Déclaration de M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la relance, sur la politique économique au sein de l'Union européenne, au Sénat le 22 février 2022.

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  • Bruno Le Maire - Ministre de l'économie, des finances et de la relance

Circonstance : Audition au Sénat devant la Commission des finances

Texte intégral

M. Claude Raynal, président. - Nous accueillons cet après-midi M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la relance, pour évoquer les dossiers qui seront traités au sein du conseil des ministres de l'économie et des finances, appelé également Ecofin, dans les prochains mois.

En effet, nous avons estimé utile de faire le point avec vous sur ces enjeux, monsieur le ministre, alors que la France a pris, début janvier, la présidence de l'Union européenne, après la Slovénie et avant la République tchèque, à compter du mois de juillet. Ainsi, la France sera chargée de conduire les débats et négociations au sein du Conseil de l'Union européenne et d'assurer la représentation du Conseil auprès des autres institutions européennes et internationales.

Dans cette perspective, elle devra assurer un rôle moteur pour conduire le processus législatif européen sur un certain nombre de priorités, telles que la révision du pacte de stabilité et de croissance, la mise en oeuvre du paquet climat présenté par la Commission européenne en juillet dernier, ou encore la transposition en droit européen de l'accord de l'OCDE sur la taxation des multinationales.

Vous aurez l'occasion, monsieur le ministre, de nous présenter ce calendrier et la vision de la France pour l'Union européenne sur l'ensemble de ces sujets.

Nous accueillons aujourd'hui également nos collègues de la commission des affaires européennes, à laquelle nous avons ouvert cette audition. Je salue la présence parmi nous de notre collègue Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes.

Avant de vous céder la parole, je souhaiterais introduire nos échanges par deux questions.

La première porte sur la réforme des règles budgétaires. Les conséquences économiques de la crise sanitaire ont rebattu les cartes de ce débat déjà bien connu. Alors que la nouvelle consultation publique de la Commission européenne s'est achevée à la fin de l'année 2021, les réticences allemandes des derniers jours font planer des doutes sur la capacité de la présidence française à dégager un consensus sur ce dossier.

Attendez-vous réellement des avancées majeures sur ce sujet dans les prochains mois ? À défaut d'une révolution, une exclusion des investissements dit " verts " du calcul du déficit public pourra-t-elle être sérieusement examinée ?

Par ailleurs, la France a annoncé placer l'approfondissement de l'union des marchés de capitaux et de l'union bancaire au coeur de ses priorités pour cette présidence. Or la Commission européenne a déjà formulé un certain nombre de propositions en ce sens au cours des dernières années. Là aussi, quelles avancées concrètes attendez-vous sur ces deux priorités au cours des prochains mois ?

Monsieur le ministre, vous avez la parole.

M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la relance. - Je suis très heureux de participer à cette audition sur les perspectives économiques et financières de la présidence française de l'Union européenne (PFUE).

Cette audition se tient à un moment particulier où la Russie, malgré tous les efforts diplomatiques qui ont été faits par le Président de la République depuis plusieurs jours, a fait le choix de l'escalade militaire et de la violation de ses engagements internationaux.

Je voudrais donc commencer mon audition, si vous me le permettez, par un point sur cette situation et sur les conséquences économiques qu'elle peut emporter.

Le Président de la République a réuni hier soir un conseil de sécurité et de défense nationale, auquel je participais avec le ministre des affaires étrangères et la ministre des armées.

Il nous a demandé de mettre en oeuvre des sanctions appropriées et ciblées contre les intérêts russes, avec nos partenaires européens et en concertation avec nos partenaires américains. Ces sanctions sont en cours de discussion actuellement entre les ministres des affaires étrangères.

Ces sanctions contre la Russie seront immédiates, lourdes et efficaces. Nous ne laisserons pas le président Poutine violer le droit international sans réactions fortes.

Ces sanctions porteront notamment sur le secteur financier, pour empêcher la Russie de se financer sur les marchés européens. Elles pourraient comporter la désignation individuelle d'un certain nombre de personnalités politiques et économiques russes. Enfin, elles pourraient entraîner le gel des avoirs de certaines banques publiques russes.

Nous visons, je le répète, des sanctions immédiates, lourdes et efficaces pour riposter à la décision russe d'escalade dans le conflit ukrainien.

Je mesure évidemment les inquiétudes qui peuvent être celles de nos compatriotes ou de nos entreprises. Notre évaluation est que les conséquences de cette crise en Ukraine seront contenues. Elles seront contenues parce que l'économie française est peu exposée à la Russie. La France exporte moins de 7 milliards d'euros par an vers la Russie - c'est à peine plus de 1% des exportations françaises - et nous importons moins de 10 milliards d'euros par an de Russie, soit moins de 2% des importations françaises. Vous voyez que ces chiffres sont très réduits.

Je tiens néanmoins à assurer toutes les entreprises françaises qui sont installées en Russie de notre soutien. Nous ferons également la liste des petites et moyennes entreprises (PME) et des très petites entreprises (TPE) qui pourraient être indirectement touchées par les conséquences économiques de cette situation en Ukraine, afin de leur apporter le soutien dont elles pourraient avoir besoin.

Je tiens également à rassurer nos compatriotes sur le fait que nous maintiendrons le gel des prix du gaz pour les particuliers en toutes circonstances.

J'en viens maintenant aux objectifs français lors de la présidence française de l'Union européenne.

Cette présidence a lieu à un moment singulier, qui est celui de la sortie de crise. Nous avons connu, je le rappelle - on l'oublie rapidement -, entre mars 2020 et les mois qui ont suivi, la crise économique la plus grave depuis 1929 en termes de chute de la richesse nationale en Europe.

Nous sortons de cette crise. Nous avons aujourd'hui une croissance forte, en particulier en France. La question que nous voulons nous poser, avec le Président de la République, est la suivante : quelle croissance pour l'Europe dans les décennies à venir ?

Voilà le point qui me paraît stratégique, et qui sera au coeur des débats de l'Ecofin, qui se tiendra vendredi et samedi de cette semaine à Paris.

Nous voulons une croissance forte et décarbonée. Nous ne nous résignons pas à avoir un niveau de croissance qui soit structurellement inférieur d'un point à celui des États-Unis.

Je pense vraiment que l'enjeu de l'après-crise est là : revient-on au « business as usual » ou essaie-t-on de tirer les leçons de cette crise et des crises passées pour avoir plus de croissance et une croissance plus décarbonée ? Notre choix est fait : nous voulons une croissance plus forte et une croissance plus décarbonée !

Pour cela, il faut tirer un certain nombre de leçons du passé et remonter peut-être un peu avant la crise de 2020, notamment à la première crise financière de 2008 à 2011.

La première leçon que l'on peut tirer est très simple : l'austérité est une impasse. Je le dis à tous nos partenaires européens qui pourraient être tentés par cette solution : nous l'avons essayé et cela a été un échec.

Vouloir rétablir trop rapidement les comptes publics, tailler dans les dépenses à la hache, se précipiter dans la réduction de la dette sans croissance a entraîné l'appauvrissement des pays européens et l'explosion de la dette de la zone euro, qui est passée de 66% du PIB en 2007 à plus de 90% en 2012. Les chiffres sont sans appel. Cette austérité a mis à genoux un certain nombre de pays européens, qui ont mis des années à s'en relever.

Je pense à la Grèce qui n'a retrouvé la croissance qu'en 2014, après six ans de récession. Je pense à l'Irlande, au Portugal, à l'Espagne, qui ont souffert de coupes drastiques dans l'investissement public car, lorsque vous faites le choix de l'austérité, les premières dépenses dans lesquelles on tranche ne sont jamais les dépenses de fonctionnement, mais toujours les dépenses d'investissement dans l'innovation, la recherche, l'éducation, l'enseignement supérieur, c'est-à-dire celles qui garantissent l'avenir d'un pays.

