Interview de M. Gérald Darmanin, ministre de l'intérieur, à France 2 le 28 février 2022, sur les conséquences du conflit en Ukraine.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : France 2

Texte intégral

CAROLINE ROUX
Bonjour Gérald DARMANIN.

GERALD DARMANIN
Bonjour.

CAROLINE ROUX
Vous assisterez ce matin au Conseil de défense ?

GERALD DARMANIN
Oui.

CAROLINE ROUX
Vladimir POUTINE a mis en alerte la force de dissuasion nucléaire russe, l'OTAN dénonce une rhétorique dangereuse. Faut-il prendre ces menaces au sérieux ?

GERALD DARMANIN
Il ne m'appartient pas de commenter ce genre de déclaration, le Conseil de défense d'ailleurs autour du président de la République dira quelle est la position officielle de la France. Mais ce qui est certain, c'est ce qui se passe aujourd'hui en Ukraine, évidemment est une tragédie et que nous devons tout faire, les Européens, la France, qui préside l'Union européenne, pour au mieux, d'abord, aider la paix, c'est ce que fait le président de la République, chaque heure, j'en suis témoin, mais aussi accompagner les populations, c'est ce qu'il m'a demandé de faire en tant que ministre de l'Intérieur.

CAROLINE ROUX
Alors, il ne vous appartient peut-être pas de commenter cette phrase de Vladimir POUTINE, néanmoins, vous êtes le ministre de l'Intérieur, il y a des gens qui vous regardent ce matin et qui disent : quand on entend parler de menace nucléaire à l'heure du petit déjeuner, on a besoin d'être rassurés.

GERALD DARMANIN
Mais ce qu'il faut surtout, c'est imaginer qu'il y a aujourd'hui une guerre de la communication autour du conflit ukrainien, on voit bien que tout ne se déroule pas manifestement comme prévu pour les Russes, que le peuple ukrainien, que le gouvernement ukrainien est extrêmement courageux, et que l'Union européenne prend des sanctions extrêmement fortes, je crois, ça a été commenté en 50 ans d'Union européenne quasiment, jamais nous n'avons constaté une telle sanction vis-à-vis d'un autre pays, comme la Russie, sanctions économiques, sanctions diplomatiques, qui ont touché au coeur de la Russie. Et je veux aussi dire que notre travail, c'est d'accompagner la population ukrainienne, c'est ce qu'on a fait hier à Bruxelles…

CAROLINE ROUX
On va en parler dans un instant. On va en parler dans un instant. Vous disiez à l'instant, et vous avez raison, c'est vrai que c'est des sanctions jamais vues de la part de l'Europe, qui va même acheter des armes pour aller aider l'armée ukrainienne, avec des sanctions économiques à l'endroit de la Russie. Le rapport de force, la surenchère, pourraient même dire certains, c'est la seule option désormais qui est posée aux Européens vis-à-vis de Vladimir POUTINE, vis-à-vis de la Russie ?

GERALD DARMANIN
Mais je crois que la position de l'Union européenne, et singulièrement de la France qui préside l'Union européenne aujourd'hui, est extrêmement équilibrée dans la tragédie que nous connaissons, c'est-à-dire ne pas engager l'Europe, ne pas engager la France, ne pas engager les armées qui ont l'arme nucléaire de rentrer dans un conflit avec la Russie, je crois que d'ailleurs ce conflit n'est souhaité par personne, mais de ne pas laisser tomber évidemment l'Ukraine, ne pas laisser tomber l'Ukraine, en prenant des sanctions économiques extrêmement fortes, ce que nous faisons, c'est que nous sortons la Russie du système économique et financier mondial ; il y aura des conséquences extrêmement fortes pour la Russie, qui a déjà un PIB qui est celui de l'Italie, alors qu'elle a deux fois plus de populations grosso modo que l'Italie. Parce que nous prenons des dispositions diplomatiques pour empêcher la facilitation de la venue des diplomates, des hommes politiques, nous avons mis dans les fichiers de police par exemple de l'Union européenne, que tous ceux qui avaient voté la guerre en Ukraine ne peuvent plus accéder au territoire européen, ne peuvent plus accéder à leurs biens. Aujourd'hui, avec Bruno LE MAIRE et Olivier DUSSOPT, le ministère de l'Intérieur fait la liste des biens pour pouvoir éventuellement prendre des sanctions….

