Texte intégral
APOLLINE DE MALHERBE
Bonjour Bruno LE MAIRE.
BRUNO LE MAIRE
Bonjour Apolline de MALHERBE.
APOLLINE DE MALHERBE
Merci de répondre à mes questions ce matin, vous êtes le ministre de l'Economie, des Finances et de la Relance. 34 jours avant le premier tour et douzième jour de guerre en Ukraine, et au fond vous êtes à la croisée des deux, les sanctions face à l'Ukraine, qui partent de Bercy, et les conséquences de la guerre sur des prix qui explosaient déjà. D'abord les sanctions, " nous sommes prêts à renforcer ces sanctions ", voilà ce que vous [et] voilà ce qu'Emmanuel MACRON ont dit, comment, est-ce qu'il vous reste encore des marges de manoeuvre ?
BRUNO LE MAIRE
Oui, il nous reste des marges de manoeuvre et ces sanctions sont efficaces. Nous avons pris un train de sanctions, qui est sans précédent dans l'histoire des sanctions économiques et financières, par sa rapidité, par sa force, et par l'unité les pays qui les ont décidées, c'est des sanctions contre les oligarques, c'est des sanctions contre le système financier, notamment contre la Banque centrale russe, c'est des gels d'avoirs, tout ça est d'une efficacité redoutable. Le marché russe a dû être fermé, le rouble s'est effondré de 30%, et on voit déjà des conséquences sur la désorganisation du système financier russe. Est-ce qu'il faudra aller plus loin ? Toutes les options sont sur la table, et je travaille…
APOLLINE DE MALHERBE
C'est quoi les options ?
BRUNO LE MAIRE
Je ne vais pas donner les options ce matin, parce que je pense qu'il est bon de garder le secret sur nos intentions, mais toutes les options…
APOLLINE DE MALHERBE
Pour un effet de surprise, vous souhaitez un effet de surprise ?
BRUNO LE MAIRE
Pour garantir l'efficacité de ces sanctions économiques et financières, il est bon de les annoncer une fois qu'elles sont décidées et pas avant que nous les ayons décidées.
APOLLINE DE MALHERBE
Mais vous nous affirmez ce matin qu'il vous reste des options sur la table ?
BRUNO LE MAIRE
Oui, il reste des marges de manoeuvre, il reste des options qui sont sur la table, donc nous y travaillons, avec les autres ministres des Finances, il y a un rendez-vous très important cette semaine, c'est le sommet des chefs d'Etat les 10 et 11 mars, sous la présidence d'Emmanuel MACRON, ce sera aussi l'occasion d'examiner ces possibilités.
APOLLINE DE MALHERBE
Sauf que dans le détail, quand on regarde effectivement il y a des sanctions qui ont été mises en place, mais on se préserve quand même, quand on regarde, par exemple on bloque les banques sur Swift, sauf, sauf les banques qui gèrent le gaz et le pétrole, on interdit aux bateaux russes de débarquer dans les ports français, sauf, sauf les bateaux qui livrent du pétrole et du gaz, est-ce que d'une certaine manière on ne fait pas les choses à moitié, est-ce qu'il ne faudrait pas aller jusqu'à purement et simplement couper tout approvisionnement en gaz et en pétrole russes ?
BRUNO LE MAIRE
Toutes les décisions sont efficaces si elles sont prises dans l'unité européenne. Je vous donne l'exemple du retrait des banques russes du système de paiement Swift, il faut s'entendre à 27…
APOLLINE DE MALHERBE
Donc tant que l'Allemagne et l'Autriche rechignent on n'ira pas plus loin ?
