Déclaration de M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l'Europe et des affaires étrangères, sur l'Union européenne face au conflit en Ukraine, à Paris le 1er avril 2022.

Prononcé le 1er avril 2022

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Circonstance : Conférence de presse avec M. Gabrielius Landsbergis, ministre des affaires étrangères de la Lituanie

Texte intégral


Merci Gabrielius, je dois dire que je suis très content d'être ici à Vilnius. Ce n'est pas mon premier déplacement en Lituanie puisque j'ai été amené il y a déjà longtemps à venir ici comme ministre de la défense pour les premières implantations de la présence avancée renforcée.

J'ai eu l'honneur d'être reçu tout à l'heure par le président Nauseda, je lui ai transmis à la fois l'amitié et la considération du président Macron. Et j'ai le plaisir de retrouver Gabrielius que je vois régulièrement dans les diverses réunions de ministres, à la fois au niveau de l'Union européenne et au niveau de l'OTAN.

Et nous nous sommes retrouvés aussi, ce midi, dans le format que l'on appelle "B3+1", Baltes + 1, le 1 étant la France. Et ce format, nous l'avions initié à Paris, au mois de janvier 2021, ensemble, c'était ta première visite à Paris en plus. Et c'est un format très pertinent qui nous permet de nous parler en toute confiance.

Et c'est d'autant plus important, là, en ce moment, que nous traversons la crise ukrainienne dont je vais dire deux mots ; et puis, nous avons un calendrier très serré puisque la semaine prochaine, nous aurons une réunion des ministres des affaires étrangères de l'Alliance atlantique à Bruxelles, et puis une réunion des ministres des affaires étrangères de l'Union européenne quelques jours après à Luxembourg. Et nous serons amenés, dans ces deux cadres-là, à donner nos orientations, en particulier sur la crise ukrainienne.

Ce qui me frappe, c'est la grande convergence de vues entre nous, concernant la crise ukrainienne et l'agression de la Russie contre ce pays. Convergence de vues dans l'appui à l'Ukraine, dans le combat qu'elle mène contre l'invasion, à la fois l'appui militaire, l'appui humanitaire, l'appui économique, et aussi l'appui aux voisins de l'Ukraine qui sont en fragilité, je pense en particulier à la Moldavie.

Nous sommes aussi en phase sur les sanctions. L'Union européenne a décidé de sanctions à l'encontre de la Russie, quatre paquets successifs, et je sais que nous sommes tout à fait en phase sur le fait que nous allons renforcer ces sanctions jusqu'à ce que la guerre cesse, et jusqu'à ce qu'il y ait une solution diplomatique qui permette le maintien de la souveraineté, de la sécurité et de l'intégrité de l'Ukraine.

Nous sommes en phase sur le renforcement de la souveraineté européenne qui a été en particulier engagée au moment du sommet de Versailles, avec les chefs d'Etat et de gouvernement de l'Union européenne, à la fois concernant l'impératif de souveraineté énergétique et d'autonomie énergétique par rapport à la Russie, à la fois la souveraineté militaire avec l'affirmation de la Boussole stratégique qui a été validée par l'ensemble de nos chefs d'Etat et de gouvernement sous présidence française. Mais aussi l'affirmation de la nécessité de mobiliser des financements suffisants pour renforcer nos propres capacités militaires.

Tout cela fait que l'Union européenne aujourd'hui - on ne le perçoit sans doute pas encore assez - est totalement différente de celle d'avant le 24 février. Elle s'est renforcée dans son unité, dans sa force, dans son audace et dans son affirmation de puissance.

Et nous sommes aussi en phase, je terminerai par-là, sur le rôle de l'OTAN ; sur d'abord la solidité de l'OTAN, la solidité de notre défense collective, la nécessité de l'affirmer lors du sommet de l'OTAN qui se tiendra à Madrid, au mois de juin prochain, et la nécessité de définir ensemble le nouveau concept stratégique qui permette aux pays baltes, singulièrement à la Lituanie, d'assurer sa sécurité et d'affirmer la solidarité de l'ensemble des trente pays de l'Alliance atlantique autour des pays qui sont les plus en fragilité potentielle, en raison de la menace russe. Et je pense en particulier aux pays baltes.


Q (traduit du lituanien) - Une question sur la Russie. Est-ce que vous soutenez la demande de la Lituanie d'envoyer dans la région des systèmes de défense aérienne, plus de soldats, ou même la création d'une base permanente ?

R - Je l'ai dit il y a un instant, nous avons rendez-vous à Madrid pour la définition du nouveau concept stratégique de l'OTAN. Je comprends très bien que la Lituanie se sente dans une situation de plus grande fragilité à l'égard d'une agression russe maintenant avec la crise ukrainienne qu'auparavant.

Et dans ces cas-là, il importe que la solidité de la solidarité, du soutien et de la défense collective de l'OTAN se manifeste. Cela a été le cas dans le renforcement de la défense avancée qui a été d'ailleurs décidé lors du dernier sommet de l'OTAN la semaine dernière à Bruxelles, puisqu'il a été décidé de renforcer cette défense avancée ; et maintenant, l'agression russe contre l'Ukraine, nous devons en tirer des leçons pour définir notre concept stratégique. La Lituanie a fait des propositions, d'autres propositions ont eu lieu, il faudra avoir la cohérence et une unité de vue, et nous sommes tout à fait disposés à regarder avec nos amis de Lituanie les différentes propositions qui permettent de rassurer et de conforter la confiance.

Q (traduit du lituanien) - Est-ce que l'Union européenne a des leviers pour convaincre la Chine de ne pas soutenir la Russie ? Et est-ce que l'Union européenne est en mesure de mettre un terme à la pression économique que la Chine exerce contre la Lituanie ?

R - Il y a une réunion aujourd'hui entre l'Union européenne et la Chine dont je n'ai pas les conclusions.

Mais je pense que devant l'agression russe contre l'Ukraine, je le disais ce midi, la Chine doit être dans l'embarras. Parce qu'elle défend, dans toutes les enceintes, et en particulier aux Nations unies, le principe des souverainetés, de l'indépendance des pays, du multilatéralisme. Et là, elle se trouve confrontée à un pays qui est assez proche d'elle et qui rompt avec ces principes, de manière violente et spectaculaire.

Et par ailleurs, la stratégie économique de la Chine ne s'accommode pas de perturbations lourdes dans le financement mondial, dans les trafics mondiaux, dans les logistiques internationales. C'est l'inverse de ce qu'elle souhaite. Donc, tout cela n'est pas très positif pour la relation entre la Russie et la Chine, même si, on le sait bien, il y a des connivences idéologiques et historiques qui perdurent.

Moi, ce qui me frappe le plus, depuis le début de cette crise très grave en Ukraine, c'est que l'Europe s'est affirmée, dans cette période. Et elle a pris conscience qu'elle était une force, une puissance. Cela vaut pour la Russie, mais cela vaut aussi pour la Chine. Donc, mon avis, c'est que la Chine doit apprendre à nous respecter, comme entité européenne unie, forte, et si elle estime ne pas devoir nous respecter, nous nous sommes dotés des moyens pour en faire prendre conscience de la nécessité.


Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 5 avril 2022