de licences et il joue, je pense, avec de la mauvaise foi sur l'octroi administratif de chacune de ces licences. Nous aurions pu être plus précis dans l'accord. Je vais être clair. On aurait pu être plus précis dans l'accord, cela aurait été mieux, mais cela aurait été plus rapide. Ce qu'on va obtenir à la fin, on l'aurait obtenu plus vite. Mais moi, je vais être très honnête. J'ai un désaccord profond avec ce que dit Michel Barnier sur d'autres sujets, sur la souveraineté européenne. On y reviendra peut-être. Sur la pêche, je ne vais pas jeter la pierre à Michel Barnier, comme moi, je ne jette pas la pierre à Xavier Bertrand, parce que ce n'est pas comme cela que je vois les choses de manière honnête et responsable. On joue équipe de France, on défend nos pêcheurs, on a un accord, on ne demande pas à renégocier l'accord, on demande à appliquer l'accord.

Q - Alors voilà, ça, c'est clair et net. Autre crise européenne et qui nous concerne évidemment de façon importante, c'est le Covid, avec un rythme de transmission très préoccupant, dit l'OMS, le représentant européen de l'OMS. Plus de 500.000 morts sur le continent d'ici février prochain. Est-ce qu'ils veulent jouer à nous faire peur ? Est-ce qu'ils jouent à se faire peur, ou est-ce qu'il faut prendre cette menace très au sérieux ?

R - On ne peut pas faire de prédiction sur le nombre de morts, mais on voit qu'il y a des nombres de cas qui augmentent fortement dans plusieurs pays européens. L'augmentation des cas se voit aussi en France, un peu moins vite que chez nos voisins, mais c'est un signal d'alerte, et c'est un vrai signal de vigilance, surtout. Ce que nous voyons, c'est assez simple, c'est que quand la couverture vaccinale est meilleure, cela freine l'épidémie. Je ne parle pas encore des rappels...

Q - Est-ce qu'il faut aller vers la 3ème dose beaucoup plus rapidement ? Par exemple, l'Italie annonce qu'en janvier, elle va le faire pour toute la population.

R - Alors, on le fait. On a ouvert cette troisième dose. Il faut accélérer. C'est l'occasion de dire à tous ceux qui sont éligibles au rappel, les personnes de plus de 65 ans, les personnes vulnérables. Aujourd'hui, il y a un peu moins de la moitié des personnes vulnérables qui sont éligibles à cette troisième dose de rappel. C'est ouvert, c'est gratuit, c'est possible pour tous. Faites-le. C'est la meilleure protection ; et ce que l'on voit, malheureusement, il n'y a pas de mystère, c'est qu'aujourd'hui, même en le 2ème dose, le schéma vaccinal complet avant le rappel, ce sont les pays qui sont les mieux couverts en Europe par la vaccination, qui ont le moins de cas. C'est l'un des atouts de la France aujourd'hui. Cela augmente tout de même, mais cela augmente moins vite que par exemple en Allemagne où la couverture vaccinale est moins forte que chez nous. Et on voit aussi qu'il faut avoir deux piliers : c'est " ceinture et bretelles ". Il faut beaucoup de prudence et beaucoup de vigilance. On a un certain nombre de restrictions qui sont pénibles parce que cela fait plusieurs mois. Le masque, par exemple, dans certains cas, on ne les a donc pas désarmés. Je crois que l'on a bien fait. On a bien fait aussi d'avoir le passe sanitaire, parce que nous voyons qu'au Royaume-Uni, où on a enlevé toutes restrictions, même s'il y a une vaccination qui est bonne, eh bien, il y a heureusement moins de cas dans les hôpitaux mais il y a une très forte augmentation des cas. On est à Plus de 60.000 cas par jour.

Q - Est-ce qu'il faudrait faire un passe sanitaire avec la troisième dose ?

