Déclaration de Mme Catherine Colonna, ministre de l'Europe et des affaires étrangères, sur les défis et priorités de la politique étrangère de la France, à l'Assemblée nationale le 12 juillet 2022.

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Circonstance : Audition devant la Commission des affaires étrangères de l'Assemblée nationale

Texte intégral

Je me réjouis de travailler avec la commission des affaires étrangères de l'Assemblée nationale, dont je connais la compétence, l'exigence et la vigilance. Je salue celles et ceux avec lesquels j'ai déjà eu le plaisir de travailler, tout particulièrement le Président Bourlanges. Monsieur le Président, je vous félicite pour votre reconduction à la tête de cette commission. Votre expérience, votre sens du dialogue, de l'écoute et du compromis seront de précieux atouts.

Merci, Monsieur le Président, des qualités que vous avez bien voulu me prêter. Chacun verra que la réalité est plus modeste.

En m'accordant leur confiance, le Président de la République et la Première ministre m'ont fait un grand honneur. J'en mesure chaque jour la portée avec humilité. Le sens des responsabilités qui m'habite me portera, comme mon prédécesseur, à vous informer régulièrement des actions que nous menons au titre de notre politique étrangère et européenne, et à vous rendre compte des résultats que nous obtenons. Je souhaite que nous entretenions la relation de travail la plus fluide possible. Mon cabinet sera toujours à votre disposition.

Comme l'a rappelé la Première ministre devant votre Assemblée le 6 juillet, il en va de notre capacité à bâtir ensemble pour la France et les Français. Cela concerne pleinement notre politique étrangère, d'abord parce que nous vous demanderons, au cours des prochains mois et des prochaines années, de nous autoriser à ratifier plusieurs conventions internationales ; ensuite, parce que la frontière entre affaires étrangères et affaires intérieures est aujourd'hui particulièrement ténue, lorsqu'elle n'est pas effacée.

Que l'on parle de la lutte contre le réchauffement climatique, de la transition énergétique, de la sécurité alimentaire et sanitaire, ces sujets qui occuperont le Parlement pendant ce prochain quinquennat, sont, vous le savez, à la fois internationaux et internes, et ils seront au coeur de l'action de la diplomatie française. Il en va de même de la politique commerciale et d'attractivité que mène mon ministère, et qui en fait un acteur de la politique en faveur du pouvoir d'achat, du plein-emploi et de la solidarité. L'augmentation constante, ces dernières années, du nombre d'entreprises françaises exportatrices en est une très bonne illustration. Je n'oublie pas que notre diplomatie a pour rôle d'assurer la sécurité de nos compatriotes, qu'ils résident à l'étranger - et je sais votre commission particulièrement attachée au soutien des communautés françaises vulnérables à l'étranger - ou se trouvent en France. En d'autres termes, la diplomatie est autant un enjeu de politique intérieure que la politique intérieure un enjeu diplomatique.

Vous le savez, la guerre d'agression dont la Russie s'est rendue coupable contre l'Ukraine domine largement l'agenda international. La Russie a fait le choix de ramener la guerre sur le continent européen ; elle a décidé de violer brutalement le droit international, de rompre l'ensemble de ses engagements et de mettre délibérément en cause les fondements de notre architecture de sécurité collective. Il n'y a aucune justification possible aux agissements dont la Russie est seule responsable.

Je déclinerai donc les cinq éléments clés de notre politique. Tout d'abord, notre approche du sujet a toujours été claire : nous voulons mettre fin à la guerre sans devenir belligérants. C'est la raison pour laquelle, depuis le 24 février 2022, nous avons consenti des efforts importants pour soutenir l'Ukraine et l'aider à défendre sa souveraineté face à l'invasion russe. Vous connaissez les quatre piliers de notre engagement. Il s'agit en premier lieu de fournir à l'Ukraine un soutien politique, humanitaire et économique, dans le cadre d'un effort global chiffré à 2 milliards d'euros pour la France, et de manifester notre solidarité aux autorités comme au peuple ukrainien. Le deuxième pilier de notre engagement est le soutien militaire que nous apportons à l'Ukraine, en lui fournissant les équipements qui lui permettront de continuer à résister à l'agression russe. La France prend toute sa part à cet effort collectif. Ainsi, dix-huit canons Caesar ont déjà été livrés aux forces armées ukrainiennes. Ce n'est qu'un exemple, car nous n'avons pas pour coutume de rendre public l'ensemble des armements défensifs que nous livrons à l'Ukraine. Le troisième pilier de l'engagement de la France réside dans sa condamnation internationale la plus large possible des agissements russes. Il en va de notre responsabilité, en tant qu'Etat membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies. C'est le sens des efforts bilatéraux et multilatéraux que nous avons déployés pour obtenir les deux résolutions de l'Assemblée générale ou de ceux que nous déployons en soutien à la Cour pénale internationale, afin qu'elle puisse documenter et punir les crimes de guerre commis par l'armée russe. Enfin, la France a fait comprendre à la Russie qu'elle avait choisi une impasse, et asphyxie le financement de son effort de guerre. Les sanctions massives que nous mettons en oeuvre depuis fin février avec nos partenaires européens n'ont pas d'autre but. Nous les avons encore renforcées et les renforcerons davantage si nécessaire.

De plus, nous sommes totalement mobilisés en soutien à l'Ukraine avec nos partenaires européens. Nous avons pris des engagements très forts lors du Conseil européen des 23 et 24 juin. Nous nous sommes accordés sur des engagements financiers, avec la préparation d'un nouveau paquet d'assistance macro-financière à l'Ukraine de 9 milliards d'euros, dont 1 milliard a déjà été engagé. Nous avons également pris des engagements politiques, en soutenant les aspirations européennes exprimées par le peuple ukrainien. À la suite du déplacement du Président de la République à Kiev, qui a contribué à bâtir le consensus européen à Vingt-Sept, les Etats membres de l'Union ont franchi une étape cruciale en octroyant le statut de pays candidat à l'Ukraine, ainsi qu'à la Moldavie. C'est une décision historique, que nous assumons pleinement, car il était essentiel que l'Union européenne sache répondre à une situation exceptionnelle par une décision exceptionnelle. Pour autant, chacun sait que le processus d'adhésion prendra des années et il n'est pas question de réviser à la baisse les exigences auxquelles tout pays candidat est soumis. Ce ne serait ni dans l'intérêt de l'Union ni juste à l'égard des autres candidats qui ont engagé leur parcours. C'est pourquoi nous souhaitons lancer dès à présent des coopérations concrètes en matière d'énergie, d'infrastructures, de mobilité dans le cadre de la communauté politique européenne qu'a proposée le Président de la République, qui a été reprise par l'Union européenne et dont la première réunion se tiendra sous présidence tchèque en octobre. Telle que nous l'envisageons, cette communauté sera aussi ouverte aux pays européens qui ne sont pas candidats à l'Union européenne et qui, partageant un même socle de valeurs, peuvent voir un intérêt dans la création de cette enceinte de concertation politique, notamment sur les questions de sécurité. Ainsi, le Royaume-Uni pourra en faire partie.

