Texte intégral
J'aborderai la situation au Moyen-Orient dans sa globalité, en traitant évidemment de l'Egypte. N'oublions jamais qu'il s'agit d'une région clef pour les intérêts de la France et de l'Europe.
Les bouleversements et les dynamiques de cette région ont une influence directe sur nos intérêts en termes de sécurité, en raison de la proximité géographique, qu'il ne faut jamais oublier - c'est là une différence majeure avec les Etats-Unis, et la géographie est têtue - ; de nos liens historiques, des relations étroites entre nos sociétés et de la circulation des idées et des influences, ainsi que des mouvements de populations et de personnes. Si nous détournons le regard, si nous refusons d'assumer nos responsabilités internationales, cette région se rappellera à nous par des conséquences graves sur notre sécurité et notre souveraineté.
Avant tout, je pense au terrorisme, qui a été la priorité majeure de la décennie écoulée et qui le reste. Aux attentats perpétrés par Al-Qaïda au début des années 2000 ont succédé le conflit syrien et l'instabilité en Irak, permettant l'émergence de Daech, base de projection du terrorisme en Europe et particulièrement en France. La fin de l'emprise territoriale de Daech n'est pas si ancienne que cela - la chute de Baghouz date de mars 2019 - et depuis la menace n'a pas disparu. Elle peut se matérialiser de deux manières.
La première, c'est la résurgence de Daech sur le terrain. Voilà pourquoi nous maintenons la coalition et restons aux côtés de nos partenaires, en particulier les Kurdes. Le Président de la République l'a une nouvelle fois affirmé lors de son déplacement en Irak, à la fin du mois d'août dernier : la France maintiendra son engagement auprès de l'Irak pour poursuivre la lutte contre le terrorisme. Depuis, on a d'ailleurs vu émerger une organisation de Daech clandestine, qui a perpétré un certain nombre d'actions terroristes en Irak.
La seconde, c'est le risque d'attaques inspirées par Daech ou par la propagande radicale, poussant des individus sans appui opérationnel ou sans planification préalable à passer à l'acte. Nous en avons connu plusieurs exemples l'année dernière, notamment à Nice et à Rambouillet.
Au-delà de Daech, je pense au risque lié à la prolifération des armes de destruction massive. Il s'agit là d'une menace majeure pour la région, pour les régimes de non-prolifération et partant pour la sécurité internationale. Nous sommes pleinement mobilisés face à l'emploi d'armes chimiques en Syrie, que nous avons fermement condamné devant l'Organisation pour l'interdiction des armes chimiques (OIAC) et devant le Conseil de sécurité, malgré l'obstruction russe. Il y a quelques mois, un partenariat international contre l'impunité d'utilisation d'armes chimiques a été adopté sur l'initiative de la France. On parle relativement peu de ce sujet, mais notre détermination n'en est pas moins forte.
La prolifération nucléaire en Iran et dans la région est également une question centrale. La France a été en première ligne pour parvenir à l'accord de Vienne en 2015 et pour "tenir les murs" depuis 2018, lorsque les Américains se sont retirés de l'accord. Depuis le début de cette année, notre pays joue un rôle majeur dans les nouvelles négociations de Vienne, pour que les Etats-Unis reviennent dans l'accord et que l'Iran respecte de nouveau ses obligations. Les négociations ont repris et la balle est dans le camp iranien, mais le temps manque. Nous souhaitons que l'Iran puisse négocier sur la base des discussions conduites jusqu'en juin dernier, en lien avec la nouvelle administration américaine, qui l'a dit clairement et à plusieurs reprises : elle est prête à revenir dans l'accord, mais ce n'est pas encore le cas. Compte tenu de l'avancée des activités iraniennes, faute de progrès rapides, le JCPoA risque de devenir bientôt une coquille vide.
Les mouvements migratoires irréguliers sont un autre sujet de préoccupation : ils risquent d'entraîner des crises répétées qui pèseront nécessairement sur l'Union européenne. Les réseaux de passeurs concourent à cette instabilité.
L'ensemble de ces menaces se cristallisent dans des crises majeures dont l'Europe ne peut pas se désintéresser, d'abord en raison de leur gravité intrinsèque et de leurs conséquences humanitaires. La moitié de la population syrienne est aujourd'hui déplacée ou réfugiée. On déplorerait près de 500.000 morts en Syrie et 400.000 morts au Yémen.