Pour prendre le seul cas de la France, la leçon est sans appel : en 2012, nous avons soldé la crise de 2008 avec 20 points de dette en plus, un taux de chômage fixé à 11%, et 0% de croissance. Nous ne referons pas cette erreur de choisir l'austérité qui a été, pour l'Europe, un échec économique et une erreur politique.

Deuxième leçon à tirer de la crise récente : la coordination des États européens a assuré le succès de leur politique économique. En 2020, nous avons fait un choix radicalement différent. Plutôt que l'austérité, nous avons fait le choix de la protection qu'on appelle désormais couramment le " quoi qu'il en coûte ".

Cette protection nous permet aujourd'hui d'avoir une croissance plus forte. Elle nous a permis d'avoir moins de dette, car tous les instituts - Conseil d'analyse économique, instituts économiques de l'Union européenne, Fonds monétaire international (FMI) -s'accordent à le reconnaître : protéger coûte moins cher que réparer. Il est moins coûteux de mettre en place un prêt garanti par l'État, un fonds de solidarité pour les petites entreprises ou de l'activité partielle que d'assumer les coûts sociaux de l'explosion du chômage et des faillites.

Prenez le carnet de commandes d'Airbus : Airbus a ouvert, à peine un an après le début de la crise, une nouvelle ligne de production à Toulouse, avec des emplois à la clé. Airbus a un carnet de commandes de 6 000 avions A320neo. Le problème d'Airbus, aujourd'hui, n'est pas un problème de demande, mais un problème d'offre, de capacité à répondre au carnet de commandes. Que ce serait-il passé si nous avions laissé les ingénieurs, les ouvriers qualifiés, les techniciens de maintenance d'Airbus se faire licencier ? Jamais Airbus n'aurait pu rebondir aussi fort qu'il a rebondi aujourd'hui ! Nous avons fait le choix de protéger plutôt que de restaurer immédiatement les comptes publics, ce qui était le bon choix.

Troisième leçon que je tiens à tirer : l'imagination est utile. Mettre sur la table de nouveaux instruments, qui paraissaient impensables et que la crise rend tout à coup réalistes, est efficace.

L'émission de dette en commun, je le dis avec mon expérience de ministre des finances, qui était impensable en 2017, est devenue une réalité en 2020 par la force des choses.

C'est cette émission de dette en commun qui a permis à tous les États membres de la zone euro de financer leur protection à un taux d'intérêt bas, voire négatif. Cette solution, qui paraissait totalement impensable au début du quinquennat, et alors que les Allemands y étaient totalement opposés, ainsi qu'un certain nombre d'autres pays, est devenue possible et même souhaitable en 2020. Cela nous a permis de financer nos plans de relance et de réactiver la croissance en Europe.

Pour bâtir ce nouveau modèle de croissance, qui va donc faire l'objet de toutes les discussions au sein de l'Ecofin à la fin de la semaine, il faut que nous fassions des choix clairs. Je le répète : nous voulons une croissance décarbonée, innovante et juste.

Une croissance décarbonée, cela signifie une croissance qui dépend moins des énergies fossiles. Inutile de vous dire que ce qui se passe actuellement à la frontière de l'Ukraine et de la Russie montre qu'il y a urgence à être plus indépendants en matière énergétique et, surtout, à réduire notre dépendance aux énergies fossiles. C'est le choix qui a été fait par le Président de la République, à Belfort, en annonçant de la sobriété, des investissements dans le renouvelable et la création de six nouveaux EPR dans les années qui viennent.

Mais si nous voulons que cette décarbonation de l'économie ne soit pas coûteuse économiquement et qu'elle soit efficace du point de vue climatique, une condition doit être au coeur des ambitions françaises : la mise en place d'un mécanisme d'ajustement carbone aux frontières.

J'entends certaines personnalités politiques nous expliquer que nous n'avons rien fait pour le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières depuis des années. C'est évidemment faux. C'est un combat que nous livrons depuis des années, mais l'expérience politique montre que ces combats structurels sont des combats longs et difficiles.

Nous avons mis quatre ans pour obtenir un accord sur la taxation internationale des géants du digital, quatre ans pour mettre en place une taxation minimale des plus grandes entreprises. Le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières mettra du temps avant de pouvoir être mis en place, mais nous visons des décisions juridiques sur le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières dès la présidence française de l'Union européenne. Nous y mettrons tout le poids politique et toute la détermination politique nécessaires.

Nous ne pouvons continuer à réduire nos émissions de carbone à l'intérieur des frontières européennes et à perdre ce bénéfice par l'importation de produits carbonés en Europe. Nous ne pouvons faire payer à nos entreprises et aux contribuables le prix de la décarbonation de nos usines tout en continuant à importer, sans aucun droit de douane, de l'acier et du ciment produits dans des conditions environnementales moins satisfaisantes. Le principe pollueur-payeur s'applique à l'intérieur de nos frontières, il doit aussi s'appliquer à l'extérieur de nos frontières !

Ma détermination à faire bouger les lignes sur le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières est totale. L'accélération de la décarbonation de notre économie est vitale. Elle doit solliciter la volonté de tous les États, de tous les ministres des finances, de tous les ministres de l'économie, et nous devons parvenir à un résultat.

La deuxième ambition repose sur un modèle économique innovant. Il va de soi que les deux sont liés. Si vous voulez réussir la décarbonation de l'économie, il faut aussi réussir les investissements dans l'innovation.

De ce point de vue, nous avons réussi à opérer, au cours des dernières années, une véritable révolution copernicienne en Europe. Je tiens à insister sur ce point. Je le dis là aussi avec le recul qui est le mien.

Il y a cinq ans, quand on parlait d'aides publiques pour une usine, la Commission européenne faisait les gros yeux et disait qu'il était impossible d'accorder des aides publiques à une entreprise, une usine, un secteur économique au motif que c'était contraire au droit de la concurrence - même si la Chine et les États-Unis le faisaient. Comment croyez que les États-Unis ont financé leur programme SpaceX ? Ce n'est pas uniquement grâce à l'argent de M. Musk, mais à celui de l'État fédéral américain et de la NASA. Ce sont des bases de la NASA qui ont permis à M. Musk de développer SpaceX.

Nous nous refusions à le faire au nom de dogmes dépassés. Nous avons réussi, en moins de cinq ans, notamment avec le soutien de l'Allemagne - et je rends hommage à son ancien ministre de l'économie, Peter Altmaier -, à opérer cette révolution copernicienne et à mettre en oeuvre un instrument qui porte un nom barbare, mais qui est cependant efficace, les projets importants d'intérêt collectif européens (PIIEC), qui offrent la possibilité d'apporter de l'argent public pour soutenir des projets industriels innovants.

C'est comme cela que nous finançons les batteries électriques, grâce à une usine, à Douvrin, avec 1 000 emplois, des ouvriers, des technologies et de la valeur. C'est comme cela que nous finançons les projets en matière d'hydrogène. L'hydrogène, ce sont des électrolyseurs, des usines, des ouvriers, des ingénieurs, des techniciens. Ce sont des bus, des trains, avec des stations de production à proximité de vos territoires, des avions qui, avec une portée encore limitée à un certain nombre de voyageurs, vont pouvoir circuler d'ici 2035.

Le développement des moyens de production de semi-conducteurs bénéficie également d'un financement public. Nous avons opéré cette révolution copernicienne : l'Europe a enfin compris qu'il n'y a pas d'avenir sans le soutien de l'argent public. Cela ne suffit pas, et il doit évidemment servir de levier aux financements privés, mais c'est indispensable pour rentabiliser des investissements dans des innovations de rupture.

