Interview de Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État, chargée de l'économie sociale et solidaire et de la vie associative, à France Bleu le 5 octobre 2022, sur les cinq ans de MeToo et les violences faites aux femmes.

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Média : France Bleu

Texte intégral

GUILLAUME FARRIOL
Bonjour Marlène SCHIAPPA.

MARLÈNE SCHIAPPA
Bonjour.

GUILLAUME FARRIOL
Secrétaire d'État en charge de l'Économie sociale et solidaire et de la Vie associative, anciennement chargée de l'égalité femmes/hommes, et militante féministe. Cinq ans après le début de ce de ce MeeToo, elle s'est vraiment améliorée la vie des femmes en France ?

MARLÈNE SCHIAPPA
Eh bien, je dirais que l'énorme changement en fait qui a été apporté par MeeToo, et ensuite, par le Grenelle des violences conjugales, c'est que maintenant, on parle de ces sujets, ils ne sont plus tabous, et ça, je pense que c'est déjà une avancée en soi. Je pense que les violences conjugales, on considérait encore que c'était des drames familiaux, les viols ou les agressions sexuelles, que c'était finalement la fatalité, et la vie des femmes, et ce traitement, il a changé. On dit souvent que la parole des femmes s'est libérée avec MeeToo, moi, je pense que c'est surtout l'écoute vis-à-vis des femmes qui s'est libérée, parce que les femmes, ça fait des générations qu'elles parlaient de ces questions-là.

GUILLAUME FARRIOL
Alors, il y a encore du travail, j'en viens à ces chiffres, 94.000 femmes victimes de viols ou tentatives de viols chaque année en France, une sur dix seulement porte plainte, ça, c'est un gros problème ?

MARLÈNE SCHIAPPA
Bien sûr, l'impunité en fait au global est un gros problème, le fait qu'il y ait peu de plaintes, et ensuite, peu de condamnations, parce que ce sont souvent des faits qui sont difficiles à caractériser devant la justice, c'est pour ça que moi, tout le travail, que j'ai mené pendant les cinq ans où j'étais membre du gouvernement, c'est ma sixième année, ça visait à promouvoir tous les dispositifs de signalement vis-à-vis des femmes, c'est pour ça qu'on a étendu le 39 19 à 24 heures sur 24, c'est pour ça qu'on a formé les policiers et les gendarmes, mais aussi la justice, qu'on a créé le bracelet anti-rapprochement, qu'on a allongé les délais de prescription pour les crimes sexuels, qu'on a créé la pénalisation du harcèlement de rue, qui est le début de ce continuum des violences sexistes et sexuelles, bref, qu'on a tout fait pour faire en sorte que dès lors qu'une femme veut signaler ces violences, ce soit possible, et qu'elle soit entendue et que les auteurs soient sanctionnés.

GUILLAUME FARRIOL
Pas assez, selon les associations, elles demandent beaucoup plus d'argent, 732 condamnations pour viols seulement en 2020. Il y a un problème de justice, disent les associations, il faut mettre plus d'argent.

MARLÈNE SCHIAPPA
Moi, je trouve qu'on n'en fait jamais assez pour protéger les femmes face aux violences, bien évidemment…

GUILLAUME FARRIOL
Alors, pourquoi on ne met pas encore plus d'argent ?

MARLÈNE SCHIAPPA
Eh bien, alors, d'abord, la question de l'argent, elle est importante, vous avez raison de la souligner, on dit souvent : il faut un milliard, comme en Espagne. Je rappelle qu'en Espagne, l'Espagne a engagé un milliard, mais sur cinq ans, et sur des politiques interministérielles, ça veut dire qu'ils prennent en compte aussi la place des femmes dans le sport, qu'ils calculent le temps passé par les policiers à s'engager sur ce sujet. Et si on fait le même mode de calculs, on est au-delà de ces sommes en France. La question pour moi, c'est bien sûr une question de moyens, et c'est pour ça qu'on les a augmentés en continu, plus 98 % depuis avant 2017, mais c'est surtout une question pour moi de société, comment on considère que c'est encore normal aujourd'hui qu'il y ait des jeunes hommes qui trouvent acceptable de harceler les femmes dans l'espace public, ce sont des faits qui se produisent tous les jours, moi, j‘ai une fille de 15 ans, quand j'avais 15 ans, il y avait des bandes de types qui m'empêchaient de circuler librement dans la rue, ma fille vit la même chose aujourd'hui, ça veut dire que la société n'a pas suffisamment pris en compte ces faits-là, et regardez récemment avec les débats autour de l'affaire Quatennens, on en revient à débattre de savoir si c'est acceptable une gifle, si ce n'est pas vraiment tous les jours, quel recul on fait, et ça nous montre à quel point les avancées qu'on a eues dans le débat public avec MeeToo sont fragiles.

