Interview de M. Gabriel Attal, ministre chargé des comptes publics, à BFM TV le 2 septembre 2022, concernant la taxe sur les superprofits, le budget, les questions énergétiques et le Conseil national de la refondation.

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Média : BFM TV

Texte intégral

APOLLINE DE MALHERBE
Bonjour Gabriel ATTAL.

GABRIEL ATTAL
Bonjour Apolline de MALHERBE.

APOLLINE DE MALHERBE
On vous a connu donc porte-parole du gouvernement mais désormais vous vous occupez des sous, vous êtes ministre du Budget, des Comptes publics donc. Donc on va parler inflation, consommation, croissance, énergie mais d'abord impôts parce que les impôts, c'est vous : taxe sur les superprofits. Élisabeth BORNE ne ferme pas la porte à cette idée mais le ministre de l'Économie, Bruno LE MAIRE, dit qu'il est contre. Et vous ?

GABRIEL ATTAL
Je crois qu'on a toujours dit la même chose en réalité et je vais vous expliquer pourquoi - j'étais d'ailleurs sur votre plateau avant l'été et on avait eu cette question-là et je vous avais répondu la même chose qu'a répondu Bruno LE MAIRE à de nombreuses reprises, qu'a répondu Élisabeth BORNE encore il y a quelques jours, c'est-à-dire que notre priorité, c'est que les entreprises qui font des profits, permettent d'en faire profiter les Français aujourd'hui, tout de suite, soit en augmentant la rémunération de leurs salariés, soit en baissant le montant des factures, plutôt qu'une taxe dont on ne sait pas trop quand elle serait collectée et ce qu'elle changerait dans la vie quotidienne des Français et que si on constate à la fin de l'année que ces efforts n'ont pas été faits massivement, à ce moment-là, on ne ferme pas la porte. C'est ce qu'a déjà dit Bruno LE MAIRE, c'est ce qu'a rappelé Élisabeth BORNE. Donc il n'y a pas de contradiction à chercher entre les deux. On dit tous la même chose, c'est-à-dire que notre priorité, c'est que les Français voient une ligne sur leur facture… par exemple sur leur facture d'essence, baisser tout de suite, plutôt qu'une ligne sur le compte du Trésor public à Bercy où je travaille augmenter à la fin de l'année.

APOLLINE DE MALHERBE
Donc ça veut dire que soit les entreprises font un effort, soit vous les taperez par une taxe ; c'est la carotte et le bâton.

GABRIEL ATTAL
Oui c'est une incitation forte mais je vais vous le dire, il y a un certain nombre d'entreprises qui font des efforts, qui augmentent les rémunérations, qui je l'espère, vont se saisir des outils qu'on a votés cet été pour améliorer la rémunération des salariés, par exemple le triplement du plafond de la prime Macron ; vous avez des entreprises qui s'engagent aussi pour faire baisser les prix. Je pense à Total par exemple qui a ajouté depuis hier une ristourne de 20 centimes au litre à la ristourne de 30 centimes du gouvernement, ça veut dire que dans leur station, c'est 50 centimes d'un coup de baisse au litre ; c'est quand même un investissement important pour Total, je crois que ça correspond à 500 millions d'euros. Donc c'est ça notre logique et moi je pense que les Français qui nous écoutent ou qui nous regardent, ils ont souvent entendu sur les plateaux de télévision des politiques dire "on va créer une taxe sur tel superprofit", je ne suis pas sûr qu'ils aient vu très concrètement ce que ça changeait dans leur vie quotidienne et ce qui était immédiatement lié juste après. Là, au moins quand ils vont faire le plein, ils voient que c'est concret, ils voient que le prix de l'essence baisse.

APOLLINE DE MALHERBE
On va revenir d'ailleurs sur cette question de ristourne à la pompe, mais d'abord là-dessus, sur Total : la réponse qu'effectivement une entreprise baisse dans ses stations, c'est aussi son intérêt, c'est-à-dire que les automobilistes vont y aller davantage et vous avez Michel-Édouard LECLERC par exemple qui dit : vous êtes à la fois celui qui vend dans vos stations mais aussi celui qui vend à nous tous, distributeurs, parce que vous êtes le premier raffineur de pétrole en France ; donc Michel-Édouard LECLERC dit : quand vous nous vendez votre pétrole, votre essence, je vous demande de me le vendre avec 20 centimes de moins, sinon évidemment il y a une distorsion de concurrence.

