Texte intégral
Q - Bonsoir Franck Riester.
R - Bonsoir.
Q - Merci beaucoup d'être avec nous ce soir sur BFM Business. Votre parole évidemment est très attendue. C'est la première fois que vous vous exprimez depuis que la Russie a envahi l'Ukraine. Les milieux d'affaires français, bien sûr, attendent vos propositions et vos informations concernant cette crise. Demain matin, vous organisez au Quai d'Orsay une réunion de crise, justement, la première, depuis que l'invasion a démarré, pour les entreprises présentes sur place. Qu'est-ce que vous dites à ces entreprises depuis que la guerre a démarré et puis surtout qu'est-ce que vous allez leur dire demain matin ?
R - Demain matin, c'est un moment d'échange, effectivement, en coordination avec les équipes de Bruno Le Maire, pour faire en sorte d'abord de dire quels sont les dispositifs, ou redire quels sont les dispositifs qui sont mis en place par la France pour assurer la sécurité de nos ressortissants et qui travaillent dans les entreprises françaises ou qui sont français travaillant en Ukraine en lien avec l'ambassade qui fait un travail remarquable et de bien repréciser quels sont...
Q - Mais donc dispositifs d'évacuation, concrètement... ?
R - Dispositifs d'évacuation ou de sécurisation, mais d'évacuation. Jean-Yves Le Drian a rappelé tout à l'heure qu'il y a des possibilités pour sortir de l'Ukraine aujourd'hui, soit par le train, soit par l'autoroute, et c'est l'ambassade et l'ambassadeur et ses équipes qui assurent cette coordination des rapatriements, en lien avec les entreprises. Mais on le redira demain et on réexpliquera quel est le fonctionnement de la cellule de crise, qui est gérée directement par le Quai d'Orsay, et de dire également aussi quels sont les dispositifs que nous mettons en place de sanctions avec les conséquences que ça pourra avoir pour les différentes filières économiques.
Q - Tout à fait.
R - Et c'est un moyen d'échanger avec les filières pour ce qui concerne les exportations, mais aussi pour ce qui concerne l'approvisionnement...
Q - Tout à fait...
R - En énergie ou aussi en matières premières, qui sont des matières premières nécessaires soit pour l'agriculture, soit pour l'industrie.
Q - Tout à fait. Alors, justement, les sanctions économiques très dures qui ont été décidées contre la Russie, quelle va être l'impact pour les entreprises françaises présentes en Russie ?
R - Les sanctions vont d'abord évidemment toucher les avoirs russes...
Q - Bien sûr ! ...
R - Qui sont à la fois les avoirs des personnalités qui sont en France, personnalités économiques et politiques. Et vous avez vu que Bruno Le Maire a dit qu'il y avait un recensement exhaustif de tous leurs avoirs pour qu'ils puissent être saisis par la France. Deuxièmement, il va y avoir, il y a d'ores et déjà eu un gel de tous les avoirs de la banque centrale russe, cette nuit...
Q - Tout à fait. Non, mais vous dites "Demain matin, on va expliquer aux entreprises françaises..."
R - Oui, attendez, je finis parce que c'est important.
Q - Non, non, bien sûr, on a vu...
R - C'est important parce que, oui, mais demain, le G7 va être réuni pour concrètement aussi expliquer en quoi et mettre en oeuvre la décision de sortir les banques russes du dispositif SWIFT. Et c'est donc...
Q - Oui, certaines, pas toutes...
R - Non, pas toutes, effectivement...
Q - Pardon, je fais une parenthèse, mais c'est plus qu'une parenthèse, vu que toutes les banques russes ne sont pas concernées, est-ce que la France va pouvoir continuer à acheter du gaz russe via SWIFT ?
R - Eh bien, non, c'est ce qui va être justement...
Q - Ça, vous l'affirmez ? Parce que j'avais cru comprendre que les banques russes liées à l'énergie ne sont pas débranchées de SWIFT.
R - Ecoutez, il y a un G7 spécial demain pour traiter de ces questions-là. Donc, je ne vais pas à avoir une réponse affirmative ou négative définitive, puisque justement, il y a un G7 Finances demain et il y a une coordination via la présidence française de l'Union européenne pour bien coordonner avec nos partenaires. Donc, c'est quelque chose de très sensible...
Q - Bien sûr, oui...
R - Et donc je n'ai pas de réponse définitive sur la totalité des banques. Ce qui est certain, c'est que ça aura un impact effectivement sur les échanges, on en est conscients. Et donc, ce qu'on va avoir à travailler demain avec les différents représentants des filières et avec certaines entreprises, c'est de voir concrètement comment on peut les accompagner, en fonction des besoins qui sont les leurs. Et c'est ce qu'on va définir demain avec à la fois les équipes de Bercy - Agnès Pannier-Runacher et Bruno Le Maire sont mobilisés sur ces questions-là - et les équipes du Quai d'Orsay - Jean-Yves Le Drian et moi-même.
