Déclaration de M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la relance, sur l'action du gouvernement face à la flambée des prix de l'énergie, à Paris le 18 mars 2022.

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  • Bruno Le Maire - Ministre de l'économie, des finances et de la relance

Circonstance : Audition en visioconférence par les commissions des finances et des affaires économiques de l'Assemblée nationale sur le plan de résilience

Texte intégral

Bonjour à tous.

Merci Monsieur le Président, Monsieur le Rapporteur général, Messieurs les Présidents.

Nous avons connu avec le Covid une crise économique que j'ai comparée à la crise de 1929 : effondrement de la production, effondrement de la demande, et donc réponse économique massive, durable, le “quoi qu'il en coûte” qui permettait de suppléer à la demande privée. Nous avons dépensé plus de 35 milliards d'euros sur l'activité partielle, 45 milliards d'euros sur le fonds de solidarité, 300 milliards d'euros de prêts garantis par l'Etat, des sommes similaires pour les exonérations de charges, parce que nous étions face à une crise de la demande. La situation actuelle n'a absolument rien à voir.

Je veux vraiment le souligner parce que je pense que si le diagnostic n'est pas le bon, la réponse économique ne sera pas la bonne. Ca n'est pas une crise, c'est un choc. Et ce n'est pas une crise de la demande, c'est un choc de l'offre. Un choc parce que notre évaluation reste que ce choc est brutal, mais temporaire. Je ne peux pas donner des échéances. Et que c'est un choc d'offre parce qu'il touche principalement les matières premières et, dans ces matières premières, l'énergie. Ce choc, il va amener des modifications de notre comportement et une transformation radicale de nos modes de production et de consommation. Il va nous amener à nous libérer plus rapidement que prévu des énergies fossiles. Il va nous amener à renforcer notre indépendance énergétique. Et il va nous amener à plus de sobriété énergétique.

Voilà les conclusions que nous tirons pour le moment de ce choc d'offre : besoin d'indépendance énergétique, besoin de sobriété énergétique et besoin de nous libérer de la dépendance aux énergies fossiles. Je le dis parce que c'est ce qui nous a amenés, par exemple, à ne pas prendre des décisions sur la fiscalité, je sais qu'il y avait de fortes attentes sur la fiscalité des énergies fossiles. Je pense qu'il aurait été contradictoire de dire que nous voulons nous libérer des énergies fossiles tout en abaissant massivement la fiscalité sur les énergies fossiles. Et par conséquent, la mesure qui a été retenue, celle d'un soutien de 15 centimes par litre, est plus appropriée au regard de notre politique de long terme.

Ce choc d'offre sur l'énergie nous a amenés à prendre un certain nombre de mesures depuis plusieurs mois pour protéger nos compatriotes et protéger nos entreprises. Je précise d'ailleurs que ce choc ne date pas de la guerre en Ukraine. Le premier choc a résulté d'une croissance plus forte que prévu, avec une reprise économique très puissante qui a augmenté la demande en pétrole et en gaz, qui a commencé à faire bondir les prix dès l'automne dernier. Ce qui fait que, dès l'automne dernier, nous avons commencé à prendre un certain nombre de mesures pour protéger nos compatriotes.

Ce premier choc a été redoublé par la guerre en Ukraine et les difficultés d'approvisionnement venues de Russie et d'Ukraine. Je rappelle, pour être tout à fait complet, que ce choc est désormais tempéré, ce qui explique que les prix soient repartis à la baisse. Ce choc est désormais tempéré par des difficultés liées au Covid en Chine, qui font que l'activité a fortement ralenti en Chine et que par conséquent, la demande d'énergie a, elle aussi, baissé en Chine.

Quelle est la conclusion que l'on peut tirer de tous ces éléments géopolitiques ? C'est qu'il y a urgence, je le redis, à renforcer l'indépendance énergétique de la France, comme l'a proposé Emmanuel Macron, et qu'il y a urgence à devenir indépendant des énergies fossiles. Car sinon, nous
serons toujours le jouet de la volatilité des cours des matières premières. Les mesures de protection que nous avons prises, vous les connaissez.

La première, ça a été le blocage des prix de l'électricité à 4%. Si nous n'avions pas bloqué à 4 % les tarifs de l'électricité, ils auraient augmenté de plus de 40 % au cours des derniers mois. Ce blocage des prix de l'électricité a coûté à l'Etat 8,1 milliards d'euros de renoncement à la taxe intérieure sur la consommation finale d'électricité ; c'est la première mesure, pour répondre précisément aux questions du président Woerth.

