Entretien de M. Franck Riester, ministre du commerce extérieur et de l'attractivité, avec France Info le 7 mars 2022, sur les sanctions économiques contre la Russie et les conséquences pour l'économie française.

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  • Franck Riester - Ministre du commerce extérieur et de l'attractivité

Média : France Info

Texte intégral

Q - Bonsoir à tous. Le Président ukrainien Volodymyr Zelensky réclame maintenant un embargo commercial total contre la Russie, et notamment un boycott du pétrole russe, dont vous savez combien il est essentiel. Je rappelle que la Russie est le deuxième exportateur mondial de pétrole, et d'ailleurs, aujourd'hui, les cours s'envolent. Bonsoir Franck Riester.

R - Bonsoir.

Q - Ministre délégué chargé du commerce extérieur. Question très simple : est-ce que la France est prête à boycotter tous les produits russes, y compris le pétrole et le gaz ?

R - La France est prête à prendre des décisions supplémentaires pour mettre la pression sur la Russie, si nécessaire. Ce sont évidemment des sujets sur lesquels nous travaillons avec nos partenaires européens, avec la Commission, pour voir de quelle manière, si nécessaire, nous allons plus loin dans les sanctions...

Q - Avec les Etats-Unis également ? Parce qu'Antony Blinken, le secrétaire d'Etat américain, parlait il y a quelques heures de discussions entre les Etats-Unis et l'Europe, précisément sur le pétrole.

R - Oui, bien sûr, c'est d'ailleurs quelque chose à noter et qui est très positif, c'est la capacité à prendre des décisions vite, coordonnées, au sein même de l'Union européenne entre les Etats membres et la Commission, mais aussi avec nos partenaires, notamment nos partenaires de l'Alliance atlantique. Et nous continuons d'être effectivement en discussions très étroites, notamment avec les Etats-Unis, pour ce faire. Vous avez vu que nous avons déjà prononcé des sanctions très fortes inédites et qui ont d'ores et déjà des résultats. Regardez le rouble qui s'est effondré. Regardez les décisions qu'a été obligée de prendre la banque centrale russe pour faire face aux décisions fortes que nous avons prises, aux sanctions fortes que nous avons prises. Nous voulons continuer de mettre la pression sur la Russie pour qu'il y ait un cessez-le-feu, pour qu'on puisse arrêter cette guerre qui est absolument inacceptable. Et donc, tout est sur la table pour aller encore plus loin si nécessaire. Il y a un Conseil européen dans deux jours qui permettra de pouvoir, si nécessaire, prendre des décisions pour aller plus loin. Et toute décision est sur la table. Mais ce qui compte...

Q - Y compris sur le pétrole ? J'insiste là-dessus parce que c'est ce qui préoccupe beaucoup aujourd'hui...

R - Oui, je sais bien...

Q - Et encore une fois une voix américaine tout ce qu'il y a de plus officiel, Antony Blinken, parle d'embargo sur le pétrole.

R - Oui, je comprends. Nous ne fermons aucune porte. Simplement, il faut regarder ce qui est efficace pour mettre la pression sur la Russie et en tenant compte aussi des conséquences que ça peut avoir sur l'Union européenne et ses différents membres.

Q - Est-ce qu'on peut se passer de pétrole et de gaz russes ?

R - Alors nous avons une dépendance, effectivement, au gaz russe et au pétrole que n'ont pas les Etats-Unis. Et donc, il faut regarder aussi ces choses sérieuses à l'aune des conséquences, à la fois en termes de pression sur la Russie, et en termes de conséquences économiques, financières et sociales en Europe. Et c'est ce qui va évidemment être au coeur des discussions des chefs d'Etat et de gouvernement lors du Conseil européen très prochainement, cette semaine.

Q - Est-ce qu'il y aura des décisions à la fin de la semaine, lorsqu'Emmanuel Macron réunira ses homologues à Versailles ?

R - Les 10 et 11, effectivement, oui, écoutez, il y aura des décisions bien sûr. Il y a beaucoup de discussions autour de l'autonomie stratégique. On voit qu'en matière de défense, en matière sanitaire, en matière économique et commerciale, il y a besoin d'aller peut-être encore plus vite et plus loin en matière d'autonomie stratégique. Mais vous savez que c'est au coeur de ce qu'a défendu le Président de la République depuis le début de son quinquennat. Dès 2017, avec le discours de la Sorbonne, il l'a dit, et très clairement, qu'il était nécessaire d'affirmer une souveraineté européenne et d'aller plus loin dans l'autonomie stratégique.

