Texte intégral
Mesdames et Messieurs les sénateurs,
Mesdames et Messieurs les maires,
Mesdames et Messieurs les élus,
Monsieur le président de la Sauvegarde de l'art français, cher Olivier de Rohan Chabot,
Mesdames et Messieurs,
C'est pour moi un plaisir particulier de vous retrouver ici, au Sénat, dans un lieu que je connais bien, où je retrouve beaucoup de visages amis et auquel je suis particulièrement attachée.
Que deviendront les églises de nos campagnes ? Cette question que vous avez souhaité porter aujourd'hui au coeur de la Haute-Assemblée, est en effet essentielle. Elle se pose chaque jour un peu plus dans tous les territoires de France. Elle s'adresse aux élus, aux habitants, à toutes celles et ceux qui défendent notre patrimoine, qu'ils soient croyants ou non croyants.
Cette question se pose partout, mais on l'entend si peu. C'est pour cela que je tenais à répondre à votre invitation ce matin, pour ce colloque qui est je crois particulièrement bienvenu, car il va permettre de croiser les regards et de partager les expériences sur cet enjeu immense.
Votre Fondation " La Sauvegarde de l'Art Français ", qui fête ses 100 ans cette année, en a fait l'un de ses combats au quotidien. Elle s'engage partout en France pour sauver des églises rurales en péril : aider à leur rénovation, préserver les oeuvres religieuses. Grâce à la générosité de ses membres, La Sauvegarde soutient chaque année plus d'une centaine de projets, avec un appui qui est souvent décisif pour des communes rurales qui ont peu de moyens. C'est pourquoi je voudrais au nom du Gouvernement vous remercier, chaleureusement, pour cette action indispensable que vous menez depuis tant d'années, toujours avec le même engagement, toujours avec le même attachement à notre patrimoine français, aux patrimoines de nos campagnes.
Tant de Français " ont leurs origines, proches ou lointaines, à l'ombre d'une église de village ", comme l'écrivait le grand sociologue des religions Gabriel Le Bras.
Car si, pendant des siècles, les villages ont été le lieu de rassemblement de la très grande majorité de nos concitoyens, au centre de ces villages, il y a presque toujours une église. C'est l'église qui structure l'espace, c'est vers l'église que convergent les rues ; c'est l'église qui domine au loin le paysage et qui donne son identité à chaque bourg.
Ces églises ont été les témoins de la vie d'innombrables générations, elles ont été le coeur des communautés de vie, elles ont été les témoins de tous les grands événements de la vie personnelle et collective de chacun. Et c'est pourquoi, même si elles ne sont plus guère fréquentées, nous y restons tous si attachés (cf. l'émotion que soulève dans l'opinion un incendie ou la profanation d'une église).
Aujourd'hui, ces mêmes villages se sont parfois dépeuplés, ils se sont souvent transformés, et la pratique religieuse elle-même a beaucoup décrue. Pourtant, les églises suscitent encore partout un attachement fort, identitaire (au sens noble du terme).
La France compte aujourd'hui encore plus de 40 000 églises paroissiales et presque autant de chapelles et de monuments qui sont, dans leur grande majorité, propriétés de petites communes de moins de 3 000 habitants. Peu sont classées au titre des monuments historiques. Souvent, elles n'ont plus d'usage religieux régulier. Elles sont parfois ouvertes pour une cérémonie, pour une visite. Mais nombre d'entre elles sont généralement fermées au public et se dégradent lentement.
Oui, partout en France, des églises se dégradent. C'est un constat alarmant. Quand la toiture s'affaisse, quand les charpentes s'abîment, quand le choeur est exposé, la pérennité des édifices se pose.
Pourtant, si ces architectures ont traversé le temps et les siècles, c'est grâce à l'entretien régulier, souvent invisible, que leur ont consacré au fil du temps le curé, les habitants, le maire...
C'est pourquoi l'enjeu de la rénovation qui est devant nous est immense. Les communes sont en première ligne, elles y consacrent un investissement important. Les travaux sur l'église, dans les petits villages, c'est souvent le projet d'une mandature. Je mesure l'énergie et la détermination que cela nécessite et je crois que les témoignages aujourd'hui l'illustreront bien.
