Texte intégral
Q - En ce moment même, à Genève, Américains et Russes sont en train de dialoguer, peut-être de négocier à propos de l'Ukraine. L'Europe, on raconte, souveraine, elle est absente ; on se demande où elle est. Est-ce que c'est ça, l'Europe d'aujourd'hui ?
R - Mais l'Europe, je le reconnais bien volontiers en tant que club, que famille politique, l'Union européenne n'est pas encore dans différentes crises internationales assez puissante, assez active, assez reconnue. Regardons quand même ce qui se passe, notamment depuis plusieurs années, puisque c'est une crise qui a pris un tour préoccupant avec des manoeuvres militaires depuis quelques semaines et même quelques mois du côté russe vis-à-vis de l'Ukraine ; mais la crise ukrainienne, elle a commencé évidemment en 2014 avec la Crimée, le Donbass et c'est l'Europe qui a quand même pris les initiatives diplomatiques pour réunir ...
Q - Est-ce que je peux témoigner, François Hollande, Angela Merkel, Vladimir Poutine et l'Ukrainien considéraient que l'Ukraine était une affaire strictement européenne et ils ont lancé ce que vous appelez aussi le Format de Normandie.
R - Le format de Normandie.
Q - Et à l'époque, ils avaient écarté Barack Obama qui voulait s'en mêler, ils disaient : c'est une affaire européenne. Et aujourd'hui, on a l'impression de régresser.
R - Alors d'abord le Format Normandie, vous en avez rappelé l'origine, avec François Hollande et Angela Merkel, c'est lui qui a permis, je suis lucide, les petites avancées ou la stabilisation de la situation en Ukraine, éviter des dérapages, même si ce n'est évidemment pas satisfaisant, des libérations de prisonniers, à certains moments. Le dernier sommet en Format Normandie a été organisé par le président Macron à Paris avec Angela Merkel et les présidents d'Ukraine et de Russie ; cela avait permis d'apaiser un peu la situation, de libérer plusieurs centaines de prisonniers et aujourd'hui, il y a une nouvelle étape et on voit du côté du président russe, du côté de Vladimir Poutine qu'il y a, c'est évident, une volonté de discussion directe avec les Etats-Unis, d'une forme d'ambiance de guerre froide, il prend prétexte de ce que l'OTAN voudrait s'élargir à l'Ukraine pour justifier...
Q - Attendez, c'est un prétexte ou une raison ? Parce qu'on voit bien que Joe Biden, comme Donald Trump, est plutôt favorable à l'entrée de l'Ukraine dans l'Alliance atlantique, l'OTAN, mais Poutine, lui, refuse au nom d'anciens accords sur la neutralité de Kiev. Est-ce que le Président de la République française, est-ce que vous, vous souhaitez que l'Ukraine entre dans l'OTAN, simplement ?
R - Nous avons dit que ce n'était pas à l'ordre du jour ; qu'il y ait cette discussion, c'est important. Ce qui est très important aussi, parce qu'on ne peut pas isoler un sujet, c'est qu'il y ait une continuité des discussions, qu'on reprenne, on y est favorable, mais il faut que les Russes, les Ukrainiens, d'abord les Russes, le veuillent au Format Normandie.
Q - Rassurez-les, dites-leur que vous ne voulez pas que ça rentre dans l'OTAN ! Ils ont l'impression d'être endigués, encerclés !
R - Je crois qu'il y a un peu d'instrumentalisation de cette idée ...
Q - De part et d'autre !
