Entretien de Mme Catherine Colonna, ministre de l'Europe et des affaires étrangères, avec RTL le 5 septembre 2022, sur le conflit en Ukraine, les sanctions contre la Russie et les relations avec le Royaume-Uni.

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Média : RTL

Texte intégral

Q - Bonjour, Madame la Ministre.

R - Bonjour.

Q - Merci beaucoup d'être ici, en studio ce matin, à RTL. Avant d'évoquer, bien sûr, la guerre en Ukraine, un mot autour de toute cette polémique autour de l'imam Iquioussen, toujours introuvable. Il fait désormais l'objet d'un mandat d'arrêt européen. Le problème, c'est que si on le retrouve, il ne pourra pas être expulsé vers le Maroc, puisque le Maroc a suspendu le laissez-passer consulaire indispensable à son expulsion. Un laissez-passer qui avait été délivré début août par Rabat. Comment est-ce que vous expliquez cette volte-face ?

R - Cette personne prône le séparatisme. Ce n'est pas une valeur de la République. Et donc, il a fait l'objet d'un arrêté d'expulsion de la part du ministre de l'Intérieur, qui a été confirmé par la justice. Le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin est en lien avec les autorités marocaines. Comme il l'a dit lui-même, je crois, les choses vont rentrer dans l'ordre rapidement. Le Maroc, dont ce monsieur est un ressortissant, avait délivré un laissez-passer consulaire valable pour 60 jours. Il est suspendu, mais il est donc toujours valable. Et il faut en effet que les choses rentrent dans l'ordre.

Q - Ce matin, vous appelez le Maroc à le reprendre, s'il était retrouvé ?

R - C'est ce qu'a fait Gérald Darmanin.

Q - Venons-en à la guerre en Ukraine. Après six mois de guerre, Emmanuel Macron l'a redit jeudi devant la conférence des ambassadeurs, il continuera à parler avec la Russie. Pourquoi poursuivre dans cette voie ? On ne peut pas dire que ce soit un franc succès, si vous pouvez me permettre.

R - Les choses sont claires pour nous. La Russie a violé les principes les plus fondamentaux du droit international, ceux de la Charte des Nations unies, ceux qui assurent notre capacité, au sein de la société internationale à vivre ensemble, en paix, dans le respect, les uns les autres. C'est la position de la France. Elle a pris l'initiative aux Nations unies de faire condamner, et cela a été fait à une très grande majorité, l'agression russe, la guerre choisie par la Russie. Néanmoins, nous parlons à toutes les parties, et il n'est pas exact de dire que cela ne sert pas. D'abord, il faut parler, même quand on n'est pas d'accord, et nous ne sommes pas d'accord ; peut-être surtout quand on n'est pas d'accord, si l'on doit pousser la réflexion un peu plus loin. Et tout récemment, lorsque le Président de la République, il y a presque deux semaines, a parlé d'abord au président ukrainien Zelensky, puis au président russe, à propos de ce qui se passe en Ukraine, dans la centrale nucléaire de Zaporijjia, cela a permis d'obtenir l'accord du président Poutine, l'accord du président Zelensky, et de faciliter la mission que le directeur de l'AIEA vient de conduire sur place, une mission qui est essentielle à la sûreté de cette région, mais aussi du monde. Personne n'a intérêt à ce qu'il y ait un incident dans une centrale nucléaire en Europe.

Q - Cette centrale suscite toujours une très vive inquiétude. La Turquie a proposé de jouer les médiateurs. C'est une bonne idée ?

R - La Turquie, comme chacun de nos partenaires, est appelée à jouer un rôle, en complément des efforts des Nations unies. Dans ce cadre et dans cette cohérence, il est possible que la Turquie passe les bons messages. Nous sommes en contact avec elle, comme avec tout le monde. Je me rendrai moi-même cet après-midi à Ankara, puis à Istanbul. Nous parlerons de tout cela, nous parlerons d'autres choses encore, mais la Turquie, qui joue un rôle actif dans la région, ne serait-ce que par sa position géographique, joue parfois, elle peut le faire, nous l'appelons à continuer à le faire, un rôle positif. Prenons l'exemple du rôle qu'elle a joué, cet été, pour permettre qu'une solution soit trouvée pour l'exportation des céréales, au-delà de l'Ukraine. Donc il faut l'encourager dans cette voie et s'assurer qu'elle reste bien en cohérence avec les efforts des Nations unies.

Q - Continuer à parler avec Vladimir Poutine, c'est aussi ne pas laisser la Turquie seule parler avec la Russie, c'est ce que disait le président ?

R - D'une façon générale, ne pas laisser la Russie s'enfermer. Elle est déjà trop fermée sur elle-même et oublieuse de certaines réalités. Elle n'a pas suffisamment réalisé, je crois qu'elle s'est mise dans une impasse, en choisissant d'entrer en guerre et de violer la souveraineté d'un État voisin.

Q - Qu'est-ce que vous répondez à tous ceux qui nous écoutent et qui se disent aujourd'hui, qu'ils soient français ou européens d'ailleurs, que ce sont les Français, les Européens qui paient les conséquences de cette guerre, plus que les Russes ? Je pense notamment, bien sûr, au prix de l'énergie. C'est un débat qui revient. Ce week-end, il y a eu des manifestations, notamment à Prague, 70.000 personnes qui ont protesté contre le gouvernement tchèque, l'accusant d'accorder plus d'attention à l'Ukraine qu'à ses propres citoyens. Qu'est-ce que vous répondez aujourd'hui ?

