Interview de M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la relance, à France Info le 1er mars 2022, sur les sanctions économiques contre la Russie après son attaque contre l'Ukraine et les répercussions économiques pour la France.

Prononcé le 1er mars 2022

Intervenant(s) : 

Média : France Info

Texte intégral


MARC FAUVELLE
Bonjour Bruno LE MAIRE.

BRUNO LE MAIRE
Bonjour Marc FAUVELLE.

MARC FAUVELLE
Depuis hier, la Russie est plongée dans une crise financière, le cours du rouble s'est effondré, la Bourse de Moscou n'a pas pu ouvrir de toute la journée, dans la foulée, des sanctions infligées notamment par l'Europe. Est-ce qu'elles ont atteint leur but ?

BRUNO LE MAIRE
Oui, les sanctions sont efficaces. Les sanctions économiques et financières sont même d'une efficacité redoutable. Et je ne veux laisser planer aucune ambiguïté sur la détermination européenne sur ce sujet. Nous allons livrer une guerre économique et financière totale à la Russie…

MARC FAUVELLE
A la Russie ou à Vladimir POUTINE ?

BRUNO LE MAIRE
A la Russie, à Vladimir POUTINE, à son gouvernement, mais le peuple russe en paiera aussi les conséquences, soyons clairs. Nous voulons viser le coeur du système russe, nous visons Vladimir POUTINE, nous visons les oligarques, mais nous visons aussi toute l'économie russe. Nous avons donc préparé un train de sanctions, qui sont en cours d'examen actuellement, je pense qu'on aura les propositions de la Commission européenne ce matin. J'ai eu hier très longuement au téléphone, la secrétaire américaine au Trésor, Janet YELLEN, pour préparer si nécessaire, un nouveau renforcement des sanctions économiques et financières. Nous aurons une réunion du G7 cet après-midi sur le sujet, et j'ai convoqué également demain une réunion des ministres des Finances européens, pour m'assurer de la bonne exécution de ces sanctions. Elles doivent frapper vite, elles doivent frapper fort, et on en voit comme vous l'avez dit déjà les effets. Le rouble s'est effondré de 30%. Les réserves de changes russes sont en train de fondre comme neige au soleil, et le fameux trésor de guerre de Vladimir POUTINE est déjà réduit à presque rien. On voit l'effondrement du marché, on voit également l'augmentation de l'inflation. Nous allons voir des queues de Russes qui cherchent à avoir de l'argent en liquide dans les banques. Et puis la banque centrale n'a pas eu d'autre choix que d'augmenter les taux d'intérêt de 10 à 20%, ce qui veut dire que les entreprises ne pourront pas emprunter, sauf à des taux très élevés, pour investir et pour développer l'économie. Nous allons donc provoquer l'effondrement de l'économie russe.

SALHIA BRAKHLIA
De nouvelles sanctions, vous dites ce matin, Bruno LE MAIRE, des sanctions « si nécessaire », ça veut dire quoi, ça veut dire que c'est ces sanctions elles vont être appliquées jusqu'à quand ?

BRUNO LE MAIRE
Elles seront appliquées le temps que Vladimir POUTINE revienne à de meilleures intentions en Ukraine. Ce dont Vladimir POUTINE n'a pas eu conscience, et ce dont je crois les peuples européens sont en train de prendre conscience c'est que les Etats-Unis et l'Europe ensemble sont de très loin le Continent économique financier le plus puissant de la planète. Et c'est un message aussi que nous adressons à tous les régimes autoritaires, qui veulent contester l'efficacité, le poids politique des démocraties sur la planète. Economiquement, financièrement, l'Europe et les Etats-Unis ensemble, ont un pouvoir d'action qui est absolument considérable. Et nous avons en plus, à la faveur de cette agression délibérée de Vladimir POUTINE, pris conscience de la nécessité de nous armer militairement. Donc cette crise, qu'est-ce qu'elle montre ? La puissance économique et financière de l'Europe et des Etats-Unis, quand elles agissent ensemble, main dans la main. Et elles font prendre conscience à l'Europe de la nécessité absolue de devenir aussi une puissance politique et militaire.

