Texte intégral
THIERRY DAGIRAL
Bonjour Olivier DUSSOPT.
OLIVIER DUSSOPT
Bonjour.
THIERRY DAGIRAL
Nouveau ministre du Travail du Gouvernement BORNE, on va parler bien sûr de cette réforme du travail, de l'assurance chômage également dans un instant, revenons d'abord sur les chiffres du chômage publiés hier pour le deuxième trimestre, baisse sur la catégorie A, ceux qui n'ont pas d'activité, quand on inclut les autres catégories la baisse est de 1,7 %, -9 % sur un an, comment vous l'expliquez, ce sont les commandes qui repartent après deux ans de pandémie et donc les entreprises embauchent ?
OLIVIER DUSSOPT
D'abord il faut se dire que ce sont de bonnes nouvelles, ce sont de bonnes nouvelles puisque le taux de chômage baisse, c'est plus d'emplois, c'est plus de salaire, c'est plus d'autonomie pour les personnes. Depuis cinq ans, depuis 2017, le chômage baisse de manière continue, nous étions à 9 % de chômage en 2017, nous sommes aujourd'hui très légèrement en dessous de 7,3, donc c'est un vrai progrès, et notre objectif d'ici 2027 est d'arriver à 5 %, c'est la définition du plein emploi pour beaucoup d'économistes. Comment est-ce que ça s'explique ? Ça s'explique par l'activité, la reprise d'activité, nous avons connu une croissance très forte en 2021, en 2022 la croissance reste là malgré les difficultés, et les entreprises, les employeurs, continuent à recruter. Ça s'explique aussi par des réformes mises en place depuis cinq ans, sur le marché du travail, sur la question de l'assurance chômage, sur la formation. Et puis ça s'explique enfin par des efforts plus récents, en tout cas que nous avons accentués récemment, notamment pour former les demandeurs d'emploi de longue durée et leur permettre de revenir en activité, parce que c'est à la fois bon pour l'économie et bon pour eux.
THIERRY DAGIRAL
Vous l'avez évoqué, il y a le rôle de l'apprentissage, 730.000 apprentis, il faut rappeler qu'un étudiant est compté comme inactif, alors qu'un apprenti non, est-ce qu'on va dire l'apprentissage dope "artificiellement" ces chiffres ?
OLIVIER DUSSOPT
Non, parce que c'est une polémique qu'avait tenté d'ouvrir Monsieur MÉLENCHON il y a quelques semaines, et en réalité quand on regarde l'emploi, des 18-24 ans, et même des 16-24 ans, ce qu'on appelle l'emploi des jeunes, c'est la catégorie statistique, le boom de l'emploi dans cette catégorie ne s'explique pas que par l'apprentissage et l'alternance, loin s'en faut, on est sur quelques dizaines de milliers de postes d'écart. L'apprentissage c'est un succès, c'est un succès que nous avons ouvert jusqu'à 30 ans, c'est un succès qui nous a permis de passer de 280.000 apprentis par an, en 2017, à 730.000 aujourd'hui, et avec un objectif, c'est 1 million par an. Pourquoi 1 million par an ? Parce que l'apprentissage est une bonne formation, et qu'à la sortie d'un apprentissage le débouché, l'insertion professionnelle, est à un très bon niveau.
THIERRY DAGIRAL
Mais il faut rappeler qu'un apprenti gagne en dessous de 1000 euros, c'est difficile de vivre avec ça.
OLIVIER DUSSOPT
C'est exactement cela, et c'est une période de formation, c'est considéré comme un contrat de travail, mais ça reste une période de formation, et de bonne formation, et derrière la formation il y a l'apprentissage, mais pas seulement. Lorsque j'évoque les demandeurs d'emploi de longue durée, c'est un plan qu'on appelle le plan de réduction des tensions, il a été lancé en octobre 2021, ça fait huit mois, et en huit mois cela a permis d'accompagner vers l'emploi 250.000 demandeurs d'emploi de longue durée, des personnes qui n'avaient pas d'activité depuis parfois 24, 36 mois, et c'est aussi tant mieux, parce que c'est encore et toujours de l'autonomie, c'est avec ce regard-là qu'il faut voir le retour à l'emploi.