BRUNO LE MAIRE
Mais, on doit tenir compte du fait que certains pays sont plus dépendants du gaz russe que d'autres, donc effectivement il y a des banques qui ne sont pas retirées de Swift, je pense à la Sberbank par exemple, qui est une banque importante, la Banque centrale russe n'est pas encore retirée du système de paiement Swift, mais toutes les options, je le redis, sont sur la table. Et pourquoi est-ce que tout cela peut prendre du temps, pourquoi est-ce que nous voulons construire l'unité ? C'est parce que c'est ce qui fait l'efficacité de ces sanctions, et vous devez tenir compte d'une réalité géopolitique, la Finlande dépend à 100% de l'approvisionnement de gaz russe, l'Allemagne à 55%, l'Union Européenne, de manière générale, à 40%, la France elle est dans une situation singulière, elle ne dépend qu'à 20 %. Je vais vous dire le fond de mes convictions, la France elle a fait les bons choix stratégiques, elle a construit son indépendance énergétique, elle a refusé de dépendre trop largement de puissances étrangères, tous les Etats européens n'ont pas fait le même choix, notre responsabilité, comme président de l'Union européenne, et le président de la République y fait sans cesse attention, et il a parfaitement raison, c'est de préserver cette unité européenne et de tenir compte de la situation des autres pays.
APOLLINE DE MALHERBE
Mais quand les Américains disent, par la voix d'Antony BLINKEN, leur chef de la diplomatie, que les Etats-Unis commencent à discuter avec l'Europe de supprimer toute importation, notamment de pétrole russe, il bluffe ou il se mêle de ce qui ne le regarde pas ?
BRUNO LE MAIRE
Les Etats-Unis sont dans une situation très différente, ils n'importent pas un gramme de gaz de Russie, ils sont totalement indépendants du gaz russe, et beaucoup moins dépendants du pétrole russe que nous ne le sommes, donc ils sont dans une situation qui est très différente, on le voit d'ailleurs dans les conséquences de cette crise sur la situation économique mondiale. L'impact il est d'abord pour la Russie, ça va être un impact fort, ça va être un impact massif, ça va être un impact douloureux pour la Russie, l'impact sera réel aussi sur les économies européennes, l'impact sera réel sur l'économie française, et il est moins fort aux Etats-Unis parce que les Etats-Unis tout simplement sont moins exposés à l'importation de gaz ou de pétrole de Russie.
APOLLINE DE MALHERBE
Les conséquences sur les prix de l'essence, on y viendra dans un instant, mais d'abord ces mots de la patronne de ENGIE ce matin dans le journal " Les Echos ", elle dit se préparer à un choc des prix sans précédent, et elle dit que le scénario de supprimer toute importation de gaz de la Russie est un scénario sur la table, c'est un scénario auquel vous vous préparez donc ?
BRUNO LE MAIRE
Ma responsabilité, Apolline de MALHERBE, vis-à-vis des Français, vis-à-vis du Premier ministre et du président de la République qui m'ont demandé de travailler sur ce plan de résilience face à la crise, c'est de préparer tous les scénarios, et c'est de dire aussi, avec beaucoup d'humilité, qu'il y a aujourd'hui énormément d'incertitude. Je travaille effectivement sur des scénarios dans lesquels il y aurait une coupure totale du gaz parce que Vladimir POUTINE, par exemple, l'aurait décidé, je travaille sur des scénarios où le prix du gaz augmente encore fortement qu'aujourd'hui, mais il y a des incertitudes…
APOLLINE DE MALHERBE
Ça veut dire que c'est lui qui nous sanctionne dans ces cas-là, plutôt que nous qui le sanctionnons.
BRUNO LE MAIRE
Il y a des incertitudes qui sont liées aux contre-sanctions de Vladimir POUTINE, que nous ne connaissons pas, la détérioration de la situation militaire sur le terrain, au comportement de la Chine, qui aujourd'hui est encore incertain, et qui va être tout à fait décisif aussi dans cette crise, donc quand vous avez des incertitudes, plutôt que de vouloir répondre comme si vous saviez tout, ce qui serait une erreur, je pense que la sagesse c'est de préparer des scénarios, et en fonction des différents scénarios, notamment de prix du gaz, et de prix du pétrole, de faire des propositions dans un cadre comme m'ont demandé de définir le président de la République et le Premier ministre.
