Extraits d'un entretien de M. Clément Beaune, secrétaire d'État aux affaires européennes, à RTL le 9 mai 2022, sur le conflit en Ukraine, l'élargissement de l'Union européenne et la question du déficit budgétaire.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

Q - Bonjour Clément Beaune.

R - Bonjour Alba Ventura.

Q - Le Président Emmanuel Macron est à Strasbourg, aujourd'hui, au Parlement européen. Il va prononcer un discours, il ira dans la foulée à Berlin rencontrer le Chancelier Scholz. Aujourd'hui, 9 mai, c'est la journée de l'Europe et alors dans le même temps à Moscou, c'est la journée de la victoire de l'Armée rouge sur l'Allemagne nazie. Vladimir Poutine a l'intention de galvaniser ses troupes et lui aussi va s'exprimer devant son peuple. Est-ce que c'est une guerre des mots aujourd'hui, une guerre des discours ?

R - Ce n'est pas une guerre en soi, mais il y a effectivement deux Europe. Il y aura à l'Est une armée aujourd'hui d'agression qui, sous couvert de célébrer une victoire il y a 75 ans sur l'Allemagne nazie, va exhiber sa brutalité, celle de l'agression de l'Ukraine. Et puis, vous aurez à Strasbourg, et c'est très important pour cette journée de l'Europe, pour cet anniversaire de la première Communauté européenne, un discours du Président de la République, mais plus largement cette conférence sur l'avenir de l'Europe qui va se terminer, une Europe démocratique qui va montrer aussi sa force par, si je puis dire, ses propres armes. Celle du débat, celle de la fermeté contre la Russie et celle de la solidarité avec l'Ukraine, et puis celle d'une souveraineté qu'on doit renforcer. C'était l'agenda que le Président de la République avait développé il y a cinq ans à La Sorbonne. On voit bien à quel point on avait, je crois, raison de défendre cela. On a progressé. On doit faire davantage sur la défense européenne, sur notre indépendance énergétique, sur les technologies critiques qu'on doit maîtriser en Europe.

Q - Je reviens un instant sur Moscou parce qu'il y a un mois, Emmanuel Macron était à votre place, ici, dans le studio de RTL. Il expliquait que pour la Russie, le 9 mai est une fête nationale, un rendez-vous militaire important et il est à peu près sûr que pour le Président Poutine, le 9 mai doit être un jour de victoire contre l'Ukraine. Ce sera un acte fort seulement dans les mots ou vous pensez que ça peut aller au-delà des mots ?

R - Ecoutez, je ne le sais pas mais ce qu'on voit c'est que l'horreur est déjà là. L'agression est déjà là. On l'a vu encore avec le bombardement de civils dans une école ces dernières heures donc je ne sais pas si Vladimir Poutine annoncera une intensification, une guerre absolue, totale, je ne sais pas quels seront les mots ou les actes. Mais les actions qu'on voit déjà sur le terrain, c'est l'agression quotidienne de plus en plus brutale de l'Ukraine et notamment à l'Est de l'Ukraine. Donc, ne cherchons pas à voir une éventuelle escalade, elle est toujours possible ; mais on voit déjà aujourd'hui une agression qui est d'une brutalité inouïe en Ukraine et à laquelle on répond par des sanctions supplémentaires.

Q - Vous dites la réponse c'est la souveraineté, et c'est ce qu'on devrait entendre dans le discours d'Emmanuel Macron, aujourd'hui ; souveraineté, d'accord, mais on voit bien qu'on a toujours du mal à se mettre d'accord à 27. On le voit sur la décision sur l'embargo sur le pétrole russe, sur l'arrêt du gaz, on le voit sur la livraison des armes à l'Ukraine. On n'est pas d'accord ?

R - On peut voir le verre à moitié vide mais regardez quand même ce qui s'est passé. Il n'y a eu aucune hésitation entre Européens sur les sanctions. Aucune. Il y a eu cinq paquets de sanctions ; il y a déjà des sanctions massives qui ont été décidées à chaque fois l'unanimité. Je n'en fais pas la liste complète, mais on a gelé les avoirs de la Banque centrale européenne, sur certains éléments comme le charbon, on a déjà arrêté, mis un embargo sur la Russie et on va décider dans les prochains jours - le principe est acté - une indépendance européenne énergétique. C'est-à-dire que sur le pétrole...

Q - Vous voyez bien que l'Allemagne est réticente et d'autres pays encore.