R - Ecoutez, toutes les options sont ouvertes. Pour l'instant, ce n'est donc pas décidé. D'abord, le message est simple : vaccinez-vous. Ceux qui sont éligibles à 3ème dose, ils sont encore nombreux à ne pas avoir eu le rappel. Faites-le vite. On verra si l'on fait évoluer les outils. En tout cas, il ne faut surtout pas désarmer nos outils sanitaires. Et puis, il faut localiser et être très réactifs. C'est pour cela que par exemple, on a décidé que dans près de quarante départements, nous remettrons l'obligation de port du masque à l'école à partir de la rentrée de lundi, pour les enfants. Ce n'est pas sympathique, ce n'est pas agréable. J'entendais des témoignages de fatigue et de ras-le-bol, mais il faut vacciner et ne pas désarmer nos outils de protection et de gestes barrières.

Q - Est-ce qu'on a assez de vaccins ?

R - Oui. Alors ça, il ne faut surtout pas craindre de pénurie. On a assez de vaccins. Donc, il n'y aura pas de problème de disponibilité des doses. On l'a vécu au début. Aujourd'hui, ce n'est plus du tout le sujet. L'accès est là. Donc, profitez-en. Saisissez cette chance, pour ceux qui ont besoin d'un rappel. On produit en Europe aujourd'hui, environ 300 millions de doses de vaccin par mois. Donc, vous voyez, cela couvre en un moins de production, toute la population adulte européenne. Donc, s'il faut étendre les rappels, on est capable de le faire sur le plan industriel et même d'exporter pour couvrir le reste du monde, car cela ne nous protège aussi.

Q - La campagne sur le voile du Conseil de l'Europe, elle a un peu sidéré beaucoup de personnalités du parti socialiste à Sarah El Haïry, qui s'est exprimé sur notre plateau, au ministre des affaires étrangères, à l'opposition... Voilà. Est-ce que vous demandez une enquête ? Alors, on revoit cette campagne : le Conseil de l'Europe, on sait ce que c'est : 48 Etats, mais il y a aussi le logo de l'Union européenne sur cette campagne. Donc, comment c'est possible qu'on en soit arrivé là ?

R - Vous avez raison, c'est sidérant et c'est absurde qu'il y ait une liberté de choix et que tous les pays n'aient pas d'ailleurs le modèle français de laïcité auquel je suis très attaché, ça, c'est une possibilité. Qu'on fasse une promotion pour le hijab comme outil de liberté, c'est tout à fait autre chose, et là, c'est aberrant. Nous avons découvert cela, lundi soir. Nous n'étions évidemment pas informés. Aucun Etat du Conseil de l'Europe.

Q - C'est ça qui est fou, c'est bizarre quand même !

R - C'est totalement aberrant sur ce point aussi. C'est la France qui a demandé, -elle s'est alarmée de ce sujet-, a demandé tout de suite par notre réseau diplomatique le retrait de cette campagne. On n'a été appuyé par d'autres pays, nous avons pris cette initiative, cela a permis en quelques heures le retrait, d'abord des tweets qui ont été publiés, puis de la campagne elle-même. Pour être tout à fait précis, c'est dans le cadre d'un programme qui est cofinancé par l'Union européenne, mais ce n'est pas l'Union européenne qui a décidé, heureusement, de cette campagne. C'est le Conseil de l'Europe. Et oui, nous avons demandé à la secrétaire générale du Conseil de l'Europe et aux instances du Conseil de l'Europe de faire toute la lumière sur comment cela a pu arriver, parce que cela n'a même pas été une décision des Etats du Conseil de l'Europe et de la secrétaire générale du Conseil de l'Europe. Je crois que cela montre parfois une dérive culturelle. On confond tout. On se dit qu'avoir une doctrine de libertés, de liberté religieuse, cela se confond avec la promotion du hijab comme outil de liberté. La frontière est claire...

Q - Est-ce qu'il y a une forme d'infiltration, d'organisation proche des Frères musulman, islamiste, prosélyte... ?