Q - Alors, avant de revenir à l'accompagnement que vous pourriez mettre en place, déjà, est-ce que vous appelez les ressortissants français à quitter la Russie, comme le font les Etats-Unis ?
R - Bien sûr, ça a été...
Q - Oui, vous aussi, vous dites... ?
R - Non, non, l'Ukraine, ça a été très clairement dit...
Q - Oui, d'accord sur ça, mais sur la Russie ? ...
R - Si, la France, sur la Russie, sur les ressortissants français qui sont de passage en Russie, on appelle à ce qu'ils quittent la Russie, oui. On leur demande d'éviter de s'y rendre. Cela concerne les Français qui sont de passage ou ont prévu un déplacement sur place.
Q - Bien sûr, ça évolue d'heure en heure bien évidemment ! Bien sûr, mais voilà, au moment où on se parle ?...
R - Donc c'est Jean-Yves Le Drian qui suit ça de très près. Ce qui est certain, c'est que nous aurons, évidemment, une information très précise donnée aux ressortissants français quand la décision sera prise.
Q - Est-ce qu'à l'heure où on se parle, pardon, j'allais dire Jean-Yves Le Drian, non, Franck Riester, les entreprises françaises présentes en Russie, elles travaillent, on va dire "normalement", à ce stade, comme avant la crise, comme avant le début de la guerre ?
R - Eh bien non, forcément que non, c'est évidemment beaucoup plus compliqué pour celles et ceux qui sont en lien direct avec la Russie et en lien direct avec l'Ukraine.
Q - Alors, quelles difficultés elles vous font remonter ?
R - Eh bien, des difficultés... Evidemment, d'abord, en Ukraine, forcément...
Q - Non, mais je parle de la Russie, pardon. Bien sûr en Ukraine mais à Moscou, voilà, les entreprises, on connaît, voilà, Total, Renault, il y en a beaucoup...
R - Eh bien, elles sont perturbées...
Q - Qu'est-ce qu'elles vous disent, alors ?
R - Eh bien elles nous diront ça demain en détail puisque c'est pour ça qu'on les réunit...
Q - Oui, mais vous avez...
R - Eh bien oui, mais attendez, je ne peux pas vous donner les conclusions de la réunion avant de l'avoir tenue.
Q - Non, mais vous êtes en contact avec ces entreprises, j'imagine, depuis jeudi dernier ?
R - Oui, eh bien, ces entreprises sont inquiètes des conséquences évidemment des sanctions et c'est ce qu'on doit bâtir avec elles minute après minute, jour après jour et c'est pour ça qu'on les réunit demain, pour voir en détail avec elles quelles sont leurs problématiques pour qu'on puisse les accompagner.
Q - Et donc, justement, quel accompagnement vous pourriez mettre en place ? C'est quoi ? C'est un soutien financier, par exemple ?
R - Alors, vous savez que le Président de la République...
Q - Il y a eu des mesures de soutien aux entreprises à cause de la crise de la pandémie, est-ce que là aussi il pourrait y avoir de nouvelles mesures d'aide financière ?
R - Oui, alors on va regarder les conséquences directes que ça peut avoir sur un certain nombre d'entreprises ou sur les filières en général, sachant qu'encore une fois l'exposition de la France par rapport à la Russie ou à l'Ukraine est limitée. Les exportations françaises vers l'Ukraine, la Russie, c'est un peu moins de 2% en totalité.
Q - Oui, bien sûr.
R - Oui, mais donc ça veut dire...
Q - Il n'y a pas que les flux...
R - Qu'en masse, c'est une exposition limitée, mais forcément, sur certains secteurs, c'est plus présent.
Q - Bien sûr !
R - Quand il s'agit, par exemple de l'aéronautique, quand il s'agit, par exemple, de l'agroalimentaire, quand il s'agit, par exemple, du secteur de la chimie. Et donc, on va regarder s'il y a un impact lourd ou pas sur ces secteurs-là et ensuite, entreprise par entreprise, on fera, je dirais un suivi fin, avec les services de Bercy, la Direction générale des entreprises.
Q - Mais donc un accompagnement, un soutien financier est sur la table, c'est une possibilité ?
R - Eh bien, on a dit qu'on serait aux côtés des entreprises. On regardera secteur par secteur et éventuellement entreprise par entreprise les conséquences des sanctions et de la guerre en Ukraine et de la crise avec la Russie.
Q - D'accord, mais enfin à l'image un peu du "quoi qu'il en coûte" qui est terminé, mais je veux dire... plus on a fait du sur-mesure, là aussi vous pourriez faire un sur-mesure économique et financier aux entreprises. C'est une option ?
