Texte intégral
Q - (...) Il aura donc fallu attendre près d'un mois après la victoire d'Emmanuel Macron pour la formation du nouveau gouvernement, de son nouveau gouvernement. Et vous voilà de nouveau ministre en charge de l'Europe, quel bilan pour la présidence française de l'Union ? En quoi la guerre en Ukraine impacte-t-elle l'Europe ? Quid de la place de la France en Europe ?
(...)
Mais pour commencer, Clément Beaune, la guerre en Ukraine, une guerre qui dure depuis presque trois mois. Comment voyez-vous l'évolution de la situation ? Quel est l'objectif de la France ?
R - Ecoutez, on cherche à avoir évidemment d'abord et avant tout le retour de la paix. Cela passe par un soutien à l'Ukraine, un soutien français, européen et international avec nos partenaires, notamment américains, sans aucune ambigüité, un soutien humanitaire et un soutien par la livraison d'équipements militaires. Nous ne sommes pas en guerre nous-mêmes, mais nous aidons les Ukrainiens à résister et à se libérer, c'est notre devoir et c'est notre sécurité.
Q - Donc vous aidez les Ukrainiens à se libérer, à résister. Est-ce que vous souhaitez la défaite de la Russie, la défaite de Poutine ?
R - Je pense qu'il ne faut pas rentrer dans cette rhétorique-là, mais il y a un pays, la Russie de M. Poutine...
Q - Est-ce qu'il faut empêcher la victoire de M. Poutine, c'est une autre question liée à la première ?
R - Il faut empêcher une victoire de la Russie en Ukraine.
Q - Et de quelle manière ?
R - Quelle est la bataille qui est menée, c'est une bataille d'agression qui a été choisie par M. Poutine. On ne peut pas la laisser faire. C'est pour ça que nous avons été très clairs depuis le début, depuis le 24 février - la France notamment comme présidence de l'Union européenne - sur ces axes : soutien à l'Ukraine, humanitaire et militaire, et sanctions contre la Russie. Et je rajoute un troisième malgré tout pour empêcher que cette guerre européenne sur le sol européen ne se prolonge, c'est d'avoir malgré tout un contact diplomatique qui se prolonge avec Vladimir Poutine, en lien toujours - le Président de la République le fait toujours ainsi - avec le Président Zelensky d'Ukraine.
Q - Quand vous dites il faut empêcher la victoire de la Russie en Ukraine, ça veut dire la défaite de la Russie, la défaite de Poutine ; vous voulez défaire Poutine ?
R - Mais pardon, j'insiste, ce n'est pas des termes diplomatiques mais nous parlons de choses très importantes. Défaire, ça voudrait dire par exemple un changement de régime, ça voudrait dire une volonté de dire que la Russie doit être dans une forme de vexation. Ce n'est pas cela ; il y a une responsabilité très claire, une guerre déclenchée par la Russie. On ne peut pas laisser cette guerre d'agression être gagnée par ceux qui l'ont décidée.
Q - Donc il faut qu'il soit vaincu, Poutine ?
R - Non, parce que je ne veux pas rentrer dans un terme qui peut être vexatoire, non pas que j'aie une quelconque sympathie pour ce qu'est en train de faire M. Poutine, mais c'est très important, parce qu'il utilise cette rhétorique qui, on le voit bien, en retournant toujours l'argument et en disant "c'est nous qui sommes provoqués, vous voyez bien, c'est en fait une guerre de l'Occident contre la Russie" ; ça n'a jamais été le cas. L'agression a un seul responsable, Vladimir Poutine, et on ne peut pas laisser cette agression gagner, ça c'est clair.
Q - Ne pas laisser cette agression gagner, ça veut dire, est-ce que vous croyez, est-ce que vous pensez que l'Ukraine peut gagner ?
R - Mais oui, je le crois. On peut et on doit tout faire pour essayer de l'aider à cela. Gagner, pour l'Ukraine, ça veut dire quoi ? Ça veut dire retrouver sa souveraineté et retrouver son territoire.
Q - Mais ça veut dire que les troupes russes quittent..., qu'elles soient défaites en Ukraine ?
R - Qu'il n'y ait plus d'agression et d'occupation de l'Ukraine, bien sûr. Ensuite, je l'ai dit, nous sommes ...
Q - Bien sûr quoi ? Bien sûr vous le souhaitez ?
R - Bien sûr, c'est comme ça que se définit la souveraineté d'un pays, donc on ne souhaite évidemment pas qu'il y ait une occupation d'une région ou de tout un pays en Ukraine. Maintenant, puisqu'il y a toujours eu des contacts avec M. Zelensky en particulier, c'est notre première responsabilité, c'est à Volodymyr Zelensky, s'il le souhaite - et s'il a un interlocuteur en face qui rentre dans une logique au moins de discussion, sinon de paix -, de définir les paramètres de fin de ce conflit et de sécurité en Europe et sur son territoire. Nous, notre responsabilité, c'est d'aider l'Ukraine à redevenir un Etat libre et souverain.
Q - Alors, la Russie proclame pourtant sa victoire sur Marioupol ; est-ce le cas ? À quel prix ? Est-ce au prix de crimes de guerre que vous avez pu constater, que les services occidentaux ont pu constater ?