MARC FAUVELLE
Vous avez promis hier, Bruno LE MAIRE, d'identifier toutes les personnalités russes ayant des avoirs en France et qui ont une proximité avec le Kremlin, avec le pouvoir ou avec Vladimir POUTINE. Vous en avez recensé combien pour le moment ?

BRUNO LE MAIRE
Pour le moment, il y a une liste européenne qui comprend à peu près 488 personnalités. Donc nous sommes en train, avec l'aide des banques, et je salue d'ailleurs l'engagement des banques, des assureurs, qui font tout ce travail de screening, pour repérer si ces oligarques sont sur leur compte et s'il faut par conséquent geler les avoirs. Ça c'est un premier travail qui est en cours de réalisation.

MARC FAUVELLE
Combien en France ?

BRUNO LE MAIRE
Pour l'instant je ne peux pas vous donner le chiffre, pour une raison qui est simple, cet examen est extrêmement long à faire, parce qu'il faut repérer des noms dans des listes qui comprennent des millions de personnes, au sens strict, puisque c'est des comptes bancaires qui sont considérés, donc ça va prendre un peu de temps. Et dès que nous aurons les éléments, nous les ferons remonter évidemment à l'Union européenne. Mais j'ai également demandé que nous fassions le travail inverse, c'est-à-dire pas simplement prendre les listes européennes dans lesquelles vous avez les oligarques russes, pour vérifier s'ils sont ou non dans les banques françaises ou sur le territoire français, mais nous allons faire exactement le même travail depuis le territoire français. Et j'ai mis en place au ministère de l'Economie et des Finances, une Task-force, qui comprend la Direction générale des finances publiques, les services de renseignements financiers, et les douanes, pour repérer l'ensemble des oligarques russes, qui se trouveraient en France, leurs biens, leurs avoirs, pouvoir les geler et pouvoir les saisir. Nous avons également étendu d'ailleurs cette recherche au nom des oligarques, au nom de leurs conjoints, au nom de leurs enfants, au nom de leurs SCI, de façon à ce qu'ils ne puissent pas se dissimuler derrière des montages financiers, et ces montages financiers sont très nombreux. En deuxième lieu, nous allons faire en sorte qu'il ne s'agisse pas simplement d'un gel des avoirs, mais d'une saisie des avoirs. Qu'est-ce que ça veut dire ? Ça veut dire que lorsqu'il y a gel, vous ne pouvez plus user de votre yacht ou de votre voiture ou de votre appartement. Quand on le saisit, vous perdez la propriété de cet appartement, de ce yacht ou de cette maison. Donc nous sommes en train de travailler juridiquement, avec la chancellerie, pour que le gel devienne une saisie. Nous allons toucher au coeur le pouvoir russe.

 SALHIA BRAKHLIA
" Toucher au coeur le pouvoir russe ", c'est ce que vous dites, sauf que dans sa dernière intervention, le président ukrainien explique qu'acheter russe, c'est donner de l'argent pour tuer des Ukrainiens, il parle de l'énergie que les Européens achètent aux russes. Est-ce qu'il faut dès maintenant se priver du gaz et du pétrole russe ?

BRUNO LE MAIRE
Soyons honnêtes et transparents, comme nous l'avons été depuis le début de cette crise. C'est très compliqué pour un certain nombre de pays européens. Pour la France, ce n'est pas une difficulté, nous dépendons à 20% du gaz russe. Pour un certain nombre de pays de l'Est qui dépendent à 100% ça veut dire que du jour au lendemain il n'y a plus de moyens de faire tourner leurs usines, il n'y a plus de moyens de chauffer leurs populations. C'est très compliqué et très difficile.

MARC FAUVELLE
Et si ça ne dépendait que de la France, on aurait coupé le gaz russe, on aurait coupé le pétrole russe, aujourd'hui ?

