Texte intégral
Madame et Messieurs les ministres,
Cher Gilbert,
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs, en vos grades et qualités,
D'abord, merci pour votre temps et votre engagement parce que je sais que les travaux ont été fructueux, mais enfin, ils sont possibles que parce que des femmes et des hommes qui ont déjà beaucoup de travail ont accepté de dédier une partie de leur temps pour que la cause commune puisse avancer. Merci de cela. Je le dis avec beaucoup de considération et de respect parce qu'on a besoin de ce temps mis en commun pour pouvoir avancer sur ces projets où très souvent, ce sont des coûts de coordination, et comme c'est très compliqué en termes de coordination, personne ne fait l'effort et donc, les constats sont connus et on n'avance pas.
Ensuite, je voudrais juste et je vais être très rapide, repartir de la situation, parce qu'il en est de la guerre en Ukraine comme de la crise COVID, c'est-à-dire qu'elles révèlent des choses qui préexistaient. L'Ukraine ne produisait pas la moitié des céréales mondiales. Et à proprement parler, si le marché fonctionnait bien, ce n'est pas la guerre qui expliquerait la situation où nous sommes. Selon les céréales, c'est entre 5 et 10 % de la production en Ukraine. Donc il y a eu derrière beaucoup de comportements de spéculation, mais c'est surtout qu'on a un dérèglement de l'économie mondiale et des chaînes de valeurs, dérèglement qu'on a connu au moment de la crise COVID et qu'on reconnaît maintenant. Mais qui pointe quoi ? Vous l'avez très bien dit, Président : le fait qu'il y avait une aberration qui préexistait et dont on ne s'étonnait plus, qui est qu'un continent comme le continent africain, qui a un défi alimentaire lié à sa démographie et qui a un défi d'opportunité économique pour sortir d'une économie qui est encore trop informelle. L'agriculture est à la convergence de ces deux défis et malgré tout, il ne s'était pas suffisamment investi sur ce segment et on ne l'avait pas suffisamment aidé. Et donc, ce constat au fond, d'une dépendance agricole et alimentaire, qu'on fait à l'occasion de cette guerre, révèle simplement une situation un peu étonnante qui préexistait.
Alors pourquoi en sommes-nous là à cause de la guerre ? Et je le redis parce que l'objectif de FARM - je vais y revenir dans un instant -, c'est quand même aussi de tordre le cou à beaucoup de contrevérités qui connaissent un certain succès dans les opinions publiques africaines. Je le redis toujours avec beaucoup de force, parce que c'est un art de répétition. Ce ne sont pas les sanctions qui ont créé la situation, mais bien la guerre décidée par la Russie. C'est quand même la responsabilité de la Russie, la situation dans laquelle nous sommes. Première chose, ils ont bloqué des récoltes sur le sol ukrainien. Je me félicite de l'accord qui a été trouvé il y a quelques jours. Je suis prudent quant à sa capacité à délivrer, j'attends de voir exactement ce qui sortira. On essaie de sortir beaucoup de choses par la Roumanie, des céréales qui sont aujourd'hui bloquées sur le sol ukrainien, par la Roumanie ou par d'autres voies. Mais bon, premier effet direct de la guerre : on bloque des céréales qui étaient produites et stockées. Du coup, on rend plus compliquées les productions à venir et leur stockage.
Deuxième chose, ce sont les engrais. Vous l'avez, là aussi, évoqué l'un et l'autre, ça, c'est une réalité. Des engrais étaient produits dans la région, là aussi par la Russie, la Biélorussie ou des composants nécessaires à ces engrais azotés. Là, on a un dérèglement de la chaîne de valeur qui est lié à la guerre, au dérèglement de la circulation de ces biens. C'est le seul endroit où il y a des sanctions ; par exemple, la potasse biélorusse, qui pouvait être utilisée pour certains engrais azotés.
