Texte intégral
Q - Nous allons parler naturellement de ce Sommet européen, mais quand même, un mot. Quand vous avez vu le spectacle de violences, de désorganisation de la finale de la Ligue des champions au Stade de France, est-ce que vous avez eu honte ?
R - Il y a des dysfonctionnements qui sont très sérieux, et c'est une situation qui est évidemment très grave. Maintenant, j'aimerais que l'on soit, justement parce que c'est grave, responsables, pour notre pays et pour les grands événements sportifs qui vont arriver. J'ai entendu, dans les minutes qui ont suivi, l'extrême droite avoir son réflexe immédiat d'accuser les jeunes des quartiers ; l'extrême gauche et M. Mélenchon, son parti, avoir son réflexe facile, de dire, je les cite, "Etat policier". Il faut du sérieux.
Q - En visant les méthodes du préfet Lallement.
R - En visant nos forces de l'ordre, la préfecture de police. Je rappelle que nos forces de l'ordre sont intervenues aussi pour éviter des drames, pour lever des barrages de sécurité, éviter des goulets d'étranglement. Donc, il faut aussi rendre hommage au travail qu'elles ont fait. La ministre des sports, dès ce matin, va réunir l'ensemble des acteurs, la Fédération, l'UEFA, la ville de Saint-Denis, le Stade de France, la préfecture de police elle-même, pour voir ce qui s'est passé. Il y a eu des dysfonctionnements très graves, je le dis. Il faut savoir...
Q - Dysfonctionnements dans le cadre de maintien de l'ordre, ou dysfonctionnements, parce ce qu'on a entendu aussi, en disant : c'est la faute des Britanniques, parce qu'il y a eu des faux billets qui ont été vendus en marge de cette manifestation ?
R - Moi, je ne veux justement pas rentrer dans le jeu qui consiste à dire, alors qu'on n'a pas établi les faits en détail, c'est la faute de tel ou tel. On sait qu'il y a eu un certain nombre d'éléments, il y a eu sans doute de très nombreux faux billets, il y a eu des problèmes d'organisation, il y a eu une grève des transports qui a ajouté à la confusion. Donc, il ne s'agit pas de jeter l'opprobre sur les uns et les autres, parce que personne ne sait exactement à l'heure où on parle l'enchaînement des responsabilités. Il faut les établir, de manière transparente, sans délai, c'est pour cela que la ministre des sports dès ce matin réunit tout le monde ; que l'on se garde, de grâce, dans ces moments de tension, de rajouter et de jeter de l'huile sur le feu en disant : c'est la faute de tel ou tel.
Q - Mais Jean-Luc Mélenchon s'inquiète...
R - Ni M. Bardella, ni M. Mélenchon, ne savent quoi que ce soit de ça.
Q - ...il dit : ça montre que nous ne sommes pas prêts, nous ne sommes pas suffisamment préparés pour organiser les événements comme les JO ou la Coupe du monde de rugby. Effectivement, il cite les méthodes du préfet et du ministre, qui ne sont pas les bonnes.
R - Oui, il a parlé d'Etat policier, c'est quand même très grave, et tout de suite rejeté la faute sur nos forces de l'ordre, qui, je le dis, ont fait un travail très difficile et exceptionnel pour éviter un drame humain. Donc maintenant, regardons ce qui s'est passé, chacun prendra ses responsabilités, il n'y a sans doute pas une responsabilité unique. Je veux dire aussi, parce que c'est facile, les extrêmes adorent ça, dans leur populisme pavlovien, de dire : notre pays ne sait pas faire, on a honte, etc.
Q - "Une humiliation", a dit Marine Le Pen, pour notre pays.
R - Mais, arrêtons, prenons nos responsabilités, gouverner c'est établir des responsabilités, résoudre les problèmes, plutôt que d'essayer de pointer du doigt sans savoir, les responsabilités de tel ou tel...
Q - Et assumer les dysfonctionnements, s'il y en a eu notamment en matière de maintien de l'ordre.
R - Mais bien sûr, mais tous les dysfonctionnements qui seront établis. Mais moi je ne sais pas dire aujourd'hui, et personne ne sait le dire avant d'avoir examiné les faits en détail, qui est responsable de quoi, et sans doute d'ailleurs les responsabilités, ce n'est jamais facile dans ces situations, sont partagées. Je veux dire aussi quand même, parce que ça suffit de dire que tout va mal dans notre pays et qu'on ne sait rien faire. On va organiser de très grands et de très beaux événements sportifs, les Jeux olympiques en 2024, la Coupe du monde de rugby en 2023. On sait évidemment dans notre pays, soyons fiers, organiser de grands événements sportifs. L'histoire récente l'a montré, on a organisé l'Euro, et ça s'est très bien passé, en termes de sécurité et en termes d'organisation sportive.