BRUNO LE MAIRE
Si ça ne dépendait que de la France, je pense que sur le retrait des banques du système SWIFT dont certaines banques qui servent au paiement du gaz russe, nous serions probablement allés plus loin. Mais l'objectif de la France, qui exerce sous autorité du président de la République, la présidence de l'Union européenne, c'est de maintenir à tout prix l'unité européenne. Et l'Europe a montré depuis le début de cette crise, en particulier grâce à l'engagement total du président de la République, son unité. Et c'est notre unité…

MARC FAUVELLE
Mais ça veut dire que Vladimir POUTINE, Bruno LE MAIRE, tient en quelque sorte l'Europe aujourd'hui, puisqu'il arrive à faire infléchir des décisions communes, en disant : regardez, si vous me menacez trop, c'est moi qui ferme le robinet, et vous venez de le rappeler vous-même, qu'on ne peut pas, certains pays ne peuvent pas s'en passer.

BRUNO LE MAIRE
Le rapport de force économique et financier, il est totalement en faveur de l'Union européenne, qui est en train de découvrir sa puissance économique…

MARC FAUVELLE
Mais pas le rapport énergétique.

BRUNO LE MAIRE
Je vais être très clair avec vous, Marc FAUVELLE, c'est la Russie qui va souffrir, pas l'Europe. L'Europe elle aura peut-être effectivement un peu plus d'inflation, parce que peut-être que des prix du gaz vont un peu augmenter, mais c'est la Russie qui va souffrir, c'est l'économie russe qui va souffrir. Et c'est le système financier russe qui va s'effondrer sous nos yeux. L'Europe, elle, la seule conséquence qu'elle peut avoir dans les semaines qui viennent, c'est une petite augmentation des prix, en fonction de l'augmentation des prix de l'énergie.
Tél : 01 42 75 54 43

MARC FAUVELLE
On va en parler des conséquences en France. Je voudrais revenir d'un mot sur une formule que vous avez utilisée tout à l'heure au tout début de cet entretien. " Le peuple russe en paiera les conséquences ", le peuple y compris ceux qui manifestent contre Vladimir POUTINE, y compris les gens qui n'ont pas d'argent aujourd'hui, ils vont tous souffrir.

BRUNO LE MAIRE
Et bien sûr.

MARC FAUVELLE
On ne sait pas faire autrement.

BRUNO LE MAIRE
Marc FAUVELLE, on ne sait pas faire autrement. Vladimir POUTINE est en train de livrer une guerre effroyable au peuple ukrainien. Au moment où je vous parle vous avez à des civils qui sont sous les missiles de Vladimir POUTINE. C'est Vladimir POUTINE qui fait peser la menace d'une guerre militaire, avec toutes les conséquences que l'on connaît, sur les peuples européens. Nous, nous ripostons. Je ne suis pas sûr que Vladimir POUTINE s'attendait à une riposte aussi unie, aussi ferme, aussi radicale sur le plan économique et financier, de la part de l'Union européenne et des Etats-Unis. Nous irons jusqu'au bout, nous irons jusqu'au bout le temps qu'il faudra, nous visons évidemment prioritairement Vladimir POUTINE, les oligarques et tout le système politique russe…

MARC FAUVELLE
Mais il y aura des dégâts collatéraux.

BRUNO LE MAIRE
Mais, nécessairement, c'est le peuple russe aussi qui en supportera les conséquences, en raison de son dirigeant.

MARC FAUVELLE
On vous retrouve dans un instant Bruno LE MAIRE, le temps du Fil Info à 08h41 avec Lisa GUYENNE.

Fil info

SALHIA BRAKHLIA
Toujours avec le ministre de l'Economie, Bruno LE MAIRE, vous disiez juste avant " Le fil info ", que ça allait prendre un peu de temps pour recenser tous les biens et les avoirs des oligarques russes, s'ils vous écoutent ce matin, ils ont le temps de tout retirer ?