Cette situation a aussi des conséquences sur la sécurité de l'Europe : les mêmes causes produisant les mêmes effets, faute de solution politique, faute d'un meilleur respect des droits de l'homme sur le terrain, la Syrie continuera d'exporter de l'instabilité, des réfugiés, du terrorisme et des trafics en tout genre. De même, en Libye, la réduction de la menace terroriste, que nous avons obtenue entre 2014 et 2018, ne pourra s'inscrire dans la durée que si le processus de transition va à son terme, avec la tenue des élections, le retrait des forces et des mercenaires étrangers ainsi que l'application des dispositions actées lors de la conférence de Paris du 12 novembre dernier. Nous ne pouvons pas accepter que les crises majeures de la région soient l'enjeu d'un partage d'influence entre les puissances étrangères - notamment la Russie et la Turquie, qui s'affrontent en Libye et en Syrie -, entraînant un effet d'éviction de l'Union européenne.
Cela étant, le Moyen-Orient est également un enjeu essentiel de notre influence et de nos intérêts économiques, à la jonction de l'Europe et de l'espace indopacifique.
Cette région est un enjeu en termes de préservation de notre influence, laquelle est ancrée dans l'Histoire, dans la francophonie et le temps long de la coopération culturelle. Je pense à la fois aux écoles du réseau homologué et aux écoles francophones gérées par les congrégations chrétiennes, auxquelles nous apportons un soutien particulier, notamment au Liban.
Cette région est un enjeu en termes de débouchés économiques, qu'il s'agisse des infrastructures, du secteur énergétique et environnemental, des industries créatives ou des nouvelles technologies.
Elle est, enfin, un enjeu au titre de la promotion du développement de la gouvernance et de la gestion en commun de grandes crises régionales, pour lesquelles nous avons besoin de points d'appui solides. Je pense en particulier à l'Egypte et à la Jordanie pour le Proche-Orient. Je pense aussi à l'Egypte pour la Libye.
Ces enjeux d'influence, dans tous les sens du terme, sont d'autant plus importants qu'ils s'inscrivent dans un environnement de compétition entre les puissances, laquelle est exacerbée par une posture américaine moins engagée depuis plusieurs années, même si la présence militaire des Etats-Unis reste substantielle dans la région.
Le vide laissé par cette posture est aussi lié à la réorientation des priorités stratégiques américaines vers l'Asie. Il ouvre un espace à des acteurs locaux, susceptibles de jouer un rôle déstabilisateur, d'aggraver les grandes crises de la région et d'exacerber les tensions régionales - c'est le cas de l'Iran et d'acteurs non étatiques comme les Houthis.
Cette situation est favorable à un certain nombre d'acteurs dont l'influence prospère sur l'instabilité, en particulier la Russie et la Turquie, qui, à Astana, ont élaboré un modèle de compétition collaborative. En parallèle, la présence stratégique et économique de la Chine progresse partout, en particulier dans le Golfe.
Pour toutes ces raisons, nous avons besoin de partenariats solides dans la région et de points d'ancrage stables et fiables. Dans le Golfe, nous disposons de partenariats anciens, remontant à la création des Etats arabes. En témoigne la présence de nos bases militaires aux Emirats arabes unis. La visite du Président de la République a permis de réaffirmer la force de notre partenariat avec ce pays, au service de nos intérêts de sécurité et de la stabilité régionale.
En outre, il est essentiel de maintenir des relations avec l'Arabie saoudite, qui, géographiquement et stratégiquement, est un acteur majeur du Conseil de coopération des Etats arabes du Golfe (CCEAG), qu'il s'agisse des tensions régionales avec l'Iran ou de la stabilisation du Liban. La question des valeurs, notamment l'égalité entre les femmes et hommes, et la situation au Yémen sont aussi au coeur de nos discussions : elles ne sont évidemment pas oubliées.
Nous avons maintenu la relation avec le Qatar tout au long de la crise dans le Golfe, en encourageant nos partenaires à travailler à une désescalade des tensions, puis à la reprise d'un dialogue et d'une coopération. De même que les Emirats arabes unis, le Qatar s'est montré un partenaire tout à fait précieux lors de la crise afghane, pour que les évacuations des Français et des Afghans aient lieu dans les meilleures conditions de protection.
De même, nous avons besoin de points d'ancrage en Irak, dont nous sommes devenus le partenaire de référence en réaffirmant la souveraineté irakienne, meilleur rempart contre la résurgence du terrorisme. Il faut que l'Irak cesse d'être le lieu et la victime de la cristallisation des tensions régionales pour devenir un point d'équilibre et de dialogue dans la région.