GABRIEL ATTAL
Il y a des discussions entre entreprises et je pense que l'ensemble doit pouvoir s'engager…

APOLLINE DE MALHERBE
Mais vous n'y êtes pas pour rien… quand vous dites à une entreprise comme Total d'aider d'une manière ou d'une autre, vous faites aussi une forme de publicité déguisée pour les pompes Total !

GABRIEL ATTAL
On demande à toutes les entreprises qui le peuvent, de s'engager et d'ailleurs y compris je crois, Michel-Édouard LECLERC qui avait annoncé à un moment, qu'il vendait son essence à prix coûtant, sur d'autres produits, qui avait annoncé sur les plateaux de télévision et on avait eu l'occasion de se réjouir des gestes qu'il faisait. On a engagé ce travail-là aussi avec les banques, les sociétés d'assurances puisqu'on veut que les frais bancaires, que les primes d'assurance auto, habitation diminuent ; on a engagé ce travail avec le transport maritime ; CMA CGM qui est un grand transporteur de fret maritime, a annoncé des baisses sur le prix de ses conteneurs, ce qui veut dire que très concrètement, ça permet de faire baisser ou de contenir les prix par exemple sur l'alimentation puisque c'est souvent transporté dans des containers.

APOLLINE DE MALHERBE
Vous avez choisi de faire confiance aux entreprises…

GABRIEL ATTAL
Oui, on a décidé de les inciter à faire un geste mais par ailleurs je travaille avec Bruno LE MAIRE à faire en sorte que notre pays soit attractif pour les investissements et pour le développement économique. Et depuis plusieurs années, on a fait des efforts et on a pris des décisions pour baisser les impôts et baisser la fiscalité sur les entreprises en partant du principe que ça allait permettre le développement économique, attirer des investissements. On a été critiqué à plusieurs reprises sur ce sujet-là ; qu'est-ce qu'on constate aujourd'hui ? Depuis qu'on a baissé la fiscalité sur les entreprises, on collecte davantage d'impôts sur les entreprises qu'avant ; je vous donne un exemple : impôt sur les sociétés, le taux quand Emmanuel MACRON a été élu, c'était 33%, on l'a baissé à 25%. On collecte plus d'argent avec l'impôt sur les sociétés depuis que le taux est à 25% que quand il était à 33%.

APOLLINE DE MALHERBE
Comment vous l'expliquez ?

GABRIEL ATTAL
Mais parce que quand vous taxez moins un gâteau plus gros, vous avez plus d'argent que quand vous taxez beaucoup un gâteau qui se rétrécit ; donc à la fin, c'est bénéfique aussi d'avoir cette politique très incitative au développement économique et d'ailleurs ça fait, je vous le dis en tant que ministre du Budget, plus de recettes dans les caisses de l'État. Je vous donne un exemple : juillet dernier ; impôt sur les sociétés : c'est 1,7 milliard d'euros de plus qu'on a collectés que ce qui était prévu. Donc c'est aussi bon pour les finances publiques d'avoir cette politique. Et moi je ne veux pas qu'on n'en dévie pour des raisons idéologiques parce que parfois, j'entends certains dire : il faut faire des taxes…

APOLLINE DE MALHERBE
Taxer les jets privés, faire des taxes sur les superprofits, pour vous c'est idéologique ?

GABRIEL ATTAL
J'entends parfois des responsables politiques dire : il faut faire une taxe sur les superprofits par principe, parce que le concept même de profit n'est pas acceptable. Je ne suis pas d'accord avec ça parce que c'est aussi, je pense, cette logique qui pendant des années, a pénalisé l'activité économique dans notre pays et peut-être nous a plongés dans la situation qu'on a connue depuis plusieurs décennies.

APOLLINE DE MALHERBE
Gabriel ATTAL, dois-je comprendre que les comptes publics vont bien ?

