Déclaration de M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l'Europe et des affaires étrangères, sur les relations franco-allemandes et la crise ukrainienne, à Berlin le 23 février 2022.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Conférence de presse conjointe avec Mme Annalena Baerbock, ministre fédérale des affaires étrangère à l'issue du Conseil des ministres de la République fédérale d'Allemagne

Texte intégral

Merci Annalena.

Nous nous voyons effectivement tous les jours, et c'est un plaisir renouvelé. Je suis ravi d'être ici, auprès de toi, à Berlin, et très honoré d'être le premier membre du Gouvernement français à participer à un Conseil des ministres du nouveau Gouvernement allemand. Tu l'as rappelé, ce principe est inscrit dans le traité d'Aix-la-Chapelle et j'ai eu l'honneur d'être aussi le premier ministre français à appliquer ce principe du traité d'Aix-la-Chapelle, puisque j'ai assisté à un Conseil des ministres de l'Allemagne, au mois de mars 2019.

Mais là, cette participation est particulièrement significative, dans un contexte de gravité sur lequel je vais revenir, mais aussi dans un contexte où l'Allemagne préside le G7. Tu as manifesté, hier, cette présidence, en réunissant, par visioconférence à Paris, les ministres des affaires étrangères du G7, et la France préside l'Union européenne. Et nous devons agir de concert dans ces deux présidences, c'est ce que nous faisons. Et je dois dire, Mesdames et Messieurs, que nous ne nous connaissions pas, avant, et au fur et à mesure de ces rencontres - je tiens à te le dire publiquement - nous avons établi non seulement une relation de confiance très forte, mais aussi une relation d'amitié, je crois ; et je crois que c'était à Berlin qu'il fallait se le dire.

Je dois dire aussi que tout cela s'inscrit dans une détermination personnelle que j'ai depuis très longtemps du renforcement de l'axe franco-allemand, et c'est d'autant plus important, maintenant que nous allons vers le 60ème anniversaire du traité de l'Elysée, qui aura lieu l'année prochaine, mais déjà cette année, le 60ème anniversaire de la rencontre de Gaulle-Adenauer le 8 juillet 2022. Et puis, le 60ème anniversaire du discours du Général de Gaulle à la jeunesse allemande à Ludwigsburg, en septembre 1962.Tout ça, c'est notre histoire, mais c'est aussi notre force.

Nous avons pu, au cours de ce Conseil des ministres, aborder et la question de l'Ukraine et de la Russie, et la question du Mali, et puis le déroulé de la présidence française de l'Union européenne, en particulier après le premier Forum indopacifique que nous avons organisé à Paris, hier, et auquel Annalena participait. Et nous avons pu aussi constater, sur ces trois sujets, les grandes convergences de vues que nous avions, ce qui n'était pas une surprise, mais il convient de se le redire régulièrement pour continuer à avancer ensemble dans cette convergence.

Je voudrais revenir simplement sur un point dans mon propos introductif, concernant la situation en Ukraine et en Russie, pour souligner aussi notre convergence et souligner les quatre principes sur lesquels, je crois, nous sommes en phase.

Il y a d'abord un principe de fermeté. Le Président Poutine a rompu avec le droit international. Le Président Poutine, dans son discours, a d'une certaine manière déclaré la négation de l'Ukraine comme pays souverain. Nous sommes en phase de révisionnisme, pour retrouver des espaces anciens en réinventant l'histoire, et puis, manifestement, la Russie, enfin le Président Poutine n'honore pas la signature de la Russie, ne répond pas à la signature de la Russie, que ce soit signature de la Russie sur la charte de Paris confortant un acte de stabilité et donnant les garanties de sécurité en Europe ; ne répond pas à la signature de la Russie en renonçant aux accords de Minsk, et d'une manière générale il ne répond pas aux engagements qu'il prend, ni en public ni en privé, que ce soit à l'égard du Président Macron ou à l'égard du Chancelier Scholz. Fermeté. Nous en avons fait preuve. Nous en avons fait preuve dans l'unité, c'est le deuxième principe.

Et c'est dans la fermeté et dans l'unité des 27, qui s'est manifestée hier, à Paris, par un accord unanime sur le paquet de sanctions que vient d'évoquer Annalena. Unité aussi, au-delà, puisque nos alliés sont aussi dans la convergence des options que nous avons pu prendre hier.

Fermeté, unité, mais aussi solidarité avec l'Ukraine ; que ce soit la solidarité politique affichée, la solidarité financière, la solidarité de toutes les manières que nous pouvons mobiliser pour se faire ; et puis en gardant, quatrième principe, l'esprit du dialogue parce que nous sommes très attachés à ce que la diplomatie l'emporte sur la guerre. Mais encore faut-il, pour dialoguer, être deux. Et on ne peut pas se substituer à l'autre partie.

Nous sommes sur ces quatre principes et nous les déclinons dans les différents lieux et les différentes instances où nous sommes amenés à intervenir. Je crois que la fermeté des positions que nous avons prises, la rapidité des sanctions que nous avons initiées, - parce qu'elles vont s'appliquer dès maintenant, dès aujourd'hui, en moins de 24 heures, entre la déclaration du Président Poutine et la décision européenne unanime, il y a eu 20 heures, sur un premier paquet de sanctions. C'est un premier paquet de sanctions - tout cela fait que dans la situation grave dans laquelle nous sommes, nous confortons nos convergences et la force de notre partenariat. Voilà ce que je voulais dire en introduction.

(...)

Q - Une question concernant l'Ukraine. Partagez-vous le point de vue de votre collègue britannique qui estime hautement probable que M. Poutine veuille envahir totalement l'Ukraine et même prendre Kiev ?

