Interview de M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, à RTL le 16 septembre 2022, sur la réforme des retraites, la lutte contre le réchauffement climatique et la sobriété énergétique.

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Média : RTL

Texte intégral

YVES CALVI
Amandine BÉGOT, vous recevez donc ce matin Christophe BÉCHU, ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires.

AMANDINE BÉGOT
Christophe BÉCHU, on va bien sûr parler dans un instant, urgence climatique. Un mot d'abord de la réforme, si vous le voulez bien, des retraites. Emmanuel MACRON l'a redit hier, il veut aller vite, quoi qu'il en coûte, j'ai envie de dire, tout le monde ou presque est contre, et au sein de la majorité, même, on sent quelques réticences, plusieurs personnalités qui se disent "ce n'est peut-être pas le bon moment, maintenant". Vous dites quoi ? Il a raison de s'entêter le président ?

CHRISTOPHE BÉCHU
Je dis que, d'abord, ce n'est pas une question de politique mais de démographie. Je dis que tous les pays qui nous entourent ont conduit des réformes des retraites, et que nous devons la conduire. Je dis que l'engagement qui a été pris, c'est qu'elle rentre en vigueur à partir de l'été 2023. Le sujet qui reste c'est : à quel moment on la lance, avec ce débat, est-ce que c'est pendant l'automne, est-ce que c'est plus tard ? Quel type de concertation ça permet et quelles sont les mesures et l'ambition qu'il y a dans la réforme ? Et sur tous ces sujets, qu'on ait le débat maintenant, ça montre qu'on est entré dans cette réforme des retraites, au travers de ces discussions sur le calendrier. De là où je vous parle, je n'ai pas de préférence sur un des scénarios, la seule chose que je sais c'est qu'il faut qu'on la fasse et il faut d'abord qu'on la fasse pour les générations à venir.

AMANDINE BÉGOT
Mais, Laurent BERGER, le patron de la CFDT qui était à votre place il y a quelques jours, disait : c'est explosif, ça va déclencher une colère sociale. Dans le contexte où l'on est aujourd'hui, est-ce qu'il ne faut pas attendre quelques mois ?

CHRISTOPHE BÉCHU
Ça fait des années qu'on dit qu'il faut qu'on attende quelques mois ou quelques années, et pendant ce temps-là on est un pays qui vieillit, on a un déficit qui se creuse, et l'ampleur des efforts qui seront à demander, à des générations qui ne sont pas encore au travail, sera plus important si on continue à retarder ce moment. Bien sûr que ce n'est pas agréable, mais c'est une question de justice et de responsabilité.

AMANDINE BÉGOT
Alors, venons-en à l'urgence climatique. On sait à peu près à quoi s'attendre pour cet hiver, à la fois en termes de coûts de l'énergie mais aussi de restrictions. Pour la suite ça reste encore flou. On a le cap, l'objectif, réduire de 50% les émissions de gaz à effet d'ici 2030. Sur les moyens d'y parvenir ce n'est encore pas très clair. On va essayer d'être concret. Par exemple, les jets privés, on a entendu, j'allais dire, là tout et son contraire au sein du gouvernement. Il y a ceux qui veulent les interdire, ceux qui ne sont pas trop pour. Vous dites quoi ?

CHRISTOPHE BÉCHU
D'abord, il n'y a personne au sein du gouvernement qui veut les interdire, il y a un débat sur le fait de savoir comment on les régule et comment on les fait contribuer à une trajectoire de décarbonation. Il faut être très clair. Vous l'avez rappelé, il faut qu'on soit à - 55% de nos émissions en 2030 par rapport à 90. Nous sommes à - 23%. On a doublé la baisse des émissions de gaz à effet de serre au cours de ces dernières années, mais il faut encore qu'on double le rythme pour les 7 prochaines années. Et tous les secteurs vont devoir être concernés. Les transports c'est 30% de nos émissions, donc les transports devront particulièrement être décarbonnés, mais pour ça il faut qu'on utilise tous les modes. C'est l'accentuation du plan vélo dont on va fêter l'anniversaire dans quelques jours, c'est l'électrification du parc de véhicules, c'est un plan ferroviaire pour être capable de soutenir une décarbonation massive, parce que le TGV a des vertus que d'autres modes n'ont pas, et c'est évidemment sur l'avion, sur la longue distance, le fait de regarder autour du kérosène propre, autour des dispositifs d'innovation, et autour d'un certain nombre de mesures de régulation, mais qui doivent se prendre à une échelle européenne ?

AMANDINE BÉGOT
Donc, vous ne dites pas : moins d'avions, mais mieux d'avions.

CHRISTOPHE BÉCHU
Je dis que sur ces sujets, si on a un débat franco-français, qu'on prend les choses par le petit bout de la lorgnette, qu'on en profite pour faire de la chasse aux riches ou pour au contraire essayer de monter les Français les uns contre les autres on va à l'encontre de cette trajectoire climatique dont on parle. Pour y parvenir…

AMANDINE BÉGOT
Mais ce n'est pas important les symboles ?

