Extraits d'un entretien de M. Clément Beaune, secrétaire d'Etat aux affaires européennes, avec LCI le 9 février 2022, sur les tensions avec la Russie et le classement de l'énergie nucléaire comme énergie verte par l'Union européenne.

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Média : La Chaîne Info

Texte intégral

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Q - Le jour où Emmanuel Macron parle avec Vladimir Poutine, il annonce qu'il a obtenu des choses, en tout cas une désescalade ou une promesse éventuellement de non-intervention immédiate. Et le lendemain, le porte-parole du Kremlin estime que les propos ne sont pas justes.

R - (...) Il est évident, Emmanuel Macron l'avait dit, on l'a toujours dit avec transparence, avec humilité, qu'une démarche diplomatique avec une crise de cette ampleur - on parle de quelque chose de très grave, d'une menace de guerre -, cela ne se résout pas, même en quelques heures, en plusieurs conversations, d'un coup de baguette magique.

En revanche, ce qui s'est passé, c'est qu'il y a un travail de fond, -pas de communication-, de fond. Le Président de la République a discuté trois fois plusieurs heures avec Vladimir Poutine, avant de se rendre à Moscou. Il aurait pu aller faire une photo, tout de suite, à Kiev ou à Moscou. Il ne l'a pas fait ; il a construit ce dialogue. Il a estimé à un certain moment qu'il y avait des gestes possibles ou des avancées possibles. Les relations internationales, ce n'est pas le monde des Bisounours. En allant à Moscou, il a eu une longue discussion avec Vladimir Poutine où je pense que l'on peut dire aujourd'hui, en étant prudent, raisonnable, mais honnête, qu'il y a eu des avancées : d'abord, des engagements de ne pas escalader, de ne pas aggraver encore la situation ; des choses précises : Vladimir Poutine a pris l'engagement qu'après un exercice militaire en Biélorussie, où il y aura sans doute plusieurs dizaines de milliers d'hommes supplémentaires déployés, les troupes ne seraient pas maintenues, mais seraient retirées.

Q - Donc ça, c'est dans une semaine ? On a une idée ?

R - L'exercice devait durer une dizaine de jours, à ma connaissance, entre le 10 et le 20 février. Je crois qu'il est toujours prévu, mais il n'ajoutera pas, -on verra sur les faits- une escalade supplémentaire qui aurait été, je crois, dramatique. Le dialogue s'est réengagé et se poursuit. Demain, il y aura à Berlin une réunion entre les conseillers diplomatiques du Président de la République, du Chancelier allemand, du Président ukrainien, du Président russe, que l'on appelle le format Normandie, pour la deuxième fois en quinze jours, pour discuter du Donbass, des sujets de tension qui existaient déjà. C'est un signal positif.

Je suis prudent. Le Président de la République n'a pas vendu qu'il suffisait de prendre son avion, d'aller à Moscou, et de revenir avec une crise résolue, alors qu'elle touche aussi à des problèmes qui sont des questions de sécurité collective, qui sont dans l'imaginaire russe, et dans nos tensions avec la Russie depuis parfois trente ans. Même si là, il y a un moment chaud et de tension, particulier.

Donc, les relations internationales, ça marche comme ça. Mais il faut de la cohérence et il faut de la constance. Emmanuel Macron a dit depuis 2019 : il faut un dialogue avec la Russie, soutenir l'Ukraine, parler à la Russie. Nous voyons bien que cela a servi dans cette crise. C'est le seul dirigeant européen qui a aujourd'hui un dialogue sérieux avec Vladimir Poutine.

Q - Vous diriez qu'autour de lui, les Européens sont unis ? Parce que nous voyons bien que les Allemands, malgré tout, n'avaient pas très envie de soutenir l'Ukraine, que les Polonais, en revanche, sont très attachés à ce que nous ayons un discours très ferme et très dur avec les Russes. Donc, c'était un dialogue, mais est-ce que c'était un dialogue qui représentait une unité européenne ?

R - D'abord, comme jamais - on nous a parfois fait ce reproche, nous avons amélioré notre méthode - jamais le Président n'a autant concerté avant une discussion difficile avec la Russie. Il a appelé les chefs d'Etat, des Etats baltes. Il a discuté avec le Président polonais, avant même leur rencontre supplémentaire hier. Il a travaillé à chaque avec le Chancelier allemand, les institutions européennes. Bref, c'était une démarche concertée, européenne et occidentale. Juste après Moscou et après Kiev, il est allé de nouveau voir le Chancelier allemand et le Président polonais.

Il y a des sensibilités différentes. Un Polonais ou un Estonien n'a pas le même rapport, j'allais dire presque intime, sensible, par l'histoire et la géographie, à la Russie, qu'un Français ou un Espagnol. C'est l'Europe, c'est comme cela. Nous sommes une démocratie de démocraties, avec nos différences. Mais nous avons construit dans cette affaire - et cela n'était pas évident - pour l'instant, et nous tiendrons bon, la fermeté occidentale et l'unité européenne.

