Texte intégral
Q - L'interview actu de ce dimanche matin sur Europe 1, bonjour Franck Riester.
R - Bonjour.
Q - Ministre délégué au commerce extérieur et à l'attractivité. Merci d'avoir répondu à notre invitation. Vous avez eu une semaine difficile avec les résultats du commerce extérieur, ce sont les pires chiffres depuis 2012.
R - Alors, ce sont des mauvais chiffres, effectivement, qui sont les chiffres du commerce extérieur des biens, qui sont à un niveau de 84,7 milliards d'euros. Après, le commerce extérieur de la France ne se résume pas au commerce des biens, il y a aussi le commerce des services et là on a un excédent record de plus de 36 milliards d'euros. Nous avons des bons résultats aussi des remontées des dividendes des filiales de nos entreprises françaises à l'étranger ; ce qui fait qu'au total, pour notre commerce international, la balance courante, c'est-à-dire le résultat de tous les différents commerces est en progression, est en progression nette à + 20 milliards d'euros. Pour autant le commerce de biens, effectivement, reste un point faible de notre économie.
Q - À cause de l'industrie et puis la hausse des prix de l'énergie.
R - Exactement. Il y a. des raisons structurelles, c'est la désindustrialisation depuis 30 ans qui fait qu'on produit moins que nos voisins européens, par exemple, d'un point de vue industriel, et donc on exporte moins. Et il y a des raisons conjoncturelles : le renchérissement de la facture énergétique qui représente presque la totalité de l'aggravation de notre commerce extérieur des biens. Et il y a cette croissance très forte en France de 7% qui, paradoxalement, crée une dynamique des importations. Des importations de machines-outils pour répondre aux besoins des entreprises qui investissent, des besoins aussi...
Q - Oui. C'était du jamais vu depuis 52 ans mais c'est un peu lié aussi - pardon de vous couper - c'est un peu lié aussi à la crise sanitaire. C'est un rattrapage ces 7% de croissance.
R - Oui, c'est un rattrapage mais la France est le pays qui a rattrapé le plus vite son niveau de richesse nationale d'avant-crise, devant la plupart des pays européens, ce qui montre la bonne dynamique économique du pays. Mais donc, il y a effectivement une dynamique sur les importations, et notamment encore une fois les machines-outils pour les industries, les intrants, les matières premières pour les industries, qui ont des carnets de commandes pleins et qui ont besoin de matières premières pour fabriquer les produits qui ne sont pas encore, du coup, fabriqués et exportés. Et puis, il y a un certain nombre de secteurs exportateurs comme l'aéronautique, qui ne sont pas retournés au même niveau d'avant-crise avec que simplement 60% de leur activité d'avant-crise, alors même que les carnets de commandes d'Airbus sont pleins et offriront demain des exportations pour notre pays
Q - Que faut-il faire pour rééquilibrer la balance commerciale, si on ne veut pas atteindre 100 milliards de déficit en 2022 ?
R - Il faut continuer la politique ambitieuse qui est menée depuis maintenant quelques années d'amélioration de la compétitivité du pays. Baisser la fiscalité, assouplir les contraintes administratives, assouplir le marché du travail, réformer l'administration au service des entreprises, ce qui nous permet déjà d'avoir des résultats. Vous savez que la France est le pays le plus attractif, en termes d'investissements étrangers sur son sol, entre 2019 et 2020 ; ce qui montre que les grands groupes industriels ou les grandes entreprises mondiales font le choix de la France plutôt que d'autres pays européens pour investir, ce qui montre l'attractivité de la France. Et puis, il faut réindustrialiser ; on voit que ça paye. Regardez ce que nous avons fait sur les masques par exemple : en 2020, on a importé pour 6 milliards d'euros de masques, seulement 900 millions d'euros en 2021. Et pas parce qu'on a consommé moins de masques mais parce qu'on a produit davantage de masques en France en 2021. On a produit 4 millions de masques par semaine en 2020, 100 millions de masques hebdomadaires en 2021. Le résultat, c'est qu'on importe moins.
Q - C'est osé de reparler des masques ; ça a quand même été un moment douloureux.
R - Oui, mais c'est vrai. Cela a été un indicateur finalement de notre désindustrialisation, de notre dépendance à certain pays à commencer par la Chine. Et c'est vrai que nous sommes en train de bâtir une autonomie stratégique faite de compétitivité, de relocalisation d'une partie de nos chaînes de production, d'investissements dans les secteurs d'avenir. Regardez les annonces qu'a faites le Président de la République sur l'industrie de l'énergie, sur le nucléaire, sur les énergies renouvelables encore cette semaine. Et puis, c'est la politique commerciale européenne qui nous occupe à Marseille ce soir et demain.
Q - Alors justement, est-ce que la politique commerciale européenne ça peut vraiment être une planche de salut pour l'économie française ?
R - En tout cas, c'est un des leviers sur lequel il faut jouer ; c'est mieux défendre nos entreprises face à la concurrence déloyale d'acteurs extra-européens, par exemple, en faisant en sorte qu'il y ait une réciprocité dans l'ouverture des marchés publics. On est aujourd'hui dans une situation folle où nous, Européens, nous ouvrons nos marchés publics aux entreprises du monde entier, au moment où un certain nombre de pays, à commencer, évidemment, par la Chine, qui n'ouvre quasiment aucun marché public, mais aussi les Etats-Unis, le Japon, qui n'ouvrent que 30% de leurs marchés publics. Donc certains pays n'ouvrent pas leurs marchés publics à nos entreprises. On est en train de travailler, et je pense que sous présidence française, il y aura un accord entre le Parlement, la Commission et les Etats membres pour avoir un instrument qui nous permettra de contraindre nos partenaires commerciaux à ouvrir leurs marchés publics ou faute de quoi, on refermera nos propres marchés publics à leurs produits, parce que nous devons faire en sorte de défendre nos entreprises face à la concurrence déloyale. De la même façon, on veut lutter contre les pressions commerciales économiques que mettent certains pays à des fins politiques. Je pense par exemple à la Chine qui met des sanctions très lourdes sur la Lituanie parce que la Lituanie a osé ouvrir un guichet diplomatique de Taïwan dans son pays, toutes ces pratiques que nous ne pouvons plus tolérer. Sous influence française, la politique commerciale change radicalement pour être moins naïve, plus ferme et puis aussi plus durable pour prendre mieux en compte les enjeux de développement durable de notre commerce et de notre économie. (...).
source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 15 février 2022