Interview de M. Éric Dupond-Moretti, Garde des Sceaux, ministre de la Justice, à France 2 le 28 septembre 2022, sur les violences conjugales, le budget de la justice, la vie politique en Italie et la coupe du monde de football au Qatar.

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Média : France 2

Texte intégral

THOMAS SOTTO
Bonjour et bienvenue dans les 4 V, Éric DUPOND-MORETTI.

ÉRIC DUPOND-MORETTI
Bonjour, Monsieur Thomas SOTTO.

THOMAS SOTTO
Il est temps de siffler la fin de la récréation avez-vous dit hier en réaction notamment aux accusations de l'ex-compagne de Julien BAYOU, rendues publiques sur un plateau télé par Sandrine ROUSSEAU et qui ont conduit le secrétaire national des Verts à prendre un peu de champs avec ses responsabilités politiques, il est temps de siffler la fin de la récré, dans la bouche du ministre de la Justice, ça veut dire quoi ?

ÉRIC DUPOND-MORETTI
Ça veut dire trois chose, d'abord bien sûr qu'il faut prendre en considération la parole des victimes, des plaignantes et il faut améliorer les conditions de recueil de ces paroles, ce que nous sommes en train de faire. Les gendarmes, les policiers sont été mieux formés, les magistrats aussi, on ne peut rien négliger. Ouvrir des enquêtes et pour autant cette parole si elle doit être libérée, elle ne peut pas être confisquée à des fins politiciennes. Moi, je suis très attaché à de grands principes. Bien sûr la parole des plaignantes sur lesquelles il faut, je viens de le dire, travailler.

THOMAS SOTTO
Il y a une plainte là dans l'affaire BAYOU ou pas ?

ÉRIC DUPOND-MORETTI
Pas à ma connaissance. Mais ensuite le contradictoire, mais ensuite la présomption d'innocence et tout ça ce sont des principes que connaît notre justice et je dois dire que c'est le droit qui nous protège de l'arbitraire. Pas question pour moi de code de déontologie alors qu'il y a un code pénal et un code de procédure pénale. Et ce droit qui nous protège, il vous protège, il me protège, il protège votre cameraman, il protège tout le monde, c'est ça l'état de droit.

THOMAS SOTTO
Ça veut dire quoi que les cellules créées par certains partis politiques pour recueillir la parole, pour signaler les cas de harcèlement et des choses comme ça, ce n'est pas une bonne idée, c'est une fausse bonne idée ?

ÉRIC DUPOND-MORETTI
Il y a la justice non, elle est là pour ça.

THOMAS SOTTO
Il y a un problème de tempo avec la justice.

ÉRIC DUPOND-MORETTI
Non, non il n'y a pas de problème de tempo, vous savez aujourd'hui quand une plainte est déposée, ou une main courante d'ailleurs, elle fait l'objet d'une enquête et j'ai même d'ailleurs demandé aux procureurs qu'une enquête soit diligentée chaque fois que les faits apparaissent prescrits pour savoir s'ils ne seraient pas révélateurs, ces faits, d'autres faits qui auraient pu être commis. Non, non la justice, elle a sa temporalité.

THOMAS SOTTO
On ne peut pas attendre les décisions de justice pour prendre des décisions a dit la vice-présidente socialiste du Sénat, Laurence ROSSIGNOL qui est ancienne ministre du Droit des femmes.

ÉRIC DUPOND-MORETTI
Ça n'a aucun sens, écoutez une justice parallèle, une justice de droit privé, c'est pour moi extrêmement inquiétant. D'ailleurs j'ai vu que des avocats s'émeuvent de ça bien sûr, des professeurs de droit et ça n'est pas possible qu'on ait cette espèce de justice parallèle et de code de déontologie, mais qu'est-ce que ça veut dire ? Je le redis il y a un code pénal, voilà. Quand la justice est saisie, elle fait son travail et au regard des règles qui sont les nôtres, à partir d'un état de droit on en tire un certains nombres de conclusions. Mais ces espèces de cellules c'est extraordinaire, vous avez pour certains, je pense à Lyon en particulier, quelqu'un qui a été ostracisé, enfin Monsieur Thomas SOTTO, on parle d'honneur aussi et de liberté ans même que l'on sache ce qu'il y a, et lui-même dit, je ne sais pas de quoi je suis accusé. Je vais vous dire, quand un député apprend que des faits sont susceptibles d'être commis, il est tenu par l'article 40 du code de procédure pénale de dénoncer les faits au parquet. Ces petites tambouilles…

THOMAS SOTTO
Ce que vous dites c'est qu'aujourd'hui Sandrine ROUSSEAU au lieu de parler sur un plateau télé aurait dû saisie la justice ?