GABRIEL ATTAL
Alors je ne dis pas ça ; les comptes publics sont dans une situation… Bruno LE MAIRE avait employé le terme de "cote d'alerte" parce que la réalité, c'est qu'on a été amenés à faire des choix budgétaires pour soutenir les Français et les protéger notamment pendant la crise du Covid. Ils étaient importants, on ne le regrette pas ; vous savez, vous avez une étude du CEPREMAP récemment qui dit que si on n'avait pas fait le "quoi qu'il en coûte", on aurait eu 10 points de dette supplémentaire parce que ce qu'on a dépensé pour protéger les entreprises et les salariés, on aurait dû le dépenser au double ou au triple pour l'assurance chômage de tous ceux qui auraient perdu leur emploi. Et donc ce que je vous dis, c'est que par ailleurs, c'est la deuxième chose, on a aussi un peu changé de monde ces derniers mois avec notamment les taux d'intérêts qui sont remontés ; pendant un certain temps, on pouvait emprunter gratuitement, ça coûtait 0 d'emprunter ; aujourd'hui, les taux sont remontés assez nettement.

APOLLINE DE MALHERBE
Mais sur cette question en l'occurrence sur les comptes publics et sur les recettes ; vous disiez que paradoxalement, on a gagné plus d'argent avec les impôts en les baissant sur les entreprises ; vous avez aussi gagné plus d'argent sur l'essence parce que mécaniquement, quand les prix de l'essence augmentent, vous avez plus de recettes. Est-ce que globalement, vous considérez que les recettes de l'État aujourd'hui sont bonnes ?

GABRIEL ATTAL
Il y a des recettes supplémentaires mais on dépense beaucoup plus pour protéger et accompagner les Français ; par exemple l'augmentation de ce qu'on perçoit en termes de TVA par exemple avec l'inflation ou l'augmentation des prix sur l'essence. C'est 3 à 4 milliards d'euros sur l'essence ; on a dépensé pour la ristourne au carburant cette année 7 milliards d'euros. Donc vous voyez bien que l'Etat, évidemment, ne s'enrichit pas dans la situation, au contraire. Ce qui est important, c'est d'inscrire notre pays dans une trajectoire pour réduire les déficits et progressivement commencer à rembourser notre dette. C'est ce qu'on a commencé à faire. Il y a 2 ans, en 2020, le déficit c'était 8,9% ; l'an dernier, 6,4% ; cette année, ça sera 5% malgré toutes les décisions qu'on a prises cet été pour protéger les Français et on va continuer jusqu'à atteindre les 3% en 2027.

APOLLINE DE MALHERBE
Gabriel ATTAL, pour le pouvoir d'achat, sur la question des transports, vous avez choisi cette ristourne de 30 centimes qui a commencé hier. Pourquoi vous n'avez pas choisi le train gratuit ?

GABRIEL ATTAL
On a fait un effort sur le ferroviaire et on investit beaucoup dans le ferroviaire mais en l'occurrence, vous avez beaucoup de Français qui ont besoin de leur voiture pour aller travailler, qui n'ont pas d'alternative en train, c'est pour ça qu'on investit pour ouvrir des petites lignes, rouvrir des trains de nuit.

APOLLINE DE MALHERBE
Si je vous pose la question, c'est qu'il y a nos voisins qui le font : en Espagne hier précisément, le 1er septembre, en France c'était une ristourne de 30 centimes le litre à la pompe, en Espagne, c'était gratuité de tous les trains du quotidien.

GABRIEL ATTAL
Il y a des mécanismes de ristournes qui ont été adoptés dans un certain nombre de pays après la France autour de nous, on n'est pas isolé de ce point de vue-là.

APOLLINE DE MALHERBE
En Allemagne cet été, pour 9 euros par mois, vous pouviez prendre tous les trains.