J'insiste sur le fait que ce financement public doit servir de levier à du financement privé. J'avance même un chiffre : un euro d'argent public doit donner lieu à trois euros d'argent privé pour pouvoir rentabiliser ces investissements et leur permettre d'avoir toute l'ampleur nécessaire.

Pour financer ces investissements dans l'innovation, nous avons donc les PIIEC, instruments nouveaux, mais nous devons également favoriser l'émergence - et c'est l'un des objectifs de la présidence française de l'Union européenne - de l'union bancaire et de l'union des marchés de capitaux.

Il faut que le marché unique financier voie enfin le jour. On ne peut avoir un marché unique sur les biens et sur les personnes et, pour ce qui est des capitaux, continuer à avoir autant de marchés que d'États membres. Le jour où une grande entreprise de biotech lève de l'argent et qu'elle a besoin d'un milliard d'euros, le risque est qu'elle aille le chercher aux États-Unis et non en Europe, faute de profondeur financières suffisante. Si nous voulons une Europe qui joue dans la cour des grands, il faut une finance qui joue aussi dans la cour des grands. La finance n'est pas l'ennemi. La finance, c'est l'alliée des grands projets industriels, des grands projets d'innovation, l'alliée indispensable de la recherche et de la croissance.

Enfin, notre modèle doit être juste, et je pense que c'est un des traits du modèle économique européen. Aucun État européen ne se satisfait du profit pour le profit. Ce n'est pas notre culture, ce n'est pas notre conception de l'économie. La croissance doit être décarbonée, c'est une singularité européenne. Elle doit être innovante et doit être juste.

Pour cela, nous allons continuer à nous battre pour que la taxation minimale devienne réalité au plus tard d'ici la fin de la présidence française de l'Union européenne. Nous voulons que la taxation minimale sur les grandes multinationales ait pris une forme juridique avant la fin de la présidence française de l'Union européenne. Nous avons un projet de directive sur la table. Il se heurte encore à la résistance d'un nombre très restreint d'États membres. Nous allons tout faire pour surmonter les oppositions de ces États et parvenir à un accord sur le projet de directive sur la taxation minimale des grandes multinationales.

Je rappelle que ce type de directive portant sur la fiscalité ne peut être adopté qu'à l'unanimité des États membres. C'est pour cela que nous devrons mettre tout le poids politique nécessaire pour surmonter les interrogations d'un certain nombre d'États.

Une croissance juste, c'est aussi une croissance qui est capable de réguler les géants du numérique. Nous allons poursuivre les discussions sur la taxation des géants du numérique et visons également un accord sur les règlements dits DSA-DMA qui permettent d'encadrer les géants du numérique, les places de marché et la divulgation des contenus sur Internet.

Une croissance juste, c'est une croissance qui défend la justice commerciale en passant du marché de la loi du plus fort à un marché plus protecteur. Nous allons donc renforcer le contrôle des investissements étrangers sur nos entreprises. En 2017, la France était l'un des seuls États à disposer de ce mécanisme de filtrage des investissements. Nous en avons maintenant dix-huit. Les idées françaises en la matière ont donc progressé.

La justice, c'est aussi, en matière de marché, la réciprocité de l'accès aux marchés publics. Les chiffres sont sans appel : 95 % des marchés publics sont ouverts dans l'Union européenne à nos partenaires commerciaux, 32 % aux États-Unis, zéro ou presque en Chine. Nous ne continuerons pas à laisser nos marchés publics ouverts quand les autres sont fermés ! Cela s'appelle la réciprocité.

Nous sommes parvenus, au niveau des États, à un compromis en juin dernier. Nous visons maintenant un compromis avec le Parlement d'ici le printemps 2022 sur la réciprocité en matière d'accès aux marchés publics.

Enfin, sujet encore plus difficile, mais qui constitue aussi une question de justice : les subventions abusives d'États étrangers à leurs entreprises lorsqu'elles opèrent sur le continent européen. Quand une très grande entreprise américaine ou chinoise intervient sur le marché européen en bénéficiant de subsides publics massifs, cela crée un déséquilibre totalement inacceptable et abusif. C'est ce qui s'est passé dans le cadre de l'acquisition de l'allemand Kuka, en 2016, par le Chinois Midea. Nous voulons travailler un accord d'ici l'été pour lutter contre ces subventions abusives d'États étrangers.

Enfin, monsieur le président, vous m'avez interrogé sur le moyen de bâtir ce modèle de croissance économique plus juste, plus décarboné et plus innovant. Pour cela, nous avons un instrument, c'est le pacte de stabilité et de croissance.

Quelques remarques à ce sujet. D'abord, je suggère d'inverser les mots. Nous sommes tous des responsables politiques. Nous attachons de l'importance à la langue. L'ordre des mots, c'est l'ordre des choses. Je préfère parler de pacte de croissance et de stabilité, plutôt que de pacte de stabilité et de croissance. La croissance est pour moi la condition de la stabilité.

Ce pacte doit servir une ambition. Avant de nous demander quelles règles modifier et dans quel sens avancer, nous devons d'abord nous mettre d'accord sur l'objectif. C'est bien pour cela que j'ai commencé par parler de cette croissance plus juste, plus décarbonée et plus innovante, parce que c'est l'objectif que nous portons avec le Président de la République.

Ce cadre du pacte de croissance et de stabilité fait l'objet actuellement des discussions entre les Vingt-sept. Je pense que nous sommes déjà parvenus, quelles que soient les positions des uns et des autres, à un accord sur l'enjeu principal. L'enjeu principal, c'est de trouver le meilleur équilibre entre les investissements indispensables à la transition climatique, à la transition technologique, et au rétablissement des finances publiques.

Je ne vois plus d'État qui dise aujourd'hui que la seule priorité, c'est le rétablissement immédiat des finances publiques. Je ne vois plus non plus d'État qui dise que le rétablissement des finances publiques n'a aucune importance. C'est l'équilibre entre les deux qui compte. L'Allemagne a mis 60 milliards d'euros d'investissements sur la table. Les Pays-Bas, réputés être un État frugal, ont mis sur la table 75 milliards d'euros d'investissements publics et nous avons nous-mêmes développé un plan d'investissement de 30 milliards d'euros, parce que nous sommes tous confrontés aux mêmes difficultés.

Vous allez me dire qu'il faut de nouvelles usines pour produire des semi-conducteurs, parce que vous ne voulez pas dépendre de la production de semi-conducteurs à Taïwan, en Corée du Sud ou ailleurs : pas un producteur de semi-conducteurs ne viendra s'installer en France, en Allemagne ou ailleurs sans aide publique. TSMC est allée s'installer au Texas, attiré par des montants d'aides publiques considérables. Le choix est donc très clair : investir, mettre des aides sur la table permet de renforcer notre industrie. Sans investissement, ce sont nos voisins qui auront les usines et les technologies !

Dans le même temps, nous devons aussi rétablir nos finances publiques, et je veux être très clair sur ce point. Nous le ferons après la crise, comme nous l'avons fait avant la crise, avec un calendrier qui est clair - 2027 -, une méthode qui l'est tout autant - la croissance, les réformes de structures, la maîtrise des dépenses - en tenant nos engagements auprès de nos partenaires.

M. Claude Raynal, président. - Merci, monsieur le ministre.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Monsieur le ministre, je vous sens déterminé, mais je rappelle que la présidence française de l'Union européenne ne dure que six mois. Avec tous les engagements que vous venez de prendre, il va falloir travailler nuit et jour pour aboutir aux objectifs que vous envisagez.

