Texte intégral
Madame la Présidente,
Madame la Première ministre,
Mesdames et Messieurs les députés,
Vendredi dernier, la Première ministre l'a rappelé, après sept mois d'une guerre d'agression, aussi brutale qu'injustifiée, Moscou franchissait un nouveau seuil. En s'autorisant des simulacres de scrutins, organisés à la hâte en zones occupées, le Kremlin annexait, en toute illégalité, les territoires occupés dans les régions de Louhansk, Donetsk, Zaporijjia et Kherson.
Je le dis sans ambiguïté : le fait accompli ne fera jamais le droit, n'en déplaise aux propagandistes du Kremlin.
La France et ses partenaires ne reconnaîtront jamais ces pseudo-référendums. Ils ne reflètent en rien la volonté de la population ukrainienne, sa résistance héroïque en témoigne. Ils traduisent tout au plus le cynisme de l'agresseur russe, qui ne recule devant aucune mascarade pour tenter de maquiller ce qui est, en réalité, un projet impérialiste et expansionniste. Un projet de conquête qui, vous le savez, porte profondément atteinte à toutes les règles régissant les relations internationales et la vie entre les nations.
Car, en agressant l'Ukraine, la Russie, membre permanent du Conseil de sécurité, qui plus est, a bafoué les principes fondateurs de la Charte des Nations unies, que sont la non-agression, le règlement pacifique des différends, la souveraineté des États et le respect de leur intégrité territoriale.
Nous avons en conséquence fait le choix du droit et de nos valeurs, comme l'a souligné Mme la Première ministre. La Russie, elle, a choisi la guerre, une guerre d'agression, une guerre brutale, avec son cortège de meurtres et d'exactions. Elle a choisi des annexions illégales, méthodes de sinistre mémoire. Nous l'appelons à revenir à un comportement responsable.
Dans ce moment de bascule, nous faisons depuis sept mois le seul choix qui vaille, le seul choix responsable : celui du soutien à l'Ukraine et à nos valeurs, comme vous l'avez dit si justement, ce matin encore, Madame la Présidente.
Nous faisons le choix de défendre l'ordre international, fondé sur la règle de droit, cet ordre que la Russie voudrait détruire. Quel pays pourra s'estimer à l'abri dans ses frontières, si la souveraineté et l'intégrité territoriale d'un État peuvent être violées de manière aussi décomplexée ? Si tout est permis en Ukraine, tout le sera davantage ailleurs. Cette guerre n'est pas une guerre régionale. Elle est l'affaire de tous. Nous n'avons pas ménagé nos efforts pour le faire valoir, auprès de l'ensemble de la communauté internationale, et ces efforts commencent à porter leurs fruits. Nous l'avons constaté lors de l'Assemblée générale des Nations unies, à New York, où de nombreux pays tiers, ne faisant pourtant pas partie des soutiens traditionnels de l'Ukraine, ont pris leurs distances vis-à-vis de la Russie, ont appelé au plein respect des principes fondamentaux de la Charte, et ont rappelé que l'heure n'était pas à la guerre. Je pense par exemple à la Chine et à l'Inde. Nous sommes déterminés à poursuivre sur cette voie.
Mesdames et Messieurs les députés, vous avez été nombreux à évoquer la lutte contre l'impunité. Nous faisons aussi le choix de la justice, et refusons l'impunité des criminels. Je l'ai dit clairement au Conseil de sécurité, dont j'ai présidé le 22 septembre, jeudi dernier, la première réunion de niveau ministériel sur la situation en Ukraine, la première réunion de niveau ministériel au Conseil de sécurité sur la situation en Ukraine depuis le déclenchement de l'invasion : il n'y aura pas de paix sans justice. Les exactions et les crimes de guerre devront être poursuivis. Nous y contribuons au sein des organisations internationales. Nous y contribuons également à titre bilatéral. En ce sens, nous avons envoyé, certains d'entre vous l'ont rappelé, depuis le mois d'avril, trois équipes spécialisées de nos gendarmes de l'Institut de recherche criminelle de la Gendarmerie nationale. La dernière d'entre elles étant arrivée mardi. Elle aidera la justice ukrainienne à faire toute la lumière sur les atrocités découvertes à Izioum, comme l'ont fait ses prédécesseurs à Boutcha. La justice doit passer.