R - Quand il y a des manoeuvres qui sont organisées par la Russie, c'est une technique qui revient souvent, les Russes ensuite nous disent : mais nous on ne fait que réagir à des déclarations qui nous ont inquiétés, des provocations, etc., qui, je crois, n'existent pas. Qu'est ce qui s'est passé du côté de l'OTAN, de l'Union européenne de nouveau, ces dernières semaines, qui justifierait des manoeuvres militaires russes ? Rien ! Donc, il ne faut pas inverser les choses, ce serait rentrer dans la logique de M. Poutine de dire ça, il n'y a rien qui a changé, ces dernières semaines. Ce qui est très important, c'est qu'on n'isole pas un sujet et c'est que les Européens, et on doit se battre parfois même avec nos alliés américains, évidemment encore plus avec les Russes, ne soient pas absents de cette table de négociation ; et j'insiste là-dessus, ce n'est pas la question même si c'est très important que la France s'implique, aujourd'hui encore avec la présidence française de l'Union européenne ...
Q - On va voir ce que ça va donner.
R - Mais ça ne peut pas être qu'un sujet allemand ou français ...
Q - Mais ça ne peut pas être un sujet américain et russe ...
R - Surtout pas !
Q - ...à quel moment où Emmanuel Macron invite à Paris Poutine, ou à Bruxelles, ou à Minsk ou je ne sais où, mais qu'il l'invite !
R - Je ne vais pas égrener un calendrier, c'est le Président de la République qui a pris l'initiative juste avant Noël d'avoir une longue discussion sur ce sujet avec M. Poutine, c'est parce que les Européens se sont mobilisés, y compris auprès de leurs partenaires américains qu'il y a, la semaine prochaine, non seulement une discussion Biden/Poutine mais aussi une discussion de l'OTAN, le 12, et une réunion des ministres des affaires étrangères sous présidence française avec Jean-Yves Le Drian, la semaine prochaine. C'est là que nous essaierons, parce que sinon nous ne serons jamais forts, nous ne serons jamais respectés, une position commune européenne.
Q - Est-ce qu'à ce moment-là, le sujet dont vous dites qu'il n'est pas à l'ordre du jour, il deviendra à l'ordre du jour ? Est-ce que la France accepte que l'Ukraine entre dans l'OTAN ?
R - Je ne veux pas rentrer dans ce sujet vis-à-vis de la Russie parce qu'il n'y a rien de nouveau qui s'est passé, il n'y aura rien de nouveau qui se sera passé. Et M. Poutine ou la diplomatie russe évoque régulièrement des promesses qui auraient été faites et qui sont tout à fait discutables pour dire aujourd'hui "il y a rupture de promesses" alors que ni la promesse n'est claire ni aucun changement n'a lieu pour justifier des manoeuvres militaires. C'est ça, le danger. Il ne faut pas rentrer dans le piège tendu par Moscou consistant à dire : vous avez fait du côté de l'OTAN, des Etats-Unis ou des Européens, des erreurs, des mouvements qui nous provoquent, ce n'est pas exact !
Q - On pourrait en discuter longtemps. Autre chose les chars soviétiques ont écrasé les résistances et des rébellions populaires à Budapest en 1956, à Prague en 1968, vous connaissez tout ça très, très bien. En 2022, les chars russes sont en ce moment au Kazakhstan. La répression féroce est en train de s'abattre sur une ville martyre, Almaty, etc. L'Europe, qu'est-ce qu'elle fait ? Elle invite à la retenue, alors qu'il y a des morts et des massacres ; est-ce qu'on ne peut pas aller plus loin, pardon puisque la guerre ...et que M. Blinken dit "on est au bord de la confrontation militaire" ?
R - Ce sera aussi, dans quelques jours, je ne parle pas de semaines ou de mois, dans quelques jours, dès la semaine prochaine, un des points importants de discussion des ministres des affaires étrangères pour voir les mesures que les Européens peuvent prendre. On a été clair dans le message : on ne peut pas écraser un peuple, des manifestants qui se rebellent sur le coût de la vie, sur une volonté de démocratisation de leur pays, même si nous avons, l'Union européenne, un certain nombre de relations avec le Kazakhstan, notamment dans la crise afghane. Mais c'est intéressant d'ailleurs ce que vous dites, parce qu'il y a une attente vis-à-vis de l'Union européenne, je la comprends, peut-être il y aura des mesures qui seront prises mais on dit quand une situation internationale est difficile, les options ne doivent pas être toujours les options militaires ; ce serait irresponsable.