THIERRY DAGIRAL
Olivier DUSSOPT, dans cette réforme du travail voulue par le président MACRON il y a la poursuite de la réforme de l'assurance chômage, il y a déjà le nouveau mode de calcul des allocations, très controversé, l'idée là c'est de moduler à terme la durée d'indemnisation, en fonction de la santé économique du pays ?
OLIVIER DUSSOPT
Pardon, mais il faut être très précis sur cette réforme parce qu'elle a suscité des questionnements et des débats. La réforme de l'assurance chômage date de 2019, elle n'a été mise en œuvre de manière effective qu'à partir de 2021, puisque pendant les périodes de confinement le gouvernement avait reporté sa mise en place. Vous la dites contestée, en tout cas controversée…
THIERRY DAGIRAL
Controversée.
OLIVIER DUSSOPT
Elle a été validée par l'intégralité des juridictions qui en ont été saisies, et donc l'intégralité de cette réforme est validée. Elle se met en œuvre, elle a eu peu de temps pour se mettre en œuvre, et donc la deuxième chose qu'il faut souligner c'est que dès la rentrée le Parlement sera saisi d'un projet de loi pour nous autoriser à prolonger pour plusieurs mois, jusqu'à la fin de l'année 2023 au moins, les règles actuelles, et dès lors que cette prorogation, puisque les règles actuelles s'arrêtent le 1er novembre, dès lors que nous aurons obtenu cette possibilité de prolongation, nous devons avoir une discussion avec les partenaires sociaux pour faire ce que le président a indiqué, c'est tenir compte de l'évolution économique.
THIERRY DAGIRAL
Et quelle est l'idée sur la table aujourd'hui alors ?
OLIVIER DUSSOPT
L'idée, elle est très simple, et nous devons trouver avec les partenaires sociaux les bons critères et les bons paramètres, c'est de dire que lorsque nous sommes dans une situation où l'économie va bien, où des emplois sont créés, où les chefs d'entreprises ont du mal à recruter, les critères, les paramètres de l'assurance chômage, doivent être très incitatifs et, d'une certaine manière, un peu durcis, par contre lorsque que l'économie va mal, parce que malheureusement ça peut arriver, et qu'il y a des suppressions d'emplois, il faut que les critères de l'assurance chômage soient plus protecteurs pour les salariés et donc plus protecteurs pour…
THIERRY DAGIRAL
Mais quels critères vous regarderez, pardonnez-moi ?
OLIVIER DUSSOPT
Les critères…
THIERRY DAGIRAL
L'inflation, les comptes publics ?
OLIVIER DUSSOPT
Nous devons voir cela avec les partenaires sociaux, donc ne préemptons pas le débat, mais il y a des critères en matière de création d'emplois, de croissance, de productivité, tout peut être regardé, pour faire en sorte que nous sachions comment définir quand ça va bien et quand ça va mal, et comment définir ce qu'on appelle durcir ou assouplir. Aujourd'hui, il faut quand même l'avoir en tête, et beaucoup de vos auditeurs le savent, la première difficulté des entreprises ce n'est pas le carnet de commandes, c'est recruter, vous ne rencontrez pas un chef d'entreprise qui ne vous dit pas ses difficultés à recruter, alors que nous avons 7,3 % de chômeurs.
THIERRY DAGIRAL
Olivier DUSSOPT, pardonnez-moi, mais quand le pays va mal, si jamais les allocations baissent à ce moment-là, le besoin pour un chômeur est le même, de se nourrir, de se chauffer.
OLIVIER DUSSOPT
Mais parce que vous êtes dans une idée de baisse d'allocations, il y a des questions sur les durées d'indemnisation, il y a des questions sur la durée de travail qu'il faut accumuler, justifier, pour bénéficier d'une allocation, tous les critères peuvent être ouverts, ce n'est pas seulement une modulation des allocations.
THIERRY DAGIRAL
La réforme concernera également le RSA ?