R - Ce sujet de crime de guerre dépasse le cas de Marioupol ; pour revenir d'un mot sur le cas de Marioupol, ce qui est devenu évidemment très tragiquement emblématique de ce qui se passe pas seulement là mais avec une intensité, une gravité particulière...
Q - Pour préciser les choses, à Marioupol, 80% de la population civile a fui la ville, 90% des bâtiments sont endommagés, et donc Moscou proclame sa victoire.
R - La Russie a dit que, en effet, la ville et notamment l'usine d'acier était entièrement tombée entre ses mains ; ça n'est pas une confirmation donnée par l'Ukraine aujourd'hui. Donc, nous allons vérifier ces informations. Mais soyons clairs, il y a une situation dramatique à Marioupol, il y a une population qui soit a été victime, soit est partie. Nous avons à chaque étape, même quand c'était très difficile avec la Croix-Rouge internationale, avec d'autres organisations, avec des partenaires grecs, turcs, essayé, - le Président de la République lui-même - de procéder à des évacuations humanitaires, avant les drames. Cela a été très difficile, il y a eu quelques cas où ça s'est produit. Mais aujourd'hui, je ne sais pas quel est l'état militaire exact de la situation, nous le saurons dans les prochaines heures ou les prochains jours, mais il est certain qu'il y a une situation extrêmement douloureuse sur le plan humain et militaire pour l'Ukraine à Marioupol. Mais il y aussi beaucoup de terrains sur lesquels, alors qu'il y a des massacres, alors qu'il y a des exactions ...
Q - Des crimes de guerre ?
R - Il y en a très certainement...
Q - Il y en a quoi ?
R - Des crimes de guerre, Monsieur Haziza, soyons précis sur ces mots, je ne vais pas faire de formule raccourcie. Mais je l'ai dit, on ne va pas tourner autour du pot, des crimes abjects commis par la Russie sur le territoire de l'Ukraine, il n'y a aucun doute là-dessus. Ensuite, les termes de crime de guerre, certains ont parlé un moment de génocide etc., ça, ce n'est pas une frilosité quelconque ou une complicité quelconque pour ne pas utiliser à-tout-va ces expressions. C'est parce qu'elles sont qualifiées par des enquêtes juridiques internationales.
Et nous, notre responsabilité française, c'est de dénoncer ces crimes, quels que soient leurs termes exacts. À la fin, vous savez, quand vous avez été victime d'une agression, d'un viol, d'un massacre, quand votre famille a été décimée, la qualification exacte vous importe peu, c'est un crime barbare. Après, il y a les qualifications juridiques internationales qui ont des conséquences en termes de justice internationale, c'est pour cela qu'il faut être précis. Et nous, notre responsabilité, j'insiste là-dessus, parce que la France était le premier pays à faire cela, c'est envoyer dans des conditions très difficiles - je salue leur courage - des enquêteurs, des gendarmes, des magistrats français qui sont avec plusieurs pays sur le terrain, notamment à Boutcha pour établir les faits et que ceux qui les ont commis du côté russe répondent un jour devant la justice de ces crimes atroces.
Q - Alors, je ne sais pas si vous pourrez répondre à cette question, en tout cas, l'Ukraine demande de créer un tribunal spécial sur le crime d'agression qui permettrait de juger le président Vladimir Poutine. Est-ce que vous êtes d'accord avec ça ? Est-ce que la France est d'accord avec ça ?
R - L'Ukraine a fait une demande internationale en effet. Il y a deux demandes, il y a d'abord une demande, à laquelle nous avons répondu, d'enquête d'investigation, d'établissement des faits. Parce que malheureusement, même quand c'est clair, même quand c'est tragique, il faut établir les faits de manière précise, documentée. Et puis, il y aura ensuite les conséquences juridictionnelles - qui juge, quel format, comment - malheureusement, ce temps n'est pas venu, puisque nous voyons bien que d'abord, il faut établir évidemment les faits, mais surtout retrouver la paix. Mais ce temps de la justice internationale, il viendra, le Président de la République s'est d'ailleurs engagé...
Q - Jusqu'à éventuellement un jugement, un procès pour Vladimir Poutine ?
R - On verra, vous voyez bien qu'aujourd'hui, M. Poutine est en Russie, au Kremlin, et ce n'est pas la situation. Donc soyons lucides. Mais qu'il y ait un temps, pour des responsables de ces conflits et de ces crimes, de justice, c'est nécessaire. Ça commence dès maintenant par l'établissement de ces faits, et ensuite le format, pour répondre précisément à votre question, c'est en train d'être discuté, notamment par les membres du G7, quel type de justice internationale pourrait agir. Il ne s'agit pas seulement de parler de M. Poutine, il s'agit de mener ces investigations, de lancer d'ores et déjà des enquêtes, etc... Il y a une cour pénale internationale, il y a différentes juridictions, le format, si je puis dire, ce n'est pas une petite question, mais c'est un sujet encore en discussion.
Q - Concernant Marioupol justement qu'en est-il de l'échange des combattants d'Azovstal qui se sont rendus ? Est-ce que la France peut contribuer à l'échange de ces prisonniers ? Et est-ce que vous considérez que ce sont des prisonniers de guerre ?
R - Deux choses, je n'ai pas de commentaire à faire sur ce que fait la France dans cette affaire, vous comprenez.
Q - La France agit dans cette affaire ?