Vous dites que l'austérité est une impasse. En France, il faut faire attention à la façon dont est alimentée cette croissance. Passe-t-elle par la poursuite du déséquilibre commercial, fait de davantage d'importations que d'exportations ? Dans ce cas, cela peut être plus compliqué.

Deuxième élément : vous avez répété que vous alliez maintenir le gel du prix du gaz pour les particuliers en toutes circonstances. Cela revient-il à envisager la prolongation du gel des tarifs réglementés de gaz jusqu'à la fin de l'année ? Je rappelle que dans le dispositif actuellement proposé, de toute façon, les particuliers devront bien, à un moment ou à un autre, s'acquitter de ce qu'ils doivent.

Mon troisième point porte sur la réciprocité sur l'accès aux marchés publics. Ayant sur mon territoire un grand groupe français qui est concerné, les fonderies de Saint-Gobain-Pont-à-Mousson, je crains encore aujourd'hui un engagement temporaire qui ne serait pas tenu à partir du second semestre de cette année. Nous devons être attentifs aux enjeux industriels et de souveraineté, notamment en matière de conduites d'adduction d'eau.

Par ailleurs, vous avez évoqué le pacte de stabilité et de croissance en disant que vous vouliez l'appeler pacte de croissance et de stabilité. Je connais votre art des Lettres. Je suis attaché, moi aussi, à essayer de mettre les choses dans le bon ordre même si j'y vois pour l'instant des questions de sémantique. Je demande à être convaincu, mais je pense que la réalité est un peu plus complexe que cela, car nous souffrons aujourd'hui de finances publiques qui, comparées à l'ensemble de nos partenaires européens, sont fortement dégradées, notamment par rapport à nos partenaires allemands.

Nous nous trouvons en difficulté selon moi, puisque nous ne respecterons pas la règle de réduction de la dette à hauteur de 1/20e. Il faudrait pour cela revenir à un peu plus de 100% d'endettement en 2027. Ce n'est pas tout à fait la tendance qui est prévue à ce stade au regard des derniers textes financiers, puisque nous devrions être plutôt autour de 115% du PIB.

Dans ce cas-là, comment comptez-vous convaincre notre partenaire allemand pour qu'il accepte, avec d'autres, de réformer la règle de désendettement du pacte de stabilité ?

Vous avez évoqué l'accord OCDE. Là aussi, j'y souscris, et nous nous sommes beaucoup battus, les uns et les autres, pour pousser en ce sens. Certains États membres, notamment l'Estonie, la Hongrie et la Pologne ont émis des réserves sur l'adoption des deux piliers de l'accord. Pouvez-vous nous dire où en sont les négociations sur ce point ? Pensez-vous pouvoir parvenir à un accord avant la mi-mars ?

La position des États-Unis reste également incertaine, puisque se pose notamment la question de l'articulation de la réforme du " Global Intangible Low-Taxed Income " (GILTI) avec les exigences de la proposition de directive de la Commission européenne et de la mise en oeuvre du pilier I par les États-Unis, sur lequel nous avons pourtant fait beaucoup de concessions. Quel est, à ce stade, l'état des réflexions et des avancées que vous avez pu obtenir ?

Enfin, je pense que nous souscrivons collectivement au mécanisme d'ajustement carbone aux frontières, qui doit offrir à l'Europe et à la France des conditions plus égales pour le développement économique et/ou industriel. Il est proposé que les recettes de ce mécanisme contribuent au budget de l'Union européenne. Quelles sont à ce stade les prévisions de recettes à l'horizon 2030 ? Quelles options sont-elles aujourd'hui sur la table s'agissant de l'utilisation des recettes de ce mécanisme ? Est-il prévu que les recettes de ce mécanisme d'ajustement participent au financement de la croissance économique décarbonée, pour ne pas dire à la croissance écologique ?

M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. - Monsieur le ministre, j'aimerais revenir sur les propos de Jean-François Husson.

Vous avez abordé la question de la dette en commun. On sait que la dette en commun repose sur les ressources propres. Or nous avons quelques soucis avec celles qui ont été inventoriées. Peut-être devons-nous clarifier certaines options avec notre partenaire allemand en particulier.

À ce sujet, vous avez évoqué la décarbonation, dont celle de l'industrie. Nous travaillons actuellement sur « l'ajustement à l'objectif 55 ». À notre grande surprise, nous avons appris ce matin que les Allemands remettent en question certains aspects de ces mesures. La France semble vouloir prendre des engagements qui sont plus ou moins freinés par notre partenaire allemand. On les pensait plus en avant sur cette question. J'aimerais connaître votre position à ce sujet.

Ma première question concerne l'articulation de la politique européenne de concurrence avec les objectifs de notre stratégie industrielle. Vous avez évoqué les PIIEC, qui constituent un outil important. Peut-être faudrait-il aller plus loin dans ce type de financements et contribuer aux premières étapes de l'industrialisation, afin de doter notre économie de cette fameuse autonomie de production telle qu'on l'entend en ce moment. Peut-on imaginer que les PIIEC, qui constituent une bonne idée, puissent être étendus ?

Ne vous paraîtrait-il pas souhaitable d'aller au-delà de ce que propose la Commission européenne dans sa révision en cours de la définition du marché pertinent ? Ceci pourrait notamment par le fait de prendre en compte la concurrence potentielle à court et moyen terme, d'autoriser des rapprochements qui permettraient à l'industrie européenne d'affronter la concurrence internationale, et ce sans imposer des cessions d'actifs, qui sont autant de proies désignées pour des concurrents extra-européens. Ces considérations importantes seront-elles à l'ordre du jour des réunions sous présidence française ?

Ma deuxième question a trait à la lutte contre les effets discordants des subventions étrangères sur le marché intérieur. Sur proposition de nos collègues, Christine Lavarde et Didier Marie, la commission des affaires européennes a soutenu la proposition de règlement présentée en mai dernier par la Commission européenne pour identifier et contrôler ces subventions qui nuisent à une concurrence loyale. La présidence française a fait une priorité de l'adoption de ce texte. Quand pensez-vous que celui-ci pourra être adopté ? Quelles sont les divergences avec nos partenaires ?

Enfin, un mot sur les PME et leur adaptation aux obligations en matière de publication d'informations non financières. Il est à craindre que la révision en cours des règles de publication d'informations en matière de durabilité charge encore les PME de nouvelles obligations, en particulier administratives. La présidence française entend-elle l'éviter ? Quels sont, dans ce dossier, les objectifs sur le fond et en matière de calendrier ?

M. Jean-Marie Mizzon, rapporteur spécial. - Monsieur le ministre, la mise en oeuvre du plan de relance européen, dont le principe a été acté en juillet 2020, a constitué un parcours de longue haleine, initié par la procédure de ratification de la décision sur les ressources propres au cours de l'année dernière.

Alors que les premiers versements sont effectués au profit des États membres, des voix s'élèvent sur l'absence de transparence de la Commission européenne pour l'évaluation des plans nationaux de relance et de résilience, en particulier sur la satisfaction des objectifs prévus par ceux-ci.

L'accessibilité de ces informations est d'autant plus importante que ces plans ont souvent été construits sans les parlements nationaux. Partagez-vous ces critiques, et dans quelle mesure la présidence française pourra-t-elle contribuer à un meilleur dialogue sur le sujet ?

Mme Vanina Paoli-Gagin. - Monsieur le ministre, je partage évidemment l'objectif d'une croissance juste, décarbonée et forte au sein de l'espace économique européen.