BRUNO LE MAIRE
Non, parce que les sanctions sont déjà prises, il y a des choses que l'on dit, des choses que l'on ne dit pas pour être efficace. Aucun oligarque ne passera entre les mailles de nos filets, c'est notre objectif.

SALHIA BRAKHLIA
Un mot sur TOTAL, le Britannique BP et le Néerlandais SHELL vont mettre fin à leur activité en Russie, est-ce que vous demandez la même chose à TOTAL et à ENGIE qui eux aussi ont des activités sur place en Russie ?

BRUNO LE MAIRE
Je vais en discuter avec le président de TOTAL, Patrick POUYANNE, avec la directrice générale d'ENGIE, Catherine MACGREGOR. Moi, je crois qu'il y a désormais un problème de principe à travailler avec toute personnalité politique ou économique proche du pouvoir russe. Une fois encore, c'est la liberté européenne qui est attaquée, c'est une nation souveraine qui est attaquée et menacée par Vladimir POUTINE. Donc je considère qu'il y a désormais un problème de principe à travailler avec quelque personnalité que ce soit proche de Vladimir POUTINE.

SALHIA BRAKHLIA
Et concrètement, ça veut dire quoi, quand il y a un problème de principe, on fait quoi, on se retire ?

BRUNO LE MAIRE
Nous allons en discuter, une fois encore, avec le président de TOTAL, pour ENGIE, c'est un peu différent, il possédait une part de Nord Stream 2…

MARC FAUVELLE
Dans le cas de TOTAL, puis-je faire une précision ?

BRUNO LE MAIRE
Ils ont vendu cette part, désormais, c'est un prêt, donc c'est quelque chose d'assez différent…

MARC FAUVELLE
Dans le cas de TOTAL, Bruno LE MAIRE, puis-je faire une précision… ?

BRUNO LE MAIRE
Dans le cas de TOTAL, c'est important, il faut en discuter…

MARC FAUVELLE
Sur les activités de TotalEnergies en Russie, TOTAL qui est actionnaire du groupe NOVATEK, qui est le deuxième groupe gazier russe, qui est un groupe entièrement privé, qui est dirigé par un proche de Vladimir POUTINE, vous l'avez laissé entendre il y a quelques instants, mais qui est un homme présent dans la liste des oligarques sanctionnés, c'est-à-dire que le plus grand groupe français aujourd'hui fait des affaires avec quelqu'un dont vous venez de nous dire qu'ils ne sont plus les bienvenus en France et qu'on va peut-être leur prendre tout…

BRUNO LE MAIRE
Marc FAUVELLE, tout ça ne m'a pas échappé, c'est bien pour cela que je dis qu'il y a un problème de principe, mais avant d'annoncer une décision, je préfère en discuter avec le premier intéressé…

MARC FAUVELLE
Vous allez le voir aujourd'hui ?

BRUNO LE MAIRE
Qui, je crois, est parfaitement conscient de la gravité de la situation, qui est Patrick POUYANNE, il a une conscience aiguë de la gravité de la situation, du problème de principe que cela pose, et je pense que nous pourrons prendre des décisions ensemble dans les jours qui viennent.

SALHIA BRAKHLIA
Bruno LE MAIRE, du fait du conflit et des sanctions dont on vient de parler, les prix du carburant, du gaz, le blé, le maïs, les engrais s'envolent, car la Russie domine les exportations, pour le gaz, particulièrement, le bouclier tarifaire pour les particuliers en France est prévu jusqu'en juin, est-ce que vous pensez le prolonger ?