CAROLINE ROUX
Et ceux qui sont sur le territoire français d'ores et déjà seront expulsés ?

GERALD DARMANIN
Alors, l'intérêt de notre politique à la demande du président de la République, c'est de pouvoir s'en prendre aux dirigeants russes, à ceux qui sont responsables, économiques, diplomatiques, politiques, et pas à la population russe, voilà, les étudiants russes évidemment n'ont pas à payer ce que fait leur président en Ukraine. En revanche…

CAROLINE ROUX
Mais les oligarques russes qui sont sur le territoire français pour passer leurs vacances ?

GERALD DARMANIN
En revanche, ce qui est certain, c'est que nous regarderons, nous sommes en train de regarder la liste exacte des personnes qui ne doivent plus rester sur le territoire national et qui ne doivent plus avoir… qui ne doivent plus jouir de leurs biens sur le territoire national en France métropolitaine comme en Outre-mer.

CAROLINE ROUX
C'est parfaitement clair, donc ça veut dire ceux qui sont sur le territoire français qui n'ont pas vocation à y rester seront expulsés ?

GERALD DARMANIN
Mais aujourd'hui, le Conseil des chefs d'Etat a déjà pris une décision le 24 février qui consiste à suspendre l'accord de facilitation entre la France et la Russie, entre l'Union européenne et la Russie, donc on a déjà mis fin à un certain nombre d'accès au territoire national.

CAROLINE ROUX
Alors, une urgence chasse l'autre dans cette période, près de 400.000 personnes ont déjà fui l'Ukraine, on parle de 7 millions d'Ukrainiens d'ores et déjà déplacés, comment l'Europe peut aider ces réfugiés, comment se prépare-t-elle à accueillir ces réfugiés ?

GERALD DARMANIN
Alors, les Nations unies évoquent jusqu'à 12 millions de personnes déplacées à l'intérieur de l'Ukraine, et puis, en Union européenne, notamment Pologne, République tchèque, Slovaquie, Hongrie, mais aussi en Moldavie, que nous devons absolument aider, aujourd'hui, nous avons déjà à peu près 400.000 personnes qui ont fui l'Ukraine et qui sont en Pologne et dans les pays limitrophes. Alors nous avons déjà envoyé, nous, la France, 33 tonnes de matériels, d'abord pour la Pologne, et 33 tonnes de matériels en Moldavie. Nous envoyons…

CAROLINE ROUX
C'est quoi ce matériel ?

GERALD DARMANIN
Eh bien, ce sont des tentes, ce sont des médicaments, c'est de la nourriture, c'est évidemment ce qui aide tous les jours les personnes à être accueillies dans les meilleures conditions, conformément aux images que vous avez vues, d'ailleurs, on salue le gouvernement polonais et tous les gouvernements qui aident à l'accueil de ces réfugiés.

CAROLINE ROUX
Des moyens qui sont déjà arrivés ?

GERALD DARMANIN
Exactement, que nous avons déjà envoyés, et puis, là, aujourd'hui, 2 avions vont partir évidemment de la sécurité civile française, à la demande du président de la République, remplis de médicaments et qui vont atterrir en Pologne dans les prochaines heures pour aider notamment par des médicaments les enfants, les femmes, les personnes les plus touchées par les maladies, et qui doivent fuir leur pays. Mais indépendamment de ça, nous avons réagi en européens. Et dimanche, nous avons convoqué, à la demande du président, ce Conseil des ministres de l'intérieur de l'Union européenne qui notamment, 1°) : déclenche le mécanisme d'urgence de l'Union européenne, ça va beaucoup faciliter l'arrivée des convois humanitaires, aidée par la délibération – nous espérons – adoptée du Conseil de sécurité de l'ONU qui prévoit les corridors humanitaires, ce qui n'est pas tout à fait le cas aujourd'hui à la frontière polonaise, et puis, deuxièmement, nous avons donné… nous allons donner jeudi prochain, espérons-le, nous allons le voter, la protection temporaire à tous les Ukrainiens qui arriveront en Europe, c'est-à-dire l'asile à tous les Ukrainiens qui arrivent en Europe…

CAROLINE ROUX
Ça veut dire une procédure d'asile simplifiée et rapide pour les réfugiés ukrainiens…

GERALD DARMANIN
Exactement…

CAROLINE ROUX
Dans toute l'Europe, y compris en France ?

