Texte intégral
Jean-Yves Le Drian est en effet retenu par un déplacement en Pologne dans le cadre de l'action diplomatique menée par la France pour résoudre cette crise - il faudrait plutôt parler de guerre, puisque c'est de cela qu'il s'agit, en réalité, sur le terrain.
La situation est très grave et mouvante. Nous avons observé hier quelques signaux ou quelques espoirs de discussion entre les parties russe et ukrainienne, tandis que se poursuivait la nécessaire activité diplomatique française et européenne - après avoir reparlé au président Zelensky, le Président de la République s'est entretenu longuement avec le président Poutine. Sur le terrain, cependant, la réalité est celle d'une opération de guerre, d'une opération d'invasion. À l'heure où nous parlons, les combats semblent malheureusement s'intensifier. Cela ne veut pas dire que nos efforts collectifs ne doivent pas être poursuivis.
Je ne reviendrai pas sur la chronologie des événements. Je dirai quelques mots de la réaction française, européenne et internationale à cette situation de guerre et je m'efforcerai, avec beaucoup de modestie et de prudence dans ce contexte mouvant, d'en tirer quelques leçons politiques ou géopolitiques provisoires.
Nous avons vu le retour en Europe de la force brute, de la force brutale. Pour nous, Européens qui vivons, et c'est tant mieux, dans une union de paix et de droit, cela a été un choc, un traumatisme, de voir se produire ce que nous pensions impossible. Nous croyions tous que nous pouvions vivre avec le droit sans la force. Nous nous sentons alors rapidement impuissants lorsque d'autres ne pensent pas comme nous.
À l'inverse - mais je le dis évidemment avec beaucoup de prudence -, Vladimir Poutine et le régime russe ont pu constater que la force sans le droit, la coopération ni la reconnaissance d'une interdépendance internationale conduisait à une impasse. En cherchant à reconquérir un pays par la force, dans le cadre d'une stratégie impériale, Vladimir Poutine a voulu engager un combat du XXe siècle qui est, d'une certaine façon, perdu d'avance. Cela provoque un drame, cela fait des victimes par centaines et probablement par milliers, cela entraîne la fuite de centaines de milliers de personnes, mais en dépit de quelques victoires remportées sur le terrain, que nous ne souhaitons évidemment pas, c'est la meilleure façon de faire de l'Ukraine une démocratie européenne - ce qu'elle sera sans doute dans dix ou quinze ans - qui tournera le dos à la Russie - ce qui, d'un point de vue géopolitique, n'est pas vraiment une bonne nouvelle. L'idée que la force permet de se passer de toute coopération internationale et qu'un pays peut vivre en autarcie mène à une forme d'échec, dont la Russie de M. Poutine devra tirer les leçons.
Je le disais tout à l'heure : dans une sorte de confort, y compris moral, les Européens se sont habitués à vivre dans une Union réconciliée de droits, de valeurs et, si vous me permettez l'expression, de bonnes manières, à rebours de la réalité géopolitique mondiale. Cela ne nous a pas empêchés de tirer rapidement les conséquences très fortes des événements récents. Vous connaissez mon engagement européen mais vous savez que je ne chercherai pas à enjoliver le tableau : vous me permettrez donc de dire que le sursaut européen auquel nous avons assisté ces derniers jours est impressionnant. La réalité est dramatique, mais la réponse que nous y avons apportée, ou plutôt la capacité de réponse que nous avons mise en place, est positive.
Nous avons tout d'abord adopté un certain nombre de mesures que nous jugions traditionnellement insuffisantes voire inefficaces, telles que des sanctions individuelles et des sanctions économiques ; ce sont des armes que l'Europe avait déjà utilisées, y compris contre la Russie, mais qui ont pris cette fois une ampleur inédite, impensable il y a encore quelques jours. Je ne ferai pas la liste de ces mesures, que vous connaissez en très grande partie. Je me bornerai à citer la déconnexion de nombreuses banques russes du système de la Society for Worldwide Interbank Financial Telecommunication (SWIFT), l'immobilisation des avoirs de la banque centrale russe - c'est sans doute la mesure dont l'impact économique et financier est le plus important -, ainsi que le recensement, le gel et potentiellement la saisie des avoirs de certains responsables politiques ou économiques russes. Ces dispositions habituelles ont pris une telle ampleur qu'elles ont changé de nature.
Nous y avons ajouté des mesures d'une nature tout à fait différente. Là non plus, je n'en dresserai pas la liste exhaustive, mais je pense notamment à la fermeture de notre espace aérien, ou encore à la déconnexion ou l'immobilisation d'un certain nombre de médias comme Sputnik et Russia Today (RT), qui sont devenus des instruments de propagande.
Au-delà des mesures de nature punitive qui exercent sur la Russie une pression inédite, nous nous sommes mis d'accord sur des dispositifs tout autres. C'est là que le saut européen est sans doute le plus impressionnant, d'un point de vue tant quantitatif que qualitatif. Outre le soutien humanitaire et politique que nous apportons à l'Ukraine, nous avons décidé de lui venir en aide d'un point de vue militaire. Nous ne sommes pas nous-mêmes des belligérants, comme M. Le Drian l'a rappelé très clairement hier, mais nous soutenons un pays attaqué qui est, de fait, en guerre. Bien que je n'aime pas utiliser des mots galvaudés, je pense que nous pouvons parler ici d'une décision historique. Pour aider les Etats membres à livrer des équipements militaires à l'Ukraine - je souligne qu'il s'agit là d'une action indirecte -, nous mobilisons au niveau européen une enveloppe de 500 millions d'euros, dont 450 millions pourront être utilisés pour la livraison d'équipements à caractère létal. Cette mesure s'inscrit dans le cadre de la facilité européenne pour la paix, un outil prévu dans le budget européen 2021-2027 mais qui n'avait encore jamais été utilisé dans de telles circonstances.
Ce qui s'est passé chez notre premier partenaire européen, l'Allemagne, est sans doute le précipité ou le révélateur de cette évolution européenne à marche forcée. J'invite chacun à lire l'impressionnant discours prononcé dimanche par le chancelier Olaf Scholz devant le Bundestag. Tout en se situant clairement dans un cadre européen d'unité, l'Allemagne se montrait traditionnellement prudente lorsqu'il était question de livraison d'équipements militaires ou de sujets énergétiques - vous connaissez évidemment les enjeux liés aux gazoducs Nord Stream. Tout cela a été balayé en quelques jours, et même en quelques heures, par les événements historiques. Après avoir annoncé, quelques jours plus tôt, la suspension de la procédure concernant le pipeline Nord Stream 2, le chancelier Scholz s'est prononcé dimanche en faveur de la livraison d'équipements militaires à l'Ukraine et du vote d'un fonds de 100 milliards d'euros - deux fois le budget annuel actuel de la défense en Allemagne - pour la modernisation de la Bundeswehr dans un cadre européen. Il a également levé le tabou des 2 % du PIB consacrés à l'effort de défense, conformément à la cible de dépenses fixée dans le cadre de l'OTAN que sa coalition avait pourtant jusqu'alors refusé d'endosser.