BRUNO LE MAIRE
Oui, moi, je souhaite qu'on prolonge ce bouclier tarifaire, le Premier ministre s'était exprimé sur ce sujet. Et je crois que notre responsabilité, c'est de protéger les particuliers, ensuite, je pense qu'il faut vraiment garder la mesure, parce que sinon, on fait le jeu de Vladimir POUTINE lui-même, les prix du pétrole, ils ont augmenté entre l'avant crise et l'après crise de 3%, entre le début de l'agression et avant l'agression de 3%, tout simplement parce que la Russie produit 8 millions de barils sur les 100 millions qui sont consommés par jour, ça reste marginal. Sur le gaz, la position russe est plus forte, mais les prix ont augmenté de 10%. Donc on n'est pas dans une flambée multipliée par deux, par trois ou par quatre. J'envisage tous les scénarios, bien entendu, c'est ma responsabilité, nous avons pris la décision avec le Premier ministre et le président de la République de protéger les particuliers, c'est la priorité absolue, ensuite, nous allons regarder avec les entreprises les plus fragiles et celles qui sont exposées à la concurrence internationale, si une action est nécessaire, et nous allons le faire au niveau européen ; j'en ai discuté dès hier avec la Commission européenne, avec les partenaires européens, et ce sera au coeur des discussions que nous aurons mercredi entre nos partenaires européens.

MARC FAUVELLE
C'est-à-dire, il peut y avoir une sorte de bouclier tarifaire aussi pour certaines entreprises, qui, pour l'instant, sont exclues du dispositif ?

BRUNO LE MAIRE
Pour certaines entreprises, pas un bouclier tarifaire global pour toutes les entreprises, là aussi, je préfère être sincère avec vous…

MARC FAUVELLE
Pour celles qui consomment le plus d'énergie par exemple ?

BRUNO LE MAIRE
Pour celles qui, vraiment, consomment beaucoup de gaz et qui sont exposées à la concurrence internationale, c'est les deux conditions que je fixe pour qu'elles puissent bénéficier d'une protection. Les autres, soyons clairs, elles auront une augmentation des prix du gaz, parce que nous ne pourrons pas protéger toutes les entreprises contre cette augmentation des prix du gaz, ma priorité, c'est les ménages, ensuite, cela se retrouvera dans les prix, et cela pourra entraîner une augmentation qui n'aura rien à voir avec celle que peuvent connaître d'autres territoires, et en particulier, la Russie, une légère inflation qui reste à mon sens modérée, voilà aujourd'hui les conséquences que nous avons envisagées au niveau économique global en Europe.

SALHIA BRAKHLIA
Pour les prix à la pompe qui ne cessent d'augmenter là aussi, est-ce qu'un blocage des prix est envisagé ou pas du tout ?

BRUNO LE MAIRE
Je rappelle juste que ce n'est pas ce qui est envisagé, parce que nous avons déjà mis en place des mesures de protection en matière énergétique qui sont les plus généreuses en Europe, 17 milliards d'euros qui ont déjà été mis sur la table pour geler les prix du gaz, et je vous le dis, je souhaite, moi, qu'on puisse aller jusqu'à la fin de l'année et protéger les particuliers, pour plafonner les prix de l'électricité à 4%, aujourd'hui, ils devraient avoir augmenté de 40 %, de 40%, nous avons protégé massivement les ménages français contre l'augmentation des prix de l'électricité, les prix à la pompe, évidemment, que je les suis de très près, vous avez des augmentations de 2, 3 centimes actuellement, elles sont toujours trop élevées, bien entendu, mais ça reste modéré. Et moi, quand j'écoute les Français et que je discute avec eux, je vois qu'ils ont parfaitement conscience que la liberté a un prix, que la défense de la liberté en Ukraine a un prix, que la défense de nos valeurs les plus fondamentales a un prix, ce prix, nous faisons tout avec le président de la République…

SALHIA BRAKHLIA
Donc vous dites aux Français…

BRUNO LE MAIRE
Et le Premier ministre pour qu'il soit le plus supportable possible, mais, oui, certaines entreprises vont avoir des augmentations de leurs factures de gaz, et nous ne pourrons pas protéger toutes les entreprises, oui, il pourra y avoir une légère inflation en fonction de l'évolution des prix de l'énergie, notre responsabilité, c'est de protéger les plus faibles, protéger les plus fragiles, protéger les très petites entreprises, nous l'avons fait depuis le début de la crise, nous continuerons de le faire.