Troisièmement, notre mobilisation dépasse largement le cadre européen. Nous serons aux côtés de l'Ukraine "aussi longtemps que nécessaire". C'est le sens des décisions prises à Elmau, lors du Sommet du G7 sous présidence allemande.

Après le pétrole, objet principal du dernier train de sanctions qui restreindra progressivement les capacités de financement de l'effort de guerre russe, nous travaillons désormais à un embargo sur l'or, qui représente une part importante des exportations de ce pays, donc une source majeure de financement pour la Russie.

Les membres du G7 ont également réaffirmé le principe fort de base selon lequel il ne revient pas aux plus vulnérables de payer le prix de la guerre choisie par Vladimir Poutine. Vous savez quels sont les efforts internationaux pour diminuer le risque de crise alimentaire dans le monde. Les prix de l'énergie sont une autre préoccupation majeure. Nous devons les maîtriser, afin d'assécher les revenus que la Russie tire des hydrocarbures, mais aussi pour protéger les foyers les plus modestes, en France et ailleurs. Avec les autres membres du G7, nous souhaitons réfléchir à la possibilité de fixer, pour les hydrocarbures russes, un prix plafond au-dessus duquel nos sanctions doivent empêcher Moscou d'exporter, même vers les pays tiers. Nous désirons aussi renforcer notre coordination avec les pays producteurs de pétrole et de gaz, pour les inciter à produire davantage dans cette période de haute tension, sauf à faire le jeu de Moscou. Nous continuons donc à diversifier nos approvisionnements.

Pour autant, nous devons agir sans transiger sur notre ambition climatique. Je dirais même que la guerre en Ukraine est une raison de plus pour accélérer cette transition écologique qui non seulement est nécessaire à la protection du climat mais est aussi essentielle pour sortir de la dépendance européenne envers les énergies fossiles, donc en partie à l'égard de la Russie.

Le quatrième élément clé de notre politique, au-delà de notre soutien à l'Ukraine dans la durée, est le renforcement de notre sécurité collective pour faire face au défi lancé à l'Europe par l'agression militaire russe. À cet égard, vous avez rappelé l'importance du sommet de l'OTAN à Madrid, qui a signé un réveil de cette organisation. Je voudrais citer trois avancées concrètes permises lors de ce sommet. C'est d'abord l'accord historique en faveur de l'adhésion de la Suède et de la Finlande. La négociation a été difficile en raison du blocage initial de la Turquie. Il est heureux que cette difficulté ait été surmontée et l'unité des Alliés préservée. En outre, l'intégration de ces deux partenaires européens, qui disposent de capacités de sécurité réelles, va contribuer significativement à notre sécurité collective tout en renforçant la dimension européenne de l'Alliance, si vous l'approuvez. C'est donc un plus pour la sécurité de nos concitoyens et nous nous en réjouissons beaucoup.

Un projet de loi sera présenté demain en Conseil des ministres, pour que le Parlement puisse l'examiner lors de la session en cours. L'examen débutera bientôt au Sénat avant que le texte soit soumis à l'Assemblée nationale.

Lors du sommet de Madrid a également été acté le renforcement de la posture de dissuasion et de défense de l'Alliance, notamment sur son flanc oriental. La protection de ses membres est le coeur de métier de l'OTAN. Le Président de la République avait souhaité dès 2019 que l'OTAN se recentre sur ses missions premières. Elles sont rendues plus indispensables encore par le retour de la guerre en Europe. La première de ces missions est la défense de l'espace euro-atlantique. Au-delà de l'engagement collectif à renforcer le soutien militaire à l'Ukraine, y compris par la livraison de matériel, le sommet de Madrid a donc acté le renforcement de la posture de l'Alliance sur le flanc oriental pour assurer la sécurité de nos alliés et partenaires européens contre la menace que la Russie constitue désormais. La France prend toutes ses responsabilités à cet égard. Ses troupes sont déployées en Estonie et en Roumanie, pays dans lequel elle joue le rôle de nation-cadre, et elle participe aux opérations de surveillance aérienne et maritime. Le Président de la République a récemment réaffirmé la disponibilité de la France à renforcer encore son dispositif, s'il le fallait.

La troisième avancée marquée par le sommet de Madrid est l'adoption d'un nouveau concept stratégique, qui reconnaît expressément la contribution centrale que peut apporter une Europe forte à la sécurité collective de l'OTAN. Ce faisant, l'Alliance atlantique prend acte du nouvel environnement de sécurité créé par l'agression de la Russie contre l'Ukraine. C'était une priorité de la France, qui confortera la pertinence de la Boussole stratégique européenne adoptée pendant la Présidence française de l'Union.

Le cinquième et dernier volet de notre réponse à cette crise particulièrement grave concerne la sécurité alimentaire. Les conséquences de la guerre menée par la Russie aggravent une situation déjà alarmante. Après des décennies de progrès collectifs pour éradiquer la faim dans le monde, nous assistons à une aggravation de la crise alimentaire. Les Nations unies estiment qu'en 2021, avant même la guerre en Ukraine, plus de 193 millions de personnes dans le monde étaient en situation d'insécurité alimentaire aiguë. Ce chiffre aurait désormais dépassé les 300 millions.

La France poursuit son soutien aux pays déjà frappés par des crises alimentaires. En 2022, nous aurons considérablement renforcé notre aide publique au développement dans le secteur agricole et alimentaire, qui devrait dépasser 700 millions d'euros. Elle finance notamment des projets permettant une transition vers des systèmes alimentaires durables, particulièrement à travers la promotion de l'agroécologie et la structuration de filières durables, en ciblant particulièrement les jeunes et les femmes ; elle vise également une amélioration de la nutrition, en luttant en particulier contre la malnutrition maternelle et infantile.

La guerre en Ukraine aggrave les choses, en bloquant les exportations de céréales de ce pays, qui fait partie des grands producteurs et exportateurs mondiaux. C'est pourquoi nous sommes mobilisés et soutenons les efforts engagés par les Nations unies pour permettre l'exportation des céréales d'Ukraine par la voie maritime. Toutefois les semaines s'écoulent sans progrès manifestes. Je veux espérer que la réunion entre l'Ukraine et la Russie, sous l'égide des Nations unies, demain en Turquie, aboutisse à des résultats. Cependant, je reste prudente face aux conditions posées par la Russie pour que se tienne cette réunion. Nous soutenons aussi l'Alliance mondiale pour la sécurité alimentaire du G7, qui offre des financements aux pays les plus affectés, ainsi que les corridors de solidarité ouverts par l'Union européenne pour accroître les quantités exportées par voie terrestre, ferroviaire et fluviale. Ces corridors ont permis d'augmenter sensiblement les quantités exportées, d'un peu plus de 1 million de tonnes par mois au mois de mars à 2,5 millions de tonnes par mois désormais, l'objectif étant d'atteindre 3,5 millions de tonnes d'exportation.