Nous ne sommes qu'au début du chemin. Il est évident que la présidence française du Conseil de l'Union européenne devra désormais être consacrée presque exclusivement à ces sujets. Il faudra aussi tirer, à la lumière de cette guerre et de cette crise qui durera, un certain nombre de leçons pour l'avenir à propos de notre investissement et de la coopération européenne en matière de défense.
Sans vouloir faire de comparaisons inappropriées, j'aimerais mettre en perspective les crises vécues par l'Europe ces dernières années. Depuis le Brexit, en 2016, nous avons surmonté trois "impensés" en six ans. Le premier est celui du départ d'un pays de l'Union européenne - une situation que les fervents partisans de la construction européenne jugeaient impossible. Cet événement, dont la nature était certes différente de celui que nous vivons aujourd'hui, a été révélateur. Nous pensions également que l'Europe n'aurait jamais à gérer de questions sanitaires, et surtout que ses règles de rigueur budgétaire ne permettraient pas d'appliquer ce que la France a appelé le "quoi qu'il en coûte" et que tous les autres pays ont également mis en place ; or cela s'est fait en seulement quelques semaines, par l'adoption d'un plan de relance et la levée du tabou budgétaire allemand. Enfin, nous considérions qu'il était impossible de construire sérieusement une Europe de la défense utile ; même si nous n'en sommes encore qu'au début, nous avons constaté là aussi que ce tabou pouvait sauter, et qu'il était d'ailleurs nécessaire qu'il saute rapidement.
Je reviendrai évidemment, en répondant le plus précisément possible à toutes vos questions, sur la situation de nos ressortissants en Ukraine, sur notre travail diplomatique et consulaire sur place, sur l'accueil des réfugiés ainsi que sur la poursuite de nos efforts diplomatiques.
(...)
Merci pour vos interventions ainsi que pour le climat qui règne ce matin, marqué par la gravité et l'émotion. Ces sentiments nous réunissent au moment où il s'agit de trouver une réponse à cette guerre.
Monsieur Mbaye, s'agissant de la redéfinition des priorités de la présidence française de l'Union européenne à la lumière de la guerre et de ses conséquences, il est évident que nous ne continuerons pas comme si rien ne s'était passé. Toutefois, un certain nombre d'enjeux prioritaires et pertinents, qui faisaient souvent l'objet de discussions depuis plusieurs années, pour lesquels la France avait pris des initiatives transpartisanes et soutenues par d'autres pays, ne seront pas abandonnés. Qu'il s'agisse de la régulation du numérique - sujet qui nous ramène à certains des aspects qui ont été évoqués, car il y a des liens avec les plateformes et les médias -, des normes sociales ou de la politique climatique, les négociations continuent. Des réunions des conseils des ministres européens concernés se tiennent et continueront à se tenir. Ce serait une faute de ne pas le faire. Néanmoins, nous ne saurions manquer d'initiative en ce qui concerne le conflit, qui est désormais la chose la plus importante. Je n'ai pas besoin de détailler les actions du Président de la République montrant son engagement à cet égard.
La prochaine échéance très importante au niveau des chefs d'Etat et de gouvernement européens sera un sommet informel qui se tiendra en France les 10 et 11 mars. Cette réunion était prévue ; il appartiendra au Président de la République d'en redéfinir les contours. Il devait être consacré aux questions de souveraineté européenne dans les domaines économique et industriel. L'enjeu était notamment de créer un nouveau modèle d'investissement européen. Nous devrons nous concentrer davantage sur la réduction de notre dépendance, ce qui est du reste cohérent avec le projet d'ensemble qui était annoncé. Cette dépendance concerne aussi bien la sécurité et la défense que l'énergie, la technologie - elle est manifeste dans de nombreuses industries de pointe, y compris l'aéronautique - et l'alimentation.
Comme l'a dit très clairement le Président de la République ce week-end au salon de l'agriculture, le conflit aura des conséquences à court terme sur nos vies et sur les filières économiques. Il importe de ne pas les nier et d'accompagner les filières concernées.
Un vaste mouvement européen s'est engagé à la faveur d'une prise de conscience du prix de la sécurité, de la démocratie et de la paix, et de la nécessité d'investir, en particulier dans le domaine de la défense. À cet égard, la France avait investi davantage et plus tôt que d'autres. Désormais, c'est à l'échelon européen qu'il faut le faire. L'Allemagne s'est d'ailleurs engagée dans ce chemin.
Dans le domaine de l'alimentation, nous appelons de nos voeux depuis plusieurs mois un plan européen pour le développement de la production de protéines. Le ministre de l'agriculture et de l'alimentation est très engagé dans cette démarche.
Dans le domaine de l'énergie, la réduction de la dépendance suppose d'accélérer la transition. Il est en effet indispensable de réduire plus rapidement notre dépendance à l'égard des énergies fossiles, en particulier du gaz russe. Moins de 20% du gaz importé par la France vient de Russie, mais c'est 55% pour l'Allemagne et plus encore pour l'Italie.
L'indépendance en matière de sécurité et de souveraineté, au sens large, sera plus que jamais la grande priorité de la présidence française dans les semaines qui viennent. Je ne suis pas en mesure de détailler l'ensemble du projet à cette heure, mais le sommet des 10 et 11 mars sera sans doute un rendez-vous important.
Monsieur Dumont, je vous ai déjà répondu en partie s'agissant des quatre défis que vous avez recensés. En ce qui concerne la souveraineté énergétique, l'Europe est toujours en situation de dépendance. Sans entrer dans une polémique avec nos partenaires, force est de constater que la France a fait il y a quarante ans, en optant pour le nucléaire, un choix décisif pour garantir sa souveraineté. En effet, ce n'est pas l'ambition climatique qui nous guidait à l'époque, car cette préoccupation était moins présente. Ce n'était pas non plus la question du coût de l'énergie, même si, grâce à ce choix, nous avons bénéficié de prix plus bas que nos voisins européens. Le choix du nucléaire était avant tout guidé par le souci de la souveraineté, enjeu qui paraissait parfois abstrait à certains lors des débats européens, et dont on voit à quel point il est crucial. Les Pays-Bas et l'Allemagne évoluent sur ce point. Dans le débat allemand, notamment, la question du nucléaire apparaît sous un jour différent à la lumière des événements des derniers jours. Les points de vue avaient déjà commencé à évoluer il y a plusieurs semaines, avec la crise du prix de l'énergie.
Pour répondre précisément à votre question, il n'y a pas d'interruption ni même de difficultés de livraison pour cet hiver, mais nous devons nous préparer à tout. Les ministres de l'énergie ont ainsi été réunis hier par la présidence française pour faire un point sur les stocks et, à plus long terme, sur l'accélération de l'indépendance. La réglementation européenne doit évoluer de manière à renforcer les stocks. À l'évidence, certains pays européens sont plus vulnérables que d'autres. Une autre priorité est de préparer dès à présent l'hiver prochain, car c'est en général à partir du mois d'avril de l'année n que l'on reconstitue les stocks stratégiques et de précaution pour l'année n + 1.