APOLLINE DE MALHERBE
Les conséquences sur le prix de l'essence, le gazole qui dépasse déjà les 2 euros dans un grand nombre de stations françaises, c'est tenable ça, une France où on a un gazole à plus de 2 euros ?
BRUNO LE MAIRE
Je vais vous dire, je vois toutes les inquiétudes, je le vois dans ma circonscription, je le vois auprès des personnes que je rencontre, des industriels, des patrons de PME, des agriculteurs que j'ai vus longuement avec Julien DENORMANDIE vendredi, mais je pense qu'il faut que nous ayons une approche globale de cette crise. Il y a un impact sur les prix de l'énergie, il y a un impact sur les prix de l'essence à la pompe, oui, il y a aussi un impact, qui peut devenir plus important dans les semaines qui viennent, sur les prix alimentaires, c'est extraordinairement difficile pour les éleveurs aujourd'hui, qui doivent payer leurs prix… très chers, ça peut se retrouver dans les prix de la viande.
APOLLINE DE MALHERBE
Il y a beaucoup de choses à se dire ce matin Bruno LE MAIRE, je vous attends aussi sur la question des prix de l'alimentation, mais restons un instant quand même sur l'essence. Michel-Edouard LECLERC, ce matin, vous appelle, vous Bruno LE MAIRE, et le Gouvernement, à mettre en place, je le cite, des chèques carburant ciblés pour les personnes les plus dans le besoin, il dit qu'y compris dans ses stations, qui sont parmi les moins chères avec encore des prix à la pompe parfois au prix coûtant, il y aura quand même 2 euros qui seront dépassés à la pompe, dans la semaine qui vient, en moyenne.
BRUNO LE MAIRE
Nous apporterons une réponse à tous les Français qui sont les plus touchés par la crise, et je vais vous dire pourquoi cette parole a du sens, c'est que nous avons fait, c'est qu'aucun pays européen, je dis bien, Apolline de MALHERBE, aucun pays européen, aujourd'hui, n'a fait autant que la France, que le Gouvernement français, que le président de la République, pour protéger ses compatriotes contre l'augmentation des prix de l'énergie. Je vais vous faire la facture devant vous ce matin pour qu'on comprenne bien. Le gel des prix du gaz, quand nous l'avons décidé, avec Jean CASTEX, au début ça devait coûter 1,2 milliard d'euros, et puis les prix ont fortement augmenté, nous envisageons d'étendre ce gel des prix du gaz, non pas jusqu'à juin 2022, mais jusqu'à la fin de l'année 2022, le coût initial était de 1,2 milliard d'euros, il sera sans doute de 10 milliards d'euros sur l'intégralité de l'année 2022 si nous prenons la décision d'étendre ce gel jusqu'à la fin de l'année 2022, tout simplement parce que le prix du gaz a plus que doublé depuis que nous avons décidé cette mesure. Nous avons décidé de plafonner les prix de l'électricité à 4 %...
APOLLINE DE MALHERBE
Dix milliards au moment où on se parle, mais ça veut dire que ça…
BRUNO LE MAIRE
Ça peut être davantage…
APOLLINE DE MALHERBE
Qu'on pourrait mettre jusqu'à 15, 17, 20 milliards d'euros…
BRUNO LE MAIRE
Ça veut dire qu'avant de dire que nous allons rajouter sans cesse de l'argent, il faut déjà regarder ce qui a été fait. Le plafonnement des tarifs de l'électricité à 4%, 8 milliards d'euros, l'indemnité inflation 4 milliards d'euros, le chèque énergie, je rappelle que nous avons doublé le nombre de bénéficiaires du chèque énergie, qui est passé de 3 à près de 6 milliards, il va être versé en avril, pour 150 euros en moyenne, à 6 millions de ménages français, avant c'était un peu plus de 3 millions…
APOLLINE DE MALHERBE
Voilà tout ce que vous avez fait, depuis la guerre en Ukraine a éclaté, les conséquences sont encore plus grandes que tout ce que vous me dites là, c'est ce que vous avez fait avant…
BRUNO LE MAIRE
Je dis juste que la facture totale s'élève à plus de 20 milliards d'euros sur la seule protection de nos compatriotes contre la flambée des prix de l'énergie, et nous sommes prêts effectivement à faire davantage, mais ça ne sera pas un " quoi qu'il en coûte " qui consisterait à verser de l'essence sur un incendie, c'est apporter des réponses ciblées…
APOLLINE DE MALHERBE
C'est le cas de le dire, on n'en n'a pas beaucoup d'essence, on ne va pas en jeter…
BRUNO LE MAIRE
Ciblées, efficaces, sur ceux qui en ont le plus besoin.