GUILLAUME FARRIOL
Vous parlez de l'affaire Quatennens, moi, je vous parler de l'affaire Julien BAYOU, lui conteste toutes les accusations qui ont été relayées sur un plateau de télévision, en direct, par Sandrine ROUSSEAU, l'une de ses collègues députés, est-ce que là, on est dans une dérive de MeeToo, on est sur une libération de la parole qui est bénéfique ?

MARLÈNE SCHIAPPA
Je pense qu'il faut que chacun joue pleinement son rôle, si je puis dire, et le rôle d'un élu, ce n'est pas d'enquêter, c'est de signaler, il y a un dispositif qui s'appelle l'article 40 du code de procédure pénale, qui oblige tout agent public, toute personne en responsabilité, à signaler des faits de violence ou des faits répréhensibles, quand il en a connaissance. Je pense que c'est cela qu'on attend des élus, et qu'effectivement, la justice, elle doit se rendre devant les tribunaux. Alors, la justice, elle est perfectible, on vient d'en parler, et nous sommes mobilisés sur cela. Mais la justice, elle se rend effectivement devant les tribunaux, que les femmes se soient saisies des réseaux sociaux pour parler, moi, je trouve que c'est positif, d'ailleurs, j'avais, il y a des années, écrit un livre qui s'appelait : "Où sont les violeurs ?" dans lequel je disais : un jour, les femmes se ligueront entre elles pour faire comprendre à la société l'ampleur des violences sexistes et sexuelles, aujourd'hui, la société a commencé à l'entendre, maintenant, il faut que cette action, elle soit cohérente et qu'elle soit collective surtout.

ROMAIN AMBRO
Cinq après le #MeeToo, Marlène SCHIAPPA est notre invitée ce matin, on y revient dans un instant, auparavant, on est en région parisienne, et il faut faire un point sur la route et la météo. Ah oui, on est comme ça sur France Bleu Paris, 8h20, la météo c'est du beau, véritablement, quelques nuages, mais du soleil et du beau temps qui nous attend.

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ROMAIN AMBRO
5 octobre 2017, il y a donc cinq ans, le #MeeToo faisait son apparition avec l'affaire Weinstein aux États-Unis, et depuis, la parole s'est libérée, notre invitée ce matin, Marlène SCHIAPPA.

GUILLAUME FARRIOL
Et la question, c'est de savoir si la France en fait assez, 122 femmes tuées selon le ministère de l'Intérieur l'an dernier dans notre pays, ils ne fonctionnent pas assez les bracelets anti-rapprochement mis en place, les téléphones Grave Danger ?

MARLÈNE SCHIAPPA
Il y a plusieurs choses à prendre en compte, d'abord, effectivement, les dispositifs qui ont été mis en place et qui ont permis de sauver la vie de femmes, ces bracelets qu'on a créés après le Grenelle des violences conjugales…

GUILLAUME FARRIOL
En 2020…

MARLÈNE SCHIAPPA
Exactement, les ordonnances de protection, les condamnations, après, c'est vrai qu'on a affaire à des violences d'un type très particulier, parce que quand vous avez quelqu'un qui vit sous votre propre toi et qui est déterminé à vous tuer, c'est extraordinairement difficile pour la justice de s'en emparer, c'est pour ça que moi, j'invite à pouvoir déposer plainte dès que c'est possible, et que nous devons agir, et c'est ce qu'on fait avec ma collègue Isabelle ROME, et avec les associations et d'autres, pour permettre aux femmes de pouvoir partir dès qu'il y a danger, et pouvoir se mettre à l'abri avec leurs enfants, c'est essentiel…

GUILLAUME FARRIOL
Oui, Isabelle ROME, chargée de l'Égalité femmes/hommes dans le gouvernement actuel. Vous parliez des difficultés à aller porter plainte, vous avez travaillé ces dernières années sur l'accueil dans les commissariats, mais on voit encore, quasiment tous les jours, des témoignages sur des femmes victimes qui sont accueillies de façon déplorable dans les commissariats. On leur dit : ce n'est pas si grave.