ÉRIC DUPOND-MORETTI
Madame ROUSSEAU n'est pas procureur général de la Nation. Vous voyez moi tant qu'elle parle de barbecue, ce n'est pas mon périmètre, ça ne m'intéresse pas, mais quand elle veut parler justice et qu'elle s'érige en autorité supérieure, je dis non, non. Si vous avez des éléments Madame ROUSSEAU, alors je vous invite à la lecture de l'article 40, vous transmettez au procureur de la République.

THOMAS SOTTO
Et dans le cadre d'Adrien QUATENNENS, là on est à la frontière entre la justice et le politique, c'est-à-dire qu'il a reconnu les faits, il a reconnu des violences conjugales, il a reconnu avoir giflé son épouse. Il ne faut rien faire politiquement tant que la justice ne sera pas passée ?

ÉRIC DUPOND-MORETTI
Non mais Adrien QUATENNES, il prend les décisions qu'il entend prendre en conscience. Moi, je n'ai pas à intervenir dans une affaire qui est en cours, la justice est saisie, il faut que la justice fasse son travail. Ce n'est pas plus compliqué que ça. Vous savez, c'est une véritable dérive à laquelle nous sommes en train d'assister, si chacun fait sa petite tambouille dans son coin, fait sa petite justice privée dans son coin, nous allons arriver vers une société de la délation qui va devenir insupportable, insupportable. Je rappelle qu'il y a de cela quelques années, c'était une piqure de rappel, mais au fond elle a été inutile, une centaine d'avocates pénalistes, féministes disaient bien sûr la parole de la victime doit être prise en compte, mais il faut qu'il y ait un exercice judiciaire conforme aux règles qui sont les nôtres, voilà.

THOMAS SOTTO
La justice, toute la justice, rien que la justice.

ÉRIC DUPOND-MORETTI
Voilà vous avez parfaitement résumé ma pensée, la justice, rien que la justice, toute la justice.

THOMAS SOTTO
Éric DUPOND-MORETTI, la justice vous en conduisez le ministère, vous y êtes aussi confronté puisque vous avez dit hier que vous aviez la quasi-assurance d'être renvoyé devant la Cour de justice de la République pour prise illégale d'intérêts dans une affaire qui vous vaut d'être mis en examen depuis juillet 2021, alors on va le préciser, comme tout justiciable vous êtes présumé innocent, est-ce que si c'est le cas, si vous êtes jugé, et si vous êtes condamné, vous vous mettrez en retrait ?

ÉRIC DUPOND-MORETTI
Vous allez bien vite. D'abord, le 3, je saurai si je suis renvoyé.

THOMAS SOTTO
Vous en avez la quasi-certitude, c'est ce que vous avez dit.

ÉRIC DUPOND-MORETTI
J'en ai la quasi-certitude, bon ! Je ferai valoir mes droits comme tout justiciable. Je me suis expliqué, puis j'ai fait application du droit au silence, pour un certain nombre de raisons, que j'expliciterai. Ce que je veux vous dire c'est que cette mise en examen ne m'a jamais entravé dans mon travail.

THOMAS SOTTO
Oui, mais vous avez vous-même dit la justice est une administration, mais c'est aussi une vertu, est-ce que quand on est garde des Sceaux et qu'on est jugé il ne faut pas moralement – alors vous allez dire que la morale n'est pas le droit et que le droit n'est pas la morale – mais est-ce qu'il ne faut pas se mettre au moins en retrait le temps de ?

ÉRIC DUPOND-MORETTI
Monsieur d'abord ce n'est pas moi qui ait dit cette phrase, je l'ai reprise, c'est la phrase de Monsieur CASAMAYOR, fondateur du syndicat de la magistrature.

THOMAS SOTTO
Vous avez raison.

ÉRIC DUPOND-MORETTI
Voilà… dire les choses. Moi je vous dis qu'il y a cette mise en examen, vraisemblablement le renvoi, j'ai toujours dit que c'était un règlement de compte, je m'expliquerai en long, en large et en travers, le moment venu, ce que je veux dire c'est que je tiens ma légitimité du président de la République et de la Première ministre, les deux seuls, et que cela n'a jamais entravé mon travail, j'en veux pour preuve le budget que je viens d'obtenir…

THOMAS SOTTO
On va y venir au budget.

ÉRIC DUPOND-MORETTI
Et dont nous allons parler bien sûr.