APOLLINE DE MALHERBE
Donc, ce matin vous nous dites, vous ne laisserez pas tomber ceux qui sont le plus dans le besoin, il pourrait y avoir à nouveau une sorte de chèque inflation, le chèque de 100 euros qui avait été fait, c'est envisageable ?
BRUNO LE MAIRE
Nous n'avons jamais laissé tomber personne, Apolline de MALHERBE, donc nous continuerons à apporter une réponse, mais dans le cadre d'un plan stratégique. Je veux juste que chacun comprenne, que nos vies ne seront plus comme avant, que cette crise est un tournant géopolitique majeur, et qu'on ne…pas un tournant géopolitique majeur uniquement en versant un chèque ici ou là, ce que m'a demandé le président de la République c'est de travailler sur une réponse beaucoup plus globale, et ce que je soumettrai au Premier ministre c'est une réponse plus globale, qui s'appelle un plan stratégique, face à un tournant géopolitique. Et ce plan c'est quoi ? C'est d'abord la protection des entreprises qui sont les plus touchées. Vous avez aujourd'hui plusieurs centaines d'entreprises qui doivent être protégées parce que le prix du gaz représente dans leurs coûts de production 20, 30, 40% de leurs coûts de production, ça peut être une tour de séchage pour le lait, ça peut être le chauffage pour une entreprise qui fait de la volaille, ça peut être de la production d'aluminium, toutes ces entreprises-là doivent être protégées. En deuxième lieu vous avez effectivement les ménages, les ménages qui sont impactés par l'augmentation des prix de l'essence, mais je pense aussi à tous les ménages les plus modestes, pour lesquels les dépenses alimentaires constituent une surcharge considérable, et qui sont inquiets à l'euro près de leurs dépenses alimentaires, là aussi il faudra apporter des mesures de soutien, c'est le deuxième volet. Et puis il y a un troisième volet qui est indispensable, sans quoi ce plan serait un plan de court terme, c'est nous adapter, c'est nous adapter dans nos consommations, comprenons bien qu'il va falloir faire beaucoup plus attention à nos consommations d'énergie, c'est investir…
APOLLINE DE MALHERBE
Ça veut dire quoi faire beaucoup plus attention à nos consommations d'énergie ? Est-ce que vous dites aux Français aujourd'hui " je ne vais pas pouvoir suivre encore plus loin, il faut peut-être que vous baissiez un tout petit peu la température dans votre logement " ?
BRUNO LE MAIRE
Je leur dis nous devrons tous faire un effort, tous prendre conscience que nous entrons dans un monde nouveau, tous prendre conscience qu'il va falloir accélérer notre indépendance vis-à-vis d'énergies fossiles, s'il y a une seule chose positive à tirer de cette crise, qui nous meurtrit tous au plus profond de nous-mêmes, parce que ces images nous choquent, ces images d'enfants et de femmes qui sont sous les bombes et sous les missiles russes, bouleversent nos compatriotes, mais s'il y a une chose de positif qu'on peut y trouver, c'est bâtir notre indépendance totale en matière énergétique et être beaucoup moins dépendants des énergies fossiles.