Q - Mais là, on est dans une situation d'urgence.

R - Et effectivement, à la fois la crise Covid et aujourd'hui la guerre, cette agression de la Russie sur l'Ukraine, en Ukraine nous oblige à accélérer encore à la fois notre ambition en matière d'autonomie stratégique et notamment en matière énergétique et aussi à la fois en matière de rapidité pour la mettre en oeuvre. C'est d'ailleurs un des sujets que nous avons...

Q - Est-ce que ce n'est pas trop tard sur des sujets cruciaux comme celui qu'on vient d'évoquer, pétrole, gaz, là ?

R - Non, ce n'est jamais trop tard de toute façon. Non, mais peut-être qu'il aurait fallu anticiper il y a quelques années mais enfin on est face à une réalité, une réalité qui doit nous amener à prendre des décisions et les prendre vite. C'est d'ailleurs une des raisons et un des sujets que nous avons évoqués aujourd'hui. Je réunissais un certain nombre d'intervenants, de ministres, de députés européens, de députés français, de spécialistes de ces questions d'autonomie stratégique au Quai d'Orsay pour pouvoir évoquer cette question de l'autonomie stratégique dans le cadre de la présidence française de l'Union européenne. En matière commerciale, en matière de commerce dont j'ai particulièrement la charge, nous avons des leviers pour pouvoir effectivement faire en sorte de mieux définir, mettre en oeuvre une autonomie stratégique, par exemple en luttant contre les pratiques déloyales, par exemple en luttant contre les coercitions, c'est-à-dire la pression économique et commerciale que mettent certains pays à des fins politiques.

Q - En attendant, question très concrète, en Russie, 1.200 entreprises françaises sont implantées. Je rappelle aussi que la France est le premier investisseur étranger dans le pays. Est-ce que vous leur demandez à ces entreprises de quitter la Russie ?

R - Non, on ne leur demande pas ça. Nous regardons avec elles exactement quelles sont les conséquences, aujourd'hui, des sanctions qui sont prises à l'encontre de la Russie. Nous sommes en plein dialogue et discussion avec elles. Nous regardons très précisément comment on peut les accompagner, d'ailleurs comme les entreprises françaises qui sont actuellement en Ukraine. Et nous essayons à la fois de bâtir avec elles des solutions pour leur permettre de limiter les conséquences des sanctions, et pour trouver des solutions pour l'avenir à court, moyen ou long terme. Et vous savez très bien qu'aujourd'hui, ce qui se passe en Ukraine, l'attitude de la Russie va laisser des traces profondes en Europe à court, moyen et long terme, et donc il faut accompagner nos entreprises dans des solutions de moyen et long terme, bien évidemment.

Q - La pression monte notamment sur le groupe TotalEnergies qui a renoncé à financer de nouveaux projets en Russie mais qui conserve toute son activité sur place, est-ce que vous l'approuvez ? Est-ce que vous le soutenez ?

R - Ecoutez, il ne s'agit pas de soutenir ou de ne pas soutenir, il s'agit d'accompagner nos entreprises, les intérêts français. Vous savez que nous avons 20 milliards d'euros d'investissements en stock...

Q - Et Total en Russie, ce sont les intérêts français ? ...

R - Ce sont les intérêts des entreprises françaises, bien évidemment...

Q - Malgré la guerre ?

R - Et on doit regarder l'équilibre entre les sanctions que nous prenons pour mettre la pression sur la Russie et les intérêts, les valeurs qui sont les nôtres et que nous défendons. Et c'est cet équilibre, en pleines discussions avec les partenaires à la fois européens, les partenaires de l'Alliance atlantique mais aussi avec nos entreprises que nous essayons d'établir et que le Président de la République, avec les autres chefs d'Etat et de gouvernement, aura, les 10 et 11 mars prochains, l'occasion d'évoquer à nouveau.

Q - Franck Riester, merci.

R - Merci à vous.

Q - Le ministre délégué chargé du commerce extérieur, "Invité éco" de FranceInfo ce soir.


Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 11 mars 2022