Q - Là, c'est un raté, quoi.
R - Oui, il y a eu un loupé manifeste, disons-le. Regardons ce qui s'est passé, encore une fois, de manière précise, sérieuse, transparente, et résolvons le problème.
(...)
Q - A partir d'aujourd'hui et pour deux jours, le président participera à son premier Sommet européen post-élection présidentielle, un sommet pour deux jours. Est-ce que vous avez quand même bon espoir, Clément Beaune, que les 27 trouveront un accord sur le sixième paquet de sanctions, qui concerne en particulier l'embargo sur le gaz russe ?
R - Oui, j'ai bon espoir...
Q - C'est difficile.
R - C'est difficile. J'ai bon espoir qu'on aboutisse très prochainement sur un accord concernant un nouveau paquet de sanctions, le sixième paquet de sanctions, qui porte notamment sur la question de l'énergie. Soyons francs, c'est de plus en plus dur de trouver des sanctions ; on est 27, c'est presque un miracle qu'à chaque fois à l'unanimité nous ayons mis des sanctions très dures contre la Russie, contre des chaînes russes, contre les intérêts économiques russes, contre des oligarques russes. Maintenant, si je puis dire, on est dans le dur. L'énergie...
Q - C'est de plus en plus dur, vous dites, l'unité se fissure ? C'est ce que dit notamment le ministre allemand de l'économie : il estime que l'unité européenne sur les nouvelles sanctions commence à s'effriter.
R - Mais l'unité, c'est un combat de chaque jour. Qu'on ait réussi pour cinq paquets de sanctions, sur des choses très difficiles, l'interdiction du charbon russe, l'interdiction de chaînes russes dans toute l'Union européenne, interdiction d'émission ; des centaines d'oligarques russes qui ont été sanctionnés par tous les pays de l'Union européenne ; c'est important de garder cette unité parce qu'on est plus fort, on a plus d'impact, quand on tape la Russie à 27 sur ses intérêts économiques et politiques. Mais évidemment, c'est très difficile, parce que ce n'est pas seulement des petits jeux entre pays. Il y a des pays, on l'a vu sur les céréales pour les pays étrangers, pour des pays européens, parfois c'est 80, parfois 100% de l'énergie qui vient de Russie. Donc, on paie aussi des décennies de dépendance, qu'on ne résout pas en quelques semaines, mais on va trouver un accord...
Q - Donc, quel est le point de passage qui pourrait être établi par les Européens, c'est-à-dire - imaginons - décréter un embargo sur le seul pétrole russe qui arrive en Europe par bateaux ? C'est ça, la piste ?
R - Alors, c'est une des options, parce que, pour expliquer aux téléspectateurs, les deux tiers du pétrole russe qui est importé aujourd'hui en Europe - passe par la voie maritime, et la difficulté porte sur celui qui passe par oléoduc, qui est une petite partie, par un tuyau, et notamment qui approvisionne à 100% des pays comme la Hongrie, qui donc pourraient tout perdre. Et donc on pourrait commencer, c'est une des pistes de discussions aujourd'hui, par le pétrole qui passe par la voie maritime. En tout cas, je suis confiant sur le fait qu'on va trouver un accord unanime, il faut garder cette unité européenne, très rapidement. Ce sera évidemment des enjeux du Sommet européen de ce soir, et dès ce matin nos ambassadeurs à Bruxelles préparent cela en se réunissant de nouveau. C'est la présidence française de l'Union européenne qui garde cette unité et qui a montré que depuis quelques mois on pouvait frapper la Russie au portefeuille, de manière puissante.
Q - Juste, Ursula von der Leyen avait évoqué, début mai, vouloir un embargo sur tout le pétrole russe, brut, raffiné, transporté par la mer et par oléoducs. Ça, c'était avant ?
R - Non, ce n'était pas avant ; d'abord, Mme von der Leyen a proposé un certain nombre de sanctions, on en a déjà prises de très difficiles sur le charbon, par exemple. On a le débat sur le pétrole qui est difficile. On va trouver un accord, j'en suis convaincu, et on va trouver un accord qui aura un impact puissant, supplémentaire, sur la Russie, dans les semaines qui viennent.