Troisième point, vous l'avez directement appréhendé, c'est le sujet des établissements financiers ou des mécanismes d'échange. Je le dis : il n'y a aucune sanction qui touche à l'alimentaire. Par contre, il y a beaucoup d'établissements par lesquels passaient les échanges et ce qui allait sur le continent africain, dont les opérateurs ou les intermédiaires étaient sur des systèmes de paiement dits Swift qui ont été sanctionnés ou débranchés, si je puis dire, par la crise. Et donc, c'est là où il faut réajuster les choses. L'Europe est d'ailleurs en train de prendre des lignes directrices nouvelles qui vont permettre d'accompagner ce cheminement. Donc voilà pour circonscrire l'effet direct et indirect de la guerre sur ce que nous sommes en train de vivre.
Mais au fond, sur ce que je veux bien faire comprendre collectivement, c'est que sur l'agroalimentaire, cette guerre, elle révèle d'abord une dépendance qui préexistait et qui n'était pas justifiable et elle met en lumière un dérèglement de nos chaînes de valeurs sur la production de céréales, sur les engrais et sur les chaînes de production de l'agroalimentaire. Le défi pour en sortir, c'est l'objectif de ce qu'on a lancé avec FARM, c'est de l'urgence structurelle. L'urgence, c'est d'abord de se dire : on ne doit pas avoir un système international qui se bloque. C'est ce qu'on a fait avec l'OMC, avec le Programme alimentaire mondial, avec des vrais résultats. On a dit : "on essaie d'aller chercher tous ceux qui sont en train de faire du surstockage et qui aggraveraient les conséquences de la guerre." On a eu des premiers résultats. D'ailleurs, aujourd'hui le Programme alimentaire mondial sort une communication avec toutes les actions que nous lançons sur le sujet, je vous invite à à prendre connaissance de ce texte, mais le Programme alimentaire mondial joue un rôle important sur ce volet. Et puis, c'est toutes les opérations humanitaires d'urgence que nous lançons avec les Nations unies et d'autres puissances pour essayer de refaire circuler les céréales. On a des résultats, sont-ils parfaits ? Non, mais cela aurait pu être bien pire.
Il y a un deuxième volet et je remercie l'ensemble des professionnels français et européens qui sont là, qui est de produire plus dans notre pays pour pouvoir ensuite prioriser dans nos exportations les pays qui en ont le plus besoin. Ça, c'est un changement de logiciel pour beaucoup d'entre nous. La stratégie européenne, par exemple, reposait sur une baisse de la production sur certains secteurs. Là, on revoit ces critères-là, en alignant nos objectifs environnementaux et en les rendant complètement compatibles, en disant on doit produire davantage pour en faire des éléments de solidarité, là aussi, en lien avec tous les opérateurs internationaux.
Puis, le troisième volet dont le FIDA a la responsabilité à nos côtés et joue ce rôle moteur, c'est cette logique à laquelle je crois profondément et c'est la réponse structurelle. C'est comment produire davantage dans les pays qui en ont plus besoin et comment au fond, aux bénéfices de cette crise, régler le problème qui préexistait, qui est que beaucoup de pays pauvres, en voie de développement, émergents, à revenus intermédiaires, avaient des dépendances qui ne se justifiaient pas. C'est là-dessus qu'on va mettre le coup d'accélérateur parce que c'est la bonne réponse et c'est le plus important. C'est très cohérent avec ce que nous avions lancé - plusieurs d'entre vous étaient là - au One Planet Summit au début de l'année 2021, rappelez-vous, inspiré déjà par ce que la crise nous avait enseigné autour du projet de Grande muraille verte qui relève exactement de la même logique mais là, nous allons faire pays par pays.
Alors, le ministre délégué m'a rendu compte de vos travaux, de ce qui ressortait de vos échanges. J'ai noté qu'il y avait, en particulier, un besoin de massification dans la production du maïs, un besoin sur le riz pluvial, un besoin sur la production du blé et sa vulgarisation avec, là, des dépendances qui sont avérées et un besoin sur de la production d'engrais. Donc sur cette base-là, je pense qu'on a des opérateurs qui sont ici présents. Il faut maintenant les mobiliser. Je pense qu'il faut regarder d'ailleurs s'il y a d'autres opérateurs africains qu'on peut mobiliser à nos côtés. Je pensais par exemple, sur l'engrais, à nos amis Marocains qui sont des acteurs importants et des partenaires d'ailleurs de cette initiative, l'OCP. L'objectif qu'on doit se donner là maintenant dans la foulée de cette réunion sur ces quatre grandes verticales, c'est de mettre les acteurs, les besoins avec un calendrier - je ne connais que ça comme méthode - et de se dire où on en est dans trois mois, dans six mois, dans un an. Si on a fait des constats, on s'est réuni et que dans six mois, on a les mêmes résultats, on aura été contents de se retrouver, mais voilà ! Il faut qu'on ait un tableau de bord. Donc, je souhaite que sur ces quatre grandes verticales, on puisse vraiment définir les acteurs et le calendrier, se donner un tableau de bord et de pouvoir le mesurer d'ores et déjà à l'automne et à la fin de l'année pour voir ce qu'on a réussi à produire de plus. Alors, il y a des saisonnalités qui font qu'on ne mesurera pas tout de suite, mais enfin en investissement et en montée en gamme des acteurs, comment on aura réussi à avancer.
À côté de cela, deux éléments transversaux ont été identifiés : un besoin en termes de formation et un besoin en terme d'investissement. Vous y êtes revenu tous les trois, tous les quatre puisque Gilbert l'a aussi dit. Sur le plan de la formation, là, nous avons une tradition et un historique mais je souhaite qu'on puisse faire davantage. On va mobiliser notre appareil de formation et réinvestir avec une part fléchée sur le primo-financement des entrepreneurs et des TPE/PME. On va mobiliser 20 millions d'euros sur ce volet. S'il y a besoin de faire davantage, on fera davantage et je souhaite que d'ailleurs, on puisse regarder avec tous les partenaires tout ce qui peut se faire, parce que c'est le meilleur moyen justement d'avoir des résultats concrets. Et puis, sur les projets d'investissement, c'est une problématique qu'on connaît très bien — on ne peut pas en rester là — c'est celle qui consiste à dire "ce sont de super idées. Nous, on a beaucoup d'argent — et d'ailleurs, on vous dit toujours tous les milliards qu'on a — mais vos projets sont trop petits". Ça rend les gens fous ce truc à force. Donc, c'est à nous de développer l'ingénierie financière. Ça se fait très bien, ça suppose d'avoir un fonds d'investissement. Donc on va demander à la fois à l'AFD, avec en particulier sa gente Proparco, mais aussi expertise qui va apporter son savoir-faire et à la BPI, de travailler pour qu'on ait un fonds qui mutualise en quelque sorte le risque, parce qu'on ne peut pas faire un financement projet par projet. Donc, il faut qu'on ait une structure qui permette de mutualiser le risque, d'avoir des équipes qui suivent ces projets qui sont plus petites et qui permettent d'investir sur des petits tickets pour faire décoller ces projets. C'est exactement la même structure de financement que celle qu'on a sur les séries de projets en grappe autour de la Grande muraille verte que j'évoquais. Parce qu'on met des sommes astronomiques quand on fait des déclarations devant la presse et après les projets, ce qui est tout à fait normal, ce sont des projets souvent locaux. Donc il faut qu'on ait un acteur qui, en quelque sorte, absorbe cette complexité.
Pour réussir, on va avoir besoin de l'écosystème local et donc en effet du patronat, du Gouvernement, pour nous aider à sourcer les projets sur ces quatre verticales que j'évoquais, mais aussi pour trouver les points de formation et d'investissement et à accompagner les gens. Donc là, on a vraiment besoin de travailler en partenariat avec l'écosystème camerounais de manière très intime, mais on va mettre en place cette petite équipe pour le sujet du financement des projets d'investissement. Là aussi, je pense qu'il faut qu'on fasse le point d'ici à trois mois pour regarder quelle est l'enveloppe finale et qu'elle corresponde aux besoins qui seront ainsi identifiés après qu'on les ait recensés. Je suis tout à fait d'ailleurs disposé à ce qu'on fasse ensuite un tour de table auprès de tous les partenaires de FARM pour pouvoir le décliner.
Cette méthode-là, me semble-t-il, Gilbert, identifier des verticaux qui consistent à regarder les besoins d'une économie et aussi ses capacités, parce qu'il y a des potentiels sur chacun de ces verticaux, puis les besoins transversaux, la formation et l'investissement sur des petits projets. Je crois que c'est celle qu'il faut ensuite qu'on aille généraliser sur les principales économies qu'on va avoir pour cible à travers le troisième pilier de FARM. Si on arrive à faire ça, d'ailleurs, on pourra aussi mettre en relation certains de ces écosystèmes, développer des logiques régionales. Il faut qu'on se donne vraiment un objectif de monter très vite en capacité.
Je conclurai sur ce point : qu'est-ce qu'on va réussir à faire se faisant ? D'abord essayer au maximum de répondre à l'urgence de la crise. La guerre, malheureusement, va durer. Les déstabilisations alimentaires seront encore plus longues que la guerre. Mais on ne sait rien, parce que la déstabilisation des chaînes de valeurs, les éléments de rareté et de prix vont être des répliques sismiques qui vont aller au-delà du conflit. Derrière ça, donc on doit continuer de répondre à cette urgence et d'ici six, douze, dix-huit mois, on n'aura pas fait disparaître les effets de la guerre. Donc, ce qu'on fait là, même si ça met six à douze mois, c'est utile et c'est une réponse d'urgence. Deuxième point, évidemment, ça répond, je le disais, à ce défi structurel : nourrir la population, apporter une nourriture de bonne qualité et permettre le développement d'opportunités économiques. Ce qui, et la région, l'a montré, est indispensable si on veut aussi contribuer à la stabilité de la région. Du lac Tchad aux déstabilisations qu'il y a au Nigeria, ce sont la plupart du temps les sujets de conflits territoriaux et de conflits de modèle économique qui sont une des racines du phénomène terroriste et des tensions ethniques. Réussir à développer de l'agriculture qui soit durable, avec des modèles qui sont stables, de la formation et de l'investissement, c'est aussi le meilleur moyen d'apporter, au-delà des opportunités économiques, de la stabilité au modèle politique et la paix.
Dernier point, cela contribue aussi, tel qu'on va le faire, à un modèle complètement cohérent avec développement économique et soutenabilité climatique. Parce que, beaucoup des projets qu'on va développer sont des projets agricoles, mais pour certains d'agroforesterie, d'agriculture qui soit durable, on va travailler aussi sur les intrants, et donc de permettre un développement exemplaire. Donc vous voyez, je crois très profondément que ce troisième pilier de FARM, au-delà de la crise, va nous permettre de redonner de la vitalité à nos coopérations en matière agricole et au développement d'un vrai modèle et de la formation et à la sortie, pour bonne partie, d'un modèle d'économie informelle qui existe mais qui est insuffisamment productif ou développé pour répondre aux défis qui sont les nôtres.
Voilà, je ne serai pas plus long mais je voulais revenir sur les causes de ce que nous vivons et essayer de les qualifier le plus précisément possible ; ce que nous avons à faire et ce qui a été identifié par votre session de travail, ces quatre verticaux et puis ces deux grands chantiers transversaux — formation, investissement — et puis essayer de se donner ces objectifs communs. Sur cette base-là, je propose là, que d'abord dans les heures qui viennent, on finalise une espèce de tableau de bord d'action et que tous les trois mois on puisse passer en revue ces projets entre les différents acteurs, par visioconférence, par des réunions croisées, mais pour être sûrs qu'on avance au bon rythme. Je ne serai pas plus long mais je voulais vous remercier en tout cas de votre temps, de votre mobilisation et de tout le travail qui a été fait d'ores et déjà pour en arriver là.
Merci beaucoup.
Service de presse de l'Élysée, le 18 août 2022