Il faut également diversifier l'approvisionnement en gaz, y compris à travers des négociations à l'échelon européen. La Commission européenne s'est ainsi engagée depuis plusieurs semaines dans des discussions avec nos partenaires, en particulier au Proche-Orient, ainsi qu'avec les Etats-Unis.
Bruno Le Maire n'a pas dit que notre première intention était d'abîmer l'économie russe, voire de la précipiter vers l'effondrement : il s'agit d'une réponse à l'agression organisée par la Russie et, en effet, nous souhaitons imposer une pression maximale à l'économie russe, tout en procédant à une forme de ciblage. Le peuple russe n'est pas notre ennemi. Toutefois, ne soyons pas naïfs : il est difficile de faire une cote parfaitement taillée, c'est-à-dire de prendre des mesures dont l'impact économique est limité à quelques dirigeants, à quelques oligarques proches du pouvoir, ou encore aux services de défense et de renseignement. Je vous mentirais en vous disant que c'est possible. Si les sanctions individuelles permettent le ciblage, les mesures d'ordre économique sont nécessairement plus larges. Néanmoins, pour les sanctions économiques sectorielles, notamment les interdictions d'export, qui ont été adoptées en milieu de semaine dernière, nous avons tenté de cibler les domaines sensibles pour l'économie russe et participant au financement du pouvoir. Ainsi, certaines des banques visées contribuent au financement de l'appareil militaire. Nous avons donc fait en sorte d'engager une action proportionnée, ce qui ne signifie pas qu'elle soit légère : nous ciblons les intérêts russes les plus proches de M. Poutine et du pouvoir en nous efforçant de faire en sorte que l'impact sur le citoyen russe, qui n'est souvent pour rien dans cette affaire, soit le moins important possible. Cela dit, il est évident que les conséquences de ces mesures sur le rouble et sur l'inflation doivent être très fortes si l'on veut que la pression s'exerce ; elles pèseront donc aussi sur la population russe.
Plusieurs d'entre vous m'ont interrogé, à juste titre, sur l'adhésion de l'Ukraine à l'Union européenne.
Je recommande une grande prudence, d'abord parce que nous exerçons la présidence du Conseil de l'Union européenne. À ma connaissance, neuf pays se sont exprimés très clairement en faveur d'une adhésion rapide de l'Ukraine - avec plus ou moins d'empressement, certes, mais le message a été envoyé. Nous ne pouvons pas ignorer non plus le signal très fort que constitue la signature de la demande formelle d'adhésion par le président Zelensky ; c'est une marque de confiance. Toutefois, certains Etats ne se sont pas exprimés. D'autres ont fait part de leurs réticences ou ont demandé que l'on agisse avec précaution. Dans la mesure où nous assurons la présidence de l'Union, nous devons prendre en compte tous ces éléments. Si je vous disais que tous les pays européens se sont exprimés en faveur de l'adhésion de l'Ukraine, ce ne serait pas la vérité.
En outre, dans la mesure où l'Europe est de plus en plus, notamment du fait de cette crise, un projet politique et géopolitique - ce qui était notre souhait collectif, me semble-t-il -, nous devons réfléchir aux conséquences de cette adhésion dans la durée et avoir une vue d'ensemble, malgré la gravité de la situation. Si l'Ukraine entre dans l'Union européenne, que dirons-nous à la Géorgie ou à la Moldavie, dont les dirigeants se sont entretenus avec le Président de la République ? Ces pays sont eux aussi dans l'oeil du cyclone. Que dirons-nous aux pays des Balkans occidentaux, qui ont entamé de longue date le processus d'adhésion - lequel me paraît d'autant plus nécessaire que la guerre risque de déstabiliser encore plus cette région ?
Quoi qu'il en soit, comme l'a dit hier Jean-Yves Le Drian, il est certain que notre relation avec l'Ukraine ne sera plus la même après cette crise, et que l'Union européenne elle-même ne sera plus la même. Nous devrons sans doute - je le dis à titre prospectif, provisoire et personnel - imaginer des formes de partenariat plus approfondi avec notre voisinage immédiat. L'accord d'association avec l'Ukraine date de 2016. À ce titre, le pays participe à certains programmes de l'Union européenne et il est sans doute, dans notre voisinage, celui dont nous sommes le plus proches. Le soutien que nous lui accordons, indépendamment de la guerre, est de l'ordre de 160 millions d'euros par an dans le cadre de la nouvelle programmation financière, ce qui est très important. Il est évident qu'il faudra changer encore d'échelle. Toutefois, il serait prématuré et peu responsable de préciser dès maintenant à quelle échéance cette évolution aura lieu et quelle forme elle prendra - car on peut se demander si l'adhésion est la seule forme de partenariat possible avec l'Union européenne.
Je crois beaucoup à la force de l'Union européenne et je considère que l'adhésion est une démarche très puissante. C'est la raison pour laquelle il ne faut pas la prendre à la légère - la situation ne l'est pas non plus, du reste. Nous devons donc bien réfléchir au projet d'adhésion ; je le dis pour l'Ukraine comme pour nous-mêmes. Une adhésion subito ne serait pas une bonne démarche et ne correspondrait pas non plus à la réalité des choses en la matière car, mutatis mutandis, le processus prend habituellement au moins quinze ans.
De plus, une adhésion immédiate n'apporterait pas à l'Ukraine une aide concrète et immédiate. Il est vrai que le traité prévoit des clauses de solidarité très importantes, mais elles ne sont pas exactement de même nature que celles d'une alliance du type de l'OTAN. Nous ne sommes pas, au départ, une alliance de défense et de sécurité. Toutefois, si M. Zelensky, avec le grand courage qui le caractérise, fait appel à l'Union européenne, c'est parce qu'il considère qu'elle offre déjà un cadre de protection - avec l'idée qu'une agression visant l'un de ses membres est beaucoup plus improbable, même s'il ne faut jurer de rien, malheureusement - et qu'elle sera de plus en plus une union de sécurité et de défense. Il s'agit là d'un projet de long terme ; pour l'heure, nous devons répondre à la demande qui nous est faite - je veux parler des livraisons d'équipements ; j'y reviendrai.
Nous devrons avoir un débat sur "les aspirations européennes de l'Ukraine", selon la formule du Conseil européen du 24 février. Il faut, à ce stade, assumer cette formule un peu générale. Dès la fin de semaine, je réunirai à Arles les ministres chargés des affaires européennes. La réunion était déjà programmée, mais nous consacrerons l'essentiel de nos débats à la question de l'Ukraine.
Monsieur Petit, vous avez raison de souligner le discours pivot du chancelier Scholz - je l'ai fait moi aussi -, même si certains termes mériteront d'être précisés. Il ne m'appartient pas de m'en faire l'interprète et encore moins de commenter la politique allemande. Toutefois, des mots forts ont été prononcés à propos de la dissuasion, ou encore de l'indépendance énergétique, qui marquent une évolution en l'espace de quelques jours par rapport à l'accord de coalition. Celui-ci, du reste, était déjà de nature très européenne et levait certains tabous, en particulier s'agissant des règles budgétaires. Cela dit, il entretenait encore ce que j'appellerais des ambiguïtés constructives dans le domaine de la défense, en particulier en ce qui concerne l'engagement européen dans des interventions extérieures, ou encore dans le domaine de la politique commerciale. Même si ce ne fut pas tout à fait le cas dans les toutes premières heures de la crise puis de la guerre, les positions du chancelier Scholz ont ensuite été soutenues par la plupart des partis, dans un moment d'unité et de responsabilité exemplaire : outre les libéraux, les Verts et les sociaux-démocrates, la CDU et la CSU se sont exprimées très clairement en ce sens, notamment par la voix de Friedrich Merz, au Bundestag, dès dimanche.