MARC FAUVELLE
Vous dites inflation légère, Bruno LE MAIRE, on n'en est plus tout à fait là, dans les derniers chiffres de l'INSEE, on est à 3,6% d'inflation, on n'a pas vu ça depuis des décennies en France, est-ce qu'il faut une intervention, et si oui, massive, des banques centrales pour tenter de calmer un peu ça ?

BRUNO LE MAIRE
D'abord, cette inflation, elle ne date pas de la crise ukrainienne…

MARC FAUVELLE
Mais elle augmente mois après mois…

BRUNO LE MAIRE
Oui, mais là aussi, pour juste rassurer les Français sur ce qui se passe et bien expliquer ce qui se passe...

MARC FAUVELLE
On n'a même pas encore d'ailleurs les effets de la crise ukrainienne…

BRUNO LE MAIRE
L'inflation, elle vient d'abord de la vigueur de la reprise économique et de l'augmentation des prix de l'énergie, s'il y a sur le marché du gaz une augmentation plus forte, dans les jours ou dans les semaines qui viennent, elle se verra effectivement par un surcroît d'inflation qui, je pense, sera mesuré et limité…

MARC FAUVELLE
Mais jusqu'où on peut aller comme ça, 4, 5% ?

BRUNO LE MAIRE
Mais l'objectif, c'est de continuer à travailler avec les banques centrales, nous avons eu avec Christine LAGARDE une longue discussion lors de la réunion des ministres des Finances, qui s'est tenue vendredi dernier, je le redis, nous en aurons une nouvelle mercredi prochain, de façon à ce que la politique monétaire s'ajuste sur cette réalité de l'inflation, l'Europe a tout pour protéger ses citoyens, et elle le fait.

SALHIA BRAKHLIA
Bruno LE MAIRE, depuis le début de la guerre, plus de 500.000 réfugiés ukrainiens ont fui vers les pays voisins. La France va prendre sa part, c'est ce qu'a dit Gérald DARMANIN, le ministre de l'Intérieur. Eric ZEMMOUR est le seul candidat à la présidentielle à être contre l'accueil des réfugiés, il pense que nous devons plutôt aider les Polonais à accueillir les Ukrainiens, qu'est-ce que vous lui répondez ?

BRUNO LE MAIRE
Qu'il est cohérent et logique, il défend Vladimir POUTINE, il refuse les réfugiés, je lui reconnais de la cohérence dans ses propos, même si pour moi, il frise l'indécence. On ne va pas demander à la Pologne d'accueillir l'intégralité des réfugiés ukrainiens, ou alors, c'est qu'il n'y a plus de solidarité européenne. Le Premier ministre polonais a pris une position très courageuse et très dure, ce matin même, sur la question des sanctions contre la Russie, sur la question de la protection de la liberté de l'Ukraine, nous devons faire preuve de solidarité vis-à-vis de la Pologne, et nous devons chacun prendre une part de cet effort qui, une fois encore, est un effort pour la liberté, pour nos valeurs les plus fondamentales, pour le respect de la démocratie, contre des régimes totalitaires, pour le respect de la souveraineté des nations, contre l'invasion de Vladimir POUTINE ; cet effort, il doit nécessairement être partagé entre les nations européennes.

MARC FAUVELLE
8h50, " Le fil info " avec Lisa GUYENNE, et la suite de cet entretien avec vous, Bruno LE MAIRE, dans un instant.

Fil info

MARC FAUVELLE
Vous nous avez dit tout à l'heure, Bruno LE MAIRE, l'objectif de la France, l'objectif de l'Occident aujourd'hui, c'est l'effondrement de l'économie russe. Est-ce que la Banque centrale russe est à terre elle aussi ?