CHRISTOPHE BÉCHU
Plus vous avez de pouvoir et de responsabilités, plus vous aurez à faire d'efforts à la fin. D'abord parce que c'est moral et ensuite parce que ce sera nécessaire et qu'on sait que l'empreinte carbone de quelqu'un qui a beaucoup de moyens, n'a rien à voir avec l'empreinte carbone de quelqu'un de très fragile. Il y a un écart de 1 à 5, dans ce pays, en termes d'empreinte carbone, en fonction de votre niveau de richesse. Mais si vous commencez par en faire un objet, pour opposer les Français les uns aux autres, comment vous voulez faire un cap ? Vous dites : la réforme des retraites c'est clivant. Faisons en sorte qu'il y ait quelques sujets sur lesquels on puisse ensemble se mobiliser. Ce sont des politiques de long terme.

AMANDINE BÉGOT
Ça vous agace, ces polémiques ? Nicolas VANIER, qui était notre invité cette semaine, disait : ces écologistes citadins qui enchaînent polémique sur polémique, ça ne sert à rien…

CHRISTOPHE BÉCHU
Ça fait du mal à l'écologie. Parce que vous prenez un truc sur le petit bout de la lorgnette, sur l'histoire du barbecue, du green de golf ou de je ne sais pas quoi, et ça devient ou un objet de polémique ou de dérision, alors qu'il y a parfois des sujets qui sont sérieux, ou un lieu dans lequel on se retrouve à nouveau à se confronter. Encore une fois, c'est l'habitabilité de la planète. On pèse 1% des émissions de gaz à effet de serre, il y a déjà des gens qui vous disent : attendons que les Chinois et les Américains fassent des efforts.

AMANDINE BÉGOT
Oui, c'est du bon sens aussi.

CHRISTOPHE BÉCHU
On a déjà un débat… Non, parce que si chacun se dit : tant que mon voisin n'a pas commencé, je ne m'y mets pas, je vais reprendre cette phrase qui a maintenant 20 ans "la maison brûle". C'est pas parce que l'appartement d'à côté brûle, avec des flammes plus importantes, que vous ne commencez pas à éteindre le vôtre, et surtout vous avez quelle crédibilité pour aller expliquer à tous les habitants de l'immeuble qu'il faut faire quelque chose, si vous ne commencez pas par essayer d'être exemplaire vous-mêmes ? Ça vaut pour la France par rapport aux autres pays et ça vaut pour la puissance publique par rapport aux habitants. On a, nous État, dans la rénovation des bâtiments par exemple, des chantiers considérables à mener, sur lesquels on va avancer dans le courant de l'automne, pour ensuite être crédible aussi quand on demande à nos concitoyens de rénover, de lutter contre les passoires thermiques etc.

AMANDINE BÉGOT
Justement, quand vous dites d'éteindre la lumière, de faire attention avec électricité, il y a plusieurs associations qui ont pointé du doigt le fait que la tour qui abrite le ministère, votre ministère, eh bien elle reste allumée toute la nuit, par exemple.

CHRISTOPHE BÉCHU
C'est un très bon exemple, et grâce à cette "mobilisation", ça a été aussi l'occasion de découvrir que l'on est dans une tour de plus de 50 m, il y a une obligation qu'il y ait des rondes de sécurité, vous avez des détecteurs de passage qui étaient réglés sur le fait qu'à chaque fois que quelqu'un passait, vous allumiez la lumière pour une heure, eh bien le changement de ces paramètres qui sera effective pour le mois d'octobre sur la totalité des 2 500 bureaux qui sont concernés, par le reparamétrage, il va nous conduire à modifier ça. Voilà des éléments de sobriété.

AMANDINE BÉGOT
Le petit bout de la lorgnette, ça sert parfois, donc.

CHRISTOPHE BÉCHU
Mais, ça sert à partir du moment où vous en faites un objet qui sert à avancer, pas à stigmatiser, à opposer les gens les uns aux autres, ou à faire en sorte de défendre un pré carré électoral, parce que vous considérez que l'écologie c'est que vous. Si on ne dépasse pas la question des clivages politiques sur cette question de l'écologie, si on n'en fait pas un objet sur lequel tous les Français se sentent mobilisés, nous n'arriverons pas à tenir les objectifs de la trajectoire.

AMANDINE BÉGOT
Christophe BÉCHU, je voudrais qu'on revienne sur cette aide pour ceux qui se chauffent au fuel, on en parlait dans les journaux, le gouvernement donc l'a annoncée hier, mais on n'y comprend pas grand-chose. On nous avait pourtant dit qu'il ne fallait plus se chauffer au fuel, changer ces chaudières au fuel, et là maintenant on va aider. C'est comme quand on nous dit : on vous donne un peu d'argent pour l'essence, certes le prix du plein est extrêmement cher, mais en même temps on nous dit "il ne faut plus utiliser leur voiture". Ce n'est pas très clair quand même.