Cela veut-il dire que tout est réglé, qu'il n'y aura plus de débats entre le poids de l'Union européenne et celui de la relation transatlantique, entre le rôle de l'Union européenne et celui de l'OTAN ou de la complémentarité entre les deux ? À l'évidence, non. Quand il s'agira des achats de matériel militaire, de la priorité donnée à telle ou telle alliance, ou encore des opérations extérieures européennes, ces débats se poursuivront, bien entendu. Malheureusement, ils n'ont pas été éteints par la crise. Cela dit, nous nous dirigeons clairement vers une augmentation des dépenses liées à la défense, et l'Union européenne a marqué sa volonté de jouer directement un rôle en matière de sécurité, y compris par la livraison d'armes. Par ailleurs, l'Allemagne a fait savoir qu'elle respecterait son engagement, pris dans le cadre de l'OTAN, de consacrer 2 % de son PIB aux dépenses de défense.
Monsieur Lambert, je ne peux pas en dire beaucoup plus que je ne l'ai déjà fait à propos des conséquences économiques de la guerre. S'il n'y a pas de risque de rupture de l'approvisionnement, l'impact de la crise sur les prix, quant à lui, n'est pas seulement de l'ordre du risque : c'est une réalité. Combien de temps cela durera-t-il et quelles seront les proportions du phénomène ? Je ne saurais vous le dire, mais cela durera. C'est à peu près inévitable. Nous devons le dire en toute transparence à nos concitoyens.
Les accords de Minsk 2 ont été signés en février 2015 par les parties russe et ukrainienne et par l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), dans le cadre du format Normandie, qui associe la France, l'Allemagne, l'Ukraine et la Russie. Ce format a connu des difficultés. Il a été suspendu pendant longtemps, notamment parce que les deux parties n'arrivaient pas à trouver un terrain de convergence. Il a été réuni pour la dernière fois au niveau des chefs d'Etat et de gouvernement en décembre 2019, sur l'initiative de la France. Nous avons réussi à le réunir de nouveau au niveau des conseillers diplomatiques des chefs d'Etat et de gouvernement au début de la crise actuelle, quand nous avons lancé une nouvelle initiative.
Il est difficile de produire le bilan complet de ce format. Il a eu des effets positifs, parmi lesquels la consolidation du cessez-le-feu et la libération de prisonniers, y compris en décembre 2019. Nous avons tenté de le raviver, mais cela n'a pas fonctionné, principalement, disons-le très clairement, à cause du manque de volonté des Russes.
Néanmoins, c'est un format qui, je l'espère, vivra de nouveau à l'avenir. À ceux qui, dès le début de la crise, ont dit que l'Europe était très absente, je n'ai pas manqué de rappeler que, depuis 2014 et l'invasion de la Crimée, le seul format qui a, parfois et partiellement - reconnaissons-le humblement -, produit des résultats, c'est le format Normandie, sous l'égide la France et de l'Allemagne. Il ne faut donc pas l'abandonner.
Quant aux sanctions, notamment le gel des avoirs, nous n'avons pas défini les critères exacts de leur levée ou de leur atténuation. Il est évident que le contexte actuel ne le permet pas et que de telles perspectives n'existent pas à court terme. Cependant, conformément au mécanisme traditionnel en matière de sanctions, il est prévu que, tous les six mois, les Etats membres passent la situation en revue et, le cas échéant, décident à l'unanimité la prolongation des sanctions. Ainsi, les régimes de sanction appliqués à la Russie font déjà l'objet, au sein du Conseil européen, d'une telle revue, pilotée par la France et l'Allemagne. La même clause de rendez-vous s'appliquera pour définir des critères, selon une appréciation nécessairement politique et collective.
M. le président Jean-Louis Bourlanges - Ce que suggère M. Lambert, me semble-t-il, c'est qu'à côté du bâton, il faut une carotte.
Je suis d'accord avec vous, monsieur le président. Mais, pour qu'il y ait une carotte, encore faut-il qu'il y ait une forme de sincérité dans la négociation. Pour l'instant, même si nous nous y employons fortement, nous ne sommes pas encore dans la situation où nous pouvons dire aux Russes que s'ils remplissent telle condition, ils auront une forme de "récompense" ou d'incitation. Il faudra définir des critères dans le cadre du mécanisme de revue que j'évoquais à l'instant. En tout cas, l'occupation d'un pays ne peut pas être une condition de discussion réelle.
S'agissant de la fourniture des armements, 450 millions d'euros - 500 millions au total - permettront de financer des armes létales, de combat. Des pays ont commencé leurs livraisons sans attendre les financements européens. Certains - ce n'est pas le choix de la France - ont indiqué, sans pour autant en donner une liste exhaustive, le type d'équipements qu'ils fournissent ; c'est le cas des Belges et des Allemands. Nous ne faisons pas le même choix, car nous cherchons à répondre de manière adaptée aux demandes de la partie ukrainienne. Nous avons déjà effectué un certain nombre de livraisons ; nous les poursuivrons, mais sans publier la liste des équipements fournis. Quant aux avions, les représentants de l'Union européenne ont indiqué, à la fin de la semaine dernière, qu'il s'agissait d'une des options possibles : cela fait partie de ce qui est finançable par l'Union européenne en fonction des demandes de l'Ukraine et de ce que les Etats membres sont prêts à fournir.
Monsieur El Guerrab, je vous remercie pour le soutien que vous apportez à notre action diplomatique de terrain. J'en profite pour rendre à nouveau hommage à notre ambassadeur, Etienne de Poncins, et à son équipe, qui ont dû, compte tenu de la gravité de la situation, quitter Kiev hier pour s'installer, comme un certain nombre d'autres postes diplomatiques, à Lviv. L'équipe continue à travailler, dans des conditions difficiles et apporte un soutien à nos ressortissants. Notre conseil de quitter le territoire ukrainien le plus rapidement possible reste bien entendu plus que jamais valable. Nous nous efforçons de recenser nos ressortissants présents sur le territoire ukrainien et d'accompagner au mieux chacune des personnes avec lesquelles l'équipe est en contact. Nous avons découvert que ces ressortissants étaient un peu plus nombreux que ce qu'indiquaient les chiffres du recensement et les inscriptions officielles. La gravité de la situation a incité plusieurs d'entre eux à se manifester. Nous nous efforçons de leur offrir un accompagnement. Comme Jean-Yves Le Drian l'a rappelé hier, il est encore possible - mais il faut suivre la situation heure par heure et, en tout état de cause, contacter l'ambassade avant toute démarche - de quitter le territoire ukrainien par la route, au sud. Hélas, nous ne pouvons évidemment pas procéder à des opérations d'évacuation globale ni assurer la protection de chaque voiture ou de chaque convoi, mais nous pouvons, par un contact téléphonique avec l'ambassade et en lien avec le centre de crise du Quai d'Orsay, faire le maximum pour apporter au moins des informations, voire une solution, à chaque ressortissant français.