GABRIEL ATTAL
Oui et ils ont d'ailleurs arrêté cette mesure qu'ils avaient mise en place pendant l'été de manière temporaire. Nous, on est favorable au développement d'alternatives à la voiture évidemment…

APOLLINE DE MALHERBE
Mais est-ce qu'il n'y a pas un paradoxe alors qu'on nous dit réchauffement climatique, bouleversement climatique, on l'a bien ressenti cet été et en même temps, on donne 30 centimes à la pompe à ceux qui utilisent leur voiture thermique dont on leur dit en même temps qu'il va falloir qu'ils s'en débarrassent… Vous voyez ce que je veux dire…

GABRIEL ATTAL
C'est précisément quelque chose la raison pour laquelle on fait une réponse ponctuelle. Vous vous souvenez que dans les débats sur le prix du carburant, certains responsables politiques nous disaient de baisser la TVA massivement de manière durable. Là pour le coup vous auriez pu me dire : c'est une forme de subvention aux énergies fossiles à long terme puisqu'y compris quand le prix du pétrole aura rebaissé et quand les cours mondiaux auront rebaissé, les taxes seront toujours baissées et donc on aura perdu une recette pour la transition écologique. C'est pour ça que la ristourne, c'est un mécanisme qui est temporaire et qui a vocation à accompagner les Français pendant la crise qu'on connaît actuellement avec la hausse des prix du pétrole…

APOLLINE DE MALHERBE
L'Espagne a des trains gratuits je le disais, ils ont décidé de taxer les superprofits, ce dont on parlait à l'instant et de baisser la TVA sur le gaz.

GABRIEL ATTAL
On a aujourd'hui une croissance qui se tient en France par rapport à nos voisins européens ; l'an dernier, on avait une croissance locomotive en Europe, ça, c'est pour répondre sur la taxation etc. Je pense que notre stratégie économique qui consiste à dire que plutôt qu'inventer des nouvelles taxes, il faut baisser globalement la pression fiscale sur les entreprises et sur les ménages d'ailleurs, ce qu'on a commencé à faire aussi, il y a des étapes supplémentaires : suppression de la redevance télé, les Français auraient dû payer 138 euros dans quelques semaines, ils ne les payeront pas ; on va continuer cette trajectoire puis il y a d'autres stratégies.

APOLLINE DE MALHERBE
On va y revenir notamment sur la question de l'énergie : un conseil de sécurité s'ouvre tout à l'heure à 10 heures sur la question des prix de l'électricité. Je voudrais que vous écoutiez le témoignage de ce maire ; il s'appelle Jean-Pierre BOSINO, il est maire de Montataire, dans l'Oise. Et la facture de sa commune, c'est simple, elle a plus que doublé et il a décidé qu'il ne paierait pas.

GABRIEL ATTAL
Apolline de MALHERBE, il y a une situation de tension sur les prix de l'énergie qui concerne tout le monde, qui concerne tous les pays du monde et qui concerne tout le monde en France y compris l'État. Vous savez, on est aussi en train de négocier nos prix ; je suis en charge des achats de l'État aussi dans mes fonctions de ministre du Budget pour l'électricité et le gaz pour l'année prochaine, évidemment que ça augmente beaucoup. J'étais hier avec mes collègues chargés des collectivités territoriales, à rencontrer les associations d'élus toute la journée ; vous n'avez pas une association d'élus qui explique que les élus ou que les maires ou les présidents de collectivités ne vont pas payer leurs factures ; évidemment qu'ils payent leurs factures. C'est pour ça que je ne pas laisser penser aux Français que des maires, des responsables politique…

APOLLINE DE MALHERBE
En Angleterre, il y a un grand mouvement qui s'appelle "Don't pay UK" qui incite les gens à ne plus payer leurs factures.

GABRIEL ATTAL
Mais c'est quoi l'aboutissement de ça ? C'est quoi la fin ?

APOLLINE DE MALHERBE
Est-ce que vous ne redoutez pas qu'il y ait une forme de colère sociale ?