Dans le cadre de notre présidence de l'Union européenne, nous avons en outre lancé, sous l'impulsion du Président de la République, la mission pour la résilience alimentaire et agricole (FARM). Cette initiative, reprise par l'Union européenne et soutenue par le G7, comme le sommet d'Elmau l'a montré, est développée en liaison avec nos partenaires internationaux, notamment l'OMC, le Programme alimentaire mondial (PAM) et le Fonds international de développement agricole (FIDA). Il s'agit de relever trois défis de manière opérationnelle : la libre circulation des denrées, compétence de l'OMC, qui requiert la transparence des marchés agricoles et la prohibition de toute restriction aux exportations, la solidarité renforcée envers les plus vulnérables, l'accroissement des capacités de production agricoles et alimentaires durables et résilientes dans le Sud, notamment en Afrique. À cet égard, la France a relancé lors du One Planet Summit de janvier 2021 le projet de Grande muraille verte de remise en culture d'espaces disparus, qui a été ensuite poursuivi au sommet de Glasgow.

Le secteur privé doit aussi apporter sa part à cet effort de solidarité. Le 23 juin, avec mes collègues Marc Fesneau, Franck Riester et Chrysoula Zacharopoulou, j'ai réuni des organisations françaises, européennes, américaines et africaines, représentant plus de trois-quarts des négociants en céréales dans le monde. Nous souhaitions que ces acteurs contribuent de manière pratique à la remise en culture, à la facilitation des exportations, et aux enjeux liés aux assurances. Ils ont créé une coalition du secteur privé pour la sécurité alimentaire. D'autres acteurs souhaitent la rejoindre. Une prochaine rencontre de la coalition aura lieu en marge de l'Assemblée générale des Nations unies en septembre pour présenter les actions conduites.

J'évoquerai maintenant la situation en Afrique et au Sahel, alors que je m'apprête à me rendre au Niger avec le ministre des armées. Au Mali, les putschistes ont pris le pouvoir en 2020, avant de procéder à un second coup d'Etat, et cherchent avant tout à se maintenir au pouvoir, faisant appel pour cela à des mercenaires russes du groupe Wagner, qui commettent exaction sur exaction, sans prouver leur efficacité à lutter contre les djihadistes. La junte s'enferme chaque jour davantage dans une logique de rupture avec la communauté internationale. En février dernier, le Président de la République, en accord avec nos partenaires africains et européens, a donc décidé de retirer nos forces du Mali. Les conditions ne permettaient pas que nous y restions. Je rappelle que nous étions venus au Mali à la demande des autorités maliennes. Le retrait de Barkhane est donc en cours et se déroule comme planifié. Il devrait s'achever à la fin de l'été. Ce choix marque bien sûr un tournant.

Nous avons également suspendu tous nos financements qui transitent vers les autorités maliennes, pour ne garder que les projets de développement et d'aide humanitaire dont nous sommes certains qu'ils bénéficient directement et exclusivement aux populations. La plupart des bailleurs internationaux ont fait de même.

La Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) avait imposé au Mali des sanctions commerciales et financières en janvier. Elle les a levées lors de son sommet le 3 juillet. Ces sanctions ont néanmoins eu des effets : elles ont poussé la junte malienne à renoncer à une transition de cinq ans et à adopter un calendrier plus court, prévoyant une élection présidentielle en 2024. La CEDEAO n'a pas pour autant levé toutes les sanctions : le Mali reste exclu de l'organisation jusqu'au retour de la démocratie, et les sanctions individuelles contre 150 personnalités de la junte demeurent en vigueur. Il est important de rester fermes pour maintenir une forme de pression sur le régime malien. L'Union européenne a également adopté des sanctions contre le Mali, qui n'ont pas été levées.

Au-delà du Mali, le recul démocratique en Afrique de l'Ouest, marqué par les putschs successifs en Guinée, en septembre 2021, puis au Burkina Faso, en janvier 2022, est extrêmement préoccupant. La France continuera, en dépit de son retrait du Mali, à aider les armées ouest-africaines à lutter contre les groupes terroristes. Nous menons des consultations avec nos partenaires concernés pour définir, en fonction de leurs demandes et de leurs besoins, la nature des appuis que nous pourrons leur fournir. Je me rendrai ainsi au Niger, les 14 et 15 juillet prochains, avec le ministre des armées, pour préciser avec les autorités nigériennes les coopérations à mener dans tous les domaines, notamment en matière de développement, car nous souhaitons donner la priorité à l'éducation des filles et aux questions agricoles.

Il est clair que la sécurité, la bonne gouvernance et le développement sont indissociables. Notre stratégie au Sahel doit donc consister à la fois à aider les armées africaines à lutter contre les groupes terroristes, à soutenir la présence de l'Etat dans les zones délaissées, à appuyer la justice et l'Etat de droit, à investir dans le développement économique de ces pays. Nous allons continuer à agir dans ces directions, en mobilisant tous nos outils de coopération.

Nous allons enfin poursuivre nos efforts pour renouveler en profondeur notre relation à l'Afrique, notamment en nous adressant davantage à la jeunesse africaine et aux sociétés civiles, dans le sillage de la nouvelle politique africaine développée par le Président de la République lors de son déplacement à Ouagadougou en 2017. Nous travaillons actuellement à deux grands chantiers, la création d'une part d'une maison des mondes africains, en France, qui sera un lieu de référence pour la création contemporaine africaine, d'autre part d'un fonds d'innovation pour la démocratie, pour soutenir des projets concrets et la recherche dans ce domaine sur le continent africain.

Nos partenaires européens ont pleinement compris les enjeux liés au continent africain et la nécessité de s'y impliquer. Nous nous félicitons de cette orientation nouvelle. Convaincus, comme nous, que le Sahel est la frontière Sud de l'Europe, nos partenaires savent que ces enjeux ne peuvent laisser aucun pays européen indifférent. Aussi, ils prennent leurs responsabilités, comme leur engagement dans la force Takuba l'a montré. C'est pour cette raison qu'il était très important de mener avec les institutions européennes le renouvellement de cette relation. Le sommet Union européenne - Union africaine en février dernier a abouti au renouvellement du partenariat entre les deux continents dans de nombreux domaines, nous devons le poursuivre.

Je souhaite également aborder le sujet de l'Iran, car la situation y est particulièrement préoccupante et urgente. Depuis plusieurs années, nous sommes engagés, avec nos partenaires allemand, britannique et l'Union européenne en faveur du retour des Etats-Unis et de l'Iran au plein respect de l'accord sur le nucléaire iranien (le Joint comprehensive plan of action - JCPoA). Nous n'avons pas ménagé nos efforts pour tenter de sauver cet accord, en particulier lorsque l'administration Trump, en annonçant en avril 2018 le retrait des Etats-Unis, l'avait profondément fragilisé, ce que nous regrettons. Cet engagement se poursuit. Il est fondé sur la conviction forte que l'accession de l'Iran à la bombe créerait une véritable crise régionale, mettrait en grand danger le régime de non-prolifération et accroîtrait le risque, à terme, d'un conflit nucléaire.