BRUNO LE MAIRE
La Banque centrale russe, elle est au coeur de cette guerre économique et financière totale, que nous voulons livrer contre la Russie. Et je vais être très précis, nous n'allons pas geler uniquement les avoirs en devises de la Banque centrale russe, qui représentent 650 milliards de dollars. Nous allons aussi geler les avoirs du Fonds national pour le bien-être, qui avait été créé en 2014 au lendemain de l'annexion de la Crimée, c'est 200 milliards de dollars, et nous allons geler le Fonds souverain russe, qui investit dans un certain nombre d'entreprises, et qui représente plus de 30 milliards de dollars. Au total, c'est presque 1 000 milliards de dollars d'avoirs russes que nous allons geler. Vous voyez que nous sommes déterminés à aller le plus loin possible dans la guerre financière et économique que nous livrons à la Russie.

SALHIA BRAKHLIA
Deux médias russes, Russia Today et Sputnik suspendus de diffusion partout en Europe, dès aujourd'hui, c'est ce qu'annonce ce matin le commissaire européen Thierry BRETON. Ça veut dire quoi ? Ça veut dire que vous ne faites pas confiance au discernement des Français pour savoir ce qui est de la propagande, ce qui ne l'est pas ?

BRUNO LE MAIRE
Ça veut dire que quand on livre une guerre de riposte à un Etat qui vous attaque, il vaut mieux éviter la propagande, et que ce que nous faisons très simplement, c'est interdire la propagande sur notre territoire, propagande des agents russes et du pouvoir russe, du pouvoir du Kremlin, sur le territoire européen.

MARC FAUVELLE
Mais, elle n'existait pas avant ? On la découvre aujourd'hui.

BRUNO LE MAIRE
Elle existait avant, mais les enjeux n'étaient pas exactement les mêmes. Je rappelle simplement que le dirigeant russe a décidé d'envahir un pays souverain, que nous ne connaissons pas à la suite de ses intentions, que personne ne sait jusqu'où Vladimir POUTINE s'arrêtera, et que donc la politique et le choix stratégique qui a été retenu par le président de la République, et qui est un choix à mon sens, sage, ferme et responsable, c'est la riposte massive tous azimut, économique, financière, médiatique, militaire également en positionnant des troupes aux frontières de l'Ukraine, en Pologne ou en Roumanie, et je pense que c'est cette fermeté qui paiera. La fermeté du président de la République est à mes yeux la seule bonne option face à Vladimir POUTINE.

MARC FAUVELLE
Vous diriez qu'on a été collectivement trop naïfs avec Vladimir POUTINE et qu'on se réveille aujourd'hui ?

BRUNO LE MAIRE
Je dirais qu'on a été…

MARC FAUVELLE
On a pensé que c'était du bluff.

BRUNO LE MAIRE
Je pense que les démocraties, globalement, ont été trop naïves face à la montée en puissance des régimes totalitaires, et que la force de leur réaction doit nous rassurer. Vous savez que quand on était enfant on apprenait cette phrase latine : " Si vis pacem, para bellum "…

MARC FAUVELLE
Si tu veux la paix…

BRUNO LE MAIRE
Si tu veux la paix, prépare la guerre. Eh bien même dans le monde du XXIe siècle, ces règles qui datent de l'Antiquité, restent valables. Si on veut la paix, c'est-ce que la France a toujours défendu depuis des décennies.

MARC FAUVELLE
Ça vaut par exemple pour le budget de la Défense…

BRUNO LE MAIRE
Il faut préparer la guerre…

MARC FAUVELLE
… ça veut dire qu'il faudra dans le quinquennat suivant, si Emmanuel MACRON est bien candidat…

