Déclaration de Mme Catherine Colonna, ministre de l'Europe et des affaires étrangères, sur les atteintes aux droits des femmes et aux droits de l'homme en Iran, au Sénat le 5 octobre 2022.

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Circonstance : Débat d'actualité au Sénat

Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les sénateurs,

Merci de ce débat, et merci de vos interventions très largement convergentes entre elles, et convergentes aussi avec nos propres lignes, même si chacun s'exprimera à sa façon.

Vous l'avez tous dit, le 16 septembre dernier, Mahsa Amini est morte à 22 ans, sous les coups de la police des mœurs de la République islamique d'Iran, qui l'avait arrêtée au prétexte qu'elle aurait mal porté son voile. Une vie détruite, et pourquoi ? Pour une mèche de cheveux dépassant d'un voile. Quelques jours plus tard, une autre jeune fille, puis tant d'autres étaient victimes de la même violence, lorsque la répression du régime s'abattit brutalement sur les manifestantes et les manifestants, partout en Iran, de Saqqez, la ville natale de Mahsa Amini, à la ville sainte de Qom, de Mashhad à Téhéran, de Shiraz à Ispahan, ou à Karaj. Tant de vies détruites, parce que ces jeunes femmes osaient revendiquer leur liberté, parce qu'elles osaient affirmer que leur dignité ne valait pas moins, mais autant que celle d'un homme.

C'est aujourd'hui un même cri qui retentit : femme, vie, liberté. C'est ce cri que le régime cherche à étouffer par la censure et par la violence. À ce jour, les ONG ont fait état de plus de 100 victimes, sans doute le chiffre est-il supérieur, et de plus de 1000 arrestations de militantes et de militants, d'avocates et d'avocats, de journalistes, de citoyens, de femmes et d'hommes unis par la même volonté d'émancipation. Femme, vie, liberté. C'est ce même cri aussi que la diaspora iranienne entonne en écho. De Paris à San Francisco, de Londres à Rome, ou à Erbil.

Dès le 19 septembre, la France a condamné avec la plus grande fermeté les violences ayant entraîné la mort de Mahsa Amini et la violence utilisée contre les manifestants. Comme je l'ai rappelé hier à l'Assemblée nationale, nous avons appelé les autorités iraniennes à respecter le droit de manifester pacifiquement, à respecter le droit au rassemblement, et aussi à respecter l'exercice de leur métier par les journalistes. Nous l'avons fait officiellement. Et je l'ai fait moi-même auprès de la presse aussitôt, en marge de l'Assemblée générale des Nations unies, ou ici, en France, à plusieurs reprises.

Les autorités iraniennes ont considéré qu'il s'agissait d'une forme d'ingérence que de rappeler les principes fondamentaux des droits de l'Homme. Elles ont cru bon de le faire savoir à notre ambassade sur place. J'ai donc décidé de faire convoquer le chargé d'affaires de l'ambassade d'Iran à Paris, car il n'y a pas, en ce moment, d'ambassadeur d'Iran. Il a été reçu vendredi dernier au Quai d'Orsay. Il lui a été dit clairement ce que nous pensons des méthodes iraniennes.

Mesdames et Messieurs les sénateurs, ce qui se joue, dans les rues de Téhéran et dans les autres villes iraniennes, c'est la liberté.

Il y a, d'un côté, la répression, une répression brutale que nous condamnons dans les termes les plus forts. Une répression menée contre des femmes et des hommes qui manifestent pour le respect de leurs droits et de leur dignité. Une répression que nous avons dénoncée à plusieurs reprises et que nous continuerons à dénoncer, je peux vous rassurer, Monsieur le sénateur, évidemment, sur ce point.

Nous le faisons au Conseil des Droits de l'Homme, à Genève. Nous le faisons dans toutes les enceintes internationales, et nous le faisons dans chacun de nos échanges bilatéraux, quel qu'en soit le niveau. Rappelons aussi que l'Iran a lui-même souscrit aux principes fondamentaux que nous défendons ici, les principes du Pacte relatif aux droits civils et politiques des Nations unies, auquel il a adhéré en 1975.