R - Je ne suis pas dans la tête de M. Poutine. Ce qui est certain, c'est qu'il y a une forme d'accumulation, de gestion de la tension, de la confusion, de l'ambiguïté et de la manipulation. Et le Président Poutine est un grand artiste de la déclinaison parallèle de ces quatre thèmes. Mais bien évidemment, quand on a 140.000 militaires aux frontières de l'Ukraine, mobilisés, il y avait eu des déclarations de retrait post-manoeuvres et nous ne le constatons pas, tout est possible, y compris le pire.

Ce qui est sans doute le plus préoccupant dans l'immédiateté, c'est le fait que les discours portent sur la totalité de l'oblast du Donbass. Or, les républiques auto-proclamées ne concernent aujourd'hui qu'une partie. Donc, il y a une menace et un risque de ce côté-là, je dis simplement : tout est possible, même le pire ; d'où la nécessité de renforcer notre détermination pour le premier paquet de sanctions et les paquets de sanctions à venir.

(...)

Q - Vous avez parlé des sanctions, vous avez dit qu'hier, Vladimir Poutine a annoncé de nouvelles mesures. Est-ce que vous croyez que ces sanctions peuvent changer les choses si rapidement ? Et vous, Monsieur le Ministre, vous avez annulé votre rencontre avec M. Lavrov vendredi, quelles sont les perspectives pour le format de Normandie, puisque, hier, le Président Poutine a dit clairement que les accords de Minsk étaient caducs ?

(...)

R - Je crois que les sanctions, ce sont des sanctions sérieuses. Le premier paquet de sanctions est un paquet de sanctions sérieuses, qui va faire mal pour ceux qui vont les subir. Donc, nous avons constaté leur réaction à la mise en oeuvre de ces sanctions, c'est pour ça qu'il fallait qu'elle soit forte et rapide ; donc, c'est immédiat, y compris pour la désignation d'un certain nombre de personnes qui sont les responsables des décisions qui ont été prises. Je pense en particulier aux députés de la Douma ; ça va commencer à être difficile pour eux. Les sanctions, elles doivent s'appliquer, elles seront fermes et douloureuses dans le premier paquet, et ensuite il y aura d'autre paquets.

Sur le format Normandie, ce format existe toujours ; nous n'y renonçons pas. Il y a là un espace de discussion qui existait et qui doit continuer à être ouvert pour que nous puissions à avancer sur le règlement pacifique de la crise ukrainienne. C'est le Président Poutine qui remet en cause les fondamentaux. Il y avait, avant, des principes et une méthode : les principes, c'était les accords de Minsk, la méthode, c'était le format Normandie. La méthode reste. Il faut revenir aux principes.

Q - Bonjour. Concernant la crise russe, on a vu ces dernières semaines un président russe capable de dire du jour au lendemain "la Russie ne veut pas la guerre", et pratiquement une semaine après, des troupes russes dans le Donbass. Face à finalement cette personnalité, qui, vous l'avez dit, Monsieur le Ministre, peut manier l'ambiguïté, voire la manipulation, mais en même temps déclare qu'elle ne veut pas la guerre, ma question principale, c'est est-ce que vous voyez, vous Madame Baerbock, vous, Monsieur le Ministre Le Drian, encore, dans Vladimir Poutine un partenaire de discussion crédible, fiable, à amener à la table des négociations ? Vu que pour le moment, cela a l'air quand même d'être un coup à droite, un coup à gauche. Je vous remercie.

R - On le connaît. Je pense que finalement, à ce moment de l'Histoire, le Président Macron est sans doute celui qui sait le plus ce dont peut être capable le Président Poutine. D'une certaine manière, il avait bien commencé, le Président Macron : les élections présidentielles de 2017, on sait comment elles ont pu faire l'objet de manipulations venues de Russie. Et c'est le Président Macron qui lui-même a dit au Président Poutine à Versailles en 2017: "crois bien, je ne suis pas dupe de ce que tu as fait". Donc, je pense que le Président de la République a une certaine habitude de la pratique du Président Poutine.

Mais il est certain qu'il fallait, qu'il faut toujours, essayer jusqu'au bout d'éviter une solution de confrontation, et de permettre l'accès à la diplomatie. C'est ce à quoi se sont employés et le Président de la République et le Chancelier, dans les jours qui précèdent, qui viennent de s'écouler, sans aboutir. Mais cette main tendue reste toujours là, parce que rien n'est pire que l'affrontement guerrier.

Alors, après, quand et comment faut-il croire sur parole le Président Poutine, je ne sais pas si quelqu'un le sait ; mais cela n'empêche pas pour nous la pression, l'exigence, la fermeté, et le combat pour éviter qu'une solution guerrière ne s'impose. C'est les mêmes principes : unité, fermeté, solidarité, dialogue.

(...)

Q - Merci Madame la Ministre, Monsieur le Ministre. Une question pour vous deux. La mission de l'OSCE dans le Donbass. Quelle est la situation ? Quelle sera l'avenir de la mission ? Va-t-elle être prolongée ? Va-t-elle, même, être renforcée ? Qu'en est-il de cette mission de l'OSCE ?

(...)

R - Je suis totalement d'accord avec les propos d'Annalena. Il faut que nous ayons un outil d'observation indépendant, le préserver, et valider, par son existence, la justesse de ces observations. Donc, c'est un point central et j'ai tout à fait le même avis qu'Annalena sur ce sujet.


Source https://www.diplomatie.gouv.fr,le 25 février 2022