Q - Qu'est-ce qui se passerait si, au contraire, Vladimir Poutine nous avait un peu roulés dans la farine et qu'il y aurait une offensive alors que la campagne électorale présidentielle se déroule ? Ce serait assez difficile ?

R - Nous avons été clairs. Je ne vous dis pas que les risques sont écartés. Ce que je vous dis, c'est que nous avons réengagé un dialogue qui nous permet, -qui peut nous permettre- d'éviter la guerre. Cela ne n'était pas acquis du tout, il y a une semaine, ou il y a même trois jours. Maintenant, il faut se préparer à tous les scénarios et garder notre fermeté. C'est d'ailleurs cette fermeté qui a permis d'engager le dialogue ensuite.

Notre fermeté, elle est très simple. Nous avons dit, tous les Européens, tous les Occidentaux, depuis le mois de décembre, que s'il y avait une nouvelle agression territoriale contre l'Ukraine, nous réagirions par des mesures, des sanctions massives qui peuvent être d'ordre économique, d'ordre énergétique, dans d'autres domaines. Nous les préparons. Nous ne les détaillons pas, car ce serait une faute, mais nous les préparons, Américains, Européens.

Q - Alors, justement, en Europe, pour finir sur le nucléaire. Demain, Emmanuel Macron va à Belfort et il va développer un peu la politique énergétique qu'il souhaitera, j'imagine, nous présenter dans sa candidature. Mais en tout cas, il va s'exprimer là-dessus, et cela arrive au moment où l'énergie nucléaire a été classée énergie verte par la Commission européenne, ce qui est très important, parce que cela veut dire des investissements possibles dans cette énergie. Mais nous voyons que l'Autriche va porter plainte contre le label vert de l'Union européenne sur le nucléaire. L'Autriche, d'un bout à l'autre de l'échiquier politique, est totalement contre cette décision. Est-ce que ça va bloquer les choses ?

R - Non, non, il y a deux ou trois pays en Europe, c'est vrai... C'est leur liberté.

Q - Les Verts allemands sont contre...

R - Les Verts allemands, mais le gouvernement allemand n'a pas annoncé un tel recours juridique, mais le Luxembourg, par exemple, qui est notre voisin, a annoncé aussi qu'il était très hostile en tout cas à cette taxonomie, comme on l'appelle. Mais je veux être très clair : nous avons obtenu que l'énergie nucléaire soit intégrée dans la liste des énergies qui contribuent à la transition écologique. Cela paraît technique et cela paraît lointain. Cela permet de mobiliser des investissements. Sinon, on ne peut plus avoir d'investissements, publics ou privés surtout, dans l'énergie nucléaire, de nouvelles centrales, ou la rénovation des centrales existantes.

Donc, c'était essentiel. Nous n'imposons à aucun pays européen de faire le choix du nucléaire, mais nous voyons bien ce qu'une majorité très nette...

Q - Donc, ce n'est pas un obstacle. Cette plainte de l'Autriche n'empêchera pas... ?

R - Non, parce qu'il faudrait, pour être très précis, il faudrait une majorité de plus de vingt Etats pour s'opposer à l'inclusion de l'énergie nucléaire. Aujourd'hui, il y a trois ou quatre pays qui sont réticents. C'est leur droit. Ils peuvent faire des recours juridiques d'ailleurs, c'est la vie européenne, mais cela ne bloque pas la décision qui pourra, j'en suis sûr, s'appliquer à partir du mois de juin.

Q - Dernière question, en un mot, il y a un sommet Union africaine-Union européenne, la semaine prochaine, 17 et 18 février. Est-ce que c'est là qu'on va annoncer notre départ du Mali ?

R - Alors, les choses ne se présentent pas comme cela, mais le Président a été très clair, et on s'est donné quinze jours, cela tombe la semaine prochaine. Effectivement, à cet horizon du sommet Union africaine-Union européenne, nous aurons les décisions, européennes d'ailleurs, puisque nous sommes plus de dix pays européens concernés au Mali, pour tirer les conséquences de l'isolement et de la crise politique au Mali et d'une junte qui ne veut plus coopérer, ni avec la région, ni avec les Européens, manifestement. Ces décisions, elles seront annoncées par le Président, mais je vous dis une chose très claire : nous continuerons, sous une forme ou sous une autre, avec nos alliés européens et africains, la lutte sur place - nous verrons où, nous verrons comment - contre le terrorisme, car cet enjeu est un enjeu de sécurité pour la France et pour l'Europe. Nous ne l'abandonnerons pas. (...).


source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 16 février 2022