Les conseils départementaux sont aussi très souvent mobilisés. Ils cofinancent les travaux, ils aident et conseillent. Les conseils régionaux participent aussi au tour de table et leur concours peut être décisif. Les CAUE mobilisent aussi parfois leur expertise architecturale et urbaine pour aider les communes à faire un diagnostic et à envisager un projet. Et puis l'Etat, par l'intermédiaire de la DRAC intervient, en particulier quand il s'agit de monuments classés.
Des associations locales jouent bien souvent un rôle essentiel dans beaucoup de territoires. Mais bien souvent, l'investissement privé par le mécénat est indispensable pour boucler des projets. C'est tout le sens de l'intervention de la Sauvegarde de l'Art Français mais aussi de la Fondation du Patrimoine, qui mobilisent l'épargne des Français à travers des legs, des donations, des collectes. Votre rôle est essentiel, je le redis.
Dans des territoires comme la Thiérache, où nous signions il y a quelques jours avec le Président de la République la deuxième édition du pacte Sambre –Avenois-Thiérache, cher Olivier Cambraye, c'est grâce à la mobilisation générale de tous les acteurs, que l'avenir s'éclaircit pour les belles églises fortifiées qui maillent votre territoire.
La rénovation des églises est un enjeu patrimonial. C'est un enjeu de bâti, d'accessibilité et de sécurité, mais c'est aussi un enjeu d'usage. Car s'il est primordial de conserver le patrimoine, il est aussi important de le faire vivre, au bénéfice du plus grand nombre. Sur ce sujet, je crois que nous ne devons fermer aucun débat et trouver les voies d'une discussion sereine. Je pense que le colloque d'aujourd'hui en sera un jalon. Ce dialogue est à l'oeuvre au quotidien dans les territoires, avec les diocèses, avec les élus. En Meurthe-et-Moselle, par exemple, des réflexions collectives ont été menées sous l'égide du CAUE avec l'ensemble des acteurs locaux, et ont abouti à l'édition d'un guide à destination des maires. Ça et là, des exemples intéressants émergents, d'usages partagées qui, par exemple, préservent la sacralité de l'espace tout en l'ouvrant à des usages culturels ou associatifs complémentaires.
La question de l'église communale est aussi l'occasion d'une réflexion d'ensemble sur l'espace urbain, sur l'animation d'un bourg, sur la vitalité d'une centralité. C'est pour cela que nous avons développé un volet sur le patrimoine dans le programme Petites villes de demain, opéré par l'ANCT. Il vise justement à redynamiser les petites centralités. Les églises étant bien souvent au coeur géographique et symbolique de ces centralités, elles sont intégrées à la réflexion. Avec la Fondation de France et le Ministère de la Culture nous avons d'ailleurs lancé plusieurs démarches visant à labelliser des Petites villes de demain, à distinguer des projets patrimoniaux majeurs avec un Prix " Engagé pour le Patrimoine ", et à accompagner des projets patrimoniaux à l'aide d'une plateforme en ligne.
Par ailleurs, je pense que dans le cadre du Plan de Reconquête Tourisme qui vient d'être annoncé par le Premier Ministre, et de son volet d'ingénierie, nous aurions matière à travailler collectivement pour identifier les besoins en ingénierie, dans la perspective de renforcer la mise en tourisme de nos églises rurales (par exemple avec le concours des outils numériques).
Devant l'ampleur des enjeux, nous aurons besoin de toutes les forces. Et je suis convaincue du rôle majeur qu'a à jouer La Sauvegarde de l'Art Français dans cette mobilisation collective, pour donner un nouveau souffle à nos petites centralités, si riches par leur histoire et leur patrimoine mais aussi par leurs potentialités.
Mesdames, Messieurs,
Paul Valery écrivait dans l'un de ses poèmes " le passé, l'avenir sont frères ".
Je crois que nos églises rurales, au fond, incarnent ce pont entre les époques, ce pont entre les gens. Elles sont un témoignage essentiel de l'histoire de notre pays, mais elles ont aussi en elles un potentiel immense pour faire vivre le patrimoine, pour faire vivre nos territoires.
Grâce à des acteurs comme La Sauvegarde de l'Art Français, grâce à vous tous ici réunis, grâce à votre mobilisation dans chacune de vos institutions et de vos territoires, je crois que nous engageons collectivement une belle dynamique. Une dynamique pour nos églises, pour notre patrimoine, pour nos territoires ruraux.
Je vous remercie de votre attention et vous souhaite d'excellents échanges.
Source : Ministère de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, le 10 mai 2022