Texte intégral
Q - Bonjour Clément Beaune.
R - Bonjour.
Q - Boutcha, ville martyre, les images de cadavres de civils ukrainiens font le tour du monde depuis ce week-end, crimes de guerre russes, génocide, dit même le Président ukrainien, la France a annoncé hier soir l'expulsion de 35 diplomates russes. Est-ce que c'est vraiment à la hauteur ?
R - D'abord, je veux dire un mot de ce qu'on a vu, ces massacres qui sont à l'évidence des crimes barbares, abjects, qui sont sidérants.
Q - A l'évidence, dites-vous, pour vous, il n'y a pas de doute, ce sont des crimes de guerre perpétrés par les soldats russes ?
R - Il y a, on l'a dit, l'horreur, il y a des crimes qui sont barbares, des crimes de guerre, c'est une qualification qui nécessite des enquêtes internationales. Il y a tout lieu de penser qu'il y en a, mais c'est à la suite d'un processus d'enquête que cette qualification sera confirmée, déterminée. Ce que nous avons fait, au-delà de tout le reste, les sanctions dont on parlera, c'est que nous avons, dès hier soir, le ministre de la justice a parlé d'ailleurs à la ministre de la justice d'Ukraine et à la procureure générale d'Ukraine pour que la France contribue immédiatement à cette enquête, parce qu'il faudra un temps aussi pour la justice, qui est nécessaire, qui sera indispensable, et nous le devons aussi au peuple ukrainien. La question des expulsions que vous évoquez...
Q - 35 diplomates, pour ce qui est de la France, une quarantaine pour ce qui est de l'Allemagne...
R - L'Allemagne, oui, c'est le même ordre de grandeur...
Q - Une réponse quasi-conjointe...
R - Oui, c'était des processus qui étaient déjà discutés, regardés, parce que ça n'est pas seulement lié, ou directement lié à la question de Boutcha, c'est parce que nous avons analysé le fait qu'il y avait encore sur notre territoire, en France, en Allemagne, un autre pays, la Lituanie, a pris une décision similaire, des diplomates qui étaient présents et qui exerçaient des activités contraires à nos intérêts, dangereuses...
Q - Dans quel sens ?
R - Je ne donnerai pas de détail, on comprend bien qu'il y a sur le territoire de certains pays européens, dont le nôtre, des personnes présentées comme diplomates qui exerçaient, pouvaient exercer des menaces contre nos intérêts essentiels. Donc cette décision est justifiée, au-delà de la question du massacre de Boutcha. La question du massacre que nous avons vu pose celle des sanctions supplémentaires que nous devons imposer à la Russie. Le Président de la République l'a dit, dès hier, et il y aura une réunion mercredi, demain, au niveau européen...
Q - Oui, demain, à Bruxelles...
R - ...pour prendre un train de sanctions supplémentaires, et nous l'avons fait à chaque fois, avec déjà quatre paquets de sanctions très forts, nous augmentons la pression sur la Russie.
Q - Les nouvelles sanctions qu'évoquait le Président de la République hier, c'est notamment des sanctions sur le pétrole et le charbon. Est-ce que la France est seule sur cette ligne ?
R - Non, d'abord, il y a des sanctions qui étaient déjà en préparation, depuis quelques jours, qu'il faut accélérer, amplifier, c'est le cas, sans être trop long, mais sur des secteurs économiques qui font mal à la Russie, des secteurs parfois moins connus que l'énergie, mais qui sont très importants pour l'import ou pour l'export, et pour les devises russes ; je pense au bois, je pense au ciment, il y a le secteur des engrais, toute une série de pressions...
Q - Oui, le paquet de sanctions économiques que l'on connaît déjà...
R - Pas qu'on connaît déjà, qui était une option...
Q - Qui est en cours...
R - Parce qu'on a toujours un coup d'avance, et qui sera vraisemblablement adopté demain. Et puis, il y a un débat de fond sur l'énergie.
Q - Sur l'énergie, c'est bien la question, et une question que se posent beaucoup de Français, notamment sur la question de l'approvisionnement énergétique de la France.
R - Plusieurs choses là-dessus, d'abord, l'approvisionnement énergétique, je pense notamment au gaz, on a encore du froid, malheureusement, qui revient, on est au printemps, mais climatiquement, si je puis dire, l'hiver n'est pas fini, il y a assez de gaz, en particulier dans nos stocks en France pour ne pas avoir de difficultés d'approvisionnement.
Après, il ne faut pas travestir la vérité, tout cela - on le voit déjà - a augmenté une tendance qui était à l'oeuvre, c'est celle de l'augmentation des prix de l'énergie. On a pris des mesures de pouvoir d'achat très importantes, mais c'est une tendance qui va continuer, ne nous leurrons pas. Il y a la question de savoir si, pour faire pression sur l'appareil politique, militaire et de guerre russe, savoir si on va plus loin. Le Président de la République l'a dit, sur le gaz, sur le charbon en particulier, je pense qu'il va falloir prendre des décisions européennes très rapidement.
Q - C'est quoi rapidement ? C'est dès ce mercredi ?
R - Dans les jours qui viennent, dès qu'on peut...
Q - Mais vous entendez l'Allemagne, vous discutez bien évidemment avec l'Allemagne qui a dit hier...
R - Mais il va falloir le faire...
Q - ...qu'il n'était pas question dans un premier temps, et à court terme, de se passer de ces livraisons de gaz russe.
R - Alors, il y a le gaz et il y a le pétrole et il y a le charbon, pardon d'être précis, mais c'est important...
Q - Bien sûr...