Q - Non, il faut parler !
R - Bien sûr ; il faut parler !
Q - Il n'est pas question d'aller mourir pour le Kazakhstan ni même pas à Taïwan, la Chine !
R - Mais, et ce qu'on demande d'ailleurs, en l'occurrence ce qu'ont fait les Américains vis-à-vis du président russe ou des autorités kazakhstanaises, les Européens auront par leur Haut Représentant, par la voix des ministres des affaires étrangères et de Jean-Yves Le Drian, la semaine prochaine, l'occasion de dire un certain nombre de positions, voire de mesures qui seront prises. Comprenez aussi que la situation est très grave mais elle fait aussi l'objet d'une certaine confusion pour comprendre exactement ce qui se passe, y compris ce que fait la Russie dans le cadre de cette organisation de sécurité commune et donc ce sera vous évoqué dans quelques jours aussi.
Q - Vous nous dites, il faut y penser, il y a le Covid, mais il faut penser à ce virus qui est aussi meurtrier et même plus meurtrier, la guerre ; il faut l'avoir en tête.
R - Mais bien sûr, et tout cela plaide, je reconnais volontiers qu'on est qu'au début du chemin, mais pour que l'Union européenne réagisse ensemble, on ne sera jamais fort, aussi fort que l'on soit et on l'est comme pays membre du Conseil de sécurité doté de l'arme atomique, la France, d'une grande diplomatie si on n'agit pas sur tous ces sujets - l'Ukraine, la Russie, demain le Kazakhstan et beaucoup de crises - en Européen.
Q - Ca va être le rôle du Président Emmanuel Macron qui est président du Conseil de l'Union européenne pour six mois, il peut faire en sorte que l'Europe empêche que les missiles, les sous-marins, les drones tueurs et les satellites nous envoient des trucs sur la figure ?
R - Je ne veux pas faire croire que l'Europe aura d'un coup de baguette magique française une défense, une armée, une organisation de sécurité parfaite dans quelques mois, ce serait faux et arrogant. En revanche, on peut faire un certain nombre d'étapes sur la cybersécurité, sur nos actions en matière de défense à l'extérieure, je pense au Sahel. Vous m'auriez interrogé, il y a quelques mois seulement, vous auriez dit "la France est encore bien seule" ; eh bien, aujourd'hui, il y a plus de 10 pays européens qui agissent militairement en matière de sécurité à nos côtés, cela s'appelle Takuba, au Sahel.
Q - La pandémie et l'Europe, ne revenons pas sur quelques défaillances du début de la pandémie mais depuis l'Europe fabrique 300 millions de vaccins par mois, elle est le premier exportateur des vaccins, elle en adresse même au Royaume-Uni, à Boris Johnson qui nous fait ...
R - Une grande partie, ce qui vaccine les Britanniques !
Q - Mais si un autre vaccin (sic) surgit, un Omicron Plus qui est contagieux mais qui serait plus dangereux, est-ce que l'Europe a prévu quelque chose ?
R - Alors, ce n'est pas seulement une question pour l'Europe ; s'il y avait, je ne sais pas le prédire, je ne veux pas spéculer ...
Q - Le monde !
R - ...la situation est suffisamment grave, des variants, des variants plus contagieux ou plus dangereux, je ne sais pas le dire ...
Q - Mais est-ce qu'il y a un travail de prévision ?
R - Je vais vous dire, il y a une chose qui marche aujourd'hui, qui a été construite en quelques mois seulement au niveau européen, c'est l'achat commun de vaccins et la négociation des contrats, vous l'avez rappelé, je crois que ça mérite d'être souligné parce qu'on a beaucoup dit quand ça ne marchait pas ; aujourd'hui, nous sommes les premiers fabricants exportateurs et donateurs parce qu'on ne limitera pas les variants qui circulent dans le monde si on ne vaccine pas le reste de la planète ; l'Afrique, c'est trop lent, mais c'est l'Europe qui le fait en premier et depuis le début aujourd'hui, c'est très important et vous avez raison de rappeler, on produit 300 millions de doses sur le territoire européen chaque mois, on a exporté un milliard et demi ...