Cela fait maintenant plus de trois mois qu'un accord sur le retour au JCPoA est quasiment finalisé, après des mois de négociations intensives à Vienne. Il permettrait à l'Iran de sortir de l'isolement politique et économique, puisqu'une levée des sanctions conditionnée et vérifiée s'ensuivrait. Nous pensons tous que cet accord répondrait aux aspirations fondamentales de la population iranienne. Nous avons fait preuve d'une très grande patience mais la situation n'est plus tenable. En effet, depuis des mois, l'Iran adopte une posture dilatoire : les autorités ont procédé au démantèlement des dispositifs de suivi de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), à la désactivation de certaines caméras de surveillance, empêchant l'agence de mener son travail de vérification, et ont reculé lors des pourparlers indirects de Doha avec les Américains en juin.

Nous savons en outre que l'Iran a mis à profit les derniers mois pour poursuivre le développement de son programme nucléaire. S'il continue d'accumuler du stock d'uranium hautement enrichi et d'améliorer les capacités de ses centrifugeuses, ce pays se rapprochera trop du seuil nucléaire pour que le retour au JCPoA ait encore un sens.

Une fenêtre reste ouverte à l'Iran pour que ce pays se décide enfin à accepter l'accord qu'il a contribué à bâtir. Cependant, le temps presse. Les élections de mi-mandat aux Etats-Unis réduiront la capacité de l'administration américaine à faire accepter un éventuel accord par le Congrès. La France reste convaincue qu'un accord permettrait de retarder significativement le franchissement du seuil nucléaire par l'Iran et qu'il conserve donc un intérêt réel. La fenêtre se ferme dans quelques semaines. Le choix d'un retour au JPCoA est dans les mains de l'Iran, qui ne se verra pas offrir de meilleur accord que celui qui lui est proposé.

Permettez-moi maintenant d'aborder les enjeux de notre stratégie indopacifique. La France est une puissance du Pacifique et de l'océan Indien. Elle y compte des territoires, des populations, une présence permanente, ainsi que des intérêts. En outre, cette zone prend de plus en plus d'importance : c'est là que s'écrit désormais une partie majeure de l'histoire du monde. Près de 60 % de la richesse mondiale s'y concentre et les trois-cinquièmes de la population de la planète y vit d'ores et déjà. Des équilibres géopolitiques majeurs y sont également en jeu. La compétition de puissance se déroule de plus en plus dans cet espace. C'est une dimension nouvelle et importante de notre diplomatie. Nous avons pu faire reprendre par l'Union européenne les principaux thèmes de la stratégie indopacifique que nous avions élaborée à l'automne dernier. Nous ne souhaitons pas adopter une posture de confrontation avec la Chine. Pour autant, nous devons tracer une voie propre, différente de celle des Etats-Unis et qui permette d'offrir aux pays de la région une alternative à la présence chaque jour plus prégnante de la Chine dans la région.

Enfin, vous me pardonnerez d'être très brève sur la présidence française de l'Union européenne, qui fera l'objet du débat que nous aurons prochainement dans l'hémicycle au titre de l'article 50-1. Je me contenterai donc de vous dire la fierté que m'inspire notre bilan, que l'on peut qualifier de remarquable, tant par sa portée qu'en raison des circonstances dans lesquelles se sont déroulés nos travaux. Alors que la guerre en Ukraine aurait pu nous conduire à modifier le programme de notre présidence, nous avons eu à coeur de répondre fortement aux défis posés par le déclenchement par la Russie de cette guerre, tout en poursuivant les objectifs que nous nous étions fixés.

Nous avons donc dû agir sur les deux fronts, d'abord en mettant tout en oeuvre pour que l'Union soit à la hauteur de la crise historique à laquelle nous sommes confrontés. Les gouvernements européens ont été au rendez-vous de la fraternité et de la solidarité, en accueillant des millions de déplacés ukrainiens, auxquels a été accordée la protection temporaire sur le territoire de l'Union. L'Union est aussi devenue un fournisseur majeur d'aide civile et militaire à l'Ukraine. La décision, très rapide, de financer du matériel militaire et défensif, y compris létal, via la facilité européenne de paix, a été révolutionnaire. L'Union a également adopté six paquets de sanctions visant le régime de Vladimir Poutine et l'économie de guerre russe et biélorusse. La présidence française a joué tout son rôle pour que l'Europe sorte d'une certaine naïveté géopolitique et stratégique. Je veux saluer l'esprit d'unité dont ont fait preuve les Etats membres, pour réagir fortement et rapidement, ainsi que la réactivité et la créativité des institutions européennes.

Il s'agissait également de mettre en oeuvre l'agenda de souveraineté fixé en amont de notre présidence, et dont les circonstances ont souligné l'urgence et la nécessité. Nous avons obtenu des résultats majeurs. Je citerai ainsi, concernant l'Europe sociale, le cadre commun pour des salaires minimaux ainsi que les progrès réalisés pour l'égalité entre les femmes et les hommes dans les conseils d'administration grâce à la fixation d'un seuil de 40 % à échelle de 2026. En matière environnementale, nous pouvons citer le paquet de transition écologique sur lequel nous avons obtenu un accord dans les derniers mois de la présidence. S'agissant de la régulation du numérique, qui englobe les questions de protection de la vie privée ainsi que les enjeux démocratiques qui s'y attachent, l'Union européenne a adopté les règlements sur les marchés et les contenus numériques, pour préserver la toile de cette forme de loi de la jungle qui s'était établie. Enfin, je cite les progrès sur le paquet dit démocratie, à travers les mécanismes de défense de l'Etat de droit, la revivification démocratique reconnaissant leur rôle aux partis politiques, ou encore le travail engagé par la Conférence sur l'avenir de l'Europe du 9 mai 2022, dont la présidence tchèque devra tirer les conséquences.

Ainsi, l'Europe de juillet 2022 n'est plus celle de décembre 2021. Je la crois plus forte, plus unie, plus souveraine. Nous pouvons être fiers de laisser à la présidence tchèque une Europe qui n'hésite plus à affirmer sa souveraineté et qui ose défendre ses intérêts stratégiques et économiques. Cette Europe est également plus sociale, pionnière de la transition écologique et enfin plus proche des préoccupations des citoyens européens.

Je voudrais conclure sur la situation que connaît le ministère de l'Europe et des affaires étrangères. Le Quai d'Orsay a connu il y a un mois un mouvement de grève. Vous savez que ce ministère et ces agents ne sont guère coutumiers du fait. La mobilisation du 2 juin a été révélatrice du trouble qui existe de longue date et qui résulte du sentiment de décalage entre les missions et les moyens de notre ministère. En effet, ces missions n'ont cessé de croître. Des domaines de l'action publique internationale, comme la santé ou le climat, sont nouveaux. Les moyens du ministère, au contraire, ont connu une longue érosion, jusqu'à ce que mon prédécesseur Jean-Yves Le Drian y mette un terme, sans toutefois obtenir une augmentation de son budget. Cette érosion concerne encore et davantage les moyens humains. Tous nos agents ont l'amour de l'intérêt général et le sens du service public chevillés au corps. Leur mobilisation exemplaire l'a montré lors des crises de ces deux dernières années, lorsqu'il a fallu évacuer les ressortissants en Afghanistan, apporter des vaccins contre le covid-19 aux Français de l'étranger, ou rapatrier des centaines de milliers de Français lors de la pandémie.