BRUNO LE MAIRE
Je pense que ces événements actuels, valident la stratégie française et la vision française de l'Europe, telle qu'elle a été défendue depuis des décennies, par les présidents de la République et les majorités successives. Indépendance énergétique, nous avions raison. Nécessité d'avoir notre propre énergie notamment l'énergie nucléaire, nous avions raison. Nécessité absolue d'avoir une défense forte, nous avions raison. Nécessité de construire des moyens militaires européens et de ne pas remettre toute notre sécurité dans les mains de l'OTAN, je pense que là aussi nous avions vu juste. Ce que cette crise ukrainienne montre, et ce que la réponse européenne montre, c'est que l'Europe ne peut pas se contenter d'être une puissance économique et financière, même si c'est efficace, elle doit aussi devenir une puissance militaire. Et le paradoxe de toute cette situation, c'est que c'est la violence de Vladimir POUTINE qui va créer enfin l'indépendance stratégique européenne.

SALHIA BRAKHLIA
Bruno LE MAIRE, nous en sommes au septième jour de guerre, hier encore Emmanuel MACRON s'est entretenu avec Vladimir POUTINE et avec le président ukrainien ZELENSKY, de leur côté Valérie PECRESSE et Eric ZEMMOUR proposent Nicolas SARKOZY comme médiateur européen dans ce conflit, qu'est-ce que vous en pensez ?

BRUNO LE MAIRE
Il y a un seul médiateur, c'est le président de la République, et on voit bien que, aujourd'hui, le médiateur européen le plus important, celui qui discute régulièrement avec Monsieur ZELENSKY, avec le président POUTINE, avec l'ensemble des dirigeants européens, c'est Emmanuel MACRON, et je pense que dans une crise de cette gravité, qui suscite beaucoup d'inquiétude chez nos compatriotes, beaucoup d'inquiétude dans les familles, dans toutes les familles on discute de savoir si Vladimir POUTINE va utiliser l'arme nucléaire, jusqu'où ira-t-il, que va-t-il faire à la population civile ukrainienne, tout le monde est bouleversé par cette crise. Et croyez-moi, avec le président de la République depuis des jours, jour et nuit nous travaillons sur ce sujet, nous renforçons les sanctions, j'ai poussé sur Swift, pour qu'on déclenche Swift le plus rapidement possible, j'ai poussé personnellement pour qu'on élargisse au plus grand nombre de banques possible, nous avons pris la décision, avec le président de la République, de cibler la Banque centrale russe, c'est notre proposition, l'idée d'avoir l'intégralité des avoirs de la Banque centrale, près de 1000 milliards de dollars, c'est une proposition française. Si aujourd'hui nous voulons répondre à cette inquiétude des Français, il faut qu'il y ait de la fermeté, il faut qu'il y ait un seul médiateur, et un seul chef, et c'est Emmanuel MACRON.

MARC FAUVELLE
Emmanuel MACRON qui a trois jours encore pour se déclarer officiellement candidat, le premier meeting, qui était prévu samedi prochain à Marseille, a été annulé, on l'a appris hier, ça veut dire qu'il ne fera pas campagne ?

BRUNO LE MAIRE
Mais la campagne, aujourd'hui…

MARC FAUVELLE
Il considère qu'il n'a pas besoin de faire campagne, que tout le monde connaît son bilan et son projet ?

BRUNO LE MAIRE
Ce sera à lui de préciser ses propositions quand il le souhaitera. Contrairement à ce que j'entends dire beaucoup, moi je trouve que cette campagne elle est de bonne qualité, que chacun des candidats a pu exposer ses propositions, sur l'économie, sur les entreprises, sur les questions environnementales, beaucoup plus qu'on ne le dit, je pense que les Français ont été très attentifs à ça. Aujourd'hui, je le redis, cette crise militaire suscite une inquiétude, au fond des tripes françaises, tous les Français aujourd'hui sont inquiets de ce qui se passe en Ukraine, je pense qu'aucun ne comprendrait que le chef des Armées, chef de l'Etat, ne se concentre pas exclusivement sur cette crise.

MARC FAUVELLE
Merci à vous Bruno LE MAIRE, ministre de l'Economie, invité ce matin de France Info, merci, bonne journée.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 2 mars 2022