Q - Si jamais quelque chose de neuf surgit, est-ce qu'on sera prêt ? On peut anticiper ?
R - Je vais vous dire deux choses, très concrètement. D'abord dans les contrats signés par l'Union européenne, en notre nom à tous, avec les laboratoires, il y a l'obligation juridique de faire tous les efforts scientifiques et industriels nécessaires pour adapter, si besoin, tous les vaccins produits au virus ; et les laboratoires peuvent le faire, le font régulièrement, c'est une obligation contractuelle. Ça, j'allais dire, c'est pour le court et le moyen terme. Ce qui a manqué à l'Europe et là, c'est la deuxième chose qui manque encore, je le dis...
Q - Une politique européenne commune en matière de santé ?
R - Mais soyons plus concrets encore qu'une politique européenne de santé, puisque je sais que vous êtes attaché à ce qu'on soit concret, quand on parle d'Europe, vous avez raison ; une agence européenne, ce n'est pas un machin, ce n'est pas une bureaucratie. Ce qui a marché aux Etats-Unis qui a fait qu'au début, ils ont pris de l'avance sur nous dans les premières phases de déploiement du vaccin c'est qu'ils ont financé les essais cliniques beaucoup plus massifs que nous, ils ont financé les dernières étapes de mise au point du vaccin. Pourquoi ?
Q - Parce qu'ils ont quelque chose qui s'appelle la Barda !
R - Cela s'appelle la Barda, c'est une agence fédérale américaine qui finance massivement.
Q - 12 milliards en 9 mois !
R - 12 milliards exactement mais l'Europe n'avait pas cela, ni la France, ni l'Allemagne, ni l'Europe !
Q - Et elle va avoir cela !
R - On est en train de créer ...
Q - Cela s'appelle le HERA ...
R - HERA.
Q - Je vais essayer de traduire !
R - C'est très important, oui, allez-y !
Q - Traduire en français, Autorité européenne de préparation et de réaction en cas d'urgence sanitaire. Ça, on va le faire ?
R - On va le faire, il y a une proposition pour laquelle on s'est beaucoup battu notamment avec l'Allemagne, elle est sur la table et on va, j'espère, aboutir pour créer cette agence sous présidence française. Je vais même aller plus loin : cette agence telle qu'elle est proposée aujourd'hui est dotée de 6 milliards d'euros ; ce n'est pas suffisant. On voit bien que les Américains, vous l'avez rappelé, ont mis plus de 10 milliards de dollars d'un coup sur la table pour ce vaccin.
Q - Combien on peut mettre, tous ensemble ?
R - Je ne sais pas mais il faut qu'on ait, j'allais dire presque sans limite, parce que quand il y a une crise sanitaire, ça coûte beaucoup moins cher de vacciner que de faire face aux dégâts de la pandémie, il faut qu'on puisse mobiliser les sommes, les milliards d'euros nécessaires très vite, de par les Etats à travers cette agence, s'il y a demain une nouvelle pandémie quelle qu'elle soit, d'ailleurs, coronavirus ou autre...
Q - Faciliter à la fois la recherche et surtout aussi la production.
R - L'innovation et la production, absolument.
(...)
Q - Emmanuel Macron a déclaré avec solennité : 2022 doit être l'année du tournant européen. Et j'ai vu qu'il y a plusieurs sommets qui sont prévus : Europe-Afrique en février ; là au mois de janvier, je crois que c'est en janvier, aussi des sommets sur l'Europe et le 19 janvier, une sorte de grand oral face aux 777 députés européens. Qu'est-ce qu'il va leur dire ?