Q - Alors, Emmanuel Macron insiste sur la nécessité de ne pas humilier la Russie. C'est mal compris par certains pays de l'Est, et d'abord à commencer par les Ukrainiens eux-mêmes. C'est du pragmatisme ou c'est de l'indulgence ?
R - Non, aucune indulgence, aucune complaisance. On voit dans le débat politique français que beaucoup ont été très complaisants à l'égard de M. Poutine...
Q - Ils ne le sont plus ?
R - Ils ont fait des erreurs qui ne sont pas vraiment des erreurs de jeunesse, puisqu'encore début février M. Mélenchon nous disait que la menace russe aux frontières de l'Ukraine était du pipeau. Je le cite. Bon. Le Président de la République n'a jamais été, d'une quelconque façon, dans ce discours. Ce que dit le Président de la République, pour être très précis, c'est bien sûr qu'on doit renforcer les sanctions, on y passe nos jours et nos nuits. On doit soutenir l'Ukraine davantage, 2 milliards d'euros de soutien européen en armement, c'est massif, jamais le budget européen n'avait fait ça. Et puis, ce qu'a dit le Président de la République, c'est que le jour où la paix reviendra, le jour où on trouvera - on doit y travailler aussi - un accord, où on trouvera un cessez-le-feu, eh bien ce jour-là, il faudra éviter, comme on l'a fait parfois dans les décennies précédentes à l'égard d'autres pays qui ont commis le pire, d'être dans un sentiment de revanche ou d'humiliation.
Mais ce n'est pas la phase d'aujourd'hui. La phase d'aujourd'hui, c'est le soutien de l'Ukraine et les sanctions contre la Russie. Il n'y a aucune ambiguïté là-dessus, et la France est à l'avant-garde de ce soutien à l'Ukraine.
Q - Et sur les livraisons d'armes, il y a une unité européenne ?
R - Oui, une unité européenne. D'abord, je le répète, ce n'était pas évident, ça n'avait jamais existé dans le passé, le budget européen finance la livraison d'armes à l'Ukraine et la plupart des pays européens y participent matériellement.
Q - Pourquoi Emmanuel Macron ne se rend pas à Kiev ?
R - Il a dit, le Président de la République, il est président en exercice de l'Union européenne, il a une responsabilité particulière. Il ira, quand c'est utile, si c'est utile. Je pense que c'est toujours une piste...
Q - Ce serait utile de leur donner, de leur dire notre soutien.
R - Mais notre soutien, je veux le redire ce matin au nom du Gouvernement français, il est très fort, il est très clair. Le Président de la République est sans doute celui en Europe qui a le plus eu au téléphone le président Zelensky...
Q - Ils l'ont encore eu ce week-end, avec Olaf Scholz, pardon... Vladimir Poutine, ce week-end.
R - Vladimir Poutine aussi, mais toujours, quand il a parlé au président Poutine, en lien avec le président Zelensky ; et notre soutien à l'Ukraine, européen, il a été construit notamment par la présidence française. C'est très important. Il ne faut pas aller à Kiev seulement pour un pur symbole, quand on est Président de la République, il faut y aller avec des messages utiles, et le président a toujours cette piste à l'étude, bien sûr.
Q - On entendait la chronique d'Axel de Tarlé à l'instant sur les cours du blé, sur la guerre du blé, en quelque sorte. Un navire russe serait arrivé en Syrie avec des céréales volées en Ukraine. Est-ce que la Russie vole les céréales des Ukrainiens, comme le dit Londres ou comme le disent certains médias américains ?
R - Alors, j'entends ces éléments, nous n'avons pas encore d'informations vérifiées. Ce qui est sûr, ça a été dit dans la chronique de manière très claire, c'est que ce n'est pas du tout les sanctions des Européens qui bloquent les exportations, c'est M. Poutine qui organise le blocage des exportations ukrainiennes, et qui pour lui-même et ses intérêts économiques, profite d'une augmentation des prix, d'une forme de spéculation. On ne sait pas encore ce qui s'est passé précisément dans ce cas-là, mais pour bénéficier de prix plus élevés sur les marchés mondiaux, il empêche l'Ukraine d'exporter, et lui, il exporte plus cher. Donc, on essaie, c'était le but du coup de fil de M. Macron et de M. Scholz à M. Poutine, d'avoir un déblocage des exportations ukrainiennes pour éviter la faim dans le monde et en Méditerranée notamment (...).
source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 1er juin 2022