R - Mais la France agit dans la question de Marioupol en général, j'ai rappelé un certain nombre d'actions humanitaires précises que nous avons menées, que le Président de la République a menées, et les nouveaux ministres des affaires étrangères et des armées s'exprimeront sans doute sur ce sujet prochainement. Mais là je n'ai pas...
Q - Donc Catherine Colonna, Sébastien Lecornu.
R - Catherine Colonna pour les affaires étrangères et l'Europe, et Sébastien Lecornu aux armées, je n'ai pas d'information à livrer sur ce sujet, vous comprendrez bien pourquoi.
Q - Pourquoi ?
R - Mais parce que les discussions qui ont lieu doivent garder aussi un nombre de confidentialité pour leur efficacité, pour la protection humanitaire.
Q - Donc il y a des discussions là-dessus, la France...
R - Frédéric Haziza, je ne ferais pas de mauvaise formule avec cela, je répète. Il y a des discussions entre le Président de la République et Volodymyr Zelensky. Ça a été évoqué d'ailleurs de manière générale, sans rentrer dans le détail, publiquement, à chaque fois, la situation des prisonniers, les évacuations humanitaires, ont été évoquées. Maintenant, la question de la qualification, là non plus, ce n'est pas à moi de la faire, mais je réponds parce qu'il y a eu un peu d'émotion...
Q - Qualification sur le fait de savoir si ce sont des prisonniers de guerre ou pas ?
R - D'où vient votre question pour que nos auditeurs comprennent bien ? Je crois, c'est parce qu'il y a publiquement les déclarations, je crois, d'anciens généraux français qui ont dit que quand il n'y avait pas de déclaration de guerre, il ne pouvait pas y avoir de prisonniers de guerre. Ce n'est pas exact, il peut y avoir des prisonniers de guerre, même quand il n'y a pas déclaration formelle de guerre. Sinon ce serait un peu trop facile, si je puis dire.
Mais encore une fois ce sujet, malheureusement qui est un sujet de qualification juridique, n'est pas le sujet principal. Le sujet principal, c'est des gens qui souffrent dramatiquement, qui meurent, ou qui ont perdu leur famille, d'essayer d'en évacuer le maximum, d'en protéger le maximum et surtout qu'il y ait le moins possible évidemment d'autres Marioupol en Ukraine dans les semaines qui viennent.
Q - Puisque vous parlez de déclaration, il y a une déclaration qui a créé une polémique, c'est celle d'Henri Guaino. Est-ce que vous souscrivez à ce qu'il a dit ?
R - Sur quels points exactement, parce qu'il a fait une longue tribune ?
Q - Sur le fait qu'on va vers la guerre, que si on continue comme ça, on va vers une guerre.
R - Oui, je crois, "on marche comme des somnambules vers la guerre" : il fait une comparaison que je trouve décalée, douteuse avec le conflit de la Première guerre mondiale, d'abord parce que l'Histoire ne se répète jamais exactement de la même façon. Mais surtout parce qu'il dilue en quelque sorte - il prend le risque en tout cas, peut-être que ça n'était pas son intention - mais les mots ont cette portée, il dilue les responsabilités. Il faut ne pas être simpliste, c'est pour ça que je suis très prudent sur les mots, non pas parce que j'ai une hésitation sur le drame qui se joue, il est très clair. Il faut quand même rappeler très simplement de manière limpide les responsabilités.
Cette guerre, elle est 100% choisie par Vladimir Poutine. La logique de la provocation des Occidentaux qui aurait amené à l'engrenage, des Ukrainiens qui auraient eux-mêmes, en quelque sorte, défié M. Poutine, tout ça n'est pas vrai. Et on peut refaire l'histoire sur les 20 ou 30 dernières années, c'est une chose mais le 24 février dernier, a commencé une guerre d'agression décidée par le président russe contre l'Ukraine, c'est clair. Il faut avoir un constat moral et politique simple. Sinon, on ne peut pas agir.
Ensuite, il y a une complexité dans les réponses qu'on apporte : sanctions contre la Russie sans hésitation, on en parlera peut-être, on est en train de les renforcer ; soutien à l'Ukraine militaire et humanitaire ; et je le redis, aussi difficile que ce soit, un canal diplomatique qui se maintient.
Q - Alors, dans ce contexte, un sommet européen va avoir lieu les 30 et 31 mai prochain ; de nouvelles sanctions contre la Russie seront-elles décidées, et si oui, lesquelles ?
R - Alors, pour être très précis, ça n'est pas directement lié au sommet européen. Il y a depuis quelques jours des sanctions nouvelles, un sixième paquet de sanctions pour être tout à fait précis, qui est en discussion au niveau des 27 pays européens contre la Russie. Soyons très clairs, la position de la France est simple, ces sanctions sont nécessaires, il faut adopter un nouveau paquet de sanctions. Dans ce paquet de sanctions, il y a une mesure phare, d'autres aussi, mais qui est l'embargo ou l'interdiction d'import de pétrole russe qui est un coup très sérieux porté à l'économie russe, et c'est important.