En outre, grâce à notre relation étroite avec les autorités irakiennes, nous avons pu contribuer à la création d'un espace de discussion dans le cadre de la conférence de Bagdad du 28 août dernier, coprésidée par le Président de la République et par le Premier ministre irakien, Moustafa al-Kazimi. J'ai déjà évoqué devant votre commission cette concertation régionale au format inédit. J'en ai d'ailleurs assuré le suivi lors d'une conférence ministérielle réunissant les mêmes acteurs à l'occasion de l'Assemblée générale de l'Organisation des Nations Unies (ONU), à New York. Un prochain sommet est prévu à Amman.
Nous avons aussi besoin de points d'appui en Egypte, pays avec lequel la France entretient une relation forte, fondée sur des intérêts communs. Nous devons travailler ensemble sur la gestion de toutes les crises régionales - en Libye, en Méditerranée orientale, en Syrie, au Liban et dans la zone israélo-palestinienne - et lutter contre le terrorisme, particulièrement en Egypte.
Un rappel s'impose. La menace terroriste s'est renforcée progressivement en Libye à partir de 2014, et a pris un tour extrêmement grave en 2016. En effet, Daesh a souhaité étendre le concept et l'emprise de l'état islamique (EI) depuis la Syrie. Daesh s'est territorialisé en Libye à cette époque, à Syrte, à Benghazi et à Derna, à quelques centaines de kilomètres des côtes européennes, faisant peser une menace directe sur l'Europe. Simultanément, des attaques ont eu lieu en Egypte. Nous avons donc apporté un appui aux pays voisins de la Libye qui partageaient nos objectifs en termes de lutte contre le terrorisme, notamment à l'Egypte. Ces efforts ont porté leurs fruits : les trois villes ont ainsi été reprises. Mais les menaces perdurent, principalement dans le Sud libyen?; nous devons rester vigilants.
C'est dans ce cadre de coopération dans la lutte contre le terrorisme que nous avons déployé des moyens pour notre propre sécurité, selon des critères d'engagement très stricts. C'est pourquoi, à la suite de l'enquête de Disclose, la ministre des armées a demandé une enquête interne approfondie, destinée à vérifier que les règles de coopération en matière de renseignement ont bien été mises en oeuvre. Cette enquête est en cours.
Nous agissons aussi en matière de coopération culturelle et d'influence. La Méditerranée est un espace marqué par les échanges, la francophonie et le plurilinguisme. Cette coopération s'incarne dans le domaine éducatif. Plus de la moitié des établissements du réseau de l'enseignement français à l'étranger se trouvent dans les pays d'Afrique du Nord et du Moyen-Orient, et 150.000 enfants apprennent la langue arabe dans les écoles françaises. Lors de la crise sanitaire, nous avons mobilisé des moyens très importants pour préserver ces établissements, notamment au Liban.
Nous contribuons au renforcement de l'enseignement supérieur et de la recherche, en accueillant des étudiants originaires du Maghreb et en construisant des partenariats, sur le terrain, avec les universités. La Sorbonne Abu Dhabi est le navire amiral de cette politique, tout comme les partenariats avec le Qatar et la Tunisie.
Dans le domaine muséal, les coopérations du réseau des alliances françaises et des instituts français sont reconnues. Lors de la visite du Président de la République dans le Golfe, ont été annoncées l'extension du Louvre à Abu Dhabi et la création de la Villa Hégra en Arabie saoudite, sur le site d'Al-Ula, nouvelle Villa Médicis dans cet espace préislamique, dont la conception et la réalisation ont été confiées à la France.
Nous coopérons en matière d'armement et de renseignement. Ces partenariats stratégiques avec les pays de la région sont anciens et solides. Les livraisons d'équipements militaires en sont un des aspects, mais pas le seul. Ces pays font face à un environnement instable et dangereux, et la France est considérée comme un partenaire fiable, soucieux de donner à ses partenaires les moyens de défendre leurs intérêts. Ces coopérations n'ont pas pour premier objet une visée commerciale; elles consolident avant tout des partenariats militaires et de renseignement, qui répondent directement à nos intérêts de sécurité.
La livraison de matériels militaires à nos partenaires est essentielle pour consolider la base industrielle et technologique de défense (BITD) en France, pilier de souveraineté indispensable à la sécurité de notre pays. Ces intérêts restent par ailleurs compatibles avec le respect de nos engagements internationaux en matière d'exportation de matériel de guerre, qui est sérieuse, rigoureuse et conforme au traité sur le commerce des armes (TCA) et à la position commune de l'Union européenne sur les exportations de matériel de guerre. Le dispositif de contrôle des exportations est exigeant, et sa transparence a été renforcée, grâce aux travaux du Parlement. Les efforts vont désormais porter sur les équipements à double usage, civil et militaire, dits équipements duals.