Vous avez dit qu'on devait tirer les leçons de la crise de 2008 et de la crise post-pandémique - et vous l'avez fait. Il serait bon qu'on tire aussi les leçons de ce qui s'est passé outre-Atlantique après la Seconde Guerre mondiale. On est en train de comprendre que les GAFAM sont devenus quasiment des micro-États depuis 1950 et après de nombreuses mesures telles que le Small Business Act, le Small Investment Business Act, la Defense Advanced Research Projects Agency (DARPA) puis, dans les années 1980, le Bayh-Dol Act. L'Europe le découvre aujourd'hui, sans parler de la Chine, qui a montré qu'elle était elle aussi capable de créer des géants industriels de taille mondiale.

Je pense que ce que vous nous présentez va dans le bon sens, mais j'ai trois questions à vous poser dans le cadre d'une mission d'information dont je suis rapporteur qui porte sur l'excellence de la recherche et la pénurie de champions industriels en France. Plus que les PIIEC, ne pensez-vous pas qu'il faudrait modifier les règles de la commande publique à l'échelon européen pour encourager le financement de la transition écologique et les innovations de rupture ?

Ne pensez-vous que certains obstacles réglementaires devraient être levés au sein de l'espace économique européen qui, à bien des égards, n'a de marché unique que le nom ?

Enfin, ainsi que vous l'avez souligné, ne faut-il pas accélérer la création d'un véritable équivalent européen du Nasdaq ? Euronext a lancé Tech leaders. J'espère que cette initiative va être couronnée de succès, car si l'on ne peut consolider nos champions européens et répondre aux enjeux liés à leurs besoins massifs de financement, on risque de toujours être en retard sur la concurrence étrangère.

M. Antoine Lefèvre. - Monsieur le ministre, dans un courrier de la semaine dernière, les huit présidents de groupes du Sénat vous appellent à profiter de l'opportunité de la présidence française pour inscrire le sujet des Américains accidentels à l'ordre du jour et faire avancer les négociations avec les États-Unis sur cette question. J'ai eu l'occasion d'attirer votre attention sur ce sujet, à Washington, en avril 2018, en marge de la visite diplomatique du Président de la République.

Votre toute récente réponse au président de l'association des Américains accidentels, M. Lehagre, fait état d'échanges avec la secrétaire d'État au Trésor américain et invoque principalement la recherche d'une équivalence dans le volume de données bancaires échangées entre la direction générale des finances publiques (DGFIP) et l'Internal Revenue Service (IRS) américain.

Le problème, à l'heure actuelle, ne se situe pas tant dans l'inégalité de partage de données bancaires que dans l'impasse administrative dans laquelle les 40 000 Français et 300 000 Européens concernés se situent depuis mars 2020.

La crise sanitaire et la fermeture des services consulaires américains sur le sol français rendent quasiment impossible la procédure de renonciation à la nationalité américaine qui, jusqu'alors, était fort coûteuse. Le président du Sénat s'est également inquiété de ce problème dans un courrier adressé au Premier ministre, le 16 février dernier.

Il est urgent de laisser à tout le moins aux Américains accidentels concernés la possibilité d'une renonciation expresse et facile à la citoyenneté américaine. Avez-vous l'intention de porter cette question devant vos homologues de l'Union européenne ? L'opportunité européenne qui s'offre à nous constitue en effet une fenêtre de tir très brève mais précieuse pour renforcer la force de négociation européenne.

Mme Christine Lavarde. - Monsieur le ministre, le 8 février dernier, le commissaire Thierry Breton a présenté l'initiative Chips Act, dont vous nous avez largement parlé, qui vise à augmenter la production de semi-conducteurs.

En première approche, le 9 février, lors du Comité des représentants permanents (COREPER), les États membres ont salué cette initiative. Certains redoutent cependant des distorsions internes, notamment les États membres qui ne sont pas producteurs de semi-conducteurs. D'autres, comme l'Allemagne et les Pays-Bas, éprouvent des craintes liées aux mécanismes de contrôle des exportations et appréhendent des rétorsions de la part des partenaires commerciaux, comme les États-Unis. Ce doit être un sujet de l'ordre du jour du conseil Compétitivité, qui va se tenir à la fin de la semaine. Quels éléments de réponse allez-vous pouvoir apporter aux États membres ? Quelle va être l'articulation de ce dispositif avec le programme Horizon Europe ?

Enfin, pouvez-vous par ailleurs nous apporter des informations sur deux textes qui auraient dû sortir mi-février, l'un sur le devoir de vigilance, l'autre sur la gouvernance durable ?

M. Jean-Michel Arnaud. - Monsieur le ministre, je souhaiterais revenir sur vos propos, dont je vous remercie, concernant la situation russe en Ukraine.

Vous avez évoqué le peu d'impact que pouvaient avoir les échanges commerciaux entre la France et la Russie, et réciproquement. Pouvez-vous nous apporter des précisions sur votre proposition de geler le prix du gaz en toutes circonstances ? Qu'est-ce que cela signifie pour les entreprises, mais aussi pour les particuliers ? Qu'entendez-vous par la formule " en toutes circonstances " ?

Vous avez également évoqué le rétablissement à terme de nos finances publiques d'ici 2027 par la croissance, les réformes structurelles et la maîtrise des dépenses. Nous savons l'impact que peut avoir la maîtrise des dépenses sur les collectivités. Quelles sont vos intentions concernant les dotations et le financement de nos collectivités locales, qui constituent aujourd'hui le dernier rempart des citoyens, qui manquent de confiance et de moyens face à la crise à laquelle nous sommes confrontés ?

M. Vincent Segouin. - Monsieur le ministre, vous avez fait part de votre satisfaction concernant les chiffres du chômage. Avec 7,5%, on est encore loin du plein-emploi, je tiens à le dire !

Vous nous avez dit votre satisfaction concernant la croissance, qui s'élève à 7%, alors qu'on a perdu 8,1% pendant la crise. Le montant de la dette publique aurait pu être bien pire, selon vous. Vous avez toutefois omis de nous parler de la balance commerciale, de la hausse de l'inflation et des taux d'intérêt et des risques que cela engendre, du chômage des jeunes et du futur, de ce que représentent la dette européenne et les engagements que nous devons prendre pour la rembourser.

Vous avez évoqué une croissance limitée à 1,35 % dès 2023. Vous vous êtes engagé à diminuer la dépense publique, bien que vous nous ayez parlé des risques de l'austérité précédemment. Vous avez même écrit que vous alliez économiser jusqu'à 9 milliards d'euros par an. Allez-vous pouvoir mettre en place ce que vous avez dit, ou va-t-on se faire dorénavant dicter les réformes par nos partenaires européens ?

Mme Sophie Taillé-Polian. - Monsieur le ministre, il est doux aux oreilles de la gauche et des écologistes d'entendre dire que la France va se battre pour l'ajustement carbone aux frontières ou contre l'austérité.

Vous nous parlez beaucoup de cette croissance que vous comptez mettre en place mais, finalement, quand vous en venez à parler du pacte de stabilité et de croissance, vous ne nous proposez qu'une inversion des mots. Vous êtes un homme de lettres : cela me fait penser au Bourgeois gentilhomme : dans quelque ordre qu'on les prenne, les mots ont toujours le même sens !

Aussi voudrais-je, monsieur le ministre, vous poser une question simple : vous parlez de croissance, mais vous parlez aussi de réformes structurelles. Quelles seraient-elles ? Réforme des retraites ? Vous parlez de maîtrise des dépenses. Quelles seront-elles ? Va-t-on continuer à mettre en grande difficulté l'hôpital public ou d'autres services publics ? Je crois que les Français doivent le savoir pour avoir une vision complète de l'offre politique que vous présenterez bientôt aux Français à travers, je le suppose, la candidature d'Emmanuel Macron.