THOMAS SOTTO
On va y venir. Prenons quand même un exemple encore sur cette affaire et on passe à la suite. Dans quelques mois le procureur général auprès la Cour de cassation, François MOLINS, prendra sa retraite, lui il représente le ministère public dans cette affaire, autrement dit c'est votre accusateur, et c'est vous qui devrez nommer son successeur, c'est vous qui devrez nommer votre accusateur, c'est un peu compliqué non quand même ?

ÉRIC DUPOND-MORETTI
Ecoutez, chaque chose en son temps, soit on évoque ce dossier complètement sur la place publique et vous me laissez 4 heures pour le faire…

THOMAS SOTTO
Non, non, on a une minute encore là-dessus.

ÉRIC DUPOND-MORETTI
En une minute on ne peut pas dire des choses sérieuses.

THOMAS SOTTO
Mais si, c'est un point sérieux ça.

ÉRIC DUPOND-MORETTI
Non, Monsieur Thomas SOTTO, je vous ai répondu, j'ai été mis en examen, je serai très très vraisemblablement renvoyé, ça n'a jamais entravé mon travail, je ferai valoir mes droits, attendez, et je suis sûr que vous pourrez relayer mon propos le moment venu, je n'en doute pas parce que je vous sais soucieux du contradictoire.

THOMAS SOTTO
Absolument, c'est pour ça que j'ai répété présumé innocent…

ÉRIC DUPOND-MORETTI
Ne vous inquiétez pas, tout se fera…

THOMAS SOTTO
Et que je vous pose cette question sur le successeur de François MOLINS.

ÉRIC DUPOND-MORETTI
Vous savez, le temps judiciaire n'est pas le temps médiatique, laissez les choses se faire, moi je suis, je l'ai toujours dit, extrêmement serein, et je m'expliquerai complètement, soyez-en parfaitement rassuré.

THOMAS SOTTO
Éric DUPOND-MORETTI, le budget, donc vous avez obtenu pour votre ministère, pour la troisième année de suite, une hausse record de votre budget, ce sera +7,9%, avec un budget à 9,6 milliards, ce que tout le monde applaudit, il faut le reconnaître, est-ce que ça vous embêterez que ce budget-là soit adopté au 49.3 ?

ÉRIC DUPOND-MORETTI
Je veux que mon budget soit adopté, voilà.

THOMAS SOTTO
Quelle que soit la manière ?

ÉRIC DUPOND-MORETTI
Non mais attendez, c'est extraordinaire, on va d'abord parler 2 secondes du budget si vous le voulez bien, parce qu'on ne peut pas résumer en une phrase tout le monde se félicite. L'année dernière…

THOMAS SOTTO
Vous choisissez vos questions vous ce matin !

ÉRIC DUPOND-MORETTI
Non, mais je suis venu pour dire un certain nombre de choses, c'est compliqué de faire passer ses messages, voyez, c'est aussi le but d'une intervention comme la mienne, il faut que nos compatriotes sachent que pour la troisième année consécutive on a une augmentation de 8%…

THOMAS SOTTO
C'est ce que je viens de dire.

ÉRIC DUPOND-MORETTI
Trois fois huit, en matière budgétaire, ça fait 26, ça peut paraître surprenant mais c'est comme ça, 40 % d'augmentation du budget, ça montre à quel point le président de la République, la Première ministre, sont attachés à faire évoluer la justice et à lui donner les moyens dont elle a besoin. Quand la tribune des 3000 est sortie, tout le monde en a beaucoup parlé, je m'étais engagé à me battre pour obtenir un nouveau budget, historique, car ce sont des budgets historiques, j'y suis parvenu, maintenant il n'y a pas que les moyens, il y a aussi les États généraux de la justice qu'on est en train de mettre en place. Je veux une justice plus protectrice, plus rapide, plus proche de nos compatriotes, pardon d'insister pour faire passer ce message.

THOMAS SOTTO
Vous avez raison. Il nous reste deux minutes, on va se parler un peu d'Italie quand même, quelques mots de la situation là-bas, un séisme politique en Italie peut-il donner lieu à un murmure en France s'interroge "Le Monde" dans son édition datée d'aujourd'hui, et c'est vrai qu'on est étonné de la discrétion des réactions de la France après la victoire de la candidate d'origine néofasciste Giorgia MELONI qui va sans doute devenir Première ministre. Est-ce que ça va changer, cette victoire, les relations entre la France et l'Italie ?