Quant aux énergies renouvelables, je ne ferai pas un long exposé sur nos coopérations avec le continent africain mais elles concourent à la diversification de nos approvisionnements - je pense notamment à l'énergie solaire. Je vous renvoie, sur ce point, à la déclaration commune publiée à l'issue du sommet de l'Union africaine et de l'Union européenne qui s'est tenu il y a deux semaines : ces projets d'investissement et de développement font partie de ceux que nous avons décidé de financer.
Les fournitures à l'Ukraine sont-elles suffisantes ? Nous n'excluons pas de les augmenter encore. Une enveloppe budgétaire a été définie par la Facilité européenne pour la paix ; nous ajusterons à la fois les sanctions et nos mesures de soutien à l'Ukraine. La logique consiste à répondre autant que faire se peut aux demandes de l'Ukraine, qu'il s'agisse d'armements ou d'aide humanitaire.
Permettez-moi de dire un mot du volet humanitaire, puisque la question a été soulevée. Nous, Français, avons déjà acheminé, dans le cadre du Mécanisme européen de protection civile, un premier convoi composé de tentes, de couvertures et de divers autres équipements ; un deuxième convoi, comprenant notamment un hôpital de campagne, est en cours d'acheminement. Par ailleurs, je ne peux pas confirmer, vous le comprendrez, les informations, voire les rumeurs concernant l'utilisation par la Russie de tel ou tel armement - vous avez évoqué la bombe à fragmentation.
Monsieur Nadot, l'information du Parlement se déroule dans le cadre juridique et constitutionnel, et parfois au-delà - je pense à une structure plus informelle comme le comité de liaison. Nous répondons à toutes les questions ; Jean-Yves Le Drian et le pôle du Quai d'Orsay seront prêts à le faire en commission et dans d'autres formats. Comme en témoigne le débat organisé dans le cadre de l'article 50-1, le cadre constitutionnel est parfaitement respecté.
Par ailleurs, le travail diplomatique que nous menons pour sécuriser nos approvisionnements énergétiques nous a conduits à renforcer nos contacts avec nos partenaires du Proche-Orient, du Moyen-Orient et du nord de l'Afrique - Egypte, Emirats arabes unis, Qatar - ainsi qu'avec des partenaires asiatiques, qui sont parfois des réexportateurs d'énergie. J'ajoute que la coopération avec nos partenaires d'Afrique et du Moyen-Orient est également très bonne aux Nations unies ; le Kenya a ainsi très clairement soutenu, en tant que membre non permanent du Conseil de sécurité, nos efforts diplomatiques. À ce sujet, une proposition de résolution a été déposée à l'ONU à l'initiative de la France pour appeler à la cessation des hostilités et à faciliter le passage de l'aide humanitaire ; nous espérons qu'elle sera soutenue le plus largement possible.
Monsieur Lecoq, à cette heure, plus de 400 000 personnes ont fui l'Ukraine. Il s'agit, vous avez raison de les nommer ainsi, de réfugiés qui fuient une guerre. Ils sont entrés sur le territoire de pays de l'Union européenne - principalement la Pologne, la Hongrie, la Roumanie et la Slovaquie - et, hors de l'UE, sur le territoire de la Moldavie. Nous sommes prêts à faire preuve de solidarité vis-à-vis de ces pays - Jean-Yves le Drian est actuellement en Pologne, où je me rendrai moi-même dans quelques jours. La "bonne nouvelle" est que certains pays qui refusaient la solidarité européenne dans ce domaine sont désormais prêts à accueillir des réfugiés ; ils ne font pas directement appel, à ce stade, à la solidarité européenne mais ils conviennent qu'elle sera nécessaire. Nous sommes prêts à manifester cette solidarité dans tous les domaines, qu'il s'agisse de la protection des frontières, de l'accueil immédiat - dans le cadre de l'Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes, Frontex, ou de l'Agence de l'Union européenne pour l'asile -, de la fourniture, sur le plan humanitaire, d'équipements aux centres d'accueil provisoires ou, plus tard, d'une forme de répartition.
Les discussions sont en cours entre les ministres de l'intérieur. Les Ukrainiens sont dans une situation particulière puisqu'ils ont, la plupart du temps, un titre de séjour et peuvent rester quatre-vingt-dix jours sur le territoire de l'Union européenne. Une protection temporaire leur sera sans doute accordée - la plupart des Etats-membres semblent y être favorables - afin que leurs titres de séjour soient prolongés d'au moins quatre-vingt-dix jours supplémentaires. Nous adapterons notre dispositif au fur et à mesure, mais la solidarité européenne sera à l'évidence nécessaire sur le plan financier et humanitaire, et sur le plan de l'accueil.
Vous avez évoqué les manifestations en Russie. Au-delà - car, quoi qu'on en pense, un pays ne peut jamais avoir pour objectif de déstabiliser le régime d'à côté -, nous avons sans doute manqué, bien que le président Macron ait visé cet objectif, notamment dans le cadre du dialogue de Trianon, le lien avec les sociétés civiles. Il est, à très court terme, trop difficile de l'établir, mais nous devrons poursuivre dans cette voie. Du reste, ce que fait le président Zelensky lorsqu'il s'adresse, dans la bataille de l'information, en russe au peuple russe est très important.
Je ne me lancerai dans aucune polémique sur le rôle de l'OTAN : le débat est beaucoup plus vaste. Evoquer la responsabilité de cette organisation dans le cheminement qu'a suivi la Russie ne correspond pas à la réalité. Ce pays est seul responsable de la crise et de la guerre actuelles. Nous avons toujours bien voulu considérer, le Président de la République au premier chef, la question dite des garanties de sécurité et de l'architecture européenne de sécurité. Nous n'avons pas estimé que les choses étaient figées, et nous avons tendu la main au président russe, notamment ces dernières semaines, pour en discuter. Nos partenaires ont parfois jugé que ce dialogue n'aurait pas dû avoir lieu, mais nous l'avons assumé, car nous pensons que c'est, pour l'avenir, une des voies de stabilisation de notre relation à la Russie. Encore faut-il que la discussion demeure possible et qu'une autre voie que celle de la guerre soit choisie. En tout état de cause, cette discussion, nous le savons, sera, un jour, nécessaire.
En ce qui concerne les médias Russia Today et Sputnik, je crois qu'il existe une différence entre une information, même radicale ou adoptant un point de vue différent, et un organe qui, ces derniers jours, soutient à 100% une agression étrangère. On peut avoir un débat éthique et philosophique sur ce point, mais il ne s'agit plus, en l'espèce, d'information ni même de désinformation, mais d'une propagande pure et simple. Je veux bien croire que chacun est capable de faire la différence mais, quand des reportages sont mensongers, il n'est plus possible - et ma remarque n'est aucunement condescendante - d'exercer son discernement. Des mensonges sont proférés qui, dans une situation comme celle-là, sont dangereux. Il faut être sans naïveté à cet égard et réagir en Européens. C'est pourquoi il a été décidé collectivement, ce week-end, de suspendre ces médias.