MARLÈNE SCHIAPPA
Alors, d'abord, ça arrive de moins en moins, il y a des témoignages aujourd'hui, alors, à chaque fois que ça arrive, c'est évidemment inacceptable et il y a des sanctions qui sont prises, parce que quand c'est la première fois qu'une femmes vient parler de ces sujets ou un homme d'ailleurs, au demeurant, c'est extrêmement important d'avoir un premier accueil avec de l'écoute, avec de l'empathie, c'est pour ça qu'on a créé et renforcé les postes d'ISCG avec le ministre de l'Intérieur, ce sont des intervenants sociaux dans les commissariats et gendarmeries qui accompagnent sur la question de la prise de plainte, et qu'on a formé des policiers et des gendarmes. L'accueil aujourd'hui dans un commissariat en 2022, quand vous venez parler de violences sexistes et sexuelles, ce n'est pas le même qu'il y a dix ans, aujourd'hui, vous avez une majorité de policiers et de gendarmes qui maintenant sont formés, vous avez ces accompagnantes qui sont des travailleurs sociales, qui sont avec eux, vous avez des dispositifs pratiques et techniques dans les commissariats, on a déployé la plainte hors les murs, ça veut dire qu'on peut venir à l'hôpital, chez votre avocate, dans une association, recueillir votre parole, et puis, cette plateforme, qui s'appelle "arrêtonslesviolences.gouv.fr", je la signale, parce qu'on peut, de manière même anonymes, si on le souhaite, parler avec des policiers, des gendarmes, des psy, et préparer l'arrivée à la plainte, parce que le la manière dont la plainte va être qualifiée, elle est importante pour la suite de la procédure judiciaire. C'est aussi pour ça, et j'en termine, qu'on a demandé que les avocats et les avocates puissent être aussi présents dans les commissariats quand il y en a pour travailler sur la préparation de cette plainte.

GUILLAUME FARRIOL
Est-ce qu'il faut une justice spécifique, spécialisée dans les violences faites aux femmes ?

MARLÈNE SCHIAPPA
C'est un débat, il y a des pays qui ont fait ce choix, je pense que ce serait intéressant d'avoir des gens qui soient vraiment pleinement formés, qui puissent rendre cette justice, je le disais, la société a évolué, et avec elle, les professionnels, quelqu'un qui était magistrat il y a 30 ans, déjà, qui a 30 ans d'expérience, il a une expérience solide derrière lui ou derrière elle, mais il a aussi été formé dans une ère avant MeeToo, avant le Grenelle des violences conjugales, et peut-être, ce sont des cultures différentes qu'il convient d'actualiser. L'écueil que je vois dans la justice spécialisée, c'est la question du maillage territorial, ça veut dire que si vous êtes dans un endroit où il y a une justice spécialisée, vous y aurez accès, mais si on considère qu'il n'y a que 4 ou 5 tribunaux spécialisés en France, ça éloigne encore plus les victimes et les justiciables de l'accès à la justice. Donc c'est un écueil, si jamais on allait d'aventure dans ce chemin-là, il faudrait vraiment le prendre en compte.

GUILLAUME FARRIOL
Marlène SCHIAPPA, j'en viens à une question peut-être un peu plus personnelle, vous, militante féministe, devenue femme politique de premier plan, quelles évolutions vous avez vues en 5 ans, le sexisme en politique, il est toujours là ?

MARLÈNE SCHIAPPA
Oui, le sexisme en politique est toujours là, peut-être de manière moins ostensible et plus pernicieuse, on siffle peut-être un peu moins les femmes politiques dans l'hémicycle, mais on les dénigre, et puis, il y a ce que des sociologues ont appelé la présomption d'incompétence pour les femmes, ça veut dire que si dans le champ politique ou dans le champ public, on voit arriver un homme avec un costume, une cravate, etc, on va penser que c'est un expert, et se demander de quoi il est expert. En revanche, si vous avez une femme qui arrive, de surcroît, si elle est un peu féminine, avec du maquillage et des bijoux, il y a toujours ce regard de présomption d'incompétence, de se demander un peu ce qu'elle fait là, et d'être considérée finalement un peu comme une étrangère au monde politique, de surcroît, quand on n'a pas fait l'ENA, mais qu'on a été autodidacte et qu'on a passé ses diplômes en cours du soir avec les enfants sous le bras, comme c'est mon cas.

GUILLAUME FARRIOL
Et puis, des hommes politiques, vous parliez de l'affaire Quatennens et du soutien de Jean-Luc MÉLENCHON, je peux aussi vous parler de Stanislas GUERINI, aujourd'hui ministre de la Fonction publique, et quand il était patron LREM, c'est un honnête homme, il avait dit ça à propos d'un candidat Marcheur aux législatives qui avait été condamné pour violences conjugales.