La deuxième mesure, c'est le gel des prix du gaz. Nous avions, au moment du projet de lois de finances pour 2022, anticipé la nécessité de compenser aux distributeurs de gaz ce plafonnement, ce gel des prix du gaz. Nous avions à l'époque anticipé un coût de 1,2 milliard d'euros. Ce coût a été augmenté par l'application de la mesure, ce qui est parfaitement légitime, évidemment, aux locataires de HLM. Puis, elle a augmenté, à raison des coûts du gaz. J'ai donné une évaluation il y a 15 jours, de l'ordre de 10 milliards d'euros sur l'année 2022, sur la base d'un prix spot à 160 euros. En raison du ralentissement en Chine, le prix a baissé à nouveau à 124 euros le mégawattheure. Ce qui fait que notre nouvelle évaluation du gel des prix du gaz pour l'année 2022 est désormais de 6,4 milliards d'euros.

Je reste très prudent sur ces évaluations, bien entendu, puisqu'il suffit que la Russie prenne une décision sur ce sujet, qu'il y ait une reprise plus rapide que prévu en Chine ou une sortie plus rapide du Covid pour que ces prix évoluent très rapidement. Mais à l'heure où je vous parle, les prix spots observés au 14 mars 2022 étant de 124 euros le mégawattheure, nous anticipons un coût global de la mesure de gel des prix du gaz à 6,4 milliard d'euros pour l'année 2022.

À cela s'ajoute l'indemnité inflation de 3,8 milliards d'euros, le chèque énergie exceptionnel de 600 millions d'euros, la remise sur les carburants de 15 centimes d'euro par litre de carburant, ça va coûter environ 2,9 milliards d'euros. L'augmentation du barème kilométrique, qui représente 400 millions d'euros avec revalorisation de 10% du barème kilométrique, portera sur l'impôt sur le revenu 2022. La subvention aux entreprises énergo-intensives sur laquelle je vais revenir 3 milliards d'euros, plus les aides sectorielles qui représentent dans le plan de résilience 700 millions d'euros. Le total, donc, des mesures de protection des ménages et des entreprises contre la flambée des prix de l'énergie, s'élève, pour 2022, à 26 milliards d'euros.

Dans ces 26 milliards d'euros, 21 milliards figurent déjà dans le PLF 2022. Pour les 5 milliards d'euros restants, nous passerons par un décret d'avance qui nous permettra de couvrir les dépenses jusqu'à l'été, mais ce sera bien un décret d'avance qui nous permettra de couvrir ces 5 milliards d'euros, en plus, les 21 milliards d'euros qui avaient déjà été engagés à partir de l'automne dernier dans le PLF 2022.

Ensuite, nous avons pris un certain nombre de mesures dans le plan résilience, avec le Premier ministre, pour amortir tout ce choc de la crise énergétique et aussi anticiper les adaptations nécessaires de notre modèle économique. S'agissant du choc énergétique et notamment de l'augmentation des prix des carburants, nous avons prévu deux mesures principales la première, je la rappelle, c'est la remise à la pompe de 15 centimes par litre, à partir du premier avril jusqu'au 31 juillet, mesure qui va concerner tous les particulier et tous les professionnels, s'appliquer à tous les secteurs, et coûter donc 2,9 milliards d'euros à l'Etat.

Nous avons également demandé un effort aux acteurs du secteur pétrolier, ainsi qu'aux distributeurs, Super U a annoncé qu'il vendrait le carburant à prix coûtant. Total a annoncé une réduction de 10 centimes d'euros dans l'ensemble de ces stations services sur tous les territoires. Je salue ces efforts et je souhaite qu'ils s'inscrivent dans le temps, tant que les carburants sont à des niveaux de prix particulièrement élevés.

Nous allons par ailleurs compenser une part des factures de gaz et d'électricité des gros consommateurs d'énergie. Je pense que tous, dans vos circonscriptions, vous avez des entreprises industrielles, des entreprises de l'agroalimentaire, des sucreries, dans l'agriculture, des éleveurs, qui ne peuvent pas supporter l'augmentation des prix du gaz et qui ne peuvent pas supporter l'augmentation des prix de l'énergie. Nous allons donc utiliser à plein la mesure dont nous avons discuté avec la Commission européenne et Margrethe Vestager la semaine dernière, qui va nous permettre d'apporter des aides jusqu'à 25 millions d'euros par entreprise pour qu'elles payent leurs factures de gaz et leurs factures d'électricité.

Ces aides couvriront une période de 9 mois, donc jusqu'à la fin de l'année 2022, c'est ce qu'on appelle « le cadre temporaire » qui a été défini par la Commission européenne. Pour en bénéficier, il faudra que votre facture de gaz et d'électricité représente au moins 3% de la valeur ajoutée de votre entreprise. Nous allons également soutenir la trésorerie des entreprises affectées par le choc actuel, en réutilisant les dispositifs de trésorerie qui ont fait la preuve de leur efficacité. Le dispositif de prêts garantis par l'Etat court jusqu'au 1er juillet 2022.