R - Il n'y a pas d'élément pour le dire ce soir. Donc je ne vais pas jeter une pierre qui n'aurait pas lieu d'être jetée, mais nous devons obtenir effectivement la lumière sur cette affaire. Comment d'abord un processus sur quelque chose qui n'est pas du tout anodin, peut se produire sans qu'il n'y ait des décisions des Etats membres du Conseil de l'Europe, comment on peut ne pas en être informé ? Ce n'est pas une campagne de pub.

Q - Donc vous avez demandé une enquête ?

R - On n'a pas demandé une enquête stricto sensu parce que c'est une catégorie juridique particulière, mais on a demandé des clarifications pour comprendre comment on en est arrivé là.

Q - Mais pourquoi vous ne demandez pas une enquête ?

R - C'est simplement parce qu'au sein du Conseil de l'Europe le mot "enquête" renvoie à d'autres choses. Mais c'est l'équivalent. Pour être très simple, pour être précis sur ce qu'on fait, mais on a demandé effectivement, effectivement, un, que cela soit retiré, que cela ne se reproduise certainement pas de la façon dont cela s'est passé et qu'on sache comment on en est arrivé là, parce que je crois que c'est très important, aussi, on doit défendre de manière plus offensive encore notre modèle de laïcité, parce qu'on voit bien que c'est une forme de choc culturel. Il y a des pays qui se disent : finalement, avoir le droit à la liberté religieuse, ce qui est évidemment très important, cela se transforme en campagne de promotion pour le hijab, ce qui n'est évidemment pas du tout la même chose et pas acceptable.

Q - Les Républicains qui débattront sur LCI lundi soir, ont des propositions sur l'immigration, et aussi sur la révision d'être traité ou en tout cas, ils veulent détacher la Constitution française du respect des traités. Et je prends Michel Barnier qui veut une loi constitutionnelle, que les dispositions qui garantira que les dispositions prises pendant le moratoire -il propose un moratoire sur l'immigration-, que ces dispositions ne pourront être écartées par une juridiction française au motif des engagements internationaux de la France. Les différents candidats veulent retrouver leur souveraineté juridique, ne plus être menacés ou freinés par un arrêt ou une condamnation de la Cour de justice européenne ou de la Cour européenne des droits de l'Homme. "Toutes les jurisprudences de toutes ces organisations sont favorables aux étrangers. Nous ne pouvons pas accueillir tout le monde." J'en cite quelques exemples. Comment réagissez-vous, à la veille de la présidence française de l'Union européenne et comme secrétaire d'Etat à l'Europe ?

R - C'est un grand gloubiboulga, pour être honnête, et c'est une forme de démagogie un peu facile. Tout est mélangé. Qu'est-ce qui est aujourd'hui en France, dans notre politique migratoire, contraint précisément par les décisions de la Cour européenne des droits de l'Homme ou de la Cour de justice de l'Union européenne, -ces deux cours- qu'on nous le dise !

Q - Voilà, Ils disent : le regroupement familial est quasi-obligatoire par l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'Homme, qui prévoit qu'il faut respecter la dignité des familles, le respect de la vie privée et familiale ; et puis, sur les expulsions, c'est à chaque fois qu'il y a un recours sur les expulsions, eh bien, ils sont rejetés par l'invocation d'un certain nombre d'articles de la Cour européenne, de la Cour de justice européenne. Et donc tous veulent réécrire ou sortir de la Cour européenne des droits de l'Homme, et même modifier l'article 55 de la Constitution qui prévoit que les traités ou les accords ont une autorité supérieure à celle des lois.