M. Thierry Cozic. - Monsieur le ministre, vous avez souligné en préambule que la relance économique de l'Europe, soucieuse des enjeux écologiques, est l'une des priorités de la présidence française du Conseil de l'Union européenne.

À ce titre, je voudrais revenir sur la question des financements privés des énergies. Entre 2016 et 2020, les 60 plus grandes banques du monde ont accordé près de 4 000 milliards de dollars de financement aux entreprises de développement des énergies fossiles. Avec près de 300 milliards de dollars sur la même période, les banques françaises sont bien placées dans ce soutien au réchauffement climatique. Le premier acteur bancaire français de la zone est actuellement le quatrième principal pourvoyeur de financements en faveur des énergies fossiles et le premier en Europe.

Comment rompre avec ces financements bancaires ? À l'évidence, l'autodiscipline et le seul marché n'y suffisent pas. Une réponse de la puissance publique doit donc émerger. On touche là au problème de fond : le financement bancaire de l'exploitation des énergies fossiles reste bon marché parce qu'il n'est pas plus onéreux pour une banque d'investir dans du brun que dans du vert.

Afin de freiner les investissements dans les énergies brunes, ne pensez-vous pas que la solution pourrait se trouver, comme l'ONG Finance Watch le propose, dans la modification des pondérations de risques affectées aux différentes activités des banques, qui continuent massivement à investir dans les énergies brunes ?

Mme Sylvie Vermeillet. - Monsieur le ministre, comment, dans le cadre de cette présidence française, aborderez-vous la question de l'énergie ? Vous avez évoqué l'hydrogène, le nucléaire, l'éolien. Quels seraient, à l'échelle européenne, les points de convergence et de complémentarité ?

Un autre sujet me paraît très important, celui de la gestion de l'eau. Le réchauffement climatique entraîne beaucoup d'inondations et de sécheresses. Les initiatives en termes de collecte de drainage ou de stockage sont laissées aux collectivités. Pourquoi n'existe-t-il pas de plan national ou de plan européen en matière de gestion de l'eau, ce qui me semble tout aussi important que l'énergie ou notre bien-être durable ?

M. Claude Nougein. - Monsieur le ministre, des inquiétudes ont été exprimées devant notre commission quant aux exigences prudentielles de la directive Solvabilité II qui limiterait les perspectives d'investissement des assureurs. La récente proposition de la Commission européenne devrait permettre, d'après l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), de faire gagner 16 milliards d'euros de fonds propres aux assureurs européens. Quel est le calendrier de révision de cette directive ? Dans quelle mesure la France, qui est forcément neutre du fait de sa présidence, pourra-t-elle compter sur certains États membres pour contenir la pression sur les exigences de fonds propres des assureurs ?

M. Claude Raynal, président. - Monsieur le ministre, vous avez la parole.

M. Bruno Le Maire, ministre. - Beaucoup de thèmes pouvant se recouper, je commencerai par la question de Sylvie Vermeillet relative à l'énergie. À mes yeux, il s'agit du sujet stratégique des 30 prochaines années. Au-delà des instruments, comme le pacte de stabilité et de croissance, qui occupent parfois le devant de la scène, je voudrais rappeler qu'il n'existe pas d'économie sans énergie. La clé d'une économie qui fonctionne, qui connaît la croissance, qui se décarbone et qui respecte l'objectif de zéro émission en 2050, c'est l'énergie.

Les 27 États membres ont un objectif commun, mais c'est un sujet de dispute profond. Nous sommes tous d'accord pour zéro émission, mais nous ne sommes pas d'accord sur les moyens d'y parvenir, pour des raisons très profondes et très culturelles.

Chacun connaît les réticences très profondes de l'Allemagne à l'égard de l'énergie nucléaire. J'ai eu l'occasion d'expliquer à mon homologue ministre de l'économie, Robert Habeck, que je comprenais parfaitement les réserves de l'Allemagne à l'égard de l'énergie nucléaire, mais que l'Allemagne devait aussi comprendre que la production d'énergie nucléaire était constitutive de l'indépendance de la France et donc de notre culture nationale, chacun devant par conséquent respecter l'identité de son voisin.

Ne nous le cachons pas : c'est un sujet de dispute entre pays européens, et un sujet parfois sérieux. Je préfère donc que nous assumions nos différences et que nous insistions sur notre objectif commun qu'est le zéro émission carbone.

Le deuxième sujet de dispute, c'est la réforme du marché européen de l'énergie. Je répète avec fermeté que nous ne pouvons accepter de payer l'électricité décarbonée au prix des énergies fossiles. Or c'est ainsi que fonctionne aujourd'hui le marché européen de l'énergie : vous payez le prix de l'énergie nucléaire au prix du dernier kilowattheure de gaz produit dans une centrale ouverte dans l'Est de l'Europe ! Il est pour moi compliqué d'aller dire aux Français que nous allons investir dans le nucléaire pour avoir de l'électricité décarbonée mais, dans le même temps, qu'ils vont non seulement payer pour les réacteurs, mais aussi pour le dernier kilowattheure produit par une centrale à gaz.

Il en va de même pour les Espagnols, pour qui il est compliqué de comprendre qu'ils investissent massivement dans les énergies renouvelables, mais devront quand même aligner le prix moyen de production sur le prix marginal de la production de gaz.

Tout ceci m'amène à continuer à me battre pour une réforme en profondeur du marché européen de l'énergie.

Enfin, je pense que nous réussirons ce combat en matière d'énergie si nous sommes capables d'avancer vers des solutions innovantes. Je pense en particulier à l'hydrogène qui, pour le coup, est un objet sur lequel nous pouvons coopérer en bonne intelligence, notamment avec nos partenaires allemands.

Je rappelle que la stratégie française est fondée sur la sobriété, car il faut être lucide : nous ne réussirons pas la décarbonation de nos économies et de nos nations si nous ne faisons pas preuve de plus de sobriété dans la consommation. La stratégie française est également fondée sur le développement des énergies renouvelables, en accélérant les procédures d'ouverture des productions, et sur le pilier nucléaire, dont le Président de la République a rappelé le caractère essentiel il y a quelques jours, à Belfort.

Toujours en lien avec ce sujet, la première question qui m'a été posée par Jean-François Husson et un certain nombre d'entre vous est une question majeure qui concerne directement tous nos compatriotes, celle liée au prix du gaz.

Je ne lis pas dans le marc de café, et je ne suis pas capable de vous dire quel sera le prix du gaz dans quelques semaines. Ma responsabilité est de protéger les Français contre toute augmentation des prix du gaz.

Nous avons pris la responsabilité du gel des prix du gaz et nous tiendrons notre engagement. Quels que soient les prix du gaz dans les semaines à venir, nous garantirons le gel des prix du gaz pour les particuliers durant l'année 2022. Nous avons provisionné 1,2 milliard d'euros dans le projet de loi de finances pour compenser les entreprises fournisseurs. Si cette somme devait être insuffisante parce que les prix du gaz augmentent dans les mois à venir, nous prendrions les dispositions nécessaires pour garantir la compensation aux entreprises fournisseurs de gaz. Je précise que ce gel des prix s'entend pour les particuliers et non pour les entreprises.

S'agissant des entreprises, nous avons pris d'autres dispositions qui touchent aussi les collectivités locales concernant le prix de l'électricité. C'est là une disposition différente, avec un plafonnement de la hausse des tarifs réglementés à 4%. Nous avons supprimé la taxe intérieure sur la consommation finale d'électricité (TICFE) pour un coût total de 8 milliards d'euros pour l'État, et avons demandé un effort exceptionnel à EDF pour garantir que le volume d'électricité nucléaire mis à disposition permette de plafonner à 4% la hausse des prix de l'électricité, aussi bien pour les particuliers que pour les entreprises.