OLIVIER DUSSOPT
Le RSA c'est une autre réforme. Le président de la République l'a dit pendant sa campagne, aujourd'hui nous avons presque 2 millions d'allocataires du RSA, c'est deux fois plus qu'il y a 10 ans, et la situation n'est pas satisfaisante car leur retour vers l'emploi est moins bon, en termes statistiques, que les demandeurs d'emploi dits classiques, mais le terme n'est pas le mieux choisi, et leur accompagnement est souvent très inégal. Ce que nous disons, nous, et ce que nous disons avec le président de la République, c'est que le RSA est un droit inconditionnel, il l'a rappelé dans ses différentes interventions et notamment lors de la grande réunion publique à l'Arena, qu'une fois que quelqu'un est allocataire du RSA parce qu'il n'a plus de ressources, la puissance publique, l'État, les collectivités, l'ensemble du service public de l'emploi, ont une obligation, qui est une obligation de formation, une obligation de propositions de formation et d'insertion, un devoir d'insertion, et l'allocataire a aussi le devoir de participer à ces activités d'insertion pour retourner vers l'emploi.
THIERRY DAGIRAL
Ce sera du donnant-donnant quoi !
OLIVIER DUSSOPT
Ce sera du donnant-donnant, mais dans le bon ordre, c'est-à-dire que nous devons d'abord faire en sorte que l'offre d'insertion soit présente partout sur le territoire, adaptée. Je prends souvent cet exemple, mais, lorsqu'une allocataire du RSA est une mère célibataire avec trois enfants, on ne lui propose pas une offre d'insertion de 17 à 20h, parce qu'elle doit s'occuper de ses enfants et qu'il y a des problèmes de garde, donc il faut adapter, mais dès lors qu'il y a une offre d'insertion possible, dès lors que cet accompagnement est adapté, l'allocataire a un devoir et une contrepartie qui est de tout faire pour revenir vers l'emploi. Et pardon, mais la société a ce devoir de retour à l'emploi, ceux qui considèrent que, parce qu'on a donné l'allocation, le RSA, qu'on a donné 500 euros à quelqu'un pour survivre chaque mois, la société aurait fait son travail de solidarité, c'est de l'hypocrisie, la vraie solidarité c'est d'aider les allocataires du RSA à en sortir le plus vite possible.
THIERRY DAGIRAL
Et puis à la réforme de Pôle emploi qui deviendrait France Travail, c'est quoi, c'est juste un changement de nom, c'est un coup de peinture ?
OLIVIER DUSSOPT
C'est la même logique, faire en sorte que la compétitivité change de camp, faire en sorte que lorsque vous êtes demandeur d'emploi, allocataire du RSA, vous ayez un interlocuteur unique qui vous accompagne pendant tout votre parcours de retour vers l'emploi, qui puisse vous accompagner et faire en sorte que votre parcours soit sans accroc, si je puis dire, et ça nécessite beaucoup de coordination, beaucoup de travail, pour faire en sorte que les demandeurs d'emploi n'aient pas le sentiment de changer d'interlocuteur à chaque étape de leur formation, de leur retour à l'emploi, c'est un gros travail d'ingénierie, de logistique, et nous allons ouvrir à la fois les discussions, mais aussi la préfiguration, la concertation avant mise en œuvre de tout ça dans les prochaines semaines.
THIERRY DAGIRAL
Les réunions sont déjà prévues, la date ?
OLIVIER DUSSOPT
Non, les dates ne sont pas prévues à la date prés, nous travaillons sur une équipe de préfiguration, nous regardons ce qui se passe de bien territoire par territoire pour pouvoir nous en inspirer.
THIERRY DAGIRAL
Avec une entrée en vigueur prévue, en tout cas c'est ce que veut le président, à l'été prochain.
OLIVIER DUSSOPT
Le plus rapidement possible.
THIERRY DAGIRAL
Un mot encore de la réforme des retraites. On a reçu ici à votre place Laurent BERGER de la CFDT et Philippe MARTINEZ de la CGT, ils disent "niet, niet, si on fait cela en ce moment c'est le chaos social", vous l'entendez ça ou pas ?