R - D'abord, ils couvrent des sujets qui vont bien au-delà de la question migratoire. Si l'on sort de la Convention européenne des droits de l'Homme, ce sont des protections, par exemple, pour le procès équitable, pour les droits de la défense, qui ont interdit dans le passé les écoutes téléphoniques. C'est tout cela qu'ils jettent avec l'eau du bain. Par ailleurs, il faut être très clair, tout ça, c'est de la démagogie d'impuissance. Quand Michel Barnier nous dit, c'est très sympathique, décrétons un moratoire sur l'immigration, -ce n'est pas un sujet européen-, décrétons un moratoire sur l'immigration. Mais concrètement, cela veut dire quoi ? Il propose quoi ? Il dit : moi, Président de la République, je décréterai qu'il n'y a plus d'immigration. Cela ne se décrète pas. Cela se construit, une politique migratoire. Donc, je veux être très clair : le politique migratoire aujourd'hui, elle n'est pas entravée, ce n'est pas le premier problème, loin de là, par les règles européennes. Et sortir de tout un édifice de valeurs européennes de protection juridique au nom de l'immigration qui n'est pas entravée, - la politique migratoire n'est pas entravé par ce sujet-, c'est absurde et c'est avoir un discours au lieu d'avoir une politique efficace. Est-ce que, par exemple, il pense que ce ne serait pas plus efficace, comme nous, nous l'avons fait, et cela a été difficile sur le plan diplomatique et politique, de baisser les visas qui sont octroyés à des pays pour leur dire : maintenant, vous devez accepter, ce qu'on appelle les laissez-passer consulaires, de reprendre les personnes qui n'ont plus le droit d'être sur le territoire français.

Q - Vous avez mis le temps !

R - On l'a fait par étapes. On l'a fait, là.

Q - Aujourd'hui, le nombre d'expulsions reste très faible.

R - On n'a pas fait que cela, mais c'est un outil qui est puissant. Est-ce que les Républicains le soutiennent, oui ou non ? Moi, je pense que c'est beaucoup plus efficace que de prendre deux ans pour faire la négociation, la renégociation d'un traité, décréter un moratoire, moratoire, c'est un mot, ce n'est pas une action. Donc, moi, je veux bien que l'on décrète à un moratoire, mais comment on fait quand les gens arrivent sur le territoire et qui sont en situation illégale ? Moratoire, vous dites j'ai décrété un moratoire, vous n'avez pas le droit d'être là, Monsieur ou Madame. Comment on les reconduit ?

Q - On les reconduit. Et en plus, on se passe de l'avis..., on s'autorise à le faire parce qu'en sortant de la CEDH, les appels à la CEDH.

R - Mais il y a des appels dans notre système juridique aussi. Alors, soit on dit que l'on se dispense du juge. Ça, c'est une façon de voir les choses. Je ne le recommande pas dans une démocratie. On peut accélérer des procédures de décision sur l'asile, c'est ce que nous avons commencé à faire, en réduisant les délais de recours, les délais de procédure. C'est mieux pour tout le monde, pour la personne qui attend une décision et pour faire respecter la loi. Mais ça, ce sont des slogans, pardon, mais est-ce qu'on pense vraiment que c'est en changeant, -cela prendra du temps- tel article de traité, en réaffirmant le principe de souveraineté juridique, en décrétant le mot de moratoire, qu'on a une politique migratoire efficace.

C'est parce qu'ils habillent l'absence de proposition sur le fond de la politique migratoire ; c'est plus efficace, je vais vous dire, l'un des principaux problèmes de la politique migratoire, c'est qu'on n'arrive pas à reconduire massivement. C'est un problème en France, mais dans tous les pays européens. Et donc, je ne dis pas que c'est le remède miracle et définitif, mais avoir une action sur les visas, ça, c'est efficace. C'est difficile. C'est plus facile d'aller à la télé, de dire "c'est l'Europe qui nous empêche". Ce n'est pas vrai.

(...)

Q - Est-ce que ça peut heurter les institutions européennes, est-ce que cela peut poser des problèmes sur le fonctionnement de l'Europe ?