Je sais que cette décision a fait couler beaucoup d'encre. Si nous n'avions pas pris cette décision, les Français auraient vu leur facture augmenter de 40% et des milliers d'entreprises, en France, n'y auraient pas survécu.

Cette décision était une décision responsable, justifiée et nécessaire pour protéger les ménages comme les entreprises.

Par ailleurs, nous avons pris les dispositions nécessaires, il y a quelques jours, pour que les locataires des habitations à loyer modéré (HLM) soient aussi bien couverts par ce plafonnement à 4%. Je ne sais quelle sera l'évolution des prix du gaz dans les semaines à venir, mais nous appliquerons en tout état de cause le gel des prix du gaz pour les particuliers et prévoirons les mesures financières nécessaires pour compenser les entreprises fournisseurs si le coût devait excéder 1,2 milliard d'euros, chiffre prévu en projet de loi de finances.

Ceci m'amène aux finances publiques. Oui, les finances publiques, en raison de la crise que nous avons connue, sont aujourd'hui dégradées. Faut-il les rétablir ? Oui ! Sommes-nous déterminés à le faire ? Oui ! Avons-nous commencé à le faire ? Oui ! Nous avons perçu 20 milliards d'euros de recettes fiscales supplémentaires en 2021, et nous avons consacré l'intégralité de cette somme au désendettement et à la réduction des déficits.

Nous avons passé la dette de plus de 115% à 113% du PIB, cela a été rappelé. Nous avons réduit le déficit public, qui devait être de 8,2%, à un peu plus de 7 % pour 2021.

Faut-il poursuivre cet effort ? Oui, absolument et nécessairement ! Pourquoi ? Cela tombe sous le sens. Quand les choses vont mieux, il faut reconstituer des réserves pour faire face à des temps difficiles qui pourraient venir à nouveau. À un moment donné, la politique se réduit à des choses simples et à des décisions de bon sens.

Quand les choses vont mieux, il faut rétablir les finances publiques pour nous permettre de faire face à quelques nouvelles crises que ce soit dans les années qui viennent. C'est ma responsabilité de ministre des finances et, tant que je le serai, je continuerai à défendre cette idée simple : quand la situation économique se rétablit, il faut rétablir les finances publiques.

Au-delà de cette raison de bon sens, il y a une raison strictement comptable : avec le retour de la croissance, une normalisation de la politique monétaire de la Banque centrale européenne (BCE) s'opère, et les taux ne seront plus les mêmes dans les mois et les années qui viennent que précédemment. Nous avons emprunté de l'argent à des taux négatifs au cours des 2020 et de 2021. Ces taux sont devenus légèrement positifs. Aujourd'hui, ils avoisinent 0,7% pour les obligations à dix ans. Tout cela est naturel, cohérent avec le retour de la croissance, mais doit nous amener aussi, en responsabilité, à poursuivre le rétablissement des finances publiques.

Au-delà du principe, comment restaurons-nous les finances publiques ? Le point central - et c'est pourquoi je refuse toute austérité - réside dans le fait que nous ayons fait passer la croissance comme une priorité absolue. On voit bien que la croissance a une immense vertu : elle procure des recettes fiscales supplémentaires plus importantes que prévu et crée des emplois qui nous évitent un certain nombre de dépenses sociales. C'est donc la bonne méthode. Il faut partir de la croissance, une croissance plus forte que celle que nous avions avant la crise.

Le vrai changement de méthode est là : la croissance ne doit pas être le point d'aboutissement du rétablissement des finances publiques, mais le point de départ. Est-ce suffisant ? Non ! Là aussi, mieux vaut le dire avec simplicité. La croissance ne suffira pas. Il faut ajouter au moins deux ingrédients. Le premier, ce sont les réformes de structures. Je ne vais pas me cacher derrière mon petit doigt : j'estime qu'une réforme des retraites est urgente et nécessaire, d'abord pour garantir le financement de notre système par répartition, mais également pour rétablir nos finances publiques.

Nous avons engagé un certain nombre de réformes de structures, comme la réforme de l'assurance chômage. J'estime qu'il est indispensable - et c'est le débat qui aura lieu pendant cette présidentielle - d'engager rapidement une réforme des retraites dès le début du prochain quinquennat.

Enfin, il faut réduire la dépense publique. C'est le troisième ingrédient avec la croissance et les réformes de structure. Là aussi, je joue carte sur table : je crois de moins en moins à la brutalité en matière d'action politique : cela ne donne aucun résultat. La fermeté, la constance, la stabilité, ce n'est pas la brutalité. Personne ne taillera à la hache dans les dépenses publiques, parce que les Français demandent que ces choix politiques aient du sens.

Il faut - c'est toute la complexité de l'action publique - être capable d'investir davantage dans l'hôpital, dans l'école, dans la sécurité et, dans le même temps, de réduire la dépense publique. C'est là toute la difficulté de l'équation.

Je pense que c'est possible si l'on regarde ce qui a pu être fait en matière de prélèvement à la source. Avec les outils digitaux et technologiques, on acquiert un meilleur service, plus efficace et plus juste pour les Français. Cela entraîne moins de dépenses publiques, avec un nombre d'agents publics moins élevé.

Je rappelle que le seul ministère qui a massivement réduit ses effectifs au cours des cinq dernières années, c'est le ministère des finances : 12 000 agents en moins pour une qualité de service qui, je crois, n'est pas discutée.

Ne faut-il pas envisager le même genre de politique pour les allocations sociales ? N'y a-t-il pas, dans ce maquis, un travail à faire pour les simplifier et avoir des allocations versées de manière plus efficace, plus uniforme et plus juste ? Cela ne permettra-t-il pas d'avoir à la fois un service plus efficace et de réduire le nombre d'agents publics dans les CAF ? Je pose la question...

Avec cet exemple, je veux apporter la preuve qu'on peut réduire les dépenses publiques et améliorer la qualité du service pour les usagers.

Enfin, dans quel calendrier faut-il le faire ? C'est la troisième question. L'essentiel est de respecter le calendrier que nous fixons à nos partenaires. Nous ne prenons pas ces décisions pour faire plaisir à la Commission européenne ou à nos partenaires européens, mais parce que nous sommes tous membres d'une même zone monétaire. Notre intérêt est que celle-ci soit puissante et solide. Il faut donc définir un calendrier et le respecter. C'est ce qui fera la crédibilité de la signature de la France. Nous avons dit que nous reviendrions sous les 3 % de déficit public au plus tard en 2027. Nous reviendrons donc sous les 3 % de déficit public au plus tard en 2027 !

S'agissant des questions touchant la fiscalité digitale et minimale, quelle est la difficulté, et quels sont nos objectifs ?

La taxation des géants du numérique doit se traduire par un accord international à l'OCDE. Pour ce qui est de la taxation minimale, celle-ci se traduit par une directive. Ce sont deux objets juridiques radicalement différents, l'un totalement à notre main, l'autre qui ne l'est pas.

S'agissant de la taxation digitale et du pilier I, qui m'a valu quatre ans de combats intenses, notre objectif est d'avoir un accord sur la convention internationale à l'été 2022. J'ai bon espoir que nos partenaires américains, qui auront la clé sur ce sujet, parviennent à un accord au Sénat américain pour faire adopter cette référence internationale.

Sur le pilier II, quelles sont les difficultés ? Trois États ont manifesté leur réticence : l'Estonie pour des raisons techniques, la Pologne et la Hongrie pour d'autres raisons. Je suis en discussion avec ces trois États, qui ont soulevé un certain nombre de difficultés. J'espère les convaincre de se rallier à l'unanimité, indispensable à l'adoption de la directive portant taxation minimale à 15 % sur les entreprises avec un chiffre d'affaires supérieur à 750 millions d'euros avant la fin de la présidence française de l'Union européenne.