Evidemment, c'est toute la difficulté d'une unité européenne, je l'assume, c'est pour ça qu'on fait nos meilleurs efforts comme présidence de l'Union européenne, les situations ne sont pas les mêmes. C'est-à-dire qu'il y a des pays qui sont dépendants presque à 100% du pétrole russe. Et donc ne plus avoir d'énergie, de pétrole du jour au lendemain, c'est difficile, je le comprends. Ce sera difficile pour tous et il faut faire cet effort. Mais il faut aussi pour des pays comme la Slovaquie, comme la Bulgarie par exemple, comme la Hongrie faire cet effort d'accompagnement. C'est exactement le point qui est en discussion.
Pour le dire simplement, tout le monde est d'accord sur l'idée qu'il faut renforcer les sanctions, à 27, il y a même un accord de principe sur l'idée que le pétrole doive faire partie de ces sanctions. Mais il y a une discussion notamment avec la Hongrie qui nécessitera son vote pour un accord à la fin, parce que c'est à l'unanimité et qui dépend très fortement du pétrole russe pour avoir les modalités de ce paquet de sanctions arrêté le plus vite possible. J'avais dit il y a quelques jours que nous espérions avoir un résultat cette semaine, ça n'a pas été malheureusement le cas parce qu'il y a encore des discussions techniques compliquées. Mais la Commission européenne, la France et d'autres pays sont en train d'aider à avoir cet accord à 27 qui est très important, mais qui est une transformation très profonde, de ne plus avoir de pétrole russe.
Q - Quelles modalités pour ces sanctions ?
R - Par exemple, des pays qui sont très dépendants demandent qu'on leur donne un accompagnement financier, qu'on les aide à trouver des sources d'approvisionnement alternatives, que l'on construise des infrastructures qui leur permettent de se fournir autrement en énergies renouvelables ou dans l'intervalle en pétrole non russe, tout ça, je peux le comprendre, c'est notre responsabilité d'Européens, c'est, j'allais dire, la rançon de l'unité, il faut aussi de la solidarité entre Européens.
Q - Rançon de l'unité, ça veut dire en ce qui concerne le pétrole, en ce qui concerne le gaz, qu'il faut utiliser le schéma qui a été celui que l'on a connu pendant la crise du Covid ? Les vaccins en fait ?
R - Oui, alors, vous faites référence aux vaccins, parce qu'on a fait des achats communs. C'est un des sujets qu'on est en train de traiter, c'est un des sujets du sommet des 30 et 31 mai auquel vous faites référence, avoir à la fois des stockages communs, ça, il y a eu un accord, c'est très important, vous parliez de la présidence française, cette semaine, pour avoir des obligations de stockage de gaz commun pour qu'avant chaque hiver au mois de novembre qui précède chaque hiver, on ait des stocks remplis à 90% de gaz pour tenir...
Q - Ce qui sera applicable dès cette année ?
R - Ce qui sera applicable dès cette année. 2) des achats communs, c'est plus compliqué, mais c'est en train de se faire pour que d'abord, on paye moins cher - c'est un avantage de l'achat commun - et qu'on ait cette sécurité européenne de notre approvisionnement en énergie notamment en gaz et en pétrole le temps de faire notre transition écologique. C'est en train de se mettre en place, c'est unique, imaginer acheter en commun notre énergie au niveau européen. Ça nous protège et ça évite des situations comme celles - ça éviterait, ça évitera le moment venu - des situations comme celle que nous sommes en train de connaître où un pays dit "écoutez-moi, je veux bien être solidaire des Européens mais aidez-moi parce que j'ai un gros problème de dépendance à la Russie." Il faut affirmer notre indépendance par la solidarité et la fermeté à l'égard de la Russie.
Q - Cela va être acté à l'occasion du prochain sommet ?
R - Alors, le sommet va, je crois, j'espère, préciser ces mécanismes d'achats communs, les acter si possible bien sûr. Et les sanctions se négocient avant même le sommet du 30 et 31.
Q - Alors les sanctions, en dehors de ce dont vous avez parlé, qu'est-ce qu'il va y avoir ?
R - Il y a des secteurs économiques sur lesquels on renforce les sanctions qui sont les secteurs d'export de la Russie, on l'a déjà fait pour beaucoup de secteurs, on l'a fait pour le charbon, on l'a fait pour le bois. On renforce ces sanctions économiques et on ajoute des sanctions individuelles contre des responsables...
Q - Les oligarques ...
R - En gros des oligarques, des responsables du pouvoir économique et politique russe pour faire pression, le plus possible, toujours la même logique, non pas sur le peuple russe même s'il y a évidemment des conséquences, c'est inévitable mais d'abord sur le système d'Etat russe, le système Poutine pour que le prix de la guerre soit le plus élevé possible, le ralentir en Ukraine évidemment, c'est très concret et éviter toute tentation. Parce que cela peut exister aussi d'aller provoquer d'autres pays sur le territoire européen.
Q - Vous pensez à quoi, à la Moldavie par exemple ?
R - Le président a reçu la présidente moldave encore cette semaine, ils ont des contacts récents. Oui, c'est un pays qu'on sait fragile et donc on le soutient sur le plan économique, sur le plan de l'accueil des réfugiés qui peut être une fragilisation, sur le plan énergétique. Et le signal très clair est envoyé à la Russie : ne touchez pas un seul pays européen de l'OTAN.
Q - Il y a un risque pour la Moldavie, en Moldavie ?
R - Je ne suis pas dans les sphères ou cerveaux des décisions russes, mais ce que je sais, c'est que quand on est faible, on prend des risques.