Monsieur le président, la décision a été prise, à ce stade, de ne déconnecter du système SWIFT que celles des institutions financières russes qui ont le plus d'impact sur le régime, le financement des opérations militaires, le coeur de l'Etat russe. Mais nous n'excluons pas de prendre des mesures plus importantes. Ce découpage est imparfait, mais il a un impact très puissant sur les transactions financières et les exportations russes, en particulier dans le secteur des matières premières, qui est crucial pour l'économie et le pouvoir russes.
(...)
Cédric O a échangé hier avec Meta et TikTok. Meta a annoncé que les contenus que nous interdirions - Jean-Yves Le Drian a annoncé hier que les mesures sont en cours pour RT et Sputnik -, qui se diffuseraient ou se rediffuseraient sur des plateformes, seraient retirés ou bloqués. Des discussions sont également en cours avec d'autres plateformes, au niveau européen, sous la responsabilité du commissaire Thierry Breton, et au niveau français, sous celle de Roselyne Bachelot et de Cédric O. Je vous tiendrai informés des résultats de ces discussions.
La stratégie européenne consiste à viser spécifiquement RT et Sputnik. À ce stade, il n'y a pas d'autres outils, plateformes ou applications visés. Telegram n'entre pas dans le champ actuel. Je réponds ainsi à la remarque de M. Lecoq, qui est légitime dans nos démocraties. Il ne faut pas adopter une espèce de réaction tous azimuts ; nous devons au contraire cibler, sans naïveté, des médias qui servent, en période de guerre, non pas d'outils d'information libre mais différente de celle délivrée par la plupart, mais d'organes de diffusion de propagande et, souvent, de mensonges. Voilà ce que nous ciblons aujourd'hui dans un cadre européen.
Cela renvoie aussi, en effet, à la question de notre souveraineté numérique et de notre cadre juridique. Nous allons prendre des mesures concernant les deux médias que j'ai cités. Plus largement, le but des textes qui sont sur la table en matière de régulation numérique, notamment le Digital Services Act (DSA), est d'avoir des outils permanents pour interdire, en dehors des périodes de crise, des contenus à caractère terroriste ou incitant à la haine, et de disposer d'un cadre de régulation transparent au niveau européen.
S'agissant du monde agricole, nous nous sommes entretenus, Julien Denormandie et moi, avec Christiane Lambert. Le Président de la République a été très clair sur le fait qu'il y aura certes un impact mais aussi un soutien - et cela vaut aussi pour d'autres secteurs, notamment ceux évoqués par Michel Herbillon. Je ne peux pas encore vous parler des contours, des montants et des modalités, mais notre engagement est très clair : les filières touchées bénéficieront d'un soutien économique. Bruno Le Maire et les ministres compétents pour les différentes filières sont en train d'y travailler, et des concertations auront lieu dans les prochains jours. Dans le cadre de la présidence française de l'UE, Julien Denormandie a convoqué une réunion extraordinaire des vingt-sept ministres de l'agriculture pour faire le point sur les prix, les approvisionnements et d'éventuelles mesures de soutien coordonnées au niveau européen.
Pour ce qui est des camions, et même si je ne veux pas être trop prescriptif - il faudrait regarder la situation au cas par cas -, se rendre sur le territoire ukrainien en ce moment n'est évidemment pas une bonne idée. Il ne faudrait pas mettre en danger d'autres ressortissants français alors que nous incitons ceux déjà présents en Ukraine à quitter ce pays le plus vite possible.
Il y aura, il est de notre responsabilité de le dire, un impact sur la vie économique et quotidienne des Français. Nous minimiserons cet impact, nous essaierons d'assurer la sécurité des approvisionnements énergétiques mais aussi, bien sûr, alimentaires. Je crois qu'il n'y a pas d'inquiétude à avoir en la matière. Néanmoins, les prix de l'énergie, de l'agroalimentaire et peut-être aussi dans d'autres secteurs subiront un impact que l'on ne peut pas mesurer aujourd'hui, étant entendu, par ailleurs, que nous mettrons en place, dans les prochaines semaines, l'accompagnement dont j'ai parlé.
Vous m'avez interrogé, monsieur Herbillon, sur le renforcement de la politique de sécurité et de défense commune. D'abord, même si tout ne saurait s'y résumer, une question financière se pose. C'est pourquoi les annonces du chancelier allemand, qui a levé le tabou portant sur l'augmentation des dépenses militaires et le seuil de 2% du PIB, étaient si importantes. De son côté, la France a réinvesti massivement ces dernières années, en particulier à la faveur de la loi de programmation militaire. Même si nous n'avions pas prévu ce qui se passe en ce moment, nous étions bien conscients de la nécessité de notre souveraineté. Au niveau européen, de même que nous avons été capables de lancer un plan de reconstruction et de relance de nos économies, je crois que nous avons besoin de développer des capacités communes d'investissement dans le domaine militaire. Il existe déjà un Fonds européen de la défense, qui est doté d'à peu près 1 milliard d'euros par an, ce qui est évidemment très faible. Cet outil peut et doit - même si je n'en préjuge pas, car il faudra le décider tous ensemble - être musclé dans les temps qui viennent. Pour ce qui est de notre effort de défense, nous ne devons pas faire preuve de pusillanimité au niveau européen.
Les perspectives que M. Berville a évoquées sont encore incertaines : le rôle du FMI et de la Banque mondiale doit faire l'objet de discussions au cours des prochaines heures, autour de Bruno Le Maire et de la présidence allemande du G7. Je n'ai donc pas encore d'informations précises à vous donner.
Comme je l'ai dit dans mon propos liminaire, madame Tanguy, nous souhaitons un cessez-le-feu. Ce fut le principal objet de la discussion que le Président de la République a eue hier avec le président Poutine. Le cessez-le-feu est entre les mains de ce dernier, si je puis dire. Nous travaillons sur cette question par les pressions sur la Russie, par la solidarité avec l'Ukraine et par la poursuite de nos efforts diplomatiques.
S'agissant d'un éventuel retournement de l'opinion russe, il ne serait pas raisonnable de se livrer à des spéculations. Ce que l'on constate, et cela compte à l'échelle de la Russie, c'est que plusieurs milliers de manifestants continuent, dans beaucoup de villes et avec beaucoup de courage, compte tenu des circonstances, à se lever contre la guerre - plus d'ailleurs que contre le régime. C'est également le cas au sein de différentes communautés russes dans le monde. Il faut reconnaître ce courage, soutenir ceux qui, en France et ailleurs, dans ces communautés, sont en faveur de la paix, et faire la part des choses - tous les Russes ne sont pas impliqués dans la guerre et ne la soutiennent pas nécessairement. Il faut garder cela en tête pour l'avenir.