R - Mais, à la limite, j'allais dire, si c'était au service de l'efficacité d'une politique migratoire plus rapide, plus efficace, qui permette de reconduire, de maîtriser les frontières face à certains flux illégaux, on pourrait ouvrir ce débat. Mais je crois que : 1/ ce n'est pas le problème d'efficacité majeur, loin de là, ils n'ont d'ailleurs jamais nommé les problèmes exacts, au-delà des slogans, moratoire, souveraineté, juridique, et 2/ et là, c'est un problème plus profond encore, si vous commencez à dire qu'il n'y a plus de primauté, c'est-à-dire que la règle européenne ne s'impose jamais à la loi nationale, vous tuez, -il faut l'assumer comme ça, c'est un projet politique comme un autre, ce n'est pas le mien et je crois que ce n'est pas celle de Michel Barnier ou des Républicains d'habitude-, vous tuez le projet européen, parce que je prends un exemple très concret, nos pêcheurs, là, on a le cas avec un pays extérieur, le Royaume-Uni, si demain, ils ont un conflit de pêche avec la Belgique, l'Espagne dans le passé, comment on le règle ? On le règle en appliquant les règles européennes. Et souvent, on a gagné, d'ailleurs, encore récemment dans un autre domaine, les producteurs français ont fait respecter des règles d'appellation contrôlée sur le champagne, c'est très concret, aux Espagnols. Pourquoi ? Ils sont allés devant un juge et ils ont dit : c'est la règle européenne, on applique. Si vous faites des règles européennes, vous discutez un budget, la politique agricole commune, etc. et que chacun ensuite rentre chez soi et dit : moi, j'applique quand j'ai envie, ce n'est pas seulement un sujet migratoire, vous cassez tout l'édifice.

Q - Et on ne peut pas le faire seulement sur un sujet ? Parce que c'est ce que disent les candidats Républicains, ils disent : on sort de la CEDH seulement sur la question des migrations.

R - Je ne veux pas être trop technique, mais cela veut dire qu'ils doivent nommer quelques articles de la Convention européenne des droits de l'Homme.

Q - L'article 8.

R - Vous voyez comment c'est, la Convention européenne des droits de l'Homme. II y a la Turquie, il y a la Russie ; vous imaginez que si la France, commence à dire : moi, écoutez, il y a 50 articles, j'en prends deux. Les autres, cela ne m'intéresse pas, ou l'inverse, comme on le veut, les autres vont dire : "Bon, eh bien, moi aussi" ; la Russie va dire celui sur les droits de la presse, ça ne m'intéresse pas beaucoup ; en Europe, la Hongrie va dire : très bien, vous ne voulez pas à respecter cela ; nous, on n'aime pas les droits des femmes, on n'aime pas les droits des LGBT. On va choisir. Donc ce n'est pas sérieux. Et en plus, je pense que c'est une manoeuvre de diversion pour taper sur l'Europe parce que cela fait bien, y compris ceux qui l'ont défendu. Moi, je tape sur l'Europe quand il y a des choses à changer, mais sans casser le cadre dans lequel on travaille en commun.

Q - Ils veulent casser l'Europe ? Ils veulent casser l'adhésion, le rapport de la France à l'Europe ?

R - Je ne crois pas qu'ils le veuillent, mais je crois que par course après l'extrême droite, ils prennent ce risque, et qu'il faut rester responsable et sérieux. Qu'il y ait des désaccords, on peut en avoir sur le fond de la politique migratoire, et sans doute pas exactement la même approche que Xavier Bertrand, Valérie Pécresse, ou Michel Barnier, cela c'est très bien. Mais qu'ils stigmatisent le cadre européen en disant : vous allez voir, une fois qu'on aura dit souveraineté juridique française, qu'on aura enlevé quelques articles ou un juge par-ci, par-là, tout ira mieux, non seulement je peux être en désaccord sur le fond, mais surtout, je crois que c'est de la poudre aux yeux. Et jeter de la poudre aux yeux sur des sujets aussi importants, quand on s'est engagé par ailleurs, c'est le cas de Michel Barnier, mais c'est aussi le cas de Valérie Pécresse et de Xavier Bertrand, pour l'Europe toute sa vie, eh bien, je pense qu'on fait fausse route et qu'en plus on perd son ADN politique.

(...).


source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 16 novembre 2021