Q - Et donc, il faut être fort ?
R - Il faut être fort, c'est-à-dire avoir une défense claire, avoir des alliances qui sont réaffirmées, l'OTAN en fait partie, la défense européenne qu'on est en train de construire aussi, et avoir une indépendance, et non pas une faiblesse de dépendance, notamment sur le plan énergétique.
Q - Est-ce que vous avez l'impression, la France, les pays occidentaux, que l'économie russe est en train de vaciller du fait des sanctions ?
R - Mais l'impact sur l'économie russe est massif, en effet. Donc, ces sanctions ont un impact très puissant, les prévisions y compris d'ailleurs de certaines autorités publiques russes, c'est que le PIB russe s'effondrera sans doute d'un tiers cette année.
Q - Et donc qu'est-ce que ça a comme implication et d'ailleurs quel est selon vous, suite à ça, l'état d'esprit dominant dans la population russe par rapport à cette guerre en Ukraine ? Est-ce que Vladimir Poutine est toujours soutenu ?
R - Ecoutez, je ne sais pas faire l'interprétation de sondages et le but n'est pas de faire une campagne électorale ou les changements de régime, ça n'est pas l'idée. Nous avons réagi à un choix d'agression qui a été fait par la Russie, et donc nous mettons la pression maximum sur tous les leviers de la guerre que M. Poutine, son système politique et économique mobilisent pour agresser l'Ukraine. C'est ça la ligne, sanctions et pressions d'un côté, solidarité complète avec l'Ukraine de l'autre.
Q - Une question technique liée à la Russie, à l'armée russe : quel est, selon les services occidentaux, l'état des pertes russes ? Combien de morts dans l'armée russe ? Combien de blessés ?
R - Je ne sais pas le dire aujourd'hui...
Q - Mais vous avez un ordre d'idée ?
R - Il y a eu des ordres de grandeur qui étaient autour de plusieurs milliers qui ont été cités, mais je n'ai pas d'informations publiques...
Q - On va jusqu'à 15, 20, 30.000 morts, vous pensez que ça peut être le cas ?
R - Frédéric Haziza, il y a des choses qui sont dites parfois qui viennent des services de renseignement, je n'ai pas à faire aujourd'hui un commentaire ou des révélations sur ces informations de renseignement.
Q - Mais est-ce que vous confirmez que ces chiffres sont donnés par les services de renseignements français, jusqu'à 30.000 morts ?
R - Je ne confirme rien puisque les chiffres qui sont donnés par des services de renseignement sont des informations qui sont données au gouvernement et au président, et qui ne sont pas des informations qui ont vocation à être, si je puis dire, vous comprendrez la gravité de la situation, agitées dans un débat.
Q - Une guerre en Ukraine qui va laisser des traces sans doute indélébiles entre le peuple ukrainien, la nation ukrainienne, et son agresseur russe. Le Chancelier allemand Olaf Scholz a considéré récemment que l'Ukraine devra lutter pendant 100 ans contre les conséquences de la guerre. Comment dans ce contexte, les relations pourront-elles se normaliser entre les deux pays, entre les deux peuples ?
R - Ecoutez, c'est malheureusement beaucoup trop tôt pour le dire, les choses se font par étapes, il faut arrêter la guerre, retrouver la paix et ensuite, il faudra reconstruire, ça prendra sans doute des décennies, une sécurité européenne et retrouver une relation à l'égard de la Russie. M. Poutine ne sera pas pour l'éternité président de la Russie ; donc, je ne sais pas dire ce qui se passera dans 10 ans, dans 15 ans ou dans 20 ans.
Ce que je sais c'est que M. Poutine a réussi une chose, c'est de renforcer l'unité européenne. Et on l'a vu sur le plan de la défense, faire des choses, on en parle comme si c'était une évidence, mais 2 milliards d'euros, aujourd'hui, d'aide du budget européen à des livraisons d'armes en Ukraine, assumées comme telles, c'est quand même très important, c'est une défense européenne qui a fait des bonds de géant en quelques semaines, une aide européenne militaire qui a fait des bonds de géant et en coordination - il faut l'assumer aussi - avec les Etats-Unis.
Q - 20 ou 30 fois moins que les Etats-Unis.
R - Alors non, d'abord parce que vous comparez des choses qui ne sont pas comparables, il y a l'effort du budget européen commun. Ça, c'est les 2 milliards d'euros, effectivement c'est à comparer, vous le comparez ici aux à peu près 40 milliards d'euros maximum, qui ne sont pas dépensés aujourd'hui, autorisés par le Congrès américain. Mais il y a des livraisons de matériels civils ou militaires depuis plusieurs années par des pays européens qui sont additionnelles à l'effort commun du budget de l'Union européenne.
Q - Alors avec une proposition dans ce contexte d'Emmanuel Macron de communauté politique européenne. Quand Emmanuel Macron va-t-il vendre sa communauté politique européenne, comment va-t-il convaincre les autres Européens qui font preuve de beaucoup de méfiance ?