Nous allons d'abord, dans un premier temps augmenter le plafond qui était de 25% du chiffre d'affaires, jusqu'à 35% du chiffre d'affaires, 10 points de plus. Donc, toutes les entreprises qui auraient déjà saturé leurs plafonds de prêts garantis par l'Etat à 25% du chiffre d'affaires peuvent désormais le porter à 35% entre maintenant et le 1er juillet 2022. En deuxième lieu, à partir du 1er juillet 2022, un nouveau prêt garanti par l'Etat sera mis en place pour les entreprises qui le souhaiteraient, pour un montant qui est aujourd'hui en négociation avec la Commission européenne. Je négocie avec la Commission européenne pour relever ce plafond, mais pour le moment, nous en sommes encore à 10 %. Je verrais si nous pouvons obtenir un plafond un peu plus élevé pour les entreprises qui en auraient besoin.

Je rappelle, par ailleurs, que toutes les entreprises qui sont en très grande difficulté peuvent demander à leur commission départementale la possibilité de décaler de 6 mois le remboursement de leurs prêts garantis par l'Etat et d'allonger l'échéance de remboursement de 6 à 10 ans. Comme il n'y a que très peu d'entreprises qui ont sollicité cette demande, je rappelle que c'est une faculté qui leur est ouverte.

Enfin, une dernière série de mesures d'urgence, dans le plan de résilience, après les mesures d'aide directes, les mesures de trésorerie, troisième série d'aide, c'est le soutien aux filières les plus affectées. Nous mettons en place une aide spécifique pour les éleveurs. Nous mettons également en place une aide spécifique pour les pêcheurs, qui permettra de baisser 35 centimes d'euros par litre le carburant pour les bateaux de pêches, grâce notamment, à la baisse des cotisations sociales patronales qui seront temporairement pris en charge à hauteur de 30 millions d'euros. Pour les transporteurs, nous ne prendrons pas en compte la mesure de remise de 15 centimes dans les index gasoil. Cela représente, par camion, 1 500 euros d'économie sur 4 mois. Par ailleurs, le remboursement partiel de la TICPE sera mensualisé, au lieu d'avoir un remboursement trimestriel. C'est une vraie aide de trésorerie pour les transporteurs, et nous prendrons des mesures spécifiques pour les taxis et les VTC. J'ai l'occasion aussi de présenter un certain nombre de mesures, et notamment d'ordres réglementaire, pour le bâtiment et les travaux publics.

Mais au-delà de ces mesures d'urgence, ce choc énergétique montre qu'il est indispensable de modifier notre dépendance vis-à-vis des énergies fossiles, réduire notre dépendance vis-à-vis de l'approvisionnement venu de Russie ou venu d'autres pays étrangers, et trouver des solutions plus durables en matière énergétique. La première nécessité, c'est de réduire notre dépendance aux hydrocarbures et aux intrants russes.

Pour le gaz, le Président a donné une date de fin d'importation en 2027. Pour les matières premières, nous avons lancé un appel à projets pour subventionner jusqu'à la fin de l'année tous les projets qui permettront de réduire notre dépendance à la Russie.

Je vous donne un exemple : nous sommes très dépendants sur les éponges de titane qui permettent de faire les ailettes des moteurs d'avion. Il faut que nous puissions accélérer le projet de recyclage du titane, qui est porté par Aubert Duval. Et pour cela, nous allons subventionner ces projets, qui vont permettre d'être plus indépendants en matière de production de certains intrants, à hauteur de 15% pour les grands groupes et 35% pour les petites entreprises. Ces projets sont financés, comme vous le savez, par France 2030.

Le deuxième moyen, c'est la sobriété énergétique. J'insiste là-dessus parce que chacun doit comprendre que la sobriété énergétique fait partie des solutions pour notre indépendance. Et que l'indépendance ne peut pas reposer uniquement sur de nouvelles énergies ou sur le déploiement des dispositifs que j'indiquais, elle doit aussi passer par de la sobriété énergétique. Et pour cela, il faut accompagner les entreprises, les collectivités locales, et les ménages.

Nous allons donc augmenter de 150 millions d'euros, nos aides aux collectivités et aux entreprises pour remplacer leurs systèmes de chauffage et leurs réseaux de chaleur au gaz par les énergies renouvelables. Nous allons renforcer MaPrimeRénov à hauteur de 1 000 euros à partir du 15 avril prochain et jusqu'à la fin de l'année 2022 pour l'installation de tout système de chauffage qui permette de sortir du gaz ou du fioul. Et nous allons maintenir les primes à la conversion et les bonus pour l'achat de véhicules électriques.

Voilà les quelques éléments que je souhaitais vous présenter. J'insiste vraiment sur le fait que la situation économique actuelle est un choc d'offre, temporaire, brutal, qui doit amener à protéger nos compatriotes et nos entreprises contre les risques, notamment sur les résultats des entreprises, et de ce problème d'achat des ménages, nous le faisons. Mais il doit amener aussi des réponses de plus long terme pour renforcer notre indépendance. C'est tout l'objectif du plan de résilience que je vous ai présenté.


Source https://www.economie.gouv.fr, le 21 mars 2022