Et je précise, en réponse à Mme la sénatrice Billon, que l'Iran a en effet été élu à la Commission des Nations unies de la condition de la femme, c'est la règle majoritaire au sein de chaque groupe géographique auquel nous n'appartenons pas. Au demeurant, cet organe est utile, car il produit des documents de référence sur la situation des droits des femmes dans les pays et permet donc de mieux savoir ce qui se passe chez eux.

En face des autorités, il y a une aspiration à la liberté. Je dis "en face", face aux auteurs de la répression, mais je devrais dire "partout", car cette aspiration à la liberté, nous la voyons partout s'exprimer. Les femmes d'Iran veulent vivre libres, et un grand nombre d'Iraniens les suivent désormais. Des villages kurdes d'Iran aux métropoles du Baloutchistan, de la Caspienne au Golfe, les femmes d'Iran veulent vivre libres. Les femmes d'Iran veulent que leurs droits soient garantis. Les femmes d'Iran aspirent à ce que leur égale dignité soit respectée. Le courage des femmes iraniennes force l'admiration et nous oblige. Nous soutenons leurs aspirations, et nous continuerons à les soutenir, Mesdames et Messieurs les sénateurs.

Nous sommes en première ligne pour agir avec nos partenaires européens. Notre réponse doit être à la hauteur de l'enjeu, et en ce sens, nous avons lancé, dès la semaine dernière, avec nos partenaires européens, des travaux afin de sanctionner les auteurs de la répression. Il s'agira de geler les avoirs et de geler, donc d'interdire le droit de voyager aux individus identifiés comme responsables des violences.

Nous espérons, Madame la sénatrice Carlotti, que ce soit fait d'ici 8 à 10 jours, nous sommes 27, dois-je vous le rappeler. Madame la sénatrice Vogel, permettez-moi aussi de préciser que les négociations sur le retour au JCPOA se sont conclues par la présentation d'un texte que l'Iran n'a pas, pour l'heure, accepté. En d'autres termes, elles ne se déroulent donc pas. Quoique la conclusion d'un accord aurait un fort intérêt pour empêcher l'Iran d'accéder au seuil nucléaire. Ce serait de loin préférable, chacun en conviendra.

Nous resterons totalement mobilisés aux côtés des Iraniennes et des Iraniens qui se battent pour leur droit à la dignité car, vous le savez, hélas, les violations des droits de l'Homme en Iran n'ont pas attendu les événements récents. Nous continuerons d'appeler l'Iran à mettre fin aux discriminations et à toutes les formes de violence envers les femmes et les filles, à interdire les mariages précoces, et à permettre l'accès des Iraniennes à leurs droits en matière de santé sexuelle et reproductive.

Car il ne s'agit pas que de l'obligation de porter le voile. L'oppression que subissent les femmes iraniennes est brutale, inscrite dans les lois de la République islamique autant que profondément enracinée dans les mœurs du régime.

Aucune société ne peut se développer sereinement si elle n'assure pas l'égalité des droits, l'égalité entre femmes et hommes. L'égalité entre femmes et hommes qui est une condition du développement, et qui est même le gage d'une société libre, un élément fondamental de la justice indispensable à nos vies.

Ce combat essentiel n'est donc pas notre seul combat, parce qu'une société injuste avec les femmes est tout simplement une société injuste pour tous.

Nous continuerons à dénoncer les arrestations arbitraires de cinéastes, des militants des droits de l'Homme, des femmes et des hommes engagés pour la défense de la liberté d'expression, d'étudiants et de journalistes.

Nous continuerons à dénoncer les exécutions auxquelles il est procédé, y compris les exécutions de mineurs.

Nous le faisons, et nous le ferons, parce que c'est notre responsabilité. Nous le faisons et nous le ferons, parce que nous avons le devoir moral et politique de défendre les valeurs qui sont les nôtres. Oui, Mesdames les sénatrices, Messieurs les sénateurs, nous disons tous ensemble : la femme est l'égale de l'homme, en Iran comme ailleurs.

Je vous remercie.


Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 6 octobre 2022