R - On doit l'expliquer. Je veux en dire un mot justement parce que le président a prononcé son premier discours après l'investiture, c'est un symbole très important sur l'Europe au Parlement européen à Strasbourg, la ville de la réconciliation et de la démocratie européenne, le jour même où Vladimir Poutine célébrait dans un défilé sa guerre d'agression. Et il a proposé, le Président de la République a proposé une communauté politique européenne. Le nom, on peut en discuter, mais l'idée c'est de dire : l'Ukraine, et peut-être d'autres pays, la Moldavie qu'on évoquait, la Géorgie veulent entrer dans l'Union européenne, ce projet politique. Et sur le plan moral, sur le plan géopolitique, il est évident que ces pays doivent rentrer dans la famille politique européenne, qu'ils se battent aujourd'hui pour une liberté, pour une démocratie et pour une souveraineté qu'ils veulent défendre. On leur doit quelque chose, on leur doit cette intégration dans un projet politique européen. Mais il faut être honnête, et pour eux et pour nos concitoyens. Si on dit que l'Union européenne va rentrer dans... que l'Ukraine pardon va rentrer dans l'Union européenne...
Q - Ce n'est pas l'inverse !
R - Evidemment, dans 6 mois, un an ou 2 ans, on ment, ça n'est pas vrai parce que rentrer dans l'Union européenne - c'est pour ça que ce projet est important et exigeant -, il faut...
Q - On nous dit quinze, vingt, peut être trente ans.
R - Oui, c'est sans doute quinze ou vingt ans, peu importe. C'est long, c'est très long. Et donc moi, je ne veux pas qu'on vende des illusions et des mensonges. Si on dit aux Ukrainiens "bienvenue dans l'Union européenne, mais vous n'avez pas lu sur le contrat la note de bas de page, coucou, c'est dans quinze ans", je pense qu'on prépare demain des déceptions pour toute une génération du peuple ukrainien.
Et donc, on dit, il y aura peut-être une adhésion, le président a été très clair, ce n'est pas une alternative à l'adhésion, la communauté politique européenne. Ca n'empêche pas l'adhésion plus tard. Mais en attendant, on doit aux Ukrainiens - c'est du plus, ce n'est pas du moins - un projet politique dans lequel ils peuvent rentrer, où il peut y avoir une libre circulation en Europe, bénéficier en partie du budget européen pour la reconstruction et demain pour la relance d'un pays, d'une société, d'une économie, où ils partageront des valeurs politiques avec nous, peut-elle sur l'énergie, on aura des politiques communes pour avoir le même approvisionnement, la même sécurité énergétique.
Q - Donc dans le cadre de l'accord... ?
R - Donc, c'est un projet complémentaire de l'Union européenne qui peut offrir un projet politique et concret à des pays qui ne sont pas dans le coeur de l'Union européenne mais qui veulent se rapprocher de nous.
Q - Alors justement, Volodymyr Zelensky a dénoncé hier toute alternative à l'adhésion à l'Union européenne comme, a-t-il accusé, un compromis avec la Russie. N'est-ce pas une critique très, très précise, très dure d'ailleurs d'Emmanuel Macron et de sa proposition de communauté politique ?
R - Je ne le crois pas. D'abord Emmanuel Macron a parlé cette semaine avec Volodymyr Zelensky.
Q - Oui mais il a dit ça hier.
R - Oui, oui... ils ont parlé notamment de ce sujet, j'ai eu moi-même des échanges avec la ministre, la vice-Première ministre ukrainienne en charge de l'Europe pour lui expliquer que la communauté politique européenne, ce n'était pas une porte fermée, c'était au contraire une porte ouverte.
Q - Alors, pourquoi il dit ça, Zelensky ?
R - Peut-être parce qu'il veut être clair sur son souhait, je peux le comprendre aussi, ça mobilise son peuple, c'est bien normal dans cette période...
Q - Vous lui répondez quoi alors ?
R - Mais je réponds : l'adhésion à l'Union européenne, soyons honnêtes, ça prend du temps. D'abord il faut mettre fin à la guerre, première chose. Donc là, le soutien européen aujourd'hui, c'est le soutien militaire, humanitaire, soyons concrets. Ensuite, il y aura l'aide à la reconstruction, déjà on a préparé cela et mobilisé plusieurs milliards d'euros pour ce faire, dès que ce sera possible.
Q - On nous dit que ça coûtera 500 milliards d'euros, la reconstruction.
R - Je ne sais pas dire aujourd'hui honnêtement, il n'y a aucun chiffre sérieux, ça coûtera sans doute très cher.
Q - Ça évolue tous les jours.
R - Ça évolue tous les jours, mais l'Europe sera en première ligne pour cette reconstruction financière, économique, sociale, démocratique de l'Ukraine, bien sûr. Et puis, il faudra bien sûr intégrer l'Ukraine aussi dans un projet politique européen. La question, c'est en attendant l'adhésion dans l'Union européenne, peut-être un jour, dans une Union européenne qui devra se réformer, on ne peut pas dire "c'est ça ou rien". Et donc on dit : il y a quelque chose en plus, j'insiste, en plus, pas en moins, vraiment en plus qui n'est pas une alternative, qui est un complément rapide et utile pour protéger l'Ukraine sur le plan politique, économique, énergétique et lui dire "vous êtes déjà dans un projet, une famille politique européenne".
Q - Emmanuel Macron, est-ce qu'il va aller en Ukraine pour convaincre Zelensky et quand ? Est-ce que ce sera autour du 10 juin quand la Commission européenne rendra son avis sur la candidature de l'Ukraine ? Avant le sommet européen du 24 qui doit se prononcer sur la candidature de l'Ukraine ? Et il irait seul ou avec Scholz et Draghi ?