Nous devons agir ensemble pour lutter contre le financement du terrorisme. L'initiative No money for terror prise au printemps 2018 inclut nos partenaires du Golfe. Nous allons approfondir ce mécanisme de vigilance et d'information.
J'en viens à la crise libanaise, très grave. Elle est économique et financière, sociale et humanitaire, politique et même morale. Le Liban a besoin du soutien de tous ses partenaires, mais pas sans conditions. Les aides seront conditionnées aux réformes d'ampleur nécessaires. Le Président de la République a mobilisé les Etats arabes du Golfe, en particulier l'Arabie saoudite, pour que nous soutenions ensemble ce pays. Dans le cadre d'un échange téléphonique avec le Premier ministre libanais Najib Mikati, le Président de la République et le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane ont rappelé les mesures qui s'imposent pour le retour de la paix civile et le redressement du pays. Un mécanisme conjoint d'aide humanitaire, transparent, a été accepté par l'Arabie saoudite. La conférence internationale de soutien à la population du Liban, organisée au mois d'août, a pour objet un soutien humanitaire rapide?; nous engageons 100 millions d'euros dans ce cadre, pour une mobilisation totale de 325 millions d'euros.
Pour sortir de la crise, le pays a besoin d'autorités responsables : c'est la mission du gouvernement Mikati, installé depuis trois mois. La démission du ministre de l'information Georges Cordahi est une étape positive. La réunion du conseil des ministres en format complet doit désormais reprendre, car la situation l'exige. Le déblocage commence, mais ce n'est qu'un début. Les autorités libanaises doivent faire en sorte que l'enquête sur l'explosion du port puisse aboutir en toute indépendance, et que des élections démocratiques et transparentes soient organisées au printemps 2022. Avec nos partenaires européens, nous resterons vigilants.
Je conclus sur les droits humains. Aux envolées déclaratoires nous préférons un dialogue franc, exigeant et concret. La question est systématiquement abordée lors des entretiens de haut niveau avec nos partenaires du Moyen-Orient, par exemple la semaine dernière en Arabie saoudite. Au-delà du respect des valeurs, nous formulons, pour des cas particuliers, des exigences concrètes, précises et vérifiables. Il en va ainsi pour les défenseures des droits saoudiennes, dont trois d'entre elles ont été libérées, à savoir Loujain al-Hathloul, Samar Badawi et Nassima al-Sada. Nous poursuivons nos efforts pour le respect du droit des femmes et de la liberté d'expression et d'opinion.
Au Qatar, nous avons engagé un dialogue sur le respect du droit des travailleurs étrangers, en particulier dans le cadre de la coupe du monde 2022. La kafala, système de tutelle légale, a ainsi été supprimée, décision inédite dans le Golfe. Nous encourageons un dialogue entre l'organisation internationale du travail (OIT) et les autorités du pays, en vue de l'établissement d'un cadre de coopération complet.
Notre partenariat stratégique avec l'Egypte n'est en rien un blanc-seing en matière de droits de l'homme. Nous abordons systématiquement la question avec le pays. Lors de tous mes déplacements, je rencontre les organisations non gouvernementales (ONG), certes discrètement, pour leur éviter des représailles, mais je le fais ensuite savoir publiquement. En janvier 2019, au Caire et lors de la visite du président Abdel Fattah al-Sissi à Paris, le Président de la République a évoqué le sujet. Chaque fois, nous abordons aussi des cas individuels, comme celui de Ramy Shaath, en Egypte. Nous agissons très fermement et nous demandons des libérations de manière systématique. Nous connaissons la situation difficile de l'Egypte, confrontée au terrorisme, mais nous sommes aussi exigeants en matière de droits de l'homme, car la vitalité de la société civile est le meilleur rempart contre la radicalisation et le terrorisme. Tel est le message que nous répétons aux autorités. Par ailleurs, nous nous sommes associées à la déclaration sur l'Egypte du 12 avril dernier, prononcée au Conseil des droits de l'homme des Nations unies au nom d'une trentaine de pays.