OLIVIER DUSSOPT
Il faut être prudent et regarder comment les choses se passent. Le président de la République a indiqué qu'à la rentrée il souhaite réunir le Conseil national de la refondation, et qu'à l'issue nous aurons des concertations sur cette question des retraites. Je crois que nous partageons tous des objectifs assez proches, le premier objectif c'est de rendre le système de retraite plus juste, et le rendre plus c'est mieux tenir compte de la pénibilité, c'est faire en sorte que les polypensionnés ne soient pas sanctionnés, c'est faire en sorte que les femmes ne soient pas pénalisées, parce que c'est encore le cas dans le système actuel, et c'est faire en sorte que la retraite minimum pour une carrière complète soit revalorisée. Le président de la République avait évoqué, pendant sa campagne, 1100 euros, ce qui correspond à 85 % du SMIC. Et puis après il y a un deuxième constat qui est que le système actuel n'est pas équilibré financièrement, que si nous l'améliorons cela peut coûter aussi un peu d'argent, et qu'il faut trouver les moyens de financer cela, sachant que personne ne veut payer ni plus d'impôts, ni plus de taxes, et que nous ne pouvons pas continuer à creuser la dette, donc il faudra travailler plus, chacun individuellement, mais aussi collectivement, et l'objectif de plein emploi c'est aussi faire en sorte qu'il y ait plus de cotisations qui rentrent.
THIERRY DAGIRAL
Mais comment on demande aux gens de travailler plus, plus longtemps, quand à 55 ans dans une entreprise on est considéré comme vieux, comme cher, comme moins productif ?
OLIVIER DUSSOPT
Vous mettez le doigt sur le nœud du problème, et ça signifie que cette réforme, et tout ce travail que nous devons faire autour des retraites, ce n'est pas uniquement l'assuré, ce n'est pas uniquement le travailleur qui cotise et à qui nous allons demander de travailler peut-être plus longtemps, c'est aussi l'entreprise qui doit faire en sorte que l'emploi des seniors soit une réalité, doit faire en sorte que la gestion des fins de carrière soit améliorée, ça fait partie de tous les items du débat et cela renvoie à la responsabilité de chacun, et vraiment de tous les partenaires.
THIERRY DAGIRAL
Tout cela dans un contexte bien sûr de pouvoir d'achat compliqué. Vous serez au Sénat aujourd'hui pour défendre le texte pouvoir d'achat, pour vous il y a eu clairement, à l'Assemblée, des choses positives pour le quotidien des Français, sur ce texte-là ?
OLIVIER DUSSOPT
Le texte présenté par le Gouvernement est un texte qui protège les Français. Nous prolongeons le bouclier tarifaire, nous sommes le seul pays à faire cela, à faire en sorte que le prix du gaz, le prix de l'électricité, soit plafonné, ça coûte plusieurs dizaines de milliards d'euros, nous sommes les seuls à le faire et ça explique que si nous avons une inflation qui est élevée, la plus élevée depuis 1985, elle est a à peu près la moitié de ce que connaissent nos voisins européens. Nous avons, dans ce texte, proposé de tripler les plafonds de la prime de pouvoir d'achat, nous facilitons les accords d'intéressement, nous augmentons, dès le 1er juillet, avec un effet rétroactif, les pensions de retraite, les prestations familiales, nous augmentons la prime d'activité. Et puis nous avons mis à profit ce texte à l'Assemblée, le débat à l'Assemblée pour améliorer le texte, je pense notamment à ce qui a été fait autour de la déconjugalisation du RSA, donc c'est un texte qui protège, c'est un texte qui représente 20 milliards d'euros, apportés par l'État, par la puissance publique, pour soutenir le pouvoir d'achat des Français.
THIERRY DAGIRAL
Juste un mot pour terminer. Sur le banc des ministres à l'Assemblée vous avez observé ces débats souvent houleux, vous vous dites ça va durer cinq ans comme ça, ça va être épuisant ?
OLIVIER DUSSOPT
Je ne sais pas, cela dépend des parlementaires. J'ai l'immense chance de siéger à l'Assemblée nationale depuis 2007, j'ai rarement vu un tel, j'allais dire un tel spectacle, mais le mot n'est pas bien choisi, j'ai rarement vu autant d'outrance, et je considère que les meilleurs débats sont ceux qui sont respectueux, et je ne désespère pas qu'à la rentrée les choses soient plus apaisées.
THIERRY DAGIRAL
Le ministre du Travail Olivier DUSSOPT ce matin sur Europe 1, merci à vous.
OLIVIER DUSSOPT
Merci beaucoup.
THIERRY DAGIRAL
Bonne journée.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 29 juillet 2022