GABRIEL ATTAL
On est là pour protéger ; on protège comme aucun autre pays autour de nous ; vous citiez l'exemple de l'Angleterre, il y a d'autres exemples autour de nous où il y a une explosion des prix. En France, les prix de l'électricité pour les Français auraient dû augmenter de 40% cette année ; on a bloqué l'augmentation à 4% ; sur le gaz, ils auraient dû augmenter de 100% cette année, on a bloqué là aussi l'augmentation des prix du gaz. Je termine sur les collectivités locales : on a adopté cet été un dispositif spécifique pour que l'Etat vienne soutenir les collectivités qui sont les plus fragilisées par l'augmentation des prix de l'énergie notamment ; c'est 430 millions d'euros, une enveloppe qui permet de soutenir les collectivités. Il y a un certain nombre de critères pour regarder si elles sont vraiment fragilisées ; il se trouve parce que j'avais vu le témoignage du maire de Montataire, que j'ai été vérifier et que la commune de Montataire est éligible à ce dispositif ; il faudra voir combien elle peut percevoir…

APOLLINE DE MALHERBE
Donc vous pourriez compenser la hausse pour le maire de Montataire ; donc quand il dit : je passe de 600.000 à 2 millions, le delta pourrait être payé par l'État.

GABRIEL ATTAL
On a mis en place un dispositif pour que les collectivités fragilisées en 2022 par l'augmentation des prix de l'énergie puissent être accompagnées si elles sont vraiment fragilisées. L'État ne peut pas accompagner toutes les collectivités locales, j'aimerais pouvoir vous dire ça ; je me dois de vous dire la vérité, ça n'est pas le cas du fait de nos finances publiques. Et par ailleurs les collectivités locales, les mairies en l'occurrence, voient aussi un certain nombre de recettes progresser. Vous avez des collectivités locales dont les recettes sont indexées sur ce qu'on perçoit en matière de TVA par exemple. On le disait tout à l'heure, quand il y a de l'inflation, les recettes de TVA augmentent et donc ils voient aussi leurs recettes augmenter, vous avez des bases locatives qui sont indexées etc. Ce qu'on regarde, c'est la situation objective et ceux qui ont le plus besoin d'être accompagnés pour passer du "quoi qu'il en coûte" au "combien ça coûte", j'avais déjà eu l'occasion de le dire et c'est important de le rappeler.

APOLLINE DE MALHERBE
Il y a quand même une question depuis 8 jours : c'est la fin de l'abondance, c'est la fin de l'insouciance, c'est la pire crise jamais connue depuis la guerre ; c'est des Himalaya à monter - je ne fais que citer le président de la République, François BAYROU qui va être à la tête du CNR – ce n'est pas ça qui va redonner du moral aux Français et qui va relancer la consommation.

GABRIEL ATTAL
Je pense qu'on a toujours dit la vérité et le Président singulièrement y compris quand c'est difficile, on se souvient de la période du Covid, à d'autres périodes ; l'important, c'est à la fois de faire le constat, c'est ce qui a été fait, c'est aussi de dire comment est-ce qu'on va y répondre, comment on va répondre aux défis.

APOLLINE DE MALHERBE
Vous dites : on a toujours dit la vérité. Quand on voit qu'il y a ce Conseil de sécurité sur les questions d'énergie et d'électricité tout à l'heure, conseil de défense comme si c'était presque dû à la guerre, sauf que quand on commence à regarder et quand on écoute notamment le patron d'EDF, on se rend compte que si les 32 réacteurs qui sont à l'arrêt en ce moment, du nucléaire, étaient en route, on n'aurait pas besoin de baisser de 10% notre consommation d'électricité, on aurait parfaitement les moyens de passer l'hiver.

GABRIEL ATTAL
Qu'il y ait eu un sous-investissement depuis des années dans le nucléaire en France, c'est une réalité ; j'ai écouté votre intervenant précédent, il disait d'ailleurs que ça datait d'il y a 20 ans, donc moi je veux bien qu'on reproche beaucoup de choses à ce gouvernement mais oui, tout comme l'a dit votre spécialiste précédent, ça fait plus de 20 ans qu'il y a eu un désinvestissement dans le nucléaire auquel on répond - je rappelle l'annonce du président de la République à Belfort d'un plan massif de réinvestissement dans le nucléaire et je peux vous dire qu'en tant que ministre du Budget, je vois dans les trajectoires ce à quoi ça va correspondre.

APOLLINE DE MALHERBE
Vous avez entendu le patron d'EDF, qui est très en colère ; Jean-Bernard LEVY, on l'a rarement entendu aussi en colère et qui dit : à un moment il faut aussi que vous acceptiez vos responsabilités et que vous ne mettiez pas ça sur le dos de l'Ukraine ; ce sont des choix qui ont été faits, des choix qui ont été faits et qu'on paye aujourd'hui avec ces centrales à l'arrêt.