R - Le pétrole, ça fait très mal à la Russie, parce que c'est un produit d'export dont on est relativement dépendants, mais qui, pour la Russie, apporte encore plus de devises au total que le gaz ; donc, taper sur le pétrole, si je puis dire, c'est très important. Pétrole et charbon, c'est des sujets qui sont en discussion. Je ne peux pas préjuger, parce qu'il faut être à 27 pour avoir un impact, mais, je pense qu'on pourra avoir ces sanctions rapidement sur ces deux secteurs...
Q - Ce que vous nous dites, Monsieur le ministre, c'est qu'on pourra aller plus vite sur le pétrole et le charbon que sur le gaz, a priori ?
R - Oui, mais sur le gaz, moi, je l'ai dit publiquement, je l'assume, je pense, non seulement pour faire pression sur la Russie, mais aussi pour que l'Europe se désintoxique, en quelque sorte, sur le plan climatique, mais sur le plan la dépendance et de la souveraineté à la Russie, qu'on ait aussi des décisions et un plan de sortie très rapides. La Commission européenne, il y a déjà quelques semaines, avait proposé un plan complet, détaillé pour qu'on puisse sortir aux deux tiers du gaz russe dès l'hiver prochain ; ce n'est pas tant, j'insiste là-dessus, une question d'embargo ou de sanctions immédiates, c'est une question dans la durée d'être capables de se passer du gaz russe en particulier, parce que, si dans la durée, on est capables de s'en passer, on garde l'autonomie et on fait beaucoup plus pression encore sur la Russie.
Donc la France est ouverte à ce débat, on est en présidence de l'Union européenne, on doit construire l'accord à 27. C'est parfois frustrant parce que c'est long, on voit l'émotion qu'on a face à ce drame. Soyons honnêtes aussi : les sanctions, elles sont nécessaires, elles ont déjà un impact économique très fort sur la Russie, mais il faut exercer une pression dans tous les domaines, parce que Vladimir Poutine, malgré les sanctions, on l'a vu, a continué sa guerre. Donc il faut augmenter et ouvrir aussi à côté, ça n'empêche pas, un canal de discussions diplomatiques, malgré tout.
Q - Alors justement, est-ce que le Président de la République est prêt à continuer ce rôle de médiateur avec le Président russe Vladimir Poutine ?
R - Mais oui, le Président de la République...
Q - Est-ce que des entretiens sont prévus ?
R - Il n'y a pas d'entretien à ma connaissance qui est prévu immédiatement, mais vous savez, ce n'est pas parce qu'on discute avec M. Poutine qu'on a la moindre illusion sur M. Poutine, qu'on le dégage d'une quelconque responsabilité face à ces horreurs...
Q - Oui, je comprends que là, vous répondez en quelque sorte au Premier ministre polonais, qui a interpellé hier Emmanuel Macron en disant, je vais me permettre de le citer : personne ne doit négocier avec les criminels, il faut les combattre, personne n'a négocié avec Hitler. C'est ce que disait donc, hier, le Premier ministre polonais, en interpellant le Président français.
R - Oui, bon, il y a de l'émotion, peut-être du ressentiment, face à l'horreur de la situation ; le Président de la République...
Q - Il y a une vraie division européenne en tout cas.
R - Je ne crois pas honnêtement, parce que regardez, sur le fond, à chaque fois qu'on a pris des mesures de sanctions, quatre paquets déjà, on l'a fait à 27, la France a toujours été moteur en matière de sanctions. Quand il y a des discussions avec le Président Poutine, je le précise, c'est très important, le Président de la République l'a toujours fait en contact, et le plus souvent, à la demande du Président ukrainien Zelensky ; ce n'est pas contre l'Ukraine ; tout ça est au service, même si c'est difficile, même si ça ne débouche pas aujourd'hui, de la paix et d'un espoir de règlement de ce conflit.
Mais notre politique vis-à-vis de la Russie, soyons clairs, c'est d'abord les sanctions, c'est d'abord la fermeté, c'est d'abord la solidarité aussi avec l'Ukraine. Mais à côté de tout ça, sans aucune naïveté, sans aucune complaisance, s'il n'y a pas le moindre espace de discussion, si on ne saisit pas chaque chance, elles échouent parfois, c'est vrai, mais si on ne saisit pas chaque chance d'avoir une opération humanitaire, de construire pour l'avenir, le plus vite possible, un cessez-le-feu et peut-être la paix, eh bien, je crois que la responsabilité de la France, notamment en présidence de l'Union européenne, toujours en concertation avec les partenaires, on l'a toujours fait ainsi, c'est de saisir ce mince espoir de dialogue. Ça n'est pas, encore une fois, une quelconque complicité, et on le fera toujours de manière transparente avec nos partenaires européens.
Q - Oui, Clément Beaune, vous nous dites, c'est compliqué, mais il n’y a pas de division européenne, tout de même, le Premier ministre hongrois reconduit avant- hier, qui qualifie dans son discours de victoire le Président ukrainien d'ennemi, on parle du Premier ministre d'un Etat de l'Union européenne.
R - Oui, ça, c'est honteux, parce que stigmatiser le Président Zelensky, dans cette période, c'est honteux. Donc, je crois qu'il faut garder...
Q - Mais alors que faut-il faire ? Est-ce qu'on dit juste, c'est honteux ou est-ce qu'on enclenche des sanctions contre la Hongrie ?
(...)
R - Sur le fond et la Hongrie, je note, heureusement, que la Hongrie n'a pas cassé l'unité européenne à chaque paquet de sanctions, aujourd'hui. J'espère que les commentaires de M. Orban le soir de sa victoire électorale, dont acte, ne veulent pas dire que la Hongrie se désolidarisera du soutien à l'Ukraine, je l'espère, on le verra demain, et qu'il y aura encore une unanimité pour augmenter les sanctions contre la Russie.
Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 6 avril 2022