Quant à une intervention dans le cadre de l'OTAN ou dans un autre cadre, nous avons été clairs : nous ne ferons pas partie des belligérants, car cela ne serait ni raisonnable ni utile, mais cela ne veut pas dire que nous ne faisons rien ou que nous ne prenons que des mesures minimes. Chacun voit bien la force des sanctions que nous avons adoptées et de notre soutien militaire à l'Ukraine. Ce sont des engagements très forts de la part des pays de l'Union européenne - ce qui est très nouveau - et de l'OTAN.
À ce stade, je ne sais pas répondre, madame Clapot, à votre question portant sur les soldats russes.
Nous allons examiner le sujet des entreprises françaises à forts capitaux russes. Le fait de ne pas pouvoir commercer avec la Russie et les territoires qu'elle occupe en Ukraine ne signifie pas que toute structure ayant des capitaux russes verra son activité entravée. Nous travaillerons sur ce sujet secteur par secteur, et au cas par cas. Néanmoins, je le dis pour faire passer un message de vigilance, les régimes de sanctions pourraient être renforcés dans les jours qui viennent. À ce stade, les entreprises à forts capitaux russes ne sont pas directement concernées, mais c'est un sujet que nous devrons suivre et nous serons à votre disposition, avec le ministère des finances, pour examiner les cas particuliers.
En ce qui concerne la guerre hybride, notamment les cyberattaques, nous sommes également très vigilants. Nous n'avons pas attendu cette guerre pour subir de telles attaques et y réagir, même si le risque est évidemment accru partout en Europe, y compris en France, et a fortiori en période électorale. Nous avons renforcé l'équipement de l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (ANSSI), non seulement pour déjouer des cyberattaques ayant des origines et des cibles gouvernementales, mais aussi pour conseiller. Je recommande à toutes les grandes entreprises et aux organisations professionnelles, y compris les plus petites, comme celle de M. Asselin qui s'est exprimé à ce sujet ce matin même, de prendre contact, en cas de doute, avec les services de l'Etat, notamment l'ANSSI, pour rendre compte de menaces ou difficultés potentielles et pour connaître la conduite à tenir.
S'agissant de l'accueil des réfugiés, le ministère de l'intérieur et, pour la partie concernant le logement, le ministère de la transition écologique dévoileront d'ici à la fin de la semaine un dispositif qui est en cours de construction - plusieurs réunions ont eu lieu hier et d'autres se déroulent aujourd'hui avec Gérald Darmanin. Comme vous l'avez signalé, beaucoup de collectivités, dont je salue l'engagement, ont déjà fait part de leur disponibilité pour l'accueil de réfugiés. Nous allons recenser - nous y travaillons avec Marlène Schiappa, en particulier - toutes les initiatives dans le cadre d'une plateforme qui permettra de savoir comment se signaler et ensuite comment s'organiser concrètement, en lien avec les services de l'Etat. Il existe aussi, et ce n'est pas anecdotique, des plateformes servant à recenser des initiatives individuelles qui fonctionnent déjà, comme la plateforme JeVeuxAider.
Merci pour vos mots de soutien, madame Rauch. Nous n'avons pas connaissance, à part sur le front biélorusse, qui est très particulier, de difficultés aux frontières. Ce qui s'y passe actuellement, et nécessite d'ailleurs un déploiement européen, concerne le passage et l'accueil de réfugiés ukrainiens qui fuient leur pays vers l'Union européenne. Il n'y a pas de combats aux frontières, mais nous devrons, évidemment, nous adapter à la situation.
Nous avons renforcé notre dispositif consulaire afin que les ressortissants qui quittent l'Ukraine par leurs propres moyens, en contact avec notre ambassade, puissent être tout de suite accompagnés, si besoin, dans leurs démarches. Le Quai d'Orsay est en train d'armer, en un sens pacifique du terme, notre dispositif consulaire dans les pays de l'Union européenne frontaliers de l'Ukraine.
Sur le plan humanitaire, 33 tonnes de matériel ont d'ores et déjà été livrées en Ukraine, et plus de 30 tonnes en Moldavie. Nous allons continuer nos efforts dans le cadre du mécanisme européen de protection civile qui a été activé par les autorités ukrainiennes. L'Union européenne a annoncé ce matin 90 millions d'euros supplémentaires pour l'aide humanitaire, et cet effort ira très vraisemblablement croissant.
S'agissant de l'accueil sur le territoire de l'Union européenne, j'ai déjà évoqué les chiffres : ils sont très impressionnants et vont encore augmenter. Nous déployons avec les pays concernés, principalement la Pologne et la Roumanie, des centres d'accueil provisoires, que nous équipons en matériel grâce à un soutien financier et matériel européen dans lequel la France prend sa part.
Monsieur Adam, votre inquiétude concernant le Centre spatial guyanais est parfaitement légitime. La coopération avec la Russie a en effet été remise en cause samedi, à l'initiative de Moscou. Le départ de personnels russes peut être à l'origine de difficultés locales et pour la filière spatiale, puisque des lancements faisant appel à Soyouz devaient avoir lieu dans les prochaines semaines. Je tiens à souligner, néanmoins, que notre engagement en faveur de la pérennité du site guyanais et de la filière spatiale est total, y compris financièrement si besoin - le ministre des outre-mer examinera la question. Il n'y aura évidemment aucune remise en cause du Centre spatial guyanais.
Ce qui se passe montre bien la nécessité de déployer rapidement Ariane 6 - c'était prévu pour la fin de l'année. Je ne peux pas vous dire pour le moment s'il est possible d'accélérer le processus - j'en doute, parce que ce sont des questions très lourdes sur le plan industriel -, mais tout cela démontre la nécessité d'être indépendant en matière spatiale. S'il est possible de continuer les coopérations avec la Russie dans un autre climat, tant mieux, mais nous devrons renforcer notre engagement aux côtés d'Ariane. Nous avons besoin d'une filière spatiale de lanceurs indépendante au niveau européen, en particulier grâce à Ariane et à Vega.
Je n'entrerai pas dans la discussion concernant la pérennité des acteurs de la présidence française de l'Union, monsieur le président Waserman. Même dans les circonstances difficiles que nous traversons, je ne recommanderais pas de dire à nos partenaires que nous voulons garder cette présidence dans les mois qui viennent... Par ailleurs, quel que soit le résultat des élections, et que nous exercions ou non la présidence de l'Union, même si celle-ci nous donne une responsabilité particulière, la France jouera un rôle de premier plan dans cette crise, qui va durer.
S'agissant de la gouvernance, les améliorations institutionnelles des dernières années, qui sont issues d'une initiative française, nous permettent d'avoir une stabilité plus grande. Le Haut Représentant de l'Union, M. Borrell, et le président du Conseil européen, M. Michel, dont le mandat de deux ans et demi sera vraisemblablement renouvelé au mois de mars, sont des acteurs européens qui restent en place. Je tiens également à saluer la présidente de la Commission européenne, Mme von der Leyen, qui a accompagné la levée des tabous que j'ai évoqués concernant la défense et les sanctions. Nous pouvons nous féliciter d'avoir en M. Borrell, en M. Michel et en Mme von der Leyen des acteurs européens très engagés : cela nous a permis, ce week-end, de réagir parfois en quelques heures. Nous le leur devons, au-delà des efforts engagés par le Président de la République et la présidence française, efforts qui se poursuivront.