MARLÈNE SCHIAPPA
Moi, j'ai toujours dit que quelqu'un qui a été condamné pour violences conjugales n'a rien à faire dans la représentation nationale, et de surcroît, n'a rien à faire dans notre mouvement politique, nous avons d'ailleurs exclu des personnes qui avaient été condamnées pour violences conjugales, nous refusons de les réintégrer, et je pense que dans ce... enfin, je pense qu'il faut prendre un peu de hauteur de vue dans ce débat, ça ne peut pas être juste : on se jette à la tête des uns, les autres, les affaires des partis, et vous, dans votre parti, vous avez untel…

GUILLAUME FARRIOL
Oui, mais c'est révélateur d'un état d'esprit…

MARLÈNE SCHIAPPA
Bien sûr, oui, mais moi, je ne trouve pas que c'est plus acceptable, si vous voulez, moi, je ne veux pas dire à ceux qui ont été condamnés pour des violences conjugales et qui étaient membres de mon parti, eh bien, finalement, comme il y en a aussi à LFI, finalement, c'est ok, et ce n'est pas un problème, ce n'est pas du tout comme ça que je raisonne, je raisonne en disant que partout, dans tout groupe humain, il y a des gens qui se comportent mal, et il y a des gens qui n'ont pas encore mis en cohérence leurs actes avec leurs discours, parce que, ce qui est assez insupportable, c'est que vous aviez, là, des gens qui nous donnaient des leçons sur les violences conjugales et qui dans le même temps trouvaient normal que quelqu'un frappe ou harcèle son épouse, moi, je trouve que c'est anormal, et qu'on doit le dire collectivement. On a pu tous faire des erreurs dans la manière de traiter ces affaires, je pense qu'il faut apprendre des erreurs, des erreurs des autres, et des nôtres aussi.

ROMAIN AMBRO
Juste avant de partir, j'avais une question à vous poser, Marlène SCHIAPPA, vous êtes secrétaire d'État chargée de l'Économie sociale et solidaire, la vie associative. On vous entend depuis dix minutes parler de l'égalité femmes/hommes, c'était le ministère dont vous aviez la main à l'époque, il y a cinq ans, de ce #MeeToo. Est-ce que ça ne vous manque pas quelque part ce ministère-là, quelque part, vous éclipsez un petit peu tous ceux qui arrivent derrière tellement ce sujet vous prend, vous tient à cœur ?

MARLÈNE SCHIAPPA
D'abord, vous m'avez invitée pour les cinq ans de MeeToo, et je réponds aux questions qui me sont posées…

ROMAIN AMBRO
Oui, bien sûr…

MARLÈNE SCHIAPPA
Si vous me posez des questions sur l'économie sociale et solidaire…

ROMAIN AMBRO
Non, non, mais on peut…

MARLÈNE SCHIAPPA
C'est avec grand plaisir que je vous répondrai…

ROMAIN AMBRO
Bien sûr, mais j'ai l'impression ce matin qu'on sent que c'est vraiment votre combat…

MARLÈNE SCHIAPPA
Bien sûr…

ROMAIN AMBRO
Depuis toujours…

MARLÈNE SCHIAPPA
Mais moi, je l'ai toujours dit…

ROMAIN AMBRO
Et quelque part, est-ce que ça ne vous manque pas d'être aux affaires sur cette thématique-là, qui vous tient tant à cœur ?

MARLÈNE SCHIAPPA
Ça ne me manque pas, parce que je suis active tous les jours pour protéger les femmes, je prends la présidence de "Prévention, Écoute, Action", qui est une structure que mon parti Renaissance met en place justement pour protéger les femmes, je publie toujours des travaux de recherche, je travaille avec la Fondation Jean-Jaurès notamment sur la protection des femmes, la défense des femmes, c'est le combat de ma vie, je l'ai toujours dit, les femmes, elles sont d'ailleurs majoritaires dans l'économie sociale et solidaire, et je suis aussi ministre des associations, et je peux ici rendre hommage aux associations parce que si on a pu ensuite mieux entendre ce que les femmes avaient à dire, c'est parce que depuis très longtemps, il y a des associations féministes, d'accès à la justice, d'accès aux droits, qui sont structurées et qui ont permis de porter la voix de ces femmes justement.

GUILLAUME FARRIOL
Merci beaucoup Marlène SCHIAPPA d'être venue…

MARLÈNE SCHIAPPA
C'est moi qui vous remercie.

GUILLAUME FARRIOL
Ce matin dans le studio de France Bleu Paris.

MARLÈNE SCHIAPPA
Avec plaisir.

GUILLAUME FARRIOL
Secrétaire d'État en charge de l'Économie sociale et solidaire, de la vie associative également, anciennement chargée de l'égalité femmes/hommes.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 6 octobre 2022