Dans ce contexte, il m'est apparu fondamental de maintenir le fil du dialogue, avec les organisations représentatives, mais aussi avec les représentants des grévistes, des cadres, des jeunes et moins jeunes, des contractuels et des titulaires. De mon point de vue, il est possible d'avancer en travaillant en parallèle dans trois directions. La première consiste à mettre pleinement en oeuvre la réforme de la haute fonction publique, en consolidant les garanties obtenues par mon prédécesseur sur un certain nombre de sujets structurants pour la diplomatie. Nous sommes fortement attachés aux garanties que sont les concours, les carrières, le droit d'option pour ceux qui devraient choisir entre le maintien dans un corps en extinction et le corps des administrateurs de l'Etat, ou encore le pouvoir de nomination du ministre.

Dans un deuxième temps, nous devons réarmer le ministère en termes budgétaires et surtout en emplois. L'enjeu est crucial alors que le ministère a perdu en dix à douze ans plus de 18 % de ses effectifs, à périmètre constant, et à rebours des autres ministères régaliens. Dans le même temps, ses missions ne cessaient de se renforcer. L'Etat, de son côté, n'a pas connu la même attrition, ses effectifs étant demeurés stables. J'espère pouvoir compter sur la bienveillance et l'appui de la représentation parlementaire pour rééquilibrer la situation.

La troisième direction que nous devons suivre en parallèle est la réflexion sur nos métiers et la place de la diplomatie dans l'Etat, dans le cadre des états-généraux ou assises de la diplomatie.

Je veux enfin saluer la contribution toujours vigilante mais aussi très constructive du Parlement sur les enjeux de la réforme du Quai d'Orsay. Je veux poursuivre ce travail en confiance avec vous. Je suis maintenant à votre disposition pour répondre à vos questions.

(...)

Monsieur Ghomi, vous avez évoqué la multiplication des crises au Proche-Orient. Cette zone, comme d'autres régions du monde, forme en effet un arc de crises allant du nucléaire iranien aux tensions du Sahara occidental, sans oublier le chaos libyen, la poursuite du conflit syrien, ni les difficultés à faire revivre le processus de paix au Proche-Orient. Etendu autour de l'Europe, cet arc de crises affecte la sécurité de la France et des Français. Pour résoudre ces crises, nous les traitons une par une et cherchons à y apporter des solutions.

Par exemple, face au chaos où prospèrent les milices et les trafiquants d'êtres humains en Libye, nous agissons avec nos partenaires européens et non européens, pour aboutir à la mise en place d'un exécutif capable, à l'issue d'un processus politique, d'organiser des élections et d'assurer son autorité sur l'ensemble des territoires libyens.

Je me suis entretenue au téléphone avec mon homologue iranien le 3 juillet. Mes propos ont été les mêmes que ceux que je vous ai tenus aujourd'hui. Je l'ai informé qu'il était encore possible de revenir au JPCoA, mais que l'Iran devait prendre rapidement sa décision, sachant qu'il ne se verrait pas offrir de meilleur accord.

Dans un deuxième temps, nous tentons de traiter les causes de ces crises pour mieux assurer la stabilité de ces régions. Ces dernières années, nous avons constaté une évolution positive au Proche-Orient, marquée par une meilleure intégration d'Israël dans son espace régional. Le processus des accords d'Abraham a permis une amélioration des relations entre Israël et nombre de ses partenaires plus ou moins proches, comme le Maroc. Néanmoins, les accords d'Abraham ne pourront se substituer à la solution à deux Etats qui seule peut résoudre la question palestinienne et ramener la paix dans la région. Nous devons donc redonner une perspective politique à ces accords. Je recevrai demain mon homologue palestinien en préparation de la visite du président de l'Autorité palestinienne Mahmoud Abbas à Paris, le 20 juillet.

Enfin, il me paraît essentiel de nous adresser aux populations de ces pays, et plus particulièrement à la jeunesse. Nous voulons leur offrir des chances. Pour cela, nous devons renforcer notre action en matière de culture, d'éducation et d'influence, ce qui suppose de disposer de moyens suffisants.

Vous avez évoqué les Balkans. Il est important de confirmer la perspective européenne de ces pays, qui leur a été offerte après les tragédies qu'ont représenté la guerre dans l'ex-Yougoslavie en 1995 et les exactions commises en 1999 lors de la guerre du Kosovo. Ces deux guerres étant terminées, nous avons voulu accélérer la normalisation de ces pays en leur offrant la perspective européenne, lors de la présidence française, il y a vingt-deux ans. Ces pays ont cheminé de façon inégale, certains plus facilement que d'autres encore prisonniers de leur passé. Certains attendent depuis longtemps, d'autres n'ont pas encore le statut de candidat. Vous savez les difficultés que nous avons rencontrées pour faire reconnaître que la Macédoine du Nord ne se voit pas opposer de nouvelle demande reconventionnelle de la part de la Bulgarie, Etat membre de l'Union européenne. Dans les dernières heures de la présidence française, une proposition a été émise et a été acceptée par la Bulgarie, mais pas encore la Macédoine du Nord. Il est de notre intérêt d'arrimer ces pays à l'Union européenne et qu'ils rejoignent nos standards en matière économique, mais également en termes de lutte contre la corruption et les trafics de tous ordres.

Madame Autain, vous avez parlé de la grève au Quai d'Orsay, événement d'autant plus remarquable que ces mobilisations ne sont pas fréquentes : la précédente grève remontait à une vingtaine d'années. La réforme vise la haute fonction publique dans son entièreté : il n'y a pas de singularité du Quai d'Orsay à cet égard. Les ordonnances et les décrets pris par le Gouvernement ont été publiés, au mois d'avril pour le dernier d'entre eux. Nous tenons aux garanties que vous évoquez. Elles ont été obtenues par Jean-Yves Le Drian et je les ai décrites dans mon propos liminaire. Je souhaite qu'elles soient consolidées.

Vous avez également évoqué l'aide publique au développement. Elle est importante, grâce à notre bras armé qu'est l'AFD. Le Président Bourlanges mentionnait la modestie de notre budget. Je crois donc utile de rappeler quelques chiffres. Le budget du ministère de l'Europe et des affaires étrangères s'élève à 6 milliards d'euros en 2022 pour l'ensemble de ses missions. L'AFD s'est vu allouer un budget de 13 milliards. Sur les 6 milliards du budget du Quai d'Orsay, 3 milliards représentent la mission extérieure de l'Etat, tandis que l'autre moitié alimente l'aide publique au développement de la France.

Nous avons réussi, et nous le devons notamment à la représentation parlementaire, à augmenter sensiblement l'effort de la France en rehaussant cette année à 0,55 % le pourcentage de notre aide publique au développement au regard de notre PIB. Nous n'avions jamais atteint ce seuil. La représentation nationale a souhaité rappeler l'objectif international de 0,7 % du PIB. Cela signifie qu'entre 2017 et 2022, l'aide publique au développement représentait près de 5 milliards d'euros. Pour comparaison, en 2016, ce pourcentage était égal à 0,37 % du PIB. Comme le souhaite la représentation nationale, nous espérons continuer à progresser en ce sens, quel que soit l'état des finances publiques, et malgré la crise de l'énergie et la nécessité de protéger le pouvoir d'achat des Français ou les conséquences économiques et financières de la guerre en Ukraine.