R - Non, tous les pays en sont d'accord. L'Allemagne qui est membre du G7. Hier il y avait aussi une réunion du G7. On l'a dit, on a posé le principe de sortie des hydrocarbures russes, et aujourd'hui en Europe il y a cet accord politique à 27. Les modalités en seront définies sans doute dans la semaine, et donc on va prendre un sixième paquet de sanctions qui inclura le pétrole et tous les pays européens sont en train de tomber d'accord là-dessus. Bien sûr, c'est plus difficile quand on est une démocratie, c'est encore plus difficile quand on est une démocratie de démocraties à 27 pays européens. Mais le miracle européen, c'est celui-ci, et si on faisait ça tout seul on serait moins efficace. Donc, il faut continuer cette unité européenne.

Q - Clément Beaune, on peut imaginer que dans son discours Emmanuel Macron abordera la question de l'élargissement de l'Union européenne à l'Ukraine ?

R - Oui bien sûr, parce que cette question est posée. Il faudra faire rentrer l'Ukraine dans la famille européenne. Il faudra faire rentrer l'Ukraine dans le projet politique européen. La question c'est comment, parce qu'il ne faut pas vendre des illusions, c'est quelle Union européenne. C'est le but de cette conférence sur l'avenir de l'Europe qui se conclut aujourd'hui. Comment elle fonctionne, comment on décide, avec quel budget, est-ce qu'on renonce à l'unanimité.

Q - Mais quand ?

R - Eh bien, dans les années qui viennent sans doute. Mais ce que je dis très clairement, c'est oui, l'Ukraine aura sa place dans le projet politique européen, mais non, ça ne peut pas être la même Union européenne. On voit bien que c'est déjà difficile à 27 objectivement, vous l'avez rappelé sur l'unanimité de décision. On ne peut pas imaginer qu'il y ait demain 30 ou 35...

Q - Oui. Et puis on avait dit non à la Macédoine, on avait dit non à l'Albanie.

R - Non. Alors on avait dit non parce qu'on avait posé des exigences. Mais la Macédoine du Nord, l'Albanie sont aujourd'hui dans un processus. Elles vont rentrer en négociation avec l'Union européenne. Les Balkans, on a besoin de les stabiliser aussi par cette appartenance au projet européen. Mais on doit réformer l'Union européenne. On ne peut pas avoir une Union européenne à plus de 30 Etats membres ou 35 dans les années qui viennent sans changer en profondeur les choses. Donc il faudra faire différemment.

Q - Clément Beaune, on peut désobéir ? On peut s'affranchir des règles européennes ?

(...) On s'est affranchi bien des fois de ces règles des 3 % de déficit.

R - D'abord, il arrive évidemment que les pays, y compris la France, ne respectent pas les règles. Il y a des procédures et on rentre dans les clous, on en discute. Mais surtout quand on veut changer le projet européen, il faut trouver des alliés, il faut aller modifier les règles. Quand il y a eu la crise de la Covid, on n'est pas allé dire : on désobéit, on rentre chez nous tel le petit village gaulois assiégé par les méchants européens. On est allé conquérir un plan de relance européen, on est allé suspendre les règles budgétaires, on l'a organisé...

Q - On était en crise.

R - Oui, bien sûr et ça continue.

Q - Ça fait depuis 2015 qu'on ne respecte pas les 3%.

R - Mais on a décidé ensemble d'adapter nos règles. La désobéissance, les mots ont un sens...

Q - Déroger ça vous va, mais désobéir ça ne vous va pas ?

R - Pardon mais c'est très différent. Quand vous dérogez, c'est que par la règle vous vous adaptez, vous trouvez des flexibilités, vous décidez ensemble. Si chacun dit : moi je fixe des règles communes et puis je rentre à la maison, je ne les applique pas, eh bien l'Europe va inévitablement se déliter puisque l'Allemagne fera la même chose, l'Espagne fera la même chose, chacun fera son marché. Et donc une Europe où chacun choisit sa propre règle, ce n'est plus une Europe du tout, donc c'est une arnaque de parler de désobéissance européenne. Moi, je veux une France de l'espérance européenne, de l'action européenne.

(...)

Q - C'est mieux de se conformer aux règles quand on veut léguer une planète plus vivable comme l'a dit Emmanuel Macron lors de son discours d'investiture.

R - Absolument, et on fait les efforts. Et on peut tout à fait dire que chaque pays ne fait pas tout bien. Il y a plein de pays européens, puisque nous sommes un Etat de droit, qui ne respectent pas les règles à un moment donné. Mais dans ces cas-là, on est amené à les respecter, par des amendes, par des procédures juridiques, peu importe. Mais vous voyez bien que c'est très différent de poser un principe politique qui dit la désobéissance, je choisis mes règles, finalement je ne vis plus en collectivité avec les autres Européens, et de dire : l'Europe on doit la faire évoluer, la changer, la réformer.

(...).


source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 10 mai 2022