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Concernant les éléments rendus publics par Disclose, votre interrogation est aussi la mienne. J'ai déjà évoqué comment nous avons travaillé en matière de renseignement, au moment où nous étions les victimes, comme l'Egypte, de Daech, qui s'installait alors en Libye. Nous avons soutenu toutes les initiatives pour contrer le terrorisme, dont celles de l'armée nationale libyenne et celles de l'Egypte, pour préserver notre sécurité. Rappelez-vous le contexte! Les villes de la côte ont ainsi pu être reprises, mais des menaces perdurent dans le Sud libyen. Il est de ma responsabilité d'y faire face.
Nos règles de partenariat sont très strictes, pour encadrer l'usage des données échangées et éviter tout détournement. Notre partenaire égyptien le sait. Les données ne peuvent servir à guider des frappes. C'est pourquoi la ministre des armées a demandé une enquête.
En revanche, nous avons un point de désaccord. Il est inexact que la vente des Rafale aille à l'encontre des réglementations en matière de vente d'armes, et notre capacité de production autonome est un premier pas vers une défense européenne.
Monsieur Roger, je suis très préoccupé par la situation de Salah Hamouri. Nous disons régulièrement aux autorités israéliennes notre détermination à ce qu'il puisse vivre normalement à Jérusalem. Il a purgé sa peine, sa famille doit pouvoir lui rendre visite. Je me suis exprimé à ce sujet publiquement, plusieurs fois, devant le Parlement.
La question du Proche-Orient n'est pas sortie des radars. La France a souhaité engager des discussions pour enclencher une stratégie du pas-à-pas, et rétablir la confiance entre les interlocuteurs. Deux difficultés se posent : l'instabilité gouvernementale en Israël, qui a duré deux ans, et la question de la mise en oeuvre d'un processus électoral en Palestine. Ce sont deux vrais handicaps. Avec mes homologues jordanien, égyptien et allemand, nous avons engagé des négociations. Le processus de discussion avec les ministres israélien et palestinien est en cours, il n'a pas encore abouti. C'est la seule logique possible, pour trouver une solution politique à deux Etats - notre position est constante - et engager un processus de paix.
La flotte aérienne émiratie, Monsieur Guerriau, compte 200 avions, c'est dans cet ensemble qu'il faut placer les Rafale pour en mesurer la place. Avec l'Iran, le principal reste d'avancer sur les négociations de l'accord de Vienne sur le nucléaire iranien. Je crois qu'il ne faut pas donner plus de poids qu'elles n'en ont aux déclarations des Iraniens, elles font partie de l'agitation politique iranienne à l'égard des Emirats arabes unis. Pourquoi les Emirats achètent-ils des avions de combat, sinon pour assurer leur sécurité. Du reste, nous sommes présents militairement aux Emirats, avec une base navale, une base aérienne et une base terrestre. Si les Emiratis nous demandent cette présence, c'est parce qu'ils se préoccupent de leur sécurité - d'autant plus, ces derniers temps, eu égard au doute à l'égard de la protection américaine. Ce doute se traduit par la volonté de renforcer le partenariat stratégique avec la France. Cependant, il faut aussi savoir qu'entre Emiratis et Iraniens on se parle, régulièrement et souvent - je crois donc qu'il ne faut pas se limiter aux déclarations publiques des Iraniens.
En Irak, nous sommes dans une phase transitoire. Les élections législatives ont eu lieu, c'est une bonne nouvelle, elles se sont bien passées, même s'il a fallu deux mois pour en connaître les résultats, car les décomptes ont été longs. Le nouveau gouvernement n'est pas encore constitué, la part des milieux liés à l'Iran s'est affaiblie par rapport au chiisme politique irakien ; une fois le gouvernement constitué, nous reprendrons les discussions dans le format dit de Bagdad, c'est-à-dire, sous coprésidence irako-française, avec les pays du Golfe, l'Iran, la Turquie et l'Egypte. Cette instance a été créée à l'initiative de la diplomatie française, c'est devenu un périmètre d'échange essentiel. Nous avançons, j'ai convoqué une réunion à New York au niveau ministériel pour vérifier que chaque participant était disposé à continuer ; j'en ai eu confirmation et je le vois comme une bonne nouvelle. J'espère que nous allons continuer les discussions dans ce format, même si je n'ignore pas les tensions liées en particulier à la présence de Daech sur le territoire irakien.
Sur les migrants, nous avons constaté que le président biélorusse avait incité des Irakiens à se rendre en Europe. Nous avons enrayé cette organisation, j'ai pris les contacts nécessaires en particulier avec les autorités kurdes - je me suis entretenu deux fois sur ce sujet avec le président Barzani -, nous en sommes à organiser les retours vers l'Irak et je suis en mesure de vous donner les assurances que ces retours s'effectueront bien.