APOLLINE DE MALHERBE
Deux questions très précises sur ce que vous venez de dire, l'une, est-ce que vous [nous] dites, comme la patronne d'ENGIE, qu'il faudrait demander à tous les Français de baisser le chauffage chez eux ?
BRUNO LE MAIRE
Les Français sont lucides sur la situation, le ministre de l'Economie n'est pas là pour dire de faire ceci ou de faire cela, je dis simplement que collectivement nous allons devoir tous faire beaucoup plus attention à nos consommations d'énergie.
APOLLINE DE MALHERBE
Donc soyons prudents sur nos consommations, de l'indépendance énergétique. On a fermé Fessenheim, est-ce que la question de rouvrir Fessenheim est sur la table ?
BRUNO LE MAIRE
Ce qui est sur la table c'est d'investir massivement dans les énergies nucléaires et dans de nouveaux réacteurs nucléaires, six très précisément, comme l'a indiqué le président de la République, c'est accélérer les investissements sur les énergies renouvelables, et sans doute accélérer la mise en oeuvre du plan énergétique développé par le président de la République à Belfort, parce que le prochain rendez-vous…
APOLLINE DE MALHERBE
Mais vous ne me répondez pas sur Fessenheim, est-ce que c'est envisageable, Fessenheim a été fermée, on a jusqu'à la fin du mois pour décider si c'est définitif ou non ?
BRUNO LE MAIRE
Pour le coup, je vous ai dit que pour les sanctions tout était sur la table, là ça ne fait pas partie des options que nous regardons actuellement, ce que nous regardons c'est comment accélérer le déploiement de l'indépendance énergétique grâce aux décisions prises par le président de la République à Belfort. Le dernier point, parce que je vous ai parlé de la protection des entreprises, c'est vital, toutes ces entreprises qui sont exposées à la consommation de gaz, soutenir les ménages les plus modestes, que ce soit sur l'alimentaire ou sur l'énergie, c'est le deuxième volet de ce plan, le troisième c'est l'adaptation, consommer moins, investir dans les énergies renouvelables et dans le nucléaire, mais c'est aussi avoir une approche européenne. Moi je n'ai cessé de me battre, depuis maintenant plusieurs semaines, pour qu'on déconnecte le prix de l'électricité du prix du gaz, je pense que les choses progressent, mais vous voyez bien…
APOLLINE DE MALHERBE
Il faut que vous arriviez à convaincre Bruxelles d'accepter ?
BRUNO LE MAIRE
Oui, mais je ne lâcherai rien, parce que déjà c'était absurde à la base d'investir dans l'électricité décarbonée tout en payant le prix du gaz quand on ouvre une centrale à gaz à l'est de l'Europe, mais quand le prix du gaz fait fois deux, voire davantage, ça devient totalement absurde. Comment est-ce que je peux expliquer aux Français qu'on va investir massivement dans des énergies décarbonées, notamment le nucléaire, mais que, en même temps, leur kilowattheure va être…
APOLLINE DE MALHERBE
En fait ce qu'il faut que les Français comprennent c'est que nous on produit notre électricité moins chère que d'autres, mais on est obligé de la vendre plus chère pour ne pas créer un trop grand décalage avec nos voisins.
BRUNO LE MAIRE
On est obligé de la vendre au prix, pour être tout à fait précis… exactement, au prix…
APOLLINE DE MALHERBE
C'est vrai que c'est absurde.
BRUNO LE MAIRE
Aux prix du kilowattheure de gaz qui va être produit de la centrale à gaz qui va être ouverte, pour que cette centrale à gaz soit rentable.
APOLLINE DE MALHERBE
Vous avez bon espoir d'obtenir de Bruxelles…
BRUNO LE MAIRE
Donc on aligne les prix des énergies…
APOLLINE DE MALHERBE
Un Go ?