R - C'est la seule décision du Président de la République ; il n'y a pas de voyage prévu aujourd'hui...
Q - Mais est-ce qu'il est prévu qu'il y aille ?
R - Le Président de la République a toujours été clair, depuis le début de ce conflit, surtout quand on est en présidence de l'Union européenne, ces choses ne se prennent pas à la légère ; il y a déjà eu des voyages symboliques - c'est très important - de parlementaires français, de représentants européens...
Q - Mais là, on parle du Président de la République... et en même temps de la Présidence de l'Union...
R - Je peux parler pour le Président de la République, Président de l'Union, ce voyage est d'autant plus important. Donc il se prépare, il faut qu'il y ait un impact, une utilité, si vous me permettez l'expression, une valeur ajoutée. Et donc ça ne peut pas être un voyage simplement... ce serait, je crois, peu respectueux, peu digne et peu utile, qui consisterait simplement à faire une image. Il faut que ce soit un voyage de fond, et donc le Président de la République est toujours sur cette ligne. Si et quand il y a du fond, de l'utilité à ce soutien et ce voyage, il le fera. Mais la date lui appartient et j'imagine qu'il en discutera avec ses partenaires européens car on a une responsabilité collective et avec le président Zelensky. Je rappelle que le président Macron, avant le début tragique de ce conflit, était un des derniers à être allé, justement, à Kiev après son voyage à Moscou pour tenter cette dernière action diplomatique avant le conflit.
Q - Si vous aviez un pronostic à faire, vous diriez qu'Emmanuel Macron irait dans les prochaines semaines à Kiev ?
R - Je ne joue pas à la boule de cristal ou à la roulette avec ce genre de sujet aussi important. Mais le Président de la République, son soutien, son contact avec le président ukrainien est permanent.
Q -Il semble qu'il y ait un contournement des sanctions par les entreprises énergétiques qui payent les factures en roubles ; qu'est-ce que vous en pensez ? Est-ce que c'est acceptable ? Est-ce que c'est le cas ou pas ?
R - S'il y avait des contournements, d'une quelconque entreprise dans quelque secteur que ce soit soumis à sanctions, c'est vraiment très grave, non seulement inacceptable, mais sanctionnable, puisque les sanctions s'imposent juridiquement.
Q - Est-ce que vous pensez que ça peut être le cas d'entreprises françaises ?
R - Alors il y a le sujet précis que vous évoquez des paiements en roubles qui sont interdits ; la Commission européenne et tous les pays européens ont été très clairs avec les entreprises énergétiques. Moi je n'ai pas connaissance aujourd'hui d'une entreprise française ou européenne puisque c'est le régime qui s'applique à toutes les entreprises européennes...
Q - Ce n'est par exemple pas le cas de Total...
R - Mais je n'ai aucun élément qui permettrait de le dire - ce serait une accusation grave - qui permet de dire qu'il y aurait un contournement des sanctions, ou un paiement qui se ferait en roubles, c'est-à-dire contraire aux contrats et appliquant des exigences contraires à nos règles de la part de la Russie. Je n'ai aucun élément qui permettrait de dire cela. Si c'était le cas, il faudrait le signaler aux entreprises - il peut y avoir des erreurs - la Commission européenne donne une forme de mode d'emploi quotidien et nos sanctions, le respect des contrats s'appliquent intégralement, les entreprises le savent très bien.
Q - Alors autre dossier qui est lié à l'Ukraine : l'adhésion de la Finlande et de la Suède à l'OTAN. Est-ce que vous avez bon espoir que la Turquie accepte ces adhésions ?
R - Alors d'abord, qu'est-ce que ces adhésions veulent dire ? La Suède et la Finlande veulent entrer dans une organisation de sécurité européenne avec les Etats-Unis et renforcer aussi, d'ailleurs, j'insiste parce qu'on le souligne moins, les forces de défense de leur pays et de l'Union européenne. C'est les deux à la fois. C'est très important. Là aussi, Vladimir Poutine a réussi à renforcer l'unité européenne puisque ces pays normalement avaient une tradition de neutralité. C'est très important de dire oui, et de dire oui vite ; on leur doit cette protection, on nous doit cette unité. La Turquie a exprimé un certain nombre de réserves, il y a des discussions qui sont en cours. Je ne veux pas croire que l'unité de l'Alliance atlantique, y compris avec la Turquie, soit fragilisée ou soit brisée sur un tel sujet. On ne peut pas se le permettre et je pense que ce ne sera pas le cas, mais il y a des discussions qui sont encore en cours. Et donc il y a discussion y compris entre les gouvernements de Suède, de Finlande et le gouvernement turc sur ce sujet, pour que l'Alliance atlantique fasse preuve d'unité.
Q - Et ces adhésions de la Suède et de la Finlande seront effectives quand ?
R - Alors il y a un sommet de l'OTAN qui a lieu fin juin. Ce serait un bon objectif et un souhait que ces pays puissent être invités, que le processus soit enclenché ; ça dépend d'un accord unanime, y compris donc avec la Turquie. Et puis ensuite, il y a une procédure un peu technique mais qui est importante, de ratification de chaque Parlement, puisque j'entends à l'extrême gauche notamment, des gens qui reprennent leur obsession anti-OTAN mais tout ça est un choix démocratique qui sera fait selon les procédures de chaque pays, par son Parlement ou par d'autres modes de décision. Et donc, il y aura ce débat parlementaire. Chaque pays actuellement membre de l'OTAN doit accepter démocratiquement les adhésions. Donc, il n'y a pas de plan caché. Ça peut prendre plusieurs mois.