Avec ces deux objectifs de calendrier, je souhaite que nous puissions avoir un nouveau modèle de taxation internationale qui soit mis en place en janvier 2023. Je répète ma détermination à obtenir que cette nouvelle taxation internationale soit mise en place au début 2023. C'est une question d'efficacité et de justice. Cela a été dit à plusieurs reprises : on ne peut accepter que certains États, certaines multinationales ou certains géants du numérique échappent à l'impôt.

S'agissant du mécanisme d'ajustement carbone aux frontières, la recette qui m'a été demandée est évaluée à un peu plus de 9 milliards d'euros.

Jean-François Rapin m'a également interrogé sur la question des PME et la publication d'informations non financières.

L'enfer est pavé de bonnes intentions : c'est très bien de demander des reportings de plus en plus complexes aux entreprises, mais arrive un moment où, pour les PME, cela devient très compliqué. Je suis un apôtre de la simplification : je souhaite donc que ces fameux reportings demandés par l'Union européenne aillent vers plus de simplification et n'alourdissent pas ce qui est demandé aux PME. Je pense que ce serait une grave erreur.

Une question m'a été posée sur les règles de la commande publique. Je suis évidemment favorable à ce que nous étudiions cette modification des règles de la commande publique. Soyons honnêtes : il sera difficile d'obtenir le soutien de nos partenaires européens, mais je considère que c'est une voie que nous devons explorer. Après tout, nous sommes arrivés à renverser la table à propos de la taxation des géants du digital, de l'aide publique aux industries naissantes et aux nouvelles technologies : je ne vois pas pourquoi nous ne livrerions pas cette bataille concernant la commande publique, qui me paraît une bataille juste.

Je précise d'ailleurs que, pour un certain nombre de commandes publiques, comme pour les trains, les appels d'offres peuvent déjà favoriser les entreprises qui ont une composante européenne plus importante. Je ne vois donc pas pourquoi on n'élargirait pas cette possibilité à d'autres commandes publiques.

Antoine Lefèvre, j'ai parlé encore récemment à Janet Yellen des Américains accidentels et je continuerai à lui en parler. Je comprends les difficultés auxquelles sont confrontés les citoyens qui se sont retrouvés américains indépendamment de leur volonté, alors qu'ils n'entretiennent aucun lien réel avec ce pays. Nous continuerons à livrer cette bataille.

Christine Lavarde, le Chips Act, est un enjeu décisif. La somme totale prévue s'élève à 43 milliards d'euros d'investissements publics et d'investissements privés, dont 11 milliards d'euros d'argent public. Quel est l'enjeu ? Il s'agit tout simplement du bon fonctionnement de notre industrie et de notre indépendance. La crise a montré que nous étions dépendants des États-Unis et des États asiatiques pour ce qui concerne un certain nombre d'éléments critiques et que cela pouvait poser des difficultés majeures en période de crise.

Très concrètement, nous nous retrouvons avec des usines à l'arrêt et des ouvriers au chômage technique parce que l'usine de Sochaux ne reçoit pas les semi-conducteurs dont elle a besoin pour produire ses Peugeot 5008. C'est totalement inacceptable, et chacun voit bien que l'une des conséquences de cette crise sera une régionalisation de la mondialisation. Cette régionalisation est inéluctable. Elle est voulue par la Chine et par les États-Unis : il faut que l'Union européenne accélère dans son indépendance et dans sa souveraineté. C'est au coeur des ambitions françaises de la présidence française de l'Union européenne. Il faut que la région européenne soit plus indépendante vis-à-vis d'un certain nombre de métaux critiques ou d'approvisionnements critiques pour ses chaînes de valeur. Les semi-conducteurs sont, parmi tous les composants critiques, peut-être les plus critiques.

Nous avons des capacités plus importantes qu'on ne le dit, grâce à une entreprise néerlandaise qui est probablement une des meilleures au monde en termes de finesse de gravure ; et des capacités de production importantes en Allemagne, à Dresde et, en France, des capacités de classe mondiale, à Crolles, à côté de Grenoble, avec l'entreprise franco-italienne ST Micro.

Il faut maintenant avancer dans deux directions, et tout d'abord, en augmentant les volumes. Il faut plus de capacités de semi-conducteurs, avec des tailles de gravures entre 19 et 38 nanomètres, afin d'équiper les voitures, les trains, les avions, les instruments électroniques.

Il faut aussi avancer dans la recherche, qui doit nous permettre d'arriver à des finesses de gravure beaucoup plus réduites de 2 à 5 nanomètres pour les objets connectés en mouvement.

L'Europe doit donc livrer ce double combat : davantage de semi-conducteurs, avec des finesses de gravure bien plus réduites, pour redevenir un des producteurs significatifs de semi-conducteurs dans le monde.

C'était le cas il y a trente ans. Si nous avons perdu la main pour devenir un acteur insignifiant ou peu significatif des semi-conducteurs, c'est simplement parce que nous avons renoncé à investir, à faire de la recherche, à innover. Nous avons perdu du terrain, laissé la voie à d'autres - TCMC à Taïwan, Samsung en Corée du Sud, Intel aux États-Unis. Il faut tout simplement reprendre la main. C'est ce que nous sommes en train d'essayer de faire.

S'agissant des intérêts français, nous nous battons aussi pour obtenir une augmentation des capacités de production de semi-conducteurs en France. Nous sommes en cours de négociation, et j'espère pouvoir avoir des résultats sous quelques jours ou quelques semaines.

Vincent Segouin, nous avons le taux de chômage des jeunes le plus faible depuis 1986. Je pense que c'est un élément positif.

Quant à la balance commerciale, je n'ai jamais caché qu'il s'agissait du point noir de l'économie française et qu'il faut retrouver une balance excédentaire sous dix ans. C'était le cas en 2000. C'est fou comme les choses vont vite dans la descente et combien on manque d'ambition en matière de relance et de rétablissement des excédents. J'ai plus d'ambition pour le rétablissement des excédents, que de résignation pour la dégradation de notre balance commerciale. En vingt ans, elle est devenue négative, lourdement déficitaire. Il faut qu'elle redevienne positive sous dix ans.

Cela passe d'abord par l'indépendance énergétique, car une grande partie des déséquilibres commerciaux de la France viennent de la facture énergétique. Davantage d'indépendance énergétique, c'est moins de déficit commercial.

La deuxième réponse passe tout simplement par la reconquête industrielle. C'est par l'industrie qu'on rétablira la balance commerciale. Le déficit de la balance commerciale est la signature de notre renoncement en matière industrielle. C'est bien pour cela qu'il faut la rétablir. C'est un des éléments de la reconquête industrielle pour laquelle nous nous battons, domaines dans lequel nous commençons à avoir des résultats. Il faut poursuivre dans cette voie.

Enfin, la question de Thierry Cozic portait sur les financements des énergies. Je pense que la meilleure façon d'éviter les financements des énergies fossiles, c'est en faisant en sorte que l'État donne l'exemple. Nous avons arrêté les financements à l'exportation pour un certain nombre d'énergies fossiles, et nous sommes prêts à accélérer le calendrier dans cette direction. La taxonomie garantit que les financements privés iront bien vers les énergies vertes et non vers les énergies fossiles.

M. Claude Raynal, président. - Merci, monsieur le ministre, d'être venu, une dernière fois avant que les travaux en séance plénière soient suspendus, devant la commission des finances pour cette audition qui était ouverte également aux membres de la commission des affaires européennes.


Source http://www.senat.fr, le 6 avril 2022