GABRIEL ATTAL
Je viens de vous dire à l'instant qu'effectivement, il y a des choix ou plutôt des non-choix qui ont été faits parfois il y a plusieurs décennies qui expliquent la situation aujourd'hui… Mais ne laissons pas penser aux gens qu'il y a un an, deux ans, trois ans, même cinq ans on aurait pu décider tout d'un coup de construire des centrales nucléaires et que ça changerait la donne aujourd'hui. Ce n'est pas vrai. On sait qu'il faut du temps. On a engagé le réinvestissement massif. Vous avez des débats publics qui ont démarré…

APOLLINE DE MALHERBE
Mais vous avez fait le calcul j'imagine : est-ce que vous nous confirmez aujourd'hui que si ces 32 réacteurs étaient en marche au moment où on se parle, on aurait parfaitement de quoi gérer notre électricité et passer l'hiver ?

GABRIEL ATTAL
Ma collègue Agnès PANNIER-RUNACHER chargée de la planification énergétique vous répondrait mieux que moi mais il est évident que le fait qu'on ait plus une trentaine de réacteurs à l'arrêt pour maintenance, évidemment, a un impact sur le fait qu'on est tendu aujourd'hui sur l'électricité. Je peux quand même préciser que ça ne date pas d'aujourd'hui là non plus et que les hivers précédents, il y a pu y avoir des tensions - on ne s'est pas retrouvé dans ce niveau-là - et qu'objectivement, c'est aujourd'hui le conflit en Ukraine, les tensions sur le marché du gaz qui expliquent aussi la situation de tensions qu'on connaît partout dans le monde…

APOLLINE DE MALHERBE
Tout est dans le "aussi"…

GABRIEL ATTAL
Mais Apolline de MALHERBE, je ne me cache pas derrière mon petit doigt ; j'assume nos responsabilités. Mais nos responsabilités. Et notre responsabilité, c'est de réinvestir massivement dans les énergies décarbonées ; on veut être le premier pays développé à sortir des énergies fossiles ; ça veut dire qu'il faut investir massivement dans le nucléaire, investir massivement dans les énergies renouvelables. Je suis ministre du Budget, je vois qu'on le fait : 500 millions d'euros dans le plan de relance depuis deux ans, pour développer le nouveau nucléaire ; un investissement massif sur plusieurs années - je crois qu'il se chiffre autour de 60 milliards d'euros - pour ouvrir six nouveaux EPR et réinvestir massivement dans le nucléaire. Mais ne faisons pas croire aux Français qu'on pourrait par magie faire sortir une centrale nucléaire…

APOLLINE DE MALHERBE
Mais ne leur faisons pas non plus croire que tout est de la faute de l'Ukraine.

GABRIEL ATTAL
Je vous ai dit à l'instant qu'on a un parc nucléaire qui est vieillissant, qui aurait nécessité il y a plusieurs décennies de lancer soit des constructions, soit un certain nombre de maintenances, qu'on assume aujourd'hui cette responsabilité et on l'assume parce que c'est l'intérêt du pays. Il y a aussi un conflit ukrainien, une guerre avec une menace dont on voit très concrètement aujourd'hui la traduction de couper le gaz à l'Europe, qui a un impact et qui est le principal impact aujourd'hui des travaux qu'on mène pour garantir que les Français ne passent pas Noël à la bougie et pour qu'ils puissent toujours allumer la lumière chez eux et qu'ils puissent toujours se déplacer.

APOLLINE DE MALHERBE
Gabriel ATTAL, on parlait tout à l'heure du maire de Montataire qui gère son budget; vous, vous gérez le budget de l'État ; le budget de l'État, il va falloir à nouveau le faire adopter, c'est un problème politique ; est-ce que vous redoutez de devoir passer par le 49.3 pour pouvoir faire passer le budget de l'État ?