R - Les différents dispositifs sont ouverts. On va regarder, en dialogue avec les entreprises, quelles sont concrètement les conséquences en essayant de les limiter, en essayant de diversifier les approvisionnements de matières premières ou d'intrants pour l'industrie ou pour l'agroalimentaire, notamment pour le secteur agricole, en diversifiant les exportations, en essayant de trouver d'autres marchés que le marché ukrainien ou le marché russe. Et donc, c'est ce travail-là fin qu'on va faire et qu'on a commencé à faire. Il y a déjà eu une réunion à Bercy, vendredi, avec un certain nombre d'entreprises...
Q - Tout à fait...
R - Qu'on continue demain au Quai d'Orsay et qu'on va continuer d'une façon très fine en lien avec Bruno Le Maire et Jean Yves Le Drian.
Q - Alors, l'économie russe accuse le coup après les trois trains de sanctions qui ont été pris ces derniers jours. On l'a vu aujourd'hui, le rouble a chuté et abandonné quasiment 30% dans la matinée après s'être redressé un petit peu en fin de journée mais il a lâché quand même 13%. La Bourse de Moscou est restée fermée et la banque centrale a doublé ses taux, elle les a relevés en 24 heures de 9,5 à 20%. Dans le dialogue que vous avez les avec les entreprises françaises sur place, est-ce qu'elles craignent d'être entraînées par un écroulement économique ?
R - Ce sont des mouvements d'aujourd'hui, donc on va avoir demain des discussions avec elles, justement, dans toutes les filières, les représentants des différents syndicats parce qu''il y aura le président de la CPME qui sera présent demain, par exemple, pour voir concrètement quels sont les retours de leurs membres, dès demain, parce que c'est vrai qu'on voit que tout de suite, les sanctions ont eu des effets très lourds sur l'économie russe. C'est ce que nous avions dit et ce qu'avait dit le Président de la République à Vladimir Poutine, que ça aurait des conséquences importantes, graves, sur l'économie russe. Mais c'est voulu, c'est l'objectif, puisque c'est l'objectif de faire changer d'attitude Vladimir Poutine. Et on voit qu'avec le gel des avoirs de la banque centrale russe, cette nuit, tout de suite, ça a des effets très importants sur l'économie russe. Il faut qu'on accompagne au maximum les entreprises et c'est ce qu'on va...
Q - Vous êtes prêts à protéger ces entreprises quoi qu'il en coûte, ou est-ce qu'elles pourraient être les victimes collatérales de la guerre... ?
R - Nous sommes prêts à accompagner... Non, non, mais attendez, on sait qu'il y a des conséquences...
Q - Parce qu'une guerre, il y a toujours des victimes. Est-ce que les entreprises françaises en Russie pourraient être les victimes de la crise ? ...
R - Attendez, on sait qu'il y a des conséquences possibles. On est prêts à prendre les décisions, et on les prend, qui s'imposent pour faire changer d'attitude Vladimir Poutine, pour cesser les combats, pour faire revenir Vladimir Poutine à la table de la négociation et du dialogue et on va accompagner les entreprises, à la fois dans leur diversification d'approvisionnement, leur diversification de vente et peut-être plus finement à des accompagnements précis, mais qui ne peuvent pas être décidés maintenant alors même que nous n'avons pas le retour des entreprises et que nous n'avons pas assez de recul sur les conséquences exactes que ça pourra, in fine, avoir sur nos entreprises.
Q - Franck Riester, Vladimir Poutine a indiqué aujourd'hui qu'il se consacrerait quasi exclusivement à la riposte économique, aux contre-sanctions, aux représailles, quelles pourraient être ces sanctions ?
R - Je ne sais pas.
Q - Vous n'avez aucun... ? Enfin j'imagine, non ? Vous n'allez pas les découvrir...
R - Eh bien non, on n'a pas d'éléments que je peux vous évoquer aujourd'hui.
Q - Aucun signal ?
R - Ce qui est certain, c'est qu'évidemment, on suit ça de très près pour limiter les conséquences des décisions qui sont prises. Mais encore une fois, on est prêts à assumer collectivement ces conséquences-là.
Q - Alors, assumer, enfin, vraiment, tout ça fait quand même un peu froid dans le dos parce que ça voudrait dire peut-être des entreprises ou des travailleurs français qui pourraient faire les frais de cette crise.
R - Eh bien écoutez, je ne vais pas vous faire un dessin sur la situation qu'il y a en Ukraine, je ne vous fais pas un dessin sur la guerre qu'il y a en Ukraine.
Q - Bien sûr, évidemment.
