Texte intégral
La dérive autoritaire du régime biélorusse est grave : la France et l'Europe ne peuvent rester sans réagir. La proposition de résolution de M. Frédéric Petit, qui invite l'Assemblée nationale à condamner solennellement le régime illégitime d'Alexandre Loukachenko, est donc tout à fait opportune.
Depuis l'élection volée de 2020, la France a fermement condamné la répression conduite à l'encontre de toute voix jugée dissidente par le régime d'Alexandre Loukachenko. Je le rappelle - plusieurs d'entre vous y ont fait référence -, en août 2020, des centaines de milliers de personnes, de tous horizons et de tous âges, manifestaient pacifiquement dans le pays pour contester les résultats d'une élection présidentielle truquée. Non content de refuser tout dialogue avec les forces de l'opposition démocratique, M. Loukachenko a choisi d'instaurer un régime fondé sur la peur et sur l'arbitraire, dont ces chiffres terribles permettent de mesurer la brutalité : 35.880 arrestations ; près d'un millier de prisonniers politiques, soumis à des conditions de détention inadmissibles, dans des geôles où des dizaines de cas de torture ont été recensés ; 275 ONG purement et simplement dissoutes ; une centaine de médias indépendants tout bonnement interdits.
Rien ne laisse malheureusement envisager que cette situation puisse s'améliorer à court terme. La réforme constitutionnelle annoncée par M. Loukachenko pour apaiser les manifestations de l'automne 2020 a été préparée par les autorités biélorusses dans la plus grande opacité. Faute de la moindre concession de la part du pouvoir, ce projet de réforme ne permettra pas d'entamer le processus espéré de démocratisation du régime. Ne soyons pas dupes : le référendum envisagé fin février pour valider la réforme constitutionnelle sera sans doute entaché d'autant de fraudes que l'élection d'août 2020.
Nous n'avons donc - je n'ai donc - aucune illusion quant à la nature du régime biélorusse. Loukachenko ne veut qu'une chose : se maintenir au pouvoir. Il se montre prêt à tout pour y arriver. C'est la raison pour laquelle le Gouvernement a refusé que notre ambassadeur désigné auprès de la Biélorussie ne présente ses lettres de créance. C'est aussi la raison pour laquelle nous lui avons donné instruction de quitter le pays quand le régime biélorusse s'est opposé à ce qu'il poursuive sa mission dans ces conditions. Nommé envoyé spécial de la France pour la Biélorussie, il est aujourd'hui chargé des contacts avec les Biélorusses réfugiés hors de leur pays. Nos partenaires de l'Union européenne ont adopté la même attitude.
Si nous suivons ce dossier de très près, c'est aussi parce que Minsk a mené, ces derniers mois, une politique de déstabilisation vis-à-vis des Etats membres de l'Union européenne, donc de l'Union européenne elle-même. Je pense, en particulier, à deux épisodes inacceptables que vous avez évoqués. Le 23 mai dernier, les autorités biélorusses ont forcé l'atterrissage d'un avion de ligne reliant Athènes à Vilnius, afin d'arrêter un journaliste d'opposition, Roman Protassevitch, et sa compagne, Sofia Sapega, qui se trouvaient tous deux à bord. Nous avons évidemment appelé à la libération de ces deux personnes et dénoncé cet acte odieux, d'autant plus irresponsable que, en détournant illégalement ce vol de Ryanair, les autorités biélorusses ont également mis en danger la sécurité de l'ensemble des passagers, parmi lesquels se trouvaient plusieurs Français. Dans le cadre de l'Organisation de l'aviation civile internationale (OACI), nous poursuivons actuellement les démarches nécessaires pour que les autorités biélorusses répondent de cet acte de piraterie aérienne car c'est bien de cela qu'il s'agit - nous devrions avoir les résultats de cette action dans les jours qui viennent.
Autre épisode inacceptable : à partir de juillet dernier, le régime de Minsk s'est mis à acheminer des milliers de migrants en provenance du Moyen-Orient vers ses frontières avec la Pologne, la Lituanie et la Lettonie. Soyons clairs sur le diagnostic - vous l'avez été, les uns et les autres : les autorités biélorusses ont instrumentalisé les espoirs de ces migrants afin de tenter de diviser les Européens. Ce faisant, ils n'ont pas hésité à mettre en danger la vie d'hommes, de femmes et d'enfants, et à violer les obligations internationales de la Biélorussie. Soyons tout aussi clairs sur l'issue de cette manoeuvre : elle a échoué, parce que nous avons su réagir de manière unie, solidaire et très ferme, en mobilisant nos leviers de puissance diplomatiques et économiques, tant vis-à-vis de la Biélorussie, que des pays dont les migrants instrumentalisés par le régime biélorusse sont originaires.
Vous le voyez, en même temps qu'un fléau pour le peuple biélorusse, la dérive autoritaire de M. Loukachenko est un défi pour les Européens - d'abord pour nos partenaires polonais, lituaniens et lettons, mais aussi pour nous tous, ne serait-ce que parce que les frontières qui séparent ces pays de la Biélorussie sont aussi les frontières de notre Union.