GABRIEL ATTAL
Je souhaite qu'on puisse avancer avec l'ensemble des groupes politiques qui le souhaitent et surtout dans le contexte qu'on évoque où les Français ont besoin de protection. Mais faut être deux pour le souhaiter et c'est vrai que j'ai été assez surpris de voir certaines déclarations dans la presse, encore ce week-end, de responsables des LR par exemple qui ont indiqué, avant même qu'on ait présenté le projet de budget, qu'ils voteraient contre pour des raisons - je cite - symboliques ou politiques. Je ne suis pas sûr que ce soit totalement au niveau du moment qu'on vit et au niveau de ce qu'attendent les Français. Force est de constater qu'on a une majorité relative à l'Assemblée nationale ; on a pu faire passer des textes financiers cet été – j'étais au banc avec Bruno LE MAIRE - parce qu'il y a une forme de compromis avec des responsables politiques, notamment des LR, qui ont permis l'adoption de ces textes.

APOLLINE DE MALHERBE
Est-ce qu'au moment où on se parle, vous nous dites : on peut passer sans le 49.3 ?

GABRIEL ATTAL
Jusqu'au bout, je ferai tout pour qu'on passe sans le 49.3, jusqu'au bout je chercherai à travailler avec y compris les oppositions, à leurs propositions, à regarder ce qu'il est possible de faire.

APOLLINE DE MALHERBE
Vous irez bientôt à la Fête de l'Huma débattre avec Fabien ROUSSEL ; c'est aussi un moyen de créer des liens, de se dire qu'on est capable de discuter, de dialoguer et peut-être même un jour de voter ensemble…

GABRIEL ATTAL
Je me suis engagé en politique parce que je pense qu'il faut débattre dans notre pays, qu'il faut des échanges avec tout le monde ; mardi je débattais avec Laurent WAUQUIEZ au Medef et le week-end prochain, je débattrai à la Fête de l'Huma avec Fabien ROUSSEL. C'est assez large comme panel, mais parce que je pense qu'on a besoin de ça en démocratie. C'est pour ça que je suis assez surpris aussi quand je vois des responsables politiques, des groupes politiques, le président du Sénat qui annoncent qu'ils boycotteront l'instance du Conseil national de la refondation qu'a lancé le président de la République avec l'ensemble des forces politiques et sociales précisément pour regarder les transformations à faire dans notre pays.

APOLLINE DE MALHERBE
Il n'y a pas que le président du Sénat qui va boycotter, il y a Édouard PHILIPPE…

GABRIEL ATTAL
Non, non Apolline de MALHERBE… Le mouvement d'Édouard PHILIPPE est représenté… Qu'il y ait des enjeux d'agenda, je n'en sais rien…

APOLLINE DE MALHERBE
Pour vous c'est uniquement un enjeu d'agenda… Il aurait été bon qu'il soit là pour montrer l'unité de la famille.

GABRIEL ATTAL
L'important, c'est que les différentes forces politiques, que les différentes forces sociales soient présentes pour avoir ce travail…

APOLLINE DE MALHERBE
Mais est-ce que ce Conseil national de la refondation a encore un sens si au final, vous êtes juste entre vous ?

GABRIEL ATTAL
Ça a du sens d'échanger avec tous ceux qui souhaitent échanger ; il y aura des participants, des représentants, des élus locaux, des forces syndicales, politiques et puis c'est le début d'un travail qui est lancé. Mais encore une fois, l'important c'est qu'on a face à nous des défis majeurs : la transition énergétique - on en parlait à l'instant - la transition démographique ; le vieillissement de la population, des enjeux majeurs en termes d'institutions, en termes de sécurité et d'éducation. Notre conviction et je pense que c'est aussi la leçon qu'on tire et le message qu'on tire des dernières élections, c'est qu'on doit travailler très largement par-delà les clivages politiques, c'est aussi, je pense, ce que nous ont demandé les Français au moment des élections législatives.

APOLLINE DE MALHERBE
Et on entend que vous souhaitez continuer à parler le plus longtemps possible avec les oppositions et vous espérez vous passer du 49.3 pour le budget. Gabriel ATTAL, merci d'être venu répondre à mes questions ce matin. Vous êtes le ministre du Budget et des Comptes publics.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 16 septembre 2022