BRUNO LE MAIRE
J'ai bon espoir que ça progresse parce qu'on ne peut pas continuer à aligner le prix des énergies décarbonées sur le prix des énergies fossiles, moi je veux rompre une bonne fois pour toutes ce lien, je pense que nos arguments portent, ils portaient avant que le prix du gaz ait fortement augmenté, maintenant qu'il a fortement augmenté, je le redis, nous devons déconnecter le coût moyen de production de l'électricité décarbonée du prix des énergies fossiles, notamment du prix du gaz.
APOLLINE DE MALHERBE
Qu'est-ce que vous dites à nos entreprises qui sont présentes en Russie, on fait partie des pays les plus présents aujourd'hui en Russie, alors il y a un certain nombre d'entreprises très emblématiques, de marques emblématiques comme HERMES, LVMH, CHANEL ou KERING, qui ont dit fermer leurs boutiques là-bas, est-ce que vous applaudissez cette démarche ,ou est-ce que vous dites attention, il faut quand même y rester, quel est l'équilibre et quel est le conseil que vous donnez aux entreprises françaises ?
BRUNO LE MAIRE
L'équilibre il est simple, les entreprises que nous avons reçues avec le président de la République vendredi dernier, nous avons longuement échangé avec elles, ce sont des entreprises privées, qui prennent leurs décisions librement, nous leur demandons qu'une seule chose, appliquer rigoureusement et strictement les sanctions. Si demain il devait y avoir de nouvelles sanctions, de nouvelles décisions, les entreprises, elles sont d'ailleurs toutes très respectueuses de ces décisions, respecteront les sanctions, pour le moment les sanctions ne visent pas les entreprises qui sont présentes en Russie.
APOLLINE DE MALHERBE
Mais est-ce qu'au fond vous ne ménagez pas un peu la chèvre et le chou, je sais bien combien c'est difficile de trouver l'équilibre, vous le disiez tout à l'heure, y compris avec nos voisins qui parfois sont très dépendants de la Russie, mais on se retrouve quand même dans une situation où on a le président de la République qui derrière lui mais le drapeau ukrainien, au même titre que le drapeau français et le drapeau européen, ce qui montre un soutien massif et une solidarité, et en même temps, sur le terrain, ils sont seuls, on les laisse se faire massacrer, est-ce qu'il n'y a pas un paradoxe là, une ambiguïté, voire même une hypocrisie ?
BRUNO LE MAIRE
D'abord nous nous gardons des moyens de monter en puissance, je le redis, notamment sur les sanctions économiques et sur les sanctions financières, nous avons frappé massivement, rapidement, en préservant l'unité européenne, et tout nouveau train de sanctions européennes doit reposer sur l'unité des 27. Après, toutes les images, tous les reportages que nous voyons, je le redis, ça nous bouleverse tous, ça bouleverse nos familles, ça bouleverse nos enfants, ça nous choque profondément, mais nous mettons tous les atouts de notre côté pour essayer de faire plier Vladimir POUTINE, pour essayer de le faire changer d'approche.
APOLLINE DE MALHERBE
Mais s'il ne plie pas ? au fond, je voudrais reprendre quand même les mots que vous avez eus la semaine dernière, mardi dernier vous avez affirmé que la France et l'Europe livraient, je vous cite, une guerre économique et financière totale à la Russie pour provoquer l'effondrement de l'économie russe, vous êtes revenu sur ces propos parce que le mot " guerre totale " avait évidemment fait réagir, y compris Dimitri MEDVEDEV qui disait « attention », en gros vous jouez avec le feu, vous êtes revenu sur ces propos, mais est-ce que ce n'était pas le fond de votre pensée ?
BRUNO LE MAIRE
Le fond de ma pensée c'est que nous devons défendre la souveraineté de l'Ukraine, que les sanctions économiques et financières sont aujourd'hui l'arme la plus efficace dont nous disposons, que personne ne souhaite entrer dans un conflit, dans une guerre contre la Russie, le président de la République a été très clair là-dessus, et donc nous employons…
APOLLINE DE MALHERBE
Mais est-ce que cette position elle est tenable, de solidarité et en même temps d'abandon ?