La question des sanctions et de leur impact a aussi été évoquée. Comme l'a souligné la Première ministre, nous faisons le choix de fermeté face à un agresseur qui menace la stabilité de notre continent et la sécurité de l'ensemble de la communauté internationale. Avec une célérité inédite, nous avons mis en œuvre une politique de sanctions d'une rigueur sans précédent avec nos partenaires européens et internationaux. Ces sanctions ont un but clair : asphyxier l'effort de guerre russe et appliquer une pression maximale sur les fauteurs de guerre. D'ores et déjà 1200 individus et plus de 100 entités russes y sont soumis. Ces sanctions sont réfléchies. Elles sont appropriées. Elles sont efficaces. Et elles auront un impact massif et durable. Concrètement, le PIB de la Russie va reculer de 6% en 2022 pour retomber, d'ici deux ans, à son niveau du début des années 2000. Vingt ans en arrière. Ce sont les revenus des hydrocarbures que nous asséchons. C'est l'accès de la Russie aux technologies dont elle a besoin qui est d'ores et déjà profondément affecté dans des secteurs aussi stratégiques que l'aéronautique, l'automobile ou l'armement. Nous ne faiblirons pas. La France souhaite, vous le savez, l'adoption rapide d'un nouveau paquet de sanctions européennes qui devrait être finalisé dans les tout prochains jours.
Les sanctions, le soutien à l'Ukraine, y compris en équipements militaires, l'aide humanitaire massive, l'accueil des réfugiés, l'isolement de la Russie, les exportations de céréales, sur tout cela, Mesdames et Messieurs les députés, sur tout cela, que vous avez cité, l'Union européenne a agi vite et clair, et de façon unie. Oui, nous sommes au rendez-vous de nos valeurs humanistes lorsque nous accueillons au sein de notre Union plusieurs millions de réfugiés ukrainiens. Oui, nous sommes au rendez-vous de l'Histoire lorsque nous octroyons à l'Ukraine le statut de candidat à l'Union européenne, à l'unanimité, et lui donnons ainsi un avenir européen. Cette unanimité, cette unité, fait notre force collective face à une Russie dont l'isolement est chaque jour plus manifeste. Nous sommes unis et nous le resterons.
Vous vous êtes exprimés, également, Mesdames et Messieurs les députés, en nombre, sur le soutien à l'Ukraine, ses différentes composantes et ses conséquences. Je veux le redire, nous avons fait le choix d'apporter à l'Ukraine un soutien déterminé et constant. Je veux être très claire : ni la France, ni aucun pays européen, ni aucun État membre du G7 n'est en guerre avec la Russie. Nous aidons un pays agressé, l'Ukraine, à exercer son droit à la légitime défense, conformément au droit international, conformément à la Charte des Nations unies. Ce soutien, nous l'avons réaffirmé il y a quelques jours à l'Assemblée générale des Nations unies par la voix du Président de la République, et nous l'avons fait également au Conseil de sécurité. Ce soutien est à la fois politique, diplomatique, humanitaire, économique, financier. Il représente un effort de 2 milliards d'euros, auquel s'ajoute notre aide militaire d'une part, dont le ministre des armées exposera l'ampleur, et dont une partie sera prise en charge par la Facilité européenne de paix, et l'aide européenne d'autre part, à laquelle nous contribuons.
Ce soutien, je l'ai à nouveau témoigné au président Zelensky et à mon homologue Dmytro Kuleba à Kiev, la semaine dernière, à l'occasion de mon troisième déplacement en Ukraine, où vous êtes plusieurs à avoir accompagné Mme la Présidente de l'Assemblée nationale. Je me félicite de ce que la représentation nationale et l'exécutif, unis, aient ainsi pu témoigner sur place de la solidarité de la France.
A Kiev, à Hostomel, à Boutcha, à Irpin, j'ai vu l'ampleur des destructions causées par les bombardements russes. J'ai pu mesurer la bravoure, la détermination, l'esprit de résistance intacts du peuple ukrainien. Nous sommes solidaires de la cause juste qu'il défend. Nous sommes solidaires du combat qu'il mène pour les valeurs démocratiques. Ces valeurs sont les nôtres. Pour la paix. Pour la liberté. Nous sommes solidaires de ses souffrances. Nous l'aidons. Nous l'avons encore montré le 28 septembre dernier, en envoyant à l'Ukraine depuis Marseille plus de 1000 tonnes de fret humanitaire, rassemblées grâce aux contributions de l'ensemble des forces de notre société : l'État, ses opérateurs, les collectivités locales, les acteurs privés, les ONG.
La France est aux côtés de l'Ukraine depuis le début de l'agression. Elle le sera jusqu'à ce que l'Ukraine retrouve sa pleine souveraineté et son intégrité territoriale. Et elle restera à ses côtés, après la guerre, car il y aura un après.
Sur le terrain, l'armée russe a connu, ces dernières semaines, son troisième échec tactique. En février, elle prenait l'Ukraine en tenaille sur trois axes, au Nord, à l'Est et au Sud. Elle cherchait clairement à prendre Kiev pour y renverser le président légitimement élu par le peuple ukrainien. En avril, incapable de prendre Kiev, elle s'était retirée du Nord du pays. Incapable de s'emparer rapidement de l'ensemble du Donbass malgré le concours de ses supplétifs séparatistes, elle a dû reculer dans la région de Kharkiv. A la mi-septembre, la contre-offensive ukrainienne l'a prise de court. Les Ukrainiens ont regagné 9000 km2 de territoire. Hier, l'Ukraine résistait. Aujourd'hui, elle reprend l'initiative. Grâce à la détermination de ses soldats, à la qualité de son commandement et à l'élan de tout un peuple qui se bat pour son pays, grâce aussi aux équipements que nous lui avons livrés avec nos partenaires et qui prouvent leur efficacité.