C'est donc collectivement qu'il nous fallait réagir et c'est ce que nous avons fait, en montrant que nous étions prêts, nous aussi, à assumer un rapport de force - car c'est bien de cela qu'il s'agit. Grâce à la fermeté et à la réactivité des Européens, cinq paquets de sanctions ont été adoptés, désignant 183 individus et 26 entités, en lien avec la falsification du scrutin d'août 2020, avec la répression de la société civile, avec le détournement du vol Ryanair et avec l'instrumentalisation des migrants. Des sanctions sectorielles ont également été adoptées en juin dernier, notamment dans le secteur aérien, à l'égard de la société Belavia.
Les premiers effets de ces sanctions se font déjà sentir, en particulier dans le secteur financier. Je le redis - M. Petit a évoqué une telle hypothèse -, l'Union européenne se tient prête à renforcer ces sanctions en fonction de l'évolution et de l'évaluation de la situation : notre approche est graduelle, afin de laisser au régime de M. Loukachenko la possibilité de réagir. Faute de quoi, nous en tirerons de nouvelles conséquences.
Entendons-nous bien, ces sanctions ne sont évidemment pas conçues pour ajouter au malheur d'une population déjà durement éprouvée par les exactions de M. Loukachenko. Au contraire, elles visent à faire pression sur le régime, pour qu'il engage un dialogue politique sincère avec l'opposition démocratique. Tel est notre but.
C'est pourquoi, dans le même temps, nous soutenons activement les aspirations démocratiques légitimes du peuple biélorusse, d'abord en dénonçant publiquement la répression brutale menée par le régime biélorusse, en refusant toute légitimité à Loukachenko, y compris sur le plan diplomatique.
Je vous rappelle également que, dès septembre 2020, le Président de la République a été l'un des tout premiers chefs d'Etat à rencontrer Mme Tikhanovskaïa - la personnalité emblématique du processus démocratique et de la lutte contre Loukachenko. (...)
Mais il y a d'autres personnalités emblématiques, Monsieur Lecoq. Vous avez mentionné le Dr. Mukwege, eh bien, je l'ai reçu la semaine dernière au sujet du Kivu - mais il est ici question de la Biélorussie. J'ai reçu à plusieurs reprises Mme Tikhanovskaïa, avec qui j'ai des contacts réguliers, ainsi qu'avec son entourage et les personnes qui soutiennent son combat démocratique.
Dès le début de la crise en Biélorussie, la France a renforcé son aide à la société civile biélorusse : par l'intermédiaire du Fonds européen pour la démocratie (FEDEM) et en soutenant la jeunesse biélorusse qui a pu quitter le pays pour étudier à l'étranger - en augmentant de 60% nos bourses d'études pour ces jeunes, en instaurant un partenariat avec l'université de Varsovie pour les accueillir et en ouvrant un centre d'études à Vilnius pour accueillir les étudiants en exil. Au niveau européen, la Commission a présenté, en mai dernier, un plan de soutien économique de 3 milliards d'euros en faveur d'une future Biélorussie démocratique. Ce plan ambitieux vise à accompagner le pays dès que le processus de transition démocratique sera engagé, dans le cadre de la politique de voisinage à laquelle la Biélorussie devrait dès lors pouvoir prétendre.
J'en viens à la proposition de résolution présentée par le député Frédéric Petit et par plusieurs groupes parlementaires. Compte tenu de ce que je viens de dire, le Gouvernement ne peut qu'être favorable à l'adoption de ce texte qui condamne les actes de torture et de répression systématique commis par le régime biélorusse, qui insiste sur l'importance du soutien de la France et de l'Union européenne au peuple biélorusse et aux opposants au régime de Loukachenko, qui appelle à l'organisation de nouvelles élections libres et démocratiques en Biélorussie, et qui exprime la solidarité de la France à l'égard de nos partenaires européens.
Le Gouvernement s'en remet par ailleurs à la sagesse de votre assemblée concernant la création d'un groupe d'études à vocation internationale, appelé à nouer des relations avec les représentants de la Biélorussie démocratique, car, en vertu de la séparation des pouvoirs, elle est seule décisionnaire en la matière.
Je veux, enfin, profiter de cette tribune pour rappeler un certain nombre de principes. Je le redis très nettement et fortement : nous appelons les autorités biélorusses à libérer immédiatement et inconditionnellement les journalistes et les prisonniers politiques détenus dans le pays ; aucun dialogue ne pourra avoir lieu avec M. Loukachenko tant que la répression et l'étouffement de la société civile se poursuivront ; de la même manière, aucune autorité ne sera reconnue tant que de nouvelles élections libres et transparentes ne seront pas organisées sous l'égide de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), et que les auteurs des crimes du régime ne seront pas traduits en justice pour leurs actes.
Vous pouvez compter, Mesdames et Messieurs les Députés, sur notre mobilisation pour soutenir le peuple biélorusse dans ses aspirations démocratiques.
Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 19 janvier 2022