BRUNO LE MAIRE
Mais ce n'est pas uniquement de la solidarité, c'est des livraisons d'armes, c'est des sanctions économiques, c'est des sanctions financières comme jamais l'Union européenne n'en a prononcées contre un autre Etat, Vladimir POUTINE est l'agresseur, l'Ukraine, et à travers l'Ukraine, toute l'Europe, nous sommes les agressés, donc nous ripostons, nous ripostons, comme l'a souhaité le président de la République, à la mesure de l'attaque dont l'Ukraine a été la victime, et dont tous les Etats européens, à travers l'Ukraine, ont été la victime, chaque jour nous préparons aussi les plans suivants, nous anticipons ce que peuvent être les différents scénarios, c'est le président de la République qui par définition fixe le cap, qui me semble le bon aujourd'hui, face à cette crise ukrainienne, mais reconnaissons que c'est une crise géopolitique majeure, qui engage aussi les Etats-Unis, qui engage aussi la Chine, où tout ne se résout pas en 24 heures, hélas, mais où notre détermination est totale.
APOLLINE DE MALHERBE
Vous avez parlé d'incertitudes, est-ce que sincèrement aujourd'hui vous pouvez nous dire nous échapperons, quoi qu'il arrive, à une troisième guerre mondiale ?
BRUNO LE MAIRE
Je suis un ministre de l'Economie et des Finances, j'ai une responsabilité qui est déjà écrasante, protéger les entreprises françaises, les PME, et tous nos compatriotes, contre les conséquences économiques de cette crise, qui sont déjà bien réelles pour les gens…
APOLLINE DE MALHERBE
Mais vous ne pouvez pas nous dire ce matin il n'y aura pas de troisième guerre mondiale ?
BRUNO LE MAIRE
Mais, personne aujourd'hui ne peut évacuer quelque scénario que ce soit. Je le dis comme simple citoyen, personne ne peut évacuer quelque scénario que ce soit, ce dont je peux témoigner c'est qu'on a aujourd'hui un président de la République, président de l'Union européenne, qui met tous les atouts de notre côté pour stopper les décisions irresponsables de Vladimir POUTINE.
APOLLINE DE MALHERBE
Est-ce que vous ferez campagne ou est-ce que finalement, dans ce contexte, il vous paraît impossible de donner un peu de temps à cette campagne, et à Emmanuel MACRON, non pas président mais candidat ?
BRUNO LE MAIRE
Je donnerai le temps nécessaire, mais je ne vous cache pas que, aujourd'hui mes jours et mes nuits, une partie de mes nuits, sont occupées à bâtir les réponses les plus efficaces, à la crise économique, à la crise financière, à l'impact que les décisions peuvent avoir sur le prix de l'énergie, sur la vie quotidienne de nos compatriotes, c'est ça ma responsabilité première, et de le faire dans un cadre européen, je redis à quel point ce rendez-vous des chefs d'Etat, de cette semaine, est absolument essentiel, pour garantir l'unité de la zone euro, pour garantir qu'il n'y ait pas trop de divergences entre des Etats qui sont très exposés au gaz russe et d'autres qui le sont moins, pour faire en sorte qu'on utilise cette crise pour accélérer notre décarbonation et renforcer notre indépendance, non seulement sur l'énergie, mais aussi sur tous les matériaux critiques, aussi sur tous les éléments critiques comme les semi-conducteurs, pour que l'Europe sorte de cette crise plus forte, plus indépendante, et plus souveraine.
APOLLINE DE MALHERBE
Et avec une souveraineté plus forte. Merci Bruno LE MAIRE d'avoir répondu à mes questions ce matin.
BRUNO LE MAIRE
Merci Apolline de MALHERBE.
APOLLINE DE MALHERBE
Ministre de l'Economie, des Finances et de la Relance, on vous sent très préoccupé, je retiens ces mots d'incertitudes et, ce que vous dites, que personne aujourd'hui ne peut exclure quelque scénario que ce soit, merci à vous.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 7 mars 2022