Madame Autain, je suis heureuse que nous nous rejoignions sur la question de l'Ukraine. Cependant, je ne suis pas d'accord avec votre analyse de l'accord négocié entre la Finlande, la Suède et les trente Etats membres de l'OTAN en vue de leur adhésion. C'est sans doute la vision turque qui voudrait confondre les terroristes du PKK et les combattants de la liberté qui nous ont aidés en Syrie. Je ne veux pas croire que vous vous exprimiez comme le Président Erdo?an. Après l'intervention du Président Erdo?an, dont les termes employés à Madrid pouvaient prêter à confusion, le Président de la République a procédé à une mise au point précise et argumentée en séance pour indiquer que le PKK était considéré comme une organisation terroriste mais que ce n'était pas le cas des combattants kurdes, en particulier des combattants de la liberté - pour le citer - qui ont lutté à nos côtés. Il serait incohérent de confondre les deux et, plus encore, il en irait de notre crédibilité vis-à-vis des forces qui veulent parfois se joindre à nous pour mener nos combats.

Je maintiens que l'Union européenne est sortie plus forte, plus souveraine et plus unie de ces six mois de présidence française. Nous aurons l'occasion d'y revenir grâce au débat de l'article 50-1.

Monsieur Dumont, vous m'avez interrogée sur le CETA. Après la ratification de l'accord par l'Assemblée nationale en 2019, les conditions n'ont pas pu être réunies pour que le texte soit examiné par le Sénat. Nous verrons si elles le sont au cours du quinquennat qui commence.

Vous évoquez la conclusion d'un accord dans les derniers jours de notre présidence de l'Union européenne. Je rappelle que dans le cadre de ses compétences au titre du traité, c'est la Commission qui négocie un accord commercial sur la base du mandat qui lui a été donné par les Etats membres. Nous sommes satisfaits de constater que le traité en question reprend les exigences environnementales que l'Union européenne pose désormais à la conclusion de tout accord commercial. La négociation a été longue, je crois qu'elle a été positive. Je dois rappeler les craintes qui s'étaient exprimées au moment de la négociation de l'accord de libre-échange avec le Canada, dont tout démontre aujourd'hui que nous avons considérablement bénéficié.

Vous avez enfin parlé du trouble ressenti par une partie des agents de mon ministère. Vous évoquez une nomination dont je n'ai pas connaissance. Je rappelle que de telles nominations se font en Conseil des ministres sur proposition du ministre de l'Europe et des affaires étrangères.

Monsieur Fuchs, je ne peux qu'appuyer votre souhait que l'action diplomatique soit mieux comprise des Français. Ce sera pour partie ma responsabilité. Lorsque j'étais ministre déléguée aux affaires européennes, j'ai eu à coeur de me déplacer en France autant, sinon plus souvent, qu'auprès de mes partenaires européens à Bruxelles ou au Parlement européen. Il est vrai que la réponse négative au référendum de 2005 m'y engageait vivement. Je vous demande de bien vouloir participer à cet effort d'explication. Notre avenir est en Europe, et nos compatriotes doivent le comprendre. C'est ce à quoi je me suis efforcée au mois de juin.

La réponse en Afrique ne peut être uniquement militaire et sécuritaire. Nous souhaitons miser sur l'éducation, l'employabilité, la formation et la santé, qui sont les clés du développement. Depuis une trentaine d'années, les rapports de la Banque mondiale montrent en effet que l'éducation est le meilleur investissement qui soit.

Monsieur David, vous mentionnez l'audiovisuel extérieur pour souligner que la compétition stratégique est aussi affaire de communication. Il faut en particulier lutter contre les falsifications et les manipulations de l'information. Dans ce contexte, je suis très attachée à France Médias Monde, qui accomplit un travail essentiel pour promouvoir une information de qualité, objective, exacte et qui n'est instrumentalisée par aucun gouvernement. Attachée à l'indépendance des médias, je défendrai France 24, RFI et Radio Monte-Carlo Doualiya.

Monsieur Portarrieu, je tiens à corriger la fausse impression selon laquelle j'aurais passé trois jours à Bali, comme l'a involontairement laissé croire le Président de la République. J'ai voyagé pendant quelques dizaines d'heures afin de passer une journée à Bali, où, durant vingt-deux heures, j'ai assisté aux sessions du G20 et eu de nombreux entretiens bilatéraux. Il me paraissait en effet important de convaincre mes collègues européens et non européens de nos positions sur la marche de l'Europe et sur la guerre en Ukraine, pour leur rappeler que cette dernière est responsable des tensions internationales, de la montée des prix, de la crise de l'énergie, et de ce que je ne veux pas devoir appeler un jour la crise alimentaire.

Le G20 nous a permis de chercher collectivement les voies et moyens de répondre à la guerre d'agression dans ses conséquences économiques. Le G20 a fait preuve d'une remarquable unité de vue, considérant qu'il était impossible d'utiliser le commerce comme une arme et pour donner des réponses à la déstabilisation de l'économie face à ce qui ne doit pas devenir une crise alimentaire.

Le G7 avait pris des décisions fortes et intéressantes à Elmau dans le domaine de l'énergie et de l'alimentaire, encourageant le G20 à les suivre. De surcroît, au G20, la Russie s'est trouvée isolée alors même qu'elle aurait pu être tentée de jouer de la composition du groupe pour faire valoir ses vues et poursuivre son discours de propagande et de falsification. C'était la première fois que nous voyions notre homologue russe M. Lavrov. À cet égard, je précise que la présence de Vladimir Poutine au sommet du G20 en novembre n'est pas acquise. La présidence indonésienne n'a pas encore pris de décision et nous nous efforcerons de la convaincre que cette présence n'est pas opportune.

Complètement isolée, la Russie a tenu un discours faux et outrancier mais elle a surtout subi les rappels de la primauté du droit international, du respect de la charte des Nations Unies comme condition première de la vie au sein de la communauté internationale, y compris de la part d'Etats dont ce n'était pas attendu, comme la Chine ou l'Inde, avec plus ou moins de nuances. Vous avez souligné que je me suis exprimée moins diplomatiquement que d'habitude. Il le fallait. L'ensemble des membres du G20, à l'exception de M. Lavrov, se sont accordés pour reconnaître qu'une guerre d'agression était menée contre l'Ukraine, dont seule la Russie était responsable. Après son intervention en fin de matinée, M. Lavrov a quitté la conférence et le pays.