GERALD DARMANIN
Exactement.

CAROLINE ROUX
Ils seront les bienvenus en France.

GERALD DARMANIN
Bien sûr, ils sont bienvenus en France, même si on se doute que dans un premier temps, ils vont beaucoup aller dans les pays limitrophes, et dans les pays où il y a une grosse communauté ukrainienne, ce n'est pas tout à fait le cas en France, évidemment, mais nous devons aider les Ukrainiens…

CAROLINE ROUX
Et ce que vous nous dites ce matin, c'est qu'il y aura solidarité européenne pour aider ces pays qui sont à la frontière de l'Ukraine.

GERALD DARMANIN
Une solidarité économique, de matériels, humaine, on a déployé des personnes également, Frontex, et puis, une solidarité d'asile.

CAROLINE ROUX
Il y a un millier de Français qui sont bloqués en Ukraine, alors vous allez me dire que c'est du registre du Quai d'Orsay d'accompagner ces Français qui sont encore là-bas, mais le GIGN est à l'ambassade de France, à Kiev, ont-ils aussi pour mission d'aller chercher, exfiltrer des ressortissants français qui seraient en difficulté ?

GERALD DARMANIN
La mission du GIGN, moi, je voudrais saluer les hommes du GIGN qui sont aujourd'hui à l'ambassade, évidemment, c'est de protéger l'ambassadeur et les diplomates ainsi que les personnes qui se retrouvent dans l'ambassade, dans une situation où Kiev, vous l'avez vu, est encerclée, voilà. Donc le Conseil de défense prendra un certain nombre de décisions. Ce qui est sûr, c'est que nous sommes tous les jours avec le Quai d'Orsay en lien avec les Français qui sont en Ukraine, quelques-uns ont pu partir d'Ukraine pour aller vers la Pologne, je rappelle qu'il y a des embouteillages monstres, comme vous le savez, qu'il y a des bombardements, et qu'il y a parfois des dizaines d'heures, il y a eu jusqu'à 60 heures d'attente entre la frontière polonaise et la frontière ukrainienne, et que notre travail à nous, c'est de faire ces corridors humanitaires, c'est pour ça que la France porte cette délibération au Conseil de sécurité de l'ONU, mais aussi, mais aussi d'aider les gens à venir directement en Pologne, c'est ce que nous faisons.

CAROLINE ROUX
Ce n'est pas la première mission du GIGN, donc c'est davantage de sécuriser l'ambassadeur et ses équipes.

GERALD DARMANIN
Exactement, eh bien, c'est d'abord de protéger les intérêts français et l'équipe de diplomates qui y est, bien sûr…

CAROLINE ROUX
Alors vous avez fait passer, Maud DESCAMPS le disait tout à l'heure, une note aux préfets pour les inviter à ne pas trop s'éloigner, c'était le week-end dernier, en cas de cyberattaque, est-ce que vous avez déjà décelé des interférences russes ?

GERALD DARMANIN
Alors, il y a des attaques évidemment, mais nous les repoussons, il y a des attaques indépendamment du conflit avec l'Ukraine, bien sûr, mais nous les repoussons…

CAROLINE ROUX
Qui se sont renforcées ces derniers jours ?

GERALD DARMANIN
Elles se sont renforcées, mais on ne peut pas tout à fait dire qu'elles sont à la hauteur de ce qu'on attendait, donc pour l'instant, on peut dire que c'est une faible intensité, mais nous nous préparons, nous avons constaté que des pays amis étrangers, par exemple, la Grande-Bretagne a connu des attaques plus ciblées, donc nous avons demandé effectivement à l'ensemble du ministère de l'Intérieur de se protéger, je rappelle qu'on organise des élections dans deux mois…

CAROLINE ROUX
On va en parler…

GERALD DARMANIN
Voilà, et que nous devons faire attention absolument à ce que nos systèmes informatiques, qui organisent ces élections, ne soient pas corrompus.

CAROLINE ROUX
C'est ça la priorité, parce que, en cas de cyberattaque, quels sont les moyens défensifs, mais aussi offensifs dont dispose la France ?