Le constat que nous faisons aujourd'hui est clair, c'est celui d'une triple impasse dans laquelle se trouve la Russie sur le terrain, comme le montrent ces reculs. Vis-à-vis de la communauté internationale, où elle est de plus en plus seule. Et enfin vis-à-vis de sa population, avec la décision de mobilisation partielle, une décision lourde qui a été prise contre une population russe qui comprend de moins en moins pourquoi elle doit subir les conséquences d'une guerre inutile, illégale et injuste ; une guerre qu'elle n'a pas choisie.
Mesdames et Messieurs les députés, la fuite en avant de la Russie a été soulignée dans ce débat. Alors, il va falloir tenir. Ne nous y trompons pas. Il va falloir tenir dans la durée, la Première ministre nous l'a dit cet après-midi à plusieurs reprises. Moscou a choisi une fuite en avant politique. Les déclarations du Président russe vendredi dernier n'en sont que le dernier exemple. Elle a pris la responsabilité d'un chantage à la sécurité alimentaire, auquel nous avons réagi en nous engageant pour permettre à l'Ukraine d'exporter à nouveau ses céréales. Dans l'esprit de l'initiative FARM que le Président de la République a lancée depuis le printemps, nous venons de participer avec l'Allemagne au co-financement du transport et de la distribution, par le Programme alimentaire mondial, de 50.000 tonnes de céréales, données par l'Ukraine, et destinées à l'Ethiopie et à la Somalie, alors que la Corne de l'Afrique est particulièrement touchée par la crise alimentaire. Un chantage, aussi, à la sécurité énergétique, en coupant les vannes du gaz, tandis que nous sommes témoins de mystérieuses explosions en mer Baltique. Un chantage à la sécurité du site de la centrale nucléaire de Zaporijja, qui nous a conduits à soutenir fortement les efforts du Directeur général de l'Agence internationale de l'énergie atomique pour réduire les tensions et le risque d'un accident nucléaire.
Ces efforts se poursuivent en ce moment-même. Fuite en avant politique, fuite en avant militaire, en annonçant cette mobilisation "partielle" de sa population, inédite depuis 1941, la Russie prend un grand risque. Nous y voyons avant tout un aveu de faiblesse, une reconnaissance de l'incapacité de ses forces armées à remplir les objectifs fixés par le Kremlin. D'ailleurs, l'impact de cette mobilisation sur le terrain est très incertain, l'armée russe ayant fait preuve de graves lacunes logistiques depuis le début du conflit. Des lacunes qui ne se résoudront pas en envoyant par la force au front une population dont tout montre qu'elle ne souhaite pas la guerre. En atteste, vous l'avez vu, le départ de centaines de milliers de personnes de Russie, ces derniers jours, ou les scènes de protestations dont nous avons été témoins dans plusieurs régions russes. Quoi qu'en dise la propagande, non, il n'y a aucun élan patriotique. Il y a une mobilisation subie.
Fuite en avant rhétorique, enfin. Les menaces irresponsables qui ont été proférées dans le but de nous intimider en sont le signe. Nous ne céderons pas, nous ne tomberons pas non plus dans le piège, nous continuerons, pour notre part, de faire preuve de la responsabilité qui incombe à une puissance dotée.
Enfin la reconstruction. Le premier orateur et d'autres à sa suite ont évoqué sa nécessité. Je voudrais dire que ce n'est pas à nous de déterminer quand cette guerre prendra fin. Il appartient à l'Ukraine, et à l'Ukraine seule, de décider à quel moment, dans quelles conditions et dans quels termes elle peut envisager un dialogue visant à l'ouverture de négociations. Mais il y aura bel et bien un après, j'en suis convaincue. Et c'est à nous qu'il appartiendra de fournir à l'Ukraine les moyens de se reconstruire, avec nos partenaires. Nous y sommes engagés. Nous commençons à le faire, avec l'arrivée de l'hiver en perspective. Ainsi, parmi les biens envoyés dans notre cargaison humanitaire du 28 septembre, figurait notamment du matériel de réhabilitation d'urgence, en particulier plus de 6 ponts, de 20 à 60 mètres de long, qui participeront à la reconstruction de la région de Tchernihiv, où vous vous êtes rendus, Madame la Présidente, Messieurs les Présidents.
Mesdames et Messieurs les députés, je m'arrêterai ici. En aidant l'Ukraine, nous faisons notre devoir de solidarité. Tout simplement. Nous faisons notre devoir d'humanité. Nous le ferons aussi longtemps qu'il sera nécessaire.
Je vous remercie.
Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 5 octobre 2022