Monsieur Taché, l'entente cordiale aurait en effet besoin d'être revivifiée. Pour ce faire, il faut être deux. Depuis mi-2019, il avait été difficile de trouver en la personne du Premier ministre britannique un partenaire dont la responsabilité et la fiabilité répondaient à nos attentes. La relation entre nos deux pays s'était dégradée. Nous avons seulement pu coopérer sur les enjeux essentiels globaux que sont l'Ukraine, les questions de sécurité ou encore la COP26 de Glasgow, qui s'est bien déroulée. Cependant, certaines divergences n'ont pu être réglées. Ces dernières ne provenaient pas de la décision du Royaume-Uni de se retirer de l'Union européenne, mais de la querelle que le gouvernement britannique a par la suite entretenue sans raison avec l'Union. Comme je l'ai dit publiquement, notamment à Bali, j'espère que notre relation s'améliorera. Cela dépendra de notre nouveau partenaire britannique.

Il est vrai que nous devons retrouver notre souveraineté énergétique. La France cherche à convaincre ses partenaires européens de la nécessité de revoir leur dépendance envers les hydrocarbures et le gaz russes. Nous ne nous appuyons pas uniquement sur l'Amérique du Nord, mais cherchons également des solutions avec l'Algérie ou le Qatar. Nous avons considérablement augmenté nos approvisionnements en provenance de Norvège, qui est et restera notre premier fournisseur. Par ailleurs, nous devons agir sur la demande. Dans nos pratiques quotidiennes, nous devons chacun agir pour la sobriété énergétique.

Vous évoquez une partie de ce que vous avez lu à mon propos dans la presse, partie qui n'est pas la plus élogieuse à mon égard. Vous savez que, par principe, je refuse de commenter des opinions. Ceux qui me connaissent m'ont bien accueillie au Quai d'Orsay. Vous vous interrogiez sur la nomination d'un diplomate devenu ambassadeur. C'est la vocation de certains diplomates. Celui que vous mentionnez a été nommé ambassadeur dans le cadre d'un train de huit nominations en Conseil des ministres. Je précise qu'il me reste à effectuer une cinquantaine de nominations d'ambassadeurs, comme chaque année.

Monsieur Lecoq, nous suivons attentivement la situation au Sahara occidental, marquée par une résurgence de tensions. Nous répétons régulièrement notre plein soutien à la mission des Nations unies menée sur place pour relancer le processus politique en vue d'une solution juste et durable. Par ailleurs, je ne crois pas qu'il soit offensant de considérer que le Sud géographique de l'Europe constitue sa frontière Sud, mais je me suis peut-être mal exprimée.

S'agissant du conflit israélo-palestinien, la reprise des tensions sur le terrain est particulièrement préoccupante. J'ai fait part de notre inquiétude face à la reprise de la colonisation israélienne à mon homologue israélien Yaïr Lapid, devenu depuis lors Premier ministre par intérim. Le Président de la République lui a tenu les mêmes propos lorsqu'il l'a rencontré. Il serait par ailleurs injuste d'oublier que M. Lapid est comme nous-mêmes convaincu que seule la solution à deux Etats peut garantir la paix dans la région.

(...)

Concernant la Tunisie, chacun connaît la séquence prévue par le Président Saïed, qui consiste en une consultation populaire suivie d'un référendum constitutionnel. Ce dernier se tiendra le 25 juillet. Nous examinons le texte rendu public, qui n'est pas tout à fait celui imaginé dans le cadre de ce processus par ceux qui étaient chargés de rédiger le projet. Nous espérons que le peuple tunisien pourra se prononcer dans des conditions démocratiques exemplaires. Nous entendons aussi les critiques que ce projet a suscitées. Nous demeurons attachés au respect des acquis démocratiques de la Tunisie, et plus globalement, au respect de l'Etat de droit, de l'indépendance de la justice et des droits et des libertés. Ce pays doit retrouver sa stabilité, notamment pour que le FMI puisse engager son programme de financement, les conditions n'étant pas actuellement réunies pour ce faire. La Tunisie, les Tunisiens et les Tunisiennes peuvent en tout cas compter sur le soutien de la France.

Monsieur Le Gall, vous avez raison de pointer un décalage entre les missions et les moyens du ministère de l'Europe et des affaires étrangères. Les proportions que vous citez, qui sont encore plus inquiétantes que les miennes, ne sont pas les bonnes. Il faut en effet raisonner à périmètre constant, ce qui permet de conclure à une baisse de 18 % des effectifs du Quai d'Orsay depuis une douzaine d'années, alors même que les effectifs de l'Etat ne diminuaient pas. Nous avons donc été mis à contribution plus que d'autres. Cela étant, la suppression des corps, et singulièrement du corps diplomatique comme du corps préfectoral, n'est pas synonyme d'une suppression des métiers. Les diplomates ont et auront toujours un savoir-faire, une expérience et une expertise. Je veux mettre à ce titre l'accent sur l'importance de renouveler nos actions de formation tout au long de la vie. L'école pratique des métiers de la diplomatie, inaugurée par Jean-Yves Le Drian l'année dernière, est ainsi une excellente idée.

Madame Abomongoli, vous avez abordé les difficultés des Français de l'étranger à accéder aux services consulaires. La numérisation répond à un besoin d'information des Français, comme le montrent les débuts du service centralisé, et à des questions que les ambassades peinent à traiter individuellement alors qu'elles pourraient être mutualisées. Cependant la numérisation n'est pas et ne sera pas une façon de réduire les emplois. Le service qu'attendent nos compatriotes n'est pas assuré aussi bien qu'ils le souhaiteraient. Ainsi, nos efforts en matière de numérisation nous permettraient seulement de revenir à un niveau de service conforme à celui qui est attendu.

Par ailleurs, nous sommes particulièrement exigeants. Il faut rappeler que l'activité des consulats est croissante. La pandémie nous a fait prendre du retard. Si les délais sont parfois longs, notamment en raison des confinements qui ont provoqué des réductions des heures de service, nous restons sans doute le pays du monde qui fournit le plus grand nombre de services à nos compatriotes. Beaucoup de grandes diplomaties, comme la diplomatie britannique, n'offrent absolument pas ces services à leurs citoyens. C'est l'honneur de notre pays de le faire. Or, nous avons pour cela besoin de moyens. La dématérialisation des procédures permettra de gagner du temps pour recevoir nos compatriotes, bien que de nombreuses démarches nécessitent de toute façon des contacts physiques.

Madame Hamelet, la politique migratoire est un sujet suffisamment grave pour que l'on n'en fasse pas des caricatures. Une politique européenne est nécessaire car nous partageons un même espace, au sein duquel la liberté de circulation existe, sans interdire toutefois des contrôles. Deux principes permettent d'y parvenir. Le premier est la responsabilité des Etats, qu'il s'agisse ou non d'Etats de première entrée ; le second est la solidarité des Etats pour que certains ne fassent pas face seuls à une charge plus importante que d'autres. Cette politique est ferme lorsqu'il le faut, notamment face aux migrations illégales, et ouverte à la fois, afin de rendre possible l'immigration légale, cette dernière offrant des possibilités économiques et garantissant l'enrichissement mutuel par la diversité.

La présidence française a permis deux réelles avancées sur le pacte sur l'asile et la migration, sans toutefois que ce projet ne soit achevé, ainsi qu'une troisième avancée, relative à la mise en place effective d'un conseil Schengen, qui garantit un véritable contrôle politique.