R - Et donc, la réponse qui doit être une réponse ferme. Nous avons choisi délibérément un éventail de réponses. D'abord, une réponse humanitaire. Ensuite, une réponse d'accueil des réfugiés, une réponse aussi d'évacuation de nos ressortissants, une réponse aussi en fournissant des armes, vous le savez. Et donc il y a une coordination qui est faite en Pologne, même avec un hub en Pologne, c'est ce qu'a rappelé Jean-Yves Le Drian. Et une réponse économique et financière parce qu'il s'agit d'une guerre qui doit cesser. Et donc nous avons choisi tout cet éventail de réponses.
Q - Qui doit cesser mais qui pourrait durer, c'est ce qu'a dit Emmanuel Macron, samedi matin, à l'ouverture du Salon de l'Agriculture. Et il aura bien précisé devant eux que les agriculteurs, comme en 2014, quand il y a eu l'annexion de la Crimée, pourraient être les premières victimes à nouveau de cette crise. Il a parlé d'un...
R - Bien sûr ! Et donc c'est pour ça qu'il annoncé un plan de résilience.
Q - Alors, qu'est-ce que ça veut dire, Franck Riester ?
R - Eh bien, un plan de résilience, ça veut dire un plan d'accompagnement de la filière pour trouver des débouchés, pour permettre de, peut-être, avoir un monitoring très fin de l'évolution des prix des intrants, de l'engrais, par exemple, on sait bien qu'il va être impacté tout particulièrement par l'évolution du prix du gaz. Et pour voir, ensuite, un accompagnement financier de cette filière comme d'autres filières en fonction des conséquences précises. Et c'est ce travail fin, en coordination interministérielle entre encore une fois le ministère de l'économie et des finances, le ministère de l'Europe et des affaires étrangères, le ministère de l'agriculture quand il s'agit d'agriculture, de l'énergie quand il s'agit d'énergie, des transports quand il s'agit de l'aéronautique, en lien avec les professionnels, à la fois les professionnels qui sont en charge des filières et les professionnels qui sont les responsables d'entreprise. Nous sommes à la fois à l'écoute collective des filières et à l'écoute individuelle des entreprises qui sont particulièrement touchées. Je ne peux pas vous donner des réponses précises à des cas qui sont des cas ou particuliers ou des cas génériques, puisque tout ça va se bâtir dans les jours et les semaines qui viennent.
Q - Ce plan de résilience pour les agriculteurs, il pourrait être annoncé quand ?
R - Eh bien il va être annoncé lorsqu'il aura été défini avec les professionnels. Ça va prendre évidemment le temps qu'il faut, mais comme on l'avait fait pour le "quoi qu'il en coûte", la stratégie, c'est d'être...
Q - C'était allé très vite pour le "quoi qu'il en coûte" : en quelques jours, le Gouvernement a décrété une boîte à outils. Est-ce que là aussi, dans les jours qui viennent, vous allez sortir une nouvelle boîte à outils ?...
R - Eh bien on va regarder... On ira le plus vite possible pour accompagner les filières. Ça, c'est clair. Et on adaptera...
Q - Non, ma question, c'est : est-ce qu'au Gouvernement, vous ressentez le même sentiment d'urgence qu'au moment de la pandémie pour protéger les entreprises ?
R - On ressent le même sentiment d'urgence, on a la même mobilisation parce qu'il en va de la pérennité de filières et la pérennité d'entreprises. Alors, oui, nous sommes conscients de la gravité de ce qui se passe, des conséquences potentielles qu'il y a pour les entreprises, et donc nous sommes au chevet des entreprises et des filières et en train de bâtir des plans d'accompagnement qui seront les plus adaptés aux conséquences réelles de ce qui se passe en Ukraine et en Russie.
Q - De la situation. Toute dernière question, Franck Riester, il nous reste 10 secondes. Emmanuel Macron annule ce qui devait être son premier grand meeting de campagne samedi à Marseille au Parc Chanot. Il y a cette deadline du 4 mars pour se déclarer, comment est-ce qu'il va faire pour se déclarer, au milieu d'une crise si grave ?
R - Ecoutez, ça, c'est lui qui le décidera mais c'est sûr qu'il est mobilisé sur cette crise, cette guerre.
Q - Oui, on le voit bien mais justement, comment est-ce qu'on fait pour se déclarer dans un contexte pareil ?
R - Eh bien, il vous le dira et vous le verrez quand il fera mais ce qui est certain, c'est qu'il est concentré sur une priorité qui est évidemment majeure, partagée par tous nos compatriotes qui voient qu'il est à la fois en tant que Président de notre République française mais aussi en tant que président du Conseil de l'Union européenne pleinement mobilisé pour essayer de sortir le plus vite possible de cette guerre et de cette crise.
Q - Merci beaucoup Franck Riester...
R - Merci à vous.
Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 2 mars 2022