R - Le programme de la présidence et surtout - vous savez que cet exercice, c'est un discours assez court -, les priorités de la présidence ont été indiquées par le Président de la République le 9 décembre devant les Français et plus largement. Mais ce sera un débat politique, c'est intéressant ; il y aura des questions-réponses de parlementaires européens, français, j'imagine que M. Jadot, M. Bardella, d'autres responsables politiques français qui parfois oublient qu'ils sont au Parlement européen mais qui siégeront sans doute ce jour-là, et puis d'autres nationalités, l'interrogeront sur la question migratoire, sur la question du climat...
Q - Donc en toute liberté, sans concession, en direct... ?
R - Oui, c'est très important. On dit souvent que l'Europe, ce n'est pas la démocratie, que l'Europe, c'est la technocratie et c'est distant. J'espère que ce sera retransmis, diffusé. C'est très important : vous verrez un Président de la République française qui expliquera devant des élus directs des Français et des autres citoyens européens, ce que sont nos grandes priorités et nos résultats...
Q - Est-ce que je peux vous poser très vite avec des réponses rapides, deux-trois questions qui sont importantes, me semble-t-il ? Après la pandémie et le Covid, le problème de la discipline budgétaire va se poser, sans doute. Est-ce qu'il faut revenir aux 3% de Maastricht, en sachant que ça a été lancé il y a 25 ans et que depuis, le monde a changé, la démocratie aussi et la démographie ont changé.
R - On voit bien que les règles budgétaires doivent être adaptées ; elles ne sont plus aussi justifiées et ne sont plus telles quelles pertinentes pour l'après-crise Covid. C'était déjà un débat - le Président de la République, Bruno Le Maire et d'autres l'avaient ouvert avant la crise...
Q - Donc suppression ou assouplissement ?
R - Non, je vais être très clair : il faut des règles budgétaires ; il faut encore des règles budgétaires. Une économie commune, une monnaie commune sans règle budgétaire, ça ne marche pas. Les 3% de déficit ou les 60% de dette, ce sont, c'est comme ça, à la fois des totems et des tabous selon les pays. Je crois qu'il ne faut pas perdre trop de temps sur le chiffre exact parce que ça dépend comment on les calcule. Donc il vaut mieux, je crois, être constructif...
Q - Donc vous l'avez dit, adapter et assouplir...
R - Exactement et regarder avec les Allemands, avec les Italiens, avec tous nos partenaires comment l'investissement dans la relance, demain l'investissement dans les grands secteurs d'avenir - le spatial, les batteries électriques, le traitement des déchets, les énergies vertes renouvelables - on va pouvoir les financer sans être contraint, parce que les Chinois et les Américains, ils ne vont pas s'embêter avec 3% et 60%...
Q - Alors vous mettez sur la piste : cette semaine, la Commission de Bruxelles a décidé que le nucléaire et le gaz méritaient le label "transition verte". C'est une fleur pour la France et pour le nucléaire et une autre fleur pour l'Allemagne ; mais est-ce que ce n'est pas une fausse bonne nouvelle ? Je vais essayer d'expliquer. Apparemment c'est compliqué - ça a été compliqué pour moi, j'essaie de comprendre - la France n'est plus autorisée à construire et à financer ses centrales nucléaires au-delà de 2045, y compris avec les six réacteurs EPR qu'a promis le Président de la République. La Commission de Bruxelles, dans ces conditions, pourra inspecter, contrôler le nucléaire français tous les trois ans avec des inspecteurs étrangers, allemands et je ne sais quoi. Pourquoi la France accepte-t-elle en matière d'énergie, de nucléaire, de perdre une partie de sa souveraineté ? C'est simple !
R - Oui c'est très simple, mais je crois que ce n'est pas ça la réalité ; je dis même que ce n'est pas ça la réalité. D'abord, la bonne nouvelle de ce qu'on appelle cette taxonomie, c'est un nom un peu barbare, c'est une liste d'investissements, qui correspondent à ce qu'on peut faire pour la transition écologique pour les financements publics et les financements privés. La bonne nouvelle, je crois, parce que ça laisse du choix, c'est que le nucléaire fait partie de ces investissements possibles.