GERALD DARMANIN
On a beaucoup de moyens mis en place, alors, soit sur les ingérences étrangères, sur le Net, il y a quelque chose qui a été créé qui s'appelle Viginum, auprès du secrétariat général à la Défense nationale, et puis, au ministère de l'Intérieur, des moyens extrêmement importants qui sont mis pour protéger ce qu'on appelle la vie démocratique de la Nation, alors tant auprès du Premier ministre qu'auprès du ministère de l'Intérieur. Donc nous avons les moyens de repousser ces cyberattaques. Maintenant, ces attaques…

CAROLINE ROUX
Ce que je comprends, ce qui vous inquiète davantage dans la période où nous sommes, c'est des ingérences sur les élections, pas forcément des attaques cyber ciblées sur des sites stratégiques, des entreprises stratégiques ?

GERALD DARMANIN
Les deux, mon Général, il y a à la fois ce que nous devons faire pour empêcher les attaques offensives, les cyberattaques, pour empêcher de faire fonctionner ici un hôpital, là, une préfecture, ici, la liste électorale de telle commune, qui va faire naître demain les procurations qui nous permettront par exemple de travailler, ou le système qui permettra de communiquer des résultats par exemple à la presse, le soir, évidemment de ces résultats, donc qui pourrait les inter-changer. Donc là, nous mettons beaucoup de moyens et nous protégeons au maximum nos moyens informatiques…

CAROLINE ROUX
Moyens qui ont été renforcés depuis l'invention…

GERALD DARMANIN
Exactement, et hier, on a demandé à la Commission européenne de nous donner davantage de moyens, puisqu'elle a les possibilités de le faire, et ce qu'elle va déclencher à partir d'aujourd'hui, c'est valable pour la France, mais il y a aussi des élections en Hongrie, il y a aussi des élections à Malte, nous ne sont pas les seuls à voter dans les semaines qui viennent, et puis, il y a aussi, vous avez raison, des ingérences étrangères sur les réseaux sociaux, dans la vie démocratique, et c'est pour que la décision prise par la commission de mettre fin à diffusion de RT et Sputnik est une excellente décision.

CAROLINE ROUX
Elle sera appliquée quand en France ?

GERALD DARMANIN
Le plus rapidement possible, dès que la Commission européenne nous donnera les moyens juridiques de le faire.

CAROLINE ROUX
Vous le rappeliez, vous êtes aussi le ministre en charge des élections, le déclenchement de ce conflit gêne-t-il le bon déroulement de cette campagne présidentielle ?

GERALD DARMANIN
Alors, si c'est un bon déroulement physique, au sens matériel du terme, non, tout est organisé, je crois…

CAROLINE ROUX
L'organisation d'une campagne démocratique avec un vrai débat ?

GERALD DARMANIN
En tout cas, du point de vue de l'organisation matérielle de la campagne, rien n'est gêné par cela, et à commencer parce que le ministère de l'Intérieur fait son travail de protection. En revanche, il y a le débat politique démocratique, évidemment, et je crois qu'on a jusqu'à la fin de semaine pour connaître les candidats, ensuite, viendra normalement le temps d'une campagne qui, bien sûr, est bousculée par cet événement incroyable au sens littéral du terme, puisque nous devons, et je crois que les Français sont derrière un président de la République…

CAROLINE ROUX
Qui devrait être candidat d'ici à la fin de la semaine ?

GERALD DARMANIN
Eh bien, ce sera à lui de choisir, en tout cas, aujourd'hui, il est au charbon, comme on dit dans le Nord. Il est à son travail, et tout le week-end, nous avons travaillé avec lui, et je peux vous dire qu'il ne laisse pas une minute de temps au repos.

CAROLINE ROUX
Gérald DARMANIN, pourra-t-il faire campagne ?

GERALD DARMANIN
On verra bien ce qui se passera en fin de semaine. Le président de la République choisira son timing, comme on dit en mauvais français. Ce qui est sûr, c'est que le travail du président de la République, c'est d'être président, et il le fait très bien.

CAROLINE ROUX
Merci beaucoup Gérald DARMANIN d'avoir été mon invité ce matin.

GERALD DARMANIN
Merci à vous.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 1er mars 2022