Il n'y a pas de lien direct, à l'évidence, entre le contrat émirati sur les Rafale et la nomination du candidat émirati à la présidence d'Interpol : le contrat est négocié depuis une dizaine d'années, donc bien avant toute recherche d'un candidat pour Interpol. D'ailleurs, l'élection à la présidence d'Interpol s'effectue à bulletin secret.
Enfin, je peux vous parler plus avant de la situation au Sahel. Hier, à Dakar, j'ai rencontré les ministres des affaires étrangères de la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (Cédéao) ; nous avons parlé de tous les sujets y compris de la situation au Mali.
M. Christian Cambon, président. - Nous consacrerons une séance à ce sujet.
Sur le Yémen, je rappelle qu'au départ, il y avait un régime légitime, celui du président Abdrabbo Mansour Hadi, et qu'il a été renversé par les Houthis soutenus par l'Iran. Le président Hadi s'est réfugié en Arabie saoudite et a demandé de l'aide militaire ; une coalition s'est formée et c'est alors que s'est engagée cette sale guerre. Nous disons à tout le monde qu'il n'y aura pas de solution militaire et qu'il faut négocier. Je constate que la demande d'un accord politique a changé de camp, je souhaite que le représentant du Secrétaire général de l'ONU aboutisse dans sa mission, car il faut discuter. On ne le dit pas assez souvent, mais il y a aussi de nombreuses frappes houthies sur le sol saoudien.
Je n'ai pas d'information particulière sur les menées du Hamas au Sud-Liban, Monsieur Le Nay, nous avons observé une ouverture possible du Liban vers une action politique plus engagée. J'espère que cela aboutira, et qu'après les élections le Liban retrouvera un chemin d'apaisement et de croissance.
Sur la partie afghane, nous avons, en travaillant avec le Qatar, permis le retour de 99 Français qui n'avaient pas été rapatriés avant la prise de Kaboul et de plusieurs centaines d'Afghans, en particulier lors d'une opération intervenue le 2 décembre. Au total, depuis la fin septembre, nous avons fait sortir d'Afghanistan 405 Afghans menacés, en plus des 3.000 personnes que nous étions parvenus à évacuer lors de la chute de Kaboul ; nous continuons en ce sens. C'est très difficile, les Qataris nous aident dans la logistique, mais les procédures sont longues.
La situation en Afghanistan est très préoccupante sur le plan sanitaire, c'est pourquoi nous avons mobilisé 100 millions d'euros pour les ONG dépendant de l'ONU. Nous avons aussi mené une opération humanitaire conjointe avec le Qatar pour apporter une aide concrète aux populations, nous voulons poursuivre notre soutien, à condition que l'aide aille bien à ceux qui en ont besoin. Pour le reste, nous n'avons pas de discussion avec les talibans, car nous avons conditionné toute discussion à l'établissement d'un gouvernement élargi et au respect des droits fondamentaux, en particulier le droit de sortie du territoire et la liberté de circulation, qui sont loin d'être établis.
Sur l'Iran, Madame Jourda, nous voulons revenir à l'accord tel qu'il existe. Depuis que les Etats-Unis s'en sont retirés en 2018 et qu'ils ont imposé des sanctions contre l'Iran, celui-ci a rompu ses engagements en matière nucléaire. Dès lors que les Américains ont dit qu'ils revenaient dans l'accord, un processus s'est mis en place, mais il y a eu aussi les élections iraniennes, et ce qui en ressort n'est guère encourageant, tant les Iraniens donnent l'impression de gagner du temps tout en se rapprochant de la capacité de faire des armes nucléaires. La semaine dernière, avec nos partenaires britanniques et allemands, nous avons décidé d'interrompre les négociations tant qu'aucun progrès n'était possible ; les discussions devraient reprendre jeudi prochain, la situation est très préoccupante, effectivement. Les Etats du Golfe y sont aussi attentifs, chacun voit que l'Iran met beaucoup de difficulté aux contrôles de ses installations par l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA).
Avec la Jordanie, nous entretenons des relations de grande qualité, singulièrement sur la question du Proche-Orient. La Jordanie est aux premières loges et doit faire face à l'afflux de réfugiés syriens - sa tâche est difficile et nous y sommes très attentifs.
(...)
J'ai présidé hier à Dakar la première réunion du comité local de développement - c'est une application de cette loi.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 29 décembre 2021