Ce n'était pas du tout gagné, vous savez qu'il y a beaucoup de pays européens, y compris la Commission européenne, je suis très franc, qui étaient réticents sur ce sujet. C'est dedans. Et c'est traité, je ne veux pas être trop technique, différemment du gaz et je pense que c'est légitime parce que le gaz, c'est vraiment une énergie de transition au sens où c'est une énergie polluante...
Q - Pour faire plaisir aux Allemands qui ont fermé les centrales nucléaires et qui ont des centrales à charbon...
R - Ils ont eu besoin de beaucoup de charbon et de beaucoup de gaz, et donc aujourd'hui, ils ont recours à des énergies plus polluantes que les nôtres pour leur transition. Mais ils veulent sortir du gaz aussi, tant mieux.
Q - Rassurez-nous, la souveraineté de la France, la souveraineté nationale n'est pas perdue au profit de l'Europe et de certains pays européens qui ne veulent pas du nucléaire à moyen terme... ?
R - La souveraineté énergétique de la France est préservée et renforcée par cette règle européenne, parce que nous aurons le droit, comme tous les autres pays s'ils le veulent, de faire des investissements dans le nucléaire. Vous avez cité - c'est très important - deux dates : 2040-2045. Ce n'est pas avoir fini des programmes nucléaires en 2040 ou 2045 qui seraient autorisés et puis au-delà tant pis... Ce n'est pas ça. Ce qui est autorisé à ce stade, c'est d'avoir au moins jusqu'en 2040 pour les réacteurs existants, des autorisations de travaux, et au moins jusqu'en 2045 pour de nouveaux réacteurs éventuellement, des permis de construire, ça laisse du temps.
Q - Est-ce qu'il y a une procédure de rappel, de changement, là aussi, ou c'est décidé ?
R - Attention parce que je sais qu'on fantasme beaucoup là-dessus, ce n'est pas Bruxelles, je suis très clair...
Q - Non mais est-ce qu'on peut discuter de ce qui a été décidé, là ?
R - Un, On peut discuter... il y a encore quelques semaines de discussions ; deux, il y aura une clause de rendez-vous, c'est-à-dire que les dates de 2040-2045 pourront être prolongées. Et trois, ça n'est pas vrai : il n'y a pas des inspecteurs bruxellois qui vont dire ce qu'est la sécurité de nos centrales nucléaires ; ne vivons pas dans le fantasme de la bureaucratie bruxelloise. Ce n'est pas vrai.
Q - Il y a combien de fonctionnaires à Bruxelles ?
R - 45.000 ; c'est le nombre de fonctionnaires qu'il y a à la mairie de Paris !
Q - Eh bien des deux côtés, on peut demander des économies et de la sobriété !
R - Peut-être mais enfin vous noterez que toute une Union européenne à 27 et la ville de Paris - il y a des choses évidemment très utiles à la ville de Paris - c'est le même effectif.
(...)
Q - Dernière question : fin juin, c'est-à-dire au bout de six mois, selon quels critères les Français pourront dire que la présidence française de l'Union européenne est un échec ou plutôt un succès avec des avancées ?
R - Si on a été utile, c'est-à-dire si on a fait trois ou quatre réformes très concrètes qui changent les choses. J'en prends une, puisqu'il faut, je crois, être concret : si par exemple, il y a ce qu'on appelle une taxe carbone aux frontières de l'Europe - ça paraît très abstrait - mais ça voudra dire que l'industrie automobile française ou allemande - et ce sont des travailleurs derrière - qui aujourd'hui doit changer son processus de production, doit parfois reconvertir ou a dû licencier pour recruter ailleurs, eh bien c'est fini la concurrence déloyale. Ils respecteront les exigences environnementales et le constructeur coréen, chinois ou américain qui vendra une voiture de son pays sur le marché européen, devra respecter - enfin - les mêmes règles.
Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 12 janvier 2022