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On ne peut pas dire aujourd'hui à un Allemand de l'Est de ma génération, qui est né avec le mur, qui a seulement 40 ans, sans parler des générations un peu plus âgées, qu'il a été annexé par un régime de liberté pour lequel il s'est battu toute sa vie et pour lequel il a vu des personnes mourir ou se faire emprisonner ou mis sur écoute. Bon. Donc il faut quand même revenir... nous sommes dans un camp démocratique européen occidental. Moi, je l'admets ; ça ne veut pas dire qu'on est dans une guerre avec les pays et qu'on est dans les provocations. D'où l'idée que le Président de la République a toujours défendue - il a parfois été critiqué pour ça, on l'assume, je l'assume encore aujourd'hui - d'avoir un canal de discussion avec la Russie, de dire à la Russie : essayons de trouver une architecture de sécurité européenne. On ne peut pas dire qu'on n'a pas essayé, on ne peut pas dire qu'on a provoqué. Le Président de la République, vous l'avez rappelé, était encore à Moscou, début février. On a fait toutes ces tentatives et on devait le faire. On le fait encore aujourd'hui, et Vladimir Poutine a choisi la guerre, point.
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Q - Notre allié, c'est Poutine ou Biden ?
R - Notre allié, c'est évidemment les Etats-Unis d'Amérique, quel que soit le président d'ailleurs, c'est notre histoire, c'est notre choix stratégique, c'est notre ancrage démocratique. Et en complément de tout cela, nous nous battons depuis plus de cinq ans avec le Président de la République, et aujourd'hui, je le ferai avec Catherine Colonna de nouveau, pour une indépendance européenne. Mais c'est quand même paradoxal parce que ceux qui nous disent : vous êtes alignés sur les Américains, ont été complices, connivents avec la Russie, jusqu'à présent extrêmement laxistes dans leur analyse de M. Poutine, et maintenant découvrent, sans d'ailleurs détailler leur projet, l'idée qu'il faudrait une indépendance européenne.
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Jean-Yves Le Drian, à qui je rends hommage, en quittant ses fonctions hier, a dit : une France qui serait séparée de cette coopération européenne et de ses grandes alliances, serait une France isolée et affaiblie ; ça n'a jamais été le choix géopolitique de la France, même depuis le Général de Gaulle qui n'a évidemment jamais quitté l'OTAN.
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Q - Une précision : Catherine Colonna, nouvelle ministre des affaires étrangères et de l'Europe, ça va changer quoi pour la diplomatie française d'avoir une chiraquienne au Quai d'Orsay ? Une chiraquienne qui, il faut le préciser, vient au départ de la gauche.
R - Vous demanderez à Catherine Colonna le détail de son parcours. Il est connu publiquement... Je ne sais pas si elle se définirait comme chiraquienne, moi je ne la réduirais certainement pas à ça. C'est une grande diplomate d'abord, diplomate professionnelle de carrière qui a eu de très grands postes d'ambassadeur, difficiles, notamment à Londres pendant la période du Brexit, encore jusqu'à il y a quelques jours, qui a été ministre des affaires européennes d'ailleurs, qui a aussi une expérience politique et qui a eu une expérience politique et diplomatique auprès d'un Président de la République pendant dix ans. Donc, les grandes crises internationales - ce ne sont pas tout à fait les mêmes - elle en a l'habitude, elle connaît à la fois les codes si je puis dire de la diplomatie et de la politique et c'est très important. Moi, je suis fier - d'abord c'est une personne que je connais bien, que je peux qualifier d'amie - de travailler à ses côtés aujourd'hui, notamment sur l'engagement européen qui est aussi un des marqueurs de sa vie et de son action.
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Q - C'est quoi la leçon de la Shoah pour vous ?
R - La leçon de la Shoah, c'est qu'on ne doit rien laisser passer des petits arrangements, des mots qui dérapent, des caricatures du débat, des violences qui s'installent, des insultes qui prolifèrent, je ne me résoudrai jamais à ça. Alors, on peut être traité d'un peu ennuyeux, d'un peu chiant, d'un peu trop rationnel, moi j'assume complètement... de rigide - je parle pour moi - très bien, je l'assume.
Ce débat d'équilibre, de raison, de respect de nuances, je le porterai toujours ; et puis après, chacun a un engagement qui prend une forme qui lui correspond, moi c'est l'Europe. Et donc il ne faut jamais l'oublier parce que quand on critique aussi... je ne fais pas de politique politicienne... L'Europe c'est la paix, mais ce n'est pas une petite chose. Mais quand on dit aujourd'hui : nos partenaires européens nous embêtent, on n'a qu'à désobéir, on a qu'à envoyer tout ça valdinguer... la Shoah a produit le projet européen comme une leçon et un bouclier pour ne plus revivre ça. Et moi, je ne laisserai jamais des irresponsables fendiller cette protection pour nos sociétés, nos démocraties et les droits de chacune et de chacun (...).
source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 31 mai 2022