Madame Thillaye, vous avez raison d'évoquer les risques de contournement des sanctions contre la Russie. C'est pour cette raison que la Commission européenne réfléchit à de nouvelles propositions. Nous avons adopté six trains de sanctions. De nouvelles mesures renforceront l'ampleur et le nombre des sanctions individuelles contre des soutiens du régime de Vladimir Poutine, et permettront de mieux lutter contre d'éventuels contournements. Nous évoquerons ce sujet avec mes homologues européens lors du prochain conseil Affaires étrangères à Bruxelles, lundi prochain.

Madame Caroit, la France est présente en Amérique latine et dans les Caraïbes, non seulement par ses territoires aux Antilles et en Guyane mais également par ses 24 ambassades, 40 lycées français et 200 alliances françaises, qui nous permettent d'entretenir des relations humaines, culturelles, intellectuelles et historiques avec ce continent. Ces liens sont complétés par de fortes relations économiques. Les investissements français augmentent. 2 500 filiales françaises sont implantées en Amérique latine et garantissent notre présence dans les domaines des infrastructures, des transports, de l'énergie, ou encore dans celui de la transition écologique et du développement durable. Enfin, nous entretenons des relations de confiance avec nombre de partenaires latino-américains. Je pense notamment aux réponses aux défis globaux, au changement climatique, à la protection de la biodiversité. La France a présenté avec le Costa Rica sa candidature pour accueillir le prochain sommet des Nations Unies sur les océans en 2025.

Haïti est plongé dans une crise multidimensionnelle qui dure et ne cesse de s'aggraver. La situation socio-économique du pays est très préoccupante pour les populations. La situation sécuritaire, quant à elle, est marquée par une détérioration dramatique. La France est impliquée dans la recherche d'une résolution politique de la crise. Depuis la fin de l'année 2020, elle s'est engagée avec le Canada et les Etats-Unis pour porter une initiative conjointe, qui se poursuit aujourd'hui. Cette initiative encourage le dialogue politique, vise à soutenir la police nationale d'Haïti par des actions de formation, et à accroître le soutien humanitaire à l'île. Pour notre part, le soutien humanitaire français atteindra 7,2 millions d'euros à la fin de l'année 2022, dont 4,2 millions d'euros d'aide alimentaire.

Monsieur Bilongo, je me suis déjà longuement exprimée sur les mesures décidées pour faire face à la crise alimentaire, au niveau national et international. Je voudrais appeler votre attention sur l'initiative FARM. Nous développons avec nos partenaires internationaux que sont l'OMC, le PAM et le FIDA des solutions pour relever de façon plus systématique trois défis de cette crise. Nous travaillons ainsi à la libre circulation des denrées, la transparence des marchés agricoles, la disparition des restrictions aux exportations ; nous souhaitons également mettre en oeuvre une solidarité renforcée avec les plus vulnérables ; enfin, nous réfléchissons à l'accroissement des capacités de production agricole et alimentaire dans le Sud, notamment en Afrique.

En outre, l'Union européenne a décidé de limiter le pourcentage de jachère, tandis que le Canada verra cette année sa production de céréales augmenter de 40 % grâce à des semis plus importants et à de meilleures conditions climatiques. Enfin, nous renforçons notre aide publique au développement dans le secteur agricole et alimentaire. En 2022, notre aide à ce titre dépassera 700 millions d'euros. Le Président de la République a annoncé au G7 le doublement de la contribution française au PAM, passant de 75 millions à 150 millions d'euros.

Monsieur Habib, je ne crois pas que nous tenons un discours de "en même temps". D'abord, la France n'agit pas seule sur le dossier iranien mais en liaison constante avec ses partenaires traditionnels de l'Union européenne et les Etats-Unis. Nous portons un message simple : un travail considérable a été fait afin d'aboutir à un projet d'accord, pratiquement accepté par l'Iran, qui permettrait le retour au JPCoA. Notre priorité est en effet un réengagement des relations entre l'Iran et l'AIEA. Je m'en suis entretenue avec mon collègue israélien avant qu'il ne devienne Premier ministre. Nous n'avons pas le même point de vue sur ce sujet. Pourtant, comme nombre d'amis d'Israël, nous considérons que si le retour au JPCoA n'est pas la panacée, car la situation a évolué depuis le retrait américain et la fin de la coopération par l'Iran, il est préférable à une absence d'accord qui laisserait place aux incertitudes et aux risques que vous soulignez.

Monsieur Dupont-Aignan, la Syrie est en proie à des violences depuis onze ans. La situation humanitaire s'y dégrade. Les crimes que nous connaissons s'y produisent. Le régime syrien, qui n'est pas le seul à les avoir commis, poursuit sa stratégie de la terre brûlée. Plus que jamais, la solution politique est le seul horizon. Les perspectives ne permettent pas d'envisager que les conditions soient réunies pour rouvrir une ambassade française à Damas.

Monsieur Julien-Laferrière, un déplacement du Président de la République au Bénin est dans l'ordre des possibles. L'Etat de droit et la bonne gouvernance feront partie des messages qu'il aura à coeur de porter auprès des autorités du Bénin. Nous n'avons pas pour habitude de révéler en amont le contenu de nos interventions. Je promets toutefois de revenir vers vous pour vous indiquer si les interventions que vous appelez de vos voeux auront été faites.

L'Alliance Sahel, lancée en 2017 par le Président de la République avec d'autres acteurs européens, ainsi que le PNUD ou encore l'AFD, s'est traduite sur le terrain par plus de mille projets, pour un budget de 22 milliards d'euros. Il s'agit de l'une des priorités de la diplomatie française. Je m'inscrirai dans le sillage de Jean-Yves Le Drian, à qui elle tenait à coeur. Elle fait partie du renouvellement de nos relations avec l'Afrique que nous appelons de nos voeux. C'est également pour cette raison que j'irai constater la réalité des projets concrets que nous soutenons, notamment en matière d'éducation des femmes et des enfants, lors de ma visite au Niger. J'ai également tenu à me rendre sur place pour constater les réalisations permises par notre aide au développement en matière de renforcement de la production agricole.

Monsieur Faure, le Président de la République s'est exprimé à plusieurs reprises sur l'expression qu'il a employée, en l'assumant totalement. Il ne faisait pas référence au présent, même s'il souhaite maintenir, comme d'autres, un canal de discussion avec le président russe. Ces conversations sont difficiles, mais nécessaires, comme l'a récemment montré la presse d'après ce qu'elle avait eu l'occasion d'en voir. Néanmoins, le Président de la République a raison : de façon générale, il ne faut humilier personne, et encore moins des partenaires internationaux. De surcroît, lorsque la paix reviendra - et elle reviendra un jour -, il sera important qu'elle soit conclue dans des conditions qui n'humilient aucun des Etats parties prenantes à ce conflit. Dans ce cadre, la Russie aura un rôle à jouer dans l'architecture de sécurité de notre continent. C'est ce que le Président a voulu dire, comme il l'a répété à de nombreuses reprises, notamment lors de sa conférence de presse en marge du sommet de Madrid. (...).


source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 22 juillet 2022