Je reviens, en réponse à Mme Gatel, sur les capacités d'accueil. Nous les recensons, je l'ai dit, et nous n'avons pas d'inquiétude malgré la gravité de la situation. Beaucoup de chiffres circulent, mais on ne sait pas ce que seront l'ampleur des flux et la durée du conflit. Le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés estime qu'il pourrait y avoir entre 4 et 7 millions de personnes déplacées en Ukraine, mais cela ne signifie pas que toutes franchiront les frontières. Néanmoins, il ne faut pas se cacher derrière son petit doigt, les flux seront très importants. Les pays situés en première ligne, la Pologne, la Hongrie, la Roumanie et la Slovaquie, ont souvent d'importantes communautés ukrainiennes. Les personnes venant d'Ukraine restent dans ces communautés, et parfois dans les familles qui les accueillent : il n'y a donc pas, pour l'instant, de mouvements massifs au-delà des pays de première entrée. Néanmoins, cela pourrait se produire et il faut, quoi qu'il arrive, faire preuve de solidarité avec ces pays. Nous devons nous préparer aux flux, et nous devrons les organiser. La France précisera dans les prochains jours, je le répète, son dispositif de coordination nationale.
La Biélorussie est effectivement devenue cobelligérante, aux côtés de la Russie et contre l'Ukraine. Elle est donc visée par le deuxième paquet de sanctions individuelles et sectorielles qui a été décidé ce week-end par le Conseil européen - vingt-deux sanctions individuelles portent ainsi sur des personnels militaires, et une entité biélorusse est également concernée. Nous renforcerons, si besoin, le dispositif de sanctions à l'égard de ce pays.
Je n'ai pas d'informations, au moment où je vous parle, concernant un redéploiement du groupe Wagner, mais nous serons très vigilants et nous vous informerons. En tout cas, le lien entre ce groupe et la Russie n'était plus vraiment à démontrer.
Les mesures, symboliques, concernant le sport sont très importantes, notamment à l'égard du peuple russe. C'est une forme d'ostracisation assumée de la Russie, qui a décidé de se mettre en marge de la communauté internationale, en sous-estimant, peut-être, l'impact que cela aurait. Les mesures économiques sont certes les plus structurantes, mais la mise au ban de la Russie dans les compétitions sportives et les événements culturels européens, comme l'Eurovision, envoie également un signal. Je n'ai pas encore d'informations au sujet des prochaines compétitions sportives : nous prendrons, avec la ministre des sports, les décisions au fur et mesure, notamment pour Roland Garros. Le dispositif sera adapté selon l'évolution de la situation.
M. David m'a demandé jusqu'où ira M. Poutine - vaste question - et ce qu'il faut faire. Nous devons nous préparer à tous les scénarios. Je ne peux pas vous dire si M. Poutine entend mener une offensive limitée ou non. Ce qui se passe actuellement - et on voit à quel point les choses ont changé en quelques jours - est déjà immensément grave. Sans même avoir besoin de spéculer sur d'autres théâtres de crise, nous sommes confrontés à l'invasion d'un pays frontalier de l'Union européenne, l'Ukraine. C'est une situation qui nécessite de faire preuve de fermeté et de solidarité tout en continuant le dialogue que j'ai évoqué.
S'agissant du nucléaire, monsieur Habib, Jean-Yves Le Drian a répondu précisément à une question qui lui était posée. Je crois qu'il n'y a pas lieu de se livrer à des interprétations ou à des polémiques sur ce point.
Monsieur Cabaré, la seule question qui a été tranchée dans le domaine spatial, pour l'instant, concerne Soyouz. À ma connaissance, nous n'avons pris aucune décision particulière à propos de l'exercice que vous avez évoqué. Des menaces russes portent sur différents points, auxquels nous sommes vigilants - je pense notamment à la station spatiale internationale -, mais cela ne s'est traduit par aucune conséquence opérationnelle à ce stade.
En cas de difficulté ou de question particulière, c'est plutôt vers le Centre de crise du Quai d'Orsay qu'il faut se tourner, en veillant à ne pas le surcharger. Ses agents étant très mobilisés, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, il convient de limiter les appels aux situations les plus critiques. Si vous souhaitez des précisions ou une intervention concernant votre circonscription, je suis, avec mon cabinet, à votre disposition.
Il est évident que personne, à commencer par la Russie elle-même, n'a intérêt à ce qu'elle devienne le junior partner de la Chine, si je puis m'exprimer ainsi. C'est notamment pour cette raison géopolitique que nous avons poursuivi, au niveau français et européen, le dialogue avec la Russie. C'est elle qui a choisi l'isolement et la guerre et qui, ce faisant, se mettra sans doute, à terme, davantage entre les mains de la Chine, en cherchant à réorienter ses exportations de matières premières et d'énergie. Près de 80 % du gaz exporté par la Russie part en Europe, contre environ 5%, me semble-t-il, en Chine. Si la Russie, pour se mettre à l'abri de certaines restrictions ou sanctions, souhaite pivoter vers l'Asie, en particulier vers la Chine - elle essaiera sans doute de le faire, même si je ne sais pas ce qui se passera en pratique -, ce n'est pas un résultat que nous aurons souhaité.
Cette situation nous préoccupe, évidemment, bien qu'il n'y ait pas eu de nouveaux développements ces derniers jours. C'est pourquoi, parmi d'autres raisons, il était nécessaire d'avoir un dialogue avec la Russie. Ce dialogue implique, toutefois, un minimum de bonne volonté et le respect de quelques préalables élémentaires - notamment ne pas mener une guerre d'invasion comme celle d'aujourd'hui. Même si c'est difficile, et d'abord pour préserver l'Ukraine et éviter autant que possible des morts, nous gardons, au niveau du Président de la République, un contact avec Vladimir Poutine.
Je ne spéculerai pas sur les conséquences en chaîne potentielles, notamment du côté de la Chine et de Taïwan - c'était déjà un sujet de préoccupation avant la crise actuelle, et il n'a pas disparu. Je ne veux pas élaborer de scénarios parce que nous ne sommes encore en mesure de le faire. Ce que nous voyons, après d'autres crises moins graves en Europe au cours des dernières années, comme le Brexit et la crise sanitaire, c'est que l'impensable doit être pensé. La meilleure façon de s'y préparer consiste à réduire nos dépendances et à renforcer notre souveraineté, ce qui ne se fait pas d'un coup de baguette magique.
Sans faire de politique au sens partisan du terme, je crois que la France fait partie des pays qui avaient une conscience plus forte que d'autres de ce que c'est la défense, du fait que la paix et nos démocraties méritent d'être préservées et de la nécessité, parfois, de s'engager pour cela fermement, économiquement voire militairement, y compris en luttant contre des attaques cyber ou médiatiques. Nous avons maintenant pris conscience au niveau européen que notre démocratie embourgeoisée - je le dis de manière délibérément provocatrice - mérite d'être défendue. Il faut expliquer à nos concitoyens que cela a un prix, infiniment moindre que celui que paient, malheureusement, les Ukrainiens.
Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 8 mars 2022