ÉRIC DUPOND-MORETTI
Moi j'ai un commentaire à faire, enfin j'en ai deux. A titre personnel vous imaginez que je suis circonspect, je vais le dire comme ça. Maintenant l'Italie est une grande démocratie, elle a fait son choix, nous allons voir ce qui se passe, c'est ce qu'a d'ailleurs dit le président de la République, la Première ministre n'a pas dit autre chose, attendons, nous allons voir. Nous nous avons un certain nombre de valeurs, qui sont fortes, qui ont été rappelées par Ursula VON DER LEYEN, nous y sommes très attachés, nous verrons comment l'Italie, dans sa nouvelle gouvernance, vient s'inscrire dans ces valeurs et nous serons vigilants, voilà, et s'il faut faire autre chose que de murmurer, puisque je reprends ce papier du "Monde", je pense que nous saurons le faire.

THOMAS SOTTO
Mais l'Italie de Giorgia MELONI peut rester l'amie de la France, ça dépendra de ses choix en fait, c'est ce que vous me dites ce matin ?

ÉRIC DUPOND-MORETTI
L'Italie est une amie de la France, l'Italie a fait un choix démocratique qui ne regarde qu'elle, voilà. L'Italie ça reste un grand pays démocratique, on ne peut pas se priver de l'Italie, vous le savez, la France d'ailleurs a signé récemment un traité très important qui est le traité Quirinal, avec l'Italie, avec laquelle nous avons des relations constantes, maintenant nous serons vigilants à un certain nombre de choses et nous les exprimerons s'il faut les exprimer, comme nous les avons exprimées à propos de la Hongrie ou de la Pologne.

THOMAS SOTTO
Dernière question. Un match caritatif, on va parler football un peu, au profit de l'organisation e-Enfance, est organisé aujourd'hui entre l'équipe de France de football, enfin des anciens de l'équipe de France, et l'équipe de France de l'Assemblée nationale, les députés LFI et PS ont finalement décidé de ne pas y participer, ils ne veulent pas jouer aux côtés d'élus du Rassemblement national, vous les comprenez ou vous leur dites les gars là vous mélangez tout ?

ÉRIC DUPOND-MORETTI
Je leur dis débrouillez-vous, c'est vos histoires ce n'est pas les miennes.

THOMAS SOTTO
Vous ne vous mouillez pas là !

ÉRIC DUPOND-MORETTI
Non, je ne me mouille pas, je ne mouille pas le maillot non plus, je n'ai pas été inventé moi à participer à ce match…

THOMAS SOTTO
Si on vous invitait, parce qu'il leur manque du monde pour ce soir, vous iriez ou pas ?

ÉRIC DUPOND-MORETTI
Et pour le spectacle c'est très bien ça.

THOMAS SOTTO
Vous iriez ce soir si on vous proposez, vous ?

ÉRIC DUPOND-MORETTI
De quoi ?

THOMAS SOTTO
De participer à ce match ?

ÉRIC DUPOND-MORETTI
De jouer non, de regarder peut-être, oui.

THOMAS SOTTO
De regarder peut-être.

ÉRIC DUPOND-MORETTI
Oui.

THOMAS SOTTO
Et la Coupe du monde au Qatar vous allez regarder ou pas ?

ÉRIC DUPOND-MORETTI
Oui, comme tous les Français.

THOMAS SOTTO
Pas de boycott ?

ÉRIC DUPOND-MORETTI
Ecoutez, vous avez décidé vous d'être très provocateur ce matin.

THOMAS SOTTO
Non…

ÉRIC DUPOND-MORETTI
Le boycott… écoutez…

THOMAS SOTTO
C'est un sujet qui est dans l'actualité, qui est porté par…

ÉRIC DUPOND-MORETTI
Cette Coupe du monde elle est organisée, qu'est-ce que vous voulez, que nous n'y participions pas, quelle est la solution ? Là vous me faites d'abord sortir de mon périmètre, je ne suis pas ministre des Sports, ça se saurait, je pense que tout le monde le sait, et puis je vais regarder comme tout le monde, oui, et pour le reste on a le droit de penser un certain nombre de choses…

THOMAS SOTTO
Et de les dire sur le plateau des "4V."

ÉRIC DUPOND-MORETTI
Et de les dire ou de ne pas les dire, ce n'est pas tout à fait le sujet, moi je suis venu pour vous parler de mon de budget.

THOMAS SOTTO
Eh bien on en a parlé.

ÉRIC DUPOND-MORETTI
Voilà.

THOMAS SOTTO
On a parlé de ce qui était prévu, merci Éric DUPOND-MORETTI.

ÉRIC DUPOND-MORETTI
Merci beaucoup.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 30 septembre 2022