CHRISTOPHE BÉCHU
Je comprends, et vous avez raison. La vérité c'est que les énergies fossiles sont les premières responsables du réchauffement climatique, donc plus vite on en sort, mieux on se porte. Mais on peut faire preuve parfois de subtilité et de nuances, et dans tout ça, la priorité cette année, telle qu'elle a été jugée notamment par le Parlement où les forces politiques, sont diverses, c'est de considérer que le soutien au pouvoir d'achat mérite de prendre un peu de retard sur certains éléments climatiques.

AMANDINE BÉGOT
Il est plus important que la planète.

CHRISTOPHE BÉCHU
En tout cas, moi je plaide pour qu'à partir du moment où on a un cap clair, on puisse faire quelques écarts si on se rend compte qu'on a des récifs sociaux pour éviter là aussi de dresser les Français les uns contre les autres, même si, le problème c'est qu'il ne faut pas que ces aides ponctuelles deviennent des signaux, qui deviennent totalement contre-productifs. L'aide au fuel, elle a été imposée par la coalition des oppositions, en considérant qu'il était souhaitable d'aider ceux qui se chauffent au fuel. On est en train de faire en sorte de la mettre en œuvre, en y intégrant les granulés bois de ceux qui se chauffent avec des pellets notamment, parce qu'il y a eu une explosion des prix, et que si pour le coup on aide que ceux qui utilisent des énergies fossiles en ne donnant un coup de main à ceux qui, avec les mêmes niveaux de revenus, ont d'ores et déjà choisi des modes qui sont plus respectueux de l'environnement, on envoie un mauvais signal dans le mauvais signal.

AMANDINE BÉGOT
Monsieur le Ministre, j'ai encore trois questions, il nous reste deux minutes, donc on va faire vite.

CHRISTOPHE BÉCHU
D'accord.

AMANDINE BÉGOT
La Première ministre a annoncé la création d'un fonds vert pour les collectivités, 1,5 milliard d'euros. Vous, vous disiez, il faut rénover tous ces bâtiments publics. Il y a 500 millions de mètres carrés publics, disiez-vous cette semaine. J'ai fait un petit calcul, si je ne me trompe pas, ça fait 3 € le mètre carré, ça ne fait quand même pas beaucoup non ?

CHRISTOPHE BÉCHU
Je vous assure, cette aide n'est pas d'abord faite pour la rénovation. On aura l'occasion de présenter dans les prochaines semaines un dispositif pour le financement de la rénovation. Ce milliard et demi c'est pour accompagner uniquement les collectivités, pas l'État. Pour faire quoi ? Débitumer une cour d'école pour faire des îlots de fraîcheur, soutenir la dépollution d'une friche, faire en sorte de lutter contre l'érosion du trait de côte, bref tout ce qui améliore…

AMANDINE BÉGOT
Mais il va y avoir une autre enveloppe pour la rénovation des bâtiments publics ?

CHRISTOPHE BÉCHU
Il va y avoir un dispositif qu'on aura l'occasion de présenter dans le courant de l'automne.

AMANDINE BÉGOT
Vous vous êtes très peu exprimé depuis votre nomination, certains disent que vous êtes trop discret, et en même temps la question écologique, l'urgence écologique n'a jamais été aussi présente dans notre quotidien. Vous leur répondez quoi à ceux qui disent "on ne vous entend pas", et même certains vont dire d'ailleurs que l'écologie ça n'est pas trop votre truc.

CHRISTOPHE BÉCHU
La plupart de ceux qui disent ça, c'est parce qu'ils considèrent que si vous n'êtes pas écologiste, vous n'êtes de toute façon pas légitime pour parler de ces sujets et de ces questions. Je suis maire d'une grande ville…

AMANDINE BÉGOT
Angers.

CHRISTOPHE BÉCHU
Et moi je suis, j'étais maire d'une grande ville jusqu'au mois de juillet, et chez moi on dit qu'il y a "les faiseux" et "les diseux". Et j'ai tendance à penser que l'expression publique, l'incarnation, la capacité à faire des annonces, elle ne vaut que si vous avez des choses à dire, et que quand vous êtes dans un ministère dont la responsabilité c'est le temps long et que tous les jours on vous demande de répondre à la polémique de la veille, le risque c'est de précisément manquer le cap pour vous perdre dans un certain nombre de polémiques qui abîment aussi le rapport des Français à la politique. Ça les amuse deux minutes, mais sur le long terme ça ne donne pas une bonne image de ce que nous avons à faire.

AMANDINE BÉGOT
Merci beaucoup, Christophe BÉCHU, en tout cas on vous a entendu ce matin sur RTL.

CHRISTOPHE BÉCHU
Grâce à vous. Réinvitez-moi.

YVES CALVI
On ne fait pas de l'écologie en dressant les Français les uns contre les autres, vient de nous dire le ministre.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 19 septembre 2022