R - C'est un débat qui revient, peut-être poussé ou instrumentalisé par la Russie ou par certains de ses soutiens. Il y en a qui se rendent compte de ce qu'ils font et il y en a qui s'en rendent moins compte. D'abord, les sanctions fonctionnent. Il serait faux de dire qu'elles n'ont pas d'effet sur l'économie russe. Le PIB russe est en baisse. Des pans nombreux de son industrie sont frappés. Elle a des difficultés à renouveler les semi-conducteurs, son industrie automobile a des problèmes. Les exportations baissent...

Q - Mais en même temps, François Lenglet nous expliquait la semaine dernière que malgré les sanctions, la Russie n'a jamais autant gagné d'argent avec ses exportations de pétrole et de gaz. Je reprends juste un chiffre que nous donnait François : plus de 86 milliards d'euros versés par l'Europe à Poutine depuis le 24 février, depuis le début de l'invasion, cela fait 3.700 euros qui partent d'Europe vers la Russie, chaque seconde. Cela peut choquer les Français qui nous écoutent

R - C'est un excellent point. C'est la raison pour laquelle les Européens ont décidé de réduire leur dépendance économique à l'égard de la Russie. Les sanctions marchent, d'ores et déjà, elles vont marcher de plus en plus, avoir de plus en plus d'effet, au fur et à mesure, précisément, que nous réduisons notre dépendance aux hydrocarbures russes. Nous l'avons fait pour le charbon, c'est terminé. Pour les hydrocarbures, c'est d'ici la fin de l'année, c'est en cours, et cela a considérablement baissé. Et ce sera bientôt fait pour le gaz, à l'initiative d'ailleurs, partiellement, de la Russie. Et cela a des effets croissants, puisque cela diminue la capacité de la Russie à financer son effort de guerre. Donc nous devons continuer et nous continuerons.

Q - Le président Zelensky demande d'autres sanctions. Il en a fait la demande, ce week-end. Il peut y avoir d'autres sanctions ?

R - Il peut y en avoir d'autres.

Q - Lesquelles ?

R - L'Europe a déjà pris six trains de sanctions, plus un septième, même si on ne l'appelle pas officiellement un septième. Il y a d'autres possibilités de sanctions, notamment individuelles. Un autre pan de notre action, c'est la lutte contre le contournement des sanctions. L'Europe a pris des sanctions, les États-Unis aussi. Un certain nombre de pays alliés et partenaires également, mais d'autres n'ont pas adopté une politique de sanctions ; par exemple la Turquie, où je me rendrai cette après-midi. Il est important de s'assurer que des pays qui n'ont pas pour eux-mêmes adopté des sanctions ne servent pas de plateformes de contournement des sanctions adoptées par l'essentiel de la communauté internationale.

Q - L'objectif, c'est toujours l'asphyxie de l'économie russe, dont avait parlé Bruno Le Maire ?

R - L'objectif est d'empêcher la Russie de financer son effort de guerre et de la conduire à mettre fin à son agression.

Q - Je voudrais encore aborder deux autres sujets avec vous. Le Royaume-Uni d'abord : on va connaître dans les heures qui viennent le nom du successeur de Boris Johnson. A priori, sauf énorme surprise, ce sera votre homologue, l'actuelle cheffe de la diplomatie britannique, Liz Truss, qui devrait devenir cette nouvelle Première ministre, amie ou ennemie de la France ?

R - Alors moi, je sais répondre...

Q - Je pose la question et je précise pour nos auditeurs, parce que pendant la campagne, on lui a posé la question "est-ce qu'Emmanuel Macron est un ami ou un ennemi ?" et elle n'a pas répondu.

R - Le président a répondu à sa place, et je répondrai volontiers aussi que le Royaume-Uni est une nation amie de la France. Il y a des propos de campagne, des propos d'estrade, de tréteaux ou de plateaux, et puis il y a l'exercice des responsabilités. Ce sont parfois deux choses différentes. Je ne sais pas si c'est Mme Truss qui sera désignée leader du parti conservateur. Elle-même se garde de faire des prévisions, vous l'avez entendue, hier. Si cela devait être elle, eh bien, espérons un nouveau départ dans les relations franco-britanniques ; elles le méritent, parce qu'elles ne sont pas aujourd'hui, du fait de l'attitude du Royaume-Uni sur les questions européennes, à la hauteur du rôle que nos deux pays devraient jouer.

Q - On dit d'elle que c'est la nouvelle Margaret Thatcher, c'est un truc de journalistes, ou c'est vrai ? Je le rappelle, vous avez été ambassadeur de France à Londres.

R - C'était il y a longtemps. Donc il ne faut pas comparer.

Q - Ne pas comparer. Dernière question, elle concerne ce fameux dossier secret de Donald Trump sur la vie privée d'Emmanuel Macron, la presse américaine indiquait la semaine dernière que les services de renseignement français s'agitaient, s'inquiétaient. C'est vrai ?

R - Nous n'avons pas accès à ces dossiers. J'ignore la raison pour laquelle le président Trump a gardé, en violation des lois américaines, des documents classés sous le sceau du secret, qui auraient mérité d'y rester.

Q - Merci beaucoup, Catherine Colonna, d'avoir été, ce matin, ici, dans le studio